L'auteur : Benoit_11
La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous
Date : 24/10/2008
Lieu : ST PHILIPPE (Réunion)
Affichage : 2894 vues
Distance : 150.1km
Objectif : Pas d'objectif
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Il était une fois, à l’autre bout du Monde, une course mythique qui consiste à traverser une île du sud au nord. Une course qui, depuis que je pratique la course à pied, occupe mes pensées et mes rêves. Son nom est « Grand Raid Réunion » ou « Diagonale des Fous » pour les intimes. Après une première année de trail achevée à la Grande Course des Templiers, je décide que ce sera pour cette année. J’ai déjà programmé le Triathlon d’Embrun, mais je me dis que la prépa de celui-ci me sera profitable pour la « Diag ». Une fois l’Embrunman digéré, j’attaque un gros mois de préparation ponctué par quelques grosses rando-courses dans les Pyrénées et le massif du Caroux. Ce dernier est d’ailleurs idéal pour préparer le GRR car, avec ses sentiers pierreux et aux nombreuses marches, il ressemble un peu au terrain réunionnais.
Dimanche 19 octobre. Je débarque, en famille, à St Denis pour 10 jours de vacances. Après trois jours de visites et de balades diverses sur l’île, il est temps de retourner à Saint Denis pour le retrait des dossards et l’AAB Kikourou où je rencontre des kikoureurs que je ne connaissais qu’a travers le forum. Après le repas très sympa, nous rejoignons tous ensemble le Stade de la Redoute où j’entre pour la première fois, et que j’espère retrouver trois ou quatre jours plus tard. Le retrait des dossards est un peu laborieux (1h30 d’attente pour les dossards et 30 minutes pour les cadeaux) mais j’en profite pour faire connaissance avec le Team Rapace et retrouver des amis narbonnais kikoureurs (M. et Mme Phylea), eux aussi embarqués dans l’aventure Grand Raid.
Jeudi 23 octobre. La journée est consacrée au repos et à la détente. Afin de ne pas être embêté par les bouchons pour se rendre à Saint Philippe, nous avons décidé d’arriver plus tôt et de manger sur place avec quelques kikoureurs. L’ambiance est excellente et cela permet de ne pas stresser en pensant à ce qui nous attend. Vers 21 heures, nous nous rendons au stade de Cap Méchant, ou après un contrôle des sacs très léger, on nous enferme sur le terrain avec interdiction d’échanger quoi que ce soit avec l’extérieur. L’intérêt me parait un peu limité mais bon... Le fait d’être sur place nous a permis de ne pas attendre à l’entrée, et surtout de nous positionner en première ligne, juste derrière les cadors.
Après deux heures d’attente, Robert Chicaut nous donne ses dernières consignes et lâche, à minuit, 2300 fous à l’assaut de 148 Kilomètres et plus de 9000 mètres de dénivelé positif. Après quelques mètres de bousculade, je suis expulsé du stade et je peux enfin courir. La course commence par trois kilomètres de route pour étirer le peloton. J’ai lu sur de nombreux récits que le sentier du volcan occasionnait chaque année des bouchons parfois conséquents. Je décide donc de partir à bon rythme mais sans me cramer. J’espère ainsi ne pas arriver trop loin à l’entrée du sentier. Visiblement, je ne suis pas le seul à avoir cette idée, et je suis bluffé par le nombre de coureurs qui me doublent à plus de 15 Km/h. Sans trop m’en rendre compte, j’accélère progressivement, aspiré par le flux de coureurs. J’entends un gars dire que nous sommes à 14 à l’heure à son GPS. C’est tout de même un peu rapide et je décide de lever le pied. C’est alors que je retrouve Cédric, alias L’Castor Junior, quelques mètres avant d’attaquer la piste forestière. Celle-ci va, sur une douzaine de bornes, nous monter à 700 mètres d’altitude. Son rythme, alternance de marche rapide et de course me convient très bien et nous décidons de faire un bout de chemin ensemble. On passe cette portion peu intéressante à discuter et on ne voit presque pas le temps passer.
Après deux heures de course, nous voilà au ravito de Mare Longue où le Castor est interviewé par un journaliste de la radio RER. Deux verres de coca, un bout de banane, une demi-barre de céréale et on attaque les choses sérieuses. Le sentier est étroit, raide, technique avec beaucoup de pierres et de racines, mais notre rythme, imposé par les traileurs qui nous précèdent, est satisfaisant. Progressivement, on quitte la foret luxuriante pour un terrain plus aride. En levant les yeux au ciel, j’aperçois les étoiles et cela nous rassure, car les prévisions météo n’étaient pas très optimistes quelques heures avant la course. On continue de monter et on rencontre déjà quelques raideurs assis au bord du sentier ou en train de s’alléger dans les bosquets... Je me dis que cela va vraiment être compliqué pour eux... Après trois heures de rude montée, la pente s’adoucit avant le ravito de la Route du Volcan. Nous nous accordons quelques minutes de repos en compagnie de Rapacette. Coca, soupe, biscuit, bananes et chocolat, ce sera mon menu durant toute la course.
Le jour se lève sur le volcan et le décor est vraiment magique. Quelle chance de pouvoir courir dans ces paysages. Je n’échangerais ma place pour rien au monde. Toujours en compagnie de Cédric, nous traversons la plaine des sables et son décor lunaire en courant à bon rythme. Notre niveau semblant assez proche, nous convenons d’essayer de rester ensemble jusqu’au bout, sauf grosse défaillance de l’un ou de l’autre. Notre stratégie est de monter les côtes à rythme moyen, sans pause entre les ravitaillements, et de maintenir une bonne allure dans les parties plates et roulantes. Je pense que ce choix était vraiment judicieux. Je laisse le soin à Cédric de réguler la vitesse et je profite bien de ses qualités de métronome. Je pense que sans lui, j’aurais été moins régulier et au final, moins vite sur toute la première partie de la course.
Après la plaine des sables, nous attaquons la montée de l’Oratoire Sainte Thérèse. Après la montée du volcan, cette côte passe comme une lettre à la poste et nous redescendons vers le piton Textor sur des sentiers pierreux. Le téléphone de Cédric n’arrête pas de sonner, et je profite des encouragements qui lui sont adressés par les Kikoureurs. Après Textor, le décor redevient plus vert et les paysages sont soudain beaucoup plus familiers. Nous franchissons avec prudence les nombreuses échelles permettant de passer les clôtures. Le rythme est bon sur cette partie assez agréable à mon goût. Agréable jusqu'à 3 km de Mare à boue, car à cet instant là, le parcours emprunte une route bétonnée, et après 47 Kms, je trouve ça très pénible, d’autant plus que le temps se gâte et que nous nous retrouvons en plein nuage. Nous alternons donc marche et course en fonction de la pente pour rallier le ravito. Peu avant celui-ci, Cédric remarque un groupe de supporters bien pourvu en Dodo, la fameuse bière réunionnaise, et leur en réclame une. Incrédule, un des gars nous tend la sienne, et quelle ne fut pas sa surprise lorsque le castor s’en est emparé... Une demi dodo chacun... Ca fait du bien...
Ravitaillement de Mare à boue. Nous nous accordons une petite dizaine de minutes de pause pour nous ravitailler. Comme sur les autres ravitos, c’est soupe, coca, banane, biscuit et chocolat. Ce régime me convient bien, et je ne connaîtrai aucun souci gastrique et d’hypoglycémie. En plus de cela, j’aurais simplement consommé un tube, quelques Dragibus et noix de cajou. Avant de quitter le poste, mon compagnon se fait encore remarquer en chambrant Sébastien Folin sur les conditions météo. Celui-ci assure la couverture médiatique pour la chaîne événementielle de Canalsat, et se révèle très sympathique. Un peu de plat après Mare à boue, et on attaque la montée vers Kervégen et le gîte du Piton des Neiges. Je crois que cette montée sera pour moi la plus difficile de la course. Ce n’est pas très raide, mais le sentier est technique. On n’en voit jamais le bout, d’autant plus que nous sommes dans la brume. Et comme souvent à la Réunion, il y a des descentes au milieu des montées... Cédric impose toujours le rythme et après plus de 3 heures, nous arrivons enfin au ravito. On s’accorde une dizaine de minutes de pause, le temps de se ravitailler et de faire le plein du camel.
Et c’est reparti, direction Cilaos. Mais avant, il va falloir perdre 1200 mètres de dénivelé, sur un sentier technique, constitué de marches stabilisées par des rondins de bois. Cédric n’aime pas trop ce type de descente et nous y allons tout doux. Je pourrais dévaler plus vite, mais je ressens une petite douleur sous le genou droit. Mieux vaut donc y aller tranquillement... On se fait pas mal doubler dans cette portion et nous mettrons près de deux heures pour faire ces 7 kilomètres.
A Cilaos, mon assistance est là. Ca fait plaisir et nous discutons du parcours, passé et à venir. D’après un plan de route réalisé grâce au site softrun, je suis sur des bases de 38 heures, ce qui constituait au départ, une prévision optimiste (42 heures était la réaliste et 46 heures voir plus, la pessimiste). Je ressens toujours ma douleur au genou et avant d’aller manger un morceau, je vais voir le toubib pour lui demander s’il pense que je peux prendre un comprimé de Voltarène ou d’Advil que j’ai avec moi. Il me répond que ce type de médicament (anti-inflammatoire) est un dopant, et qu’il est par conséquent interdit... Je suis un peu surpris et m’engage à ne pas en prendre. Il me donne toutefois deux Dafalgan pour me soulager. A mon retour en métropole, je vérifie la liste des médicaments interdits, et comme il me semblait, ni Voltarène, ni l’Advil n’y figurent... Passons... Après avoir mangé un carry poulet, je rejoins la pelouse du stade pour un changement de tenue complet en prévision de la nuit. J’enfile un t-shirt manches longues un peu plus épais qui sera parfait puisque je n’aurais jamais ni trop chaud, ni froid. Je change également de chaussettes et de chaussures. Je suis parti avec des Asics Trabucco, et je continue ma route avec des Trail Sensor, toujours de chez Asics. Je ne sais pas si c’est un manque de lucidité, mais sur le moment, j’estime que je n’aurai pas besoin de chaussettes de rechange d’ici Deux Bras, et laisse à mon assistance la paire que j’avais prévu d’embarquer. Ce sera une grossière erreur, mais je ne le sais pas encore.
Après un peu moins d’une heure de pause, nous quittons Cilaos pour attaquer la seconde partie de l’épreuve, la plus compliquée avec la traversée du très sauvage cirque de Mafate. Mais avant d’affronter cette partie tant redoutée de l’épreuve, il faut descendre dans le lit de la rivière avant de remonter vers la route d’Ilet à Cordes, et le col du Taïbit, porte du cirque, à plus de 2000 mètres d’altitude. Dès le redémarrage, les jambes vont bien et je ne sens plus trop ma douleur au genou. Les balises sont un peu difficiles à trouver à la sortie de Cilaos, mais Cédric se souvient des lieux et nous trouvons le bon chemin. Passage à guet à Bras Rouge, et on attaque la remontée. Beaucoup de traileurs craignent le Taïbit, mais la partie qui le précède est également difficile. Ca monte, ça redescend un peu, ça remonte... Nous atteignons finalement la route et prenons quelques minutes de pause au ravitaillement ou mon assistance nous a rejoint. Les bénévoles sont toujours au petit soin et nous font presque oublier la pluie qui nous complique encore la tache. Soupe, coca, petit beurre, chocolat, re-coca, et on y retourne... A nous Mafate...
Avant le départ, je m’étais dit qu’admirer le coucher de Soleil du sommet du Taïbit serait extraordinaire. Mais pour ca, il faut passer le col avant 18 h 15 et il est déjà 16 h 15. Cela nous parait un peu difficile, mais nous réalisons une bonne ascension sur le rythme métronomique du Castor, qui bien que se disant fatigué, assure un bon tempo. Finalement, nous passons au sommet avec 40 minutes d’avance sur le soleil. Malheureusement, nous sommes dans le nuage, et nous ne voyons strictement rien. Côté jambes, ça va toujours. Cette rude montée est bien passée pour moi, avec pas mal de coureurs doublés, même si je n’ai pas goûté à la tisane « Ascenseur » proposée lors d’un ravitaillement sauvage au milieu du col. J’ai toutefois eu la première hallucination : un sanglier dans un arbre... Je n’ai pourtant pas du tout sommeil...
Nous voici maintenant dans Mafate pour 48 kilomètres, sans possibilité d’abandonner puisque aucune route n’accède au cirque, le seul moyen d’y accéder, ou d’en sortir, est la marche... ou l’hélico. Nous commençons par descendre sur Marla. Il fait encore jour et nous n’avons pas besoin de ressortir la frontale. Un peu avant l’ilet, un réunionnais nous dépasse et part dans un sentier non balisé. Je l’interpelle mais il continue sa route... Une concurrente réunionnaise nous indique, le plus normalement du monde, qu’il s’agit d’un raccourci. Nous lui répondons que nous, nous préférons suivre l’itinéraire de la course. Peut être pour marquer son désaccord, elle coupe également une épingle quelques mètres plus loin et continue sa route... Drôle de mentalité... Heureusement, tous les réunionnais n’agissent pas de la sorte. 18 h 15, nous voila à Marla. On se pose quelques minutes pour se ravitailler avant d’affronter la nuit. Comme partout, les bénévoles sont supers, on ne les remerciera jamais assez...
Après un petit quart d’heure de pause, il est temps de ressortir la frontale et repartir vers Trois Roches. D’après le profil édité par l’organisation, ça descend jusqu’au pied de la nouvelle terreur de la course : la Roche Ancrée. Ceux qui ont cru au profil ont du maudire les organisateurs car, en réalité, c’est un parcours très casse patte qui est proposé : montée, descente, montée, descente, montée, descente... Nous savions le profil erroné, nous n’avons pas de mauvaise surprise. Ma douleur au genou est toujours présente mais j’ai compris comment « l’apprivoiser » en modifiant un peu mes appuis et elle ne me gène quasiment pas. Les montées sont difficiles et il faut s’accrocher mentalement mais je suis bien et prends pas mal de plaisir dans la nuit mafataise. Cédric impose toujours le rythme, et bien que celui-ci ait un peu faibli, nous avançons toujours assez bien. Après un peu moins de deux heures, nous entendons le bruit du groupe électrogène de Trois Roches, mais le ravitaillement n’arrive pas. Celui-ci est positionné au milieu de nulle part dans une zone très humide et glissante, et c’est guidé par des balises lumineuses que nous y arrivons enfin.
Nous nous ravitaillons rapidement et repartons en direction de Roche Plate. Il nous faut tout d’abord traverser la rivière aux galets sur un guet. La pluie a fait monté le niveau de l’eau et les pierres sont presque recouvertes, et très glissantes. Je suis Cédric qui, pour ne pas tomber, décide de mettre les pieds dans l’eau. Je l’imite sans trop réfléchir... Pourtant, c’est à ce moment que ma course va basculer : j’ai les pieds trempés. Je me dis que je changerai de chaussettes à Roche Plate, quand soudain, je me souviens que j’ai laissé ma paire de rechange à Cilaos. Jusqu’au ravitaillement suivant, bien que mouillés, mes pieds ne me font pas souffrir. Je suis toujours bien et je prends le relais de Cédric qui fatigue. Le sentier est hyper technique, glissant, boueux, empierré, on ne peut pas faire plus difficile... J’adopte un rythme assez léger et nous nous faisons un peu dépasser, mais du fait de nos arrêts relativement courts aux ravitos, nous ne perdons quasiment pas de places au classement. Sur cette portion, je me souviens d’une scène assez insolite : trois réunionnais en train de fumer un joint au bord du sentier... Mieux que le Dafalgan ???
Après je ne sais plus combien de montées et de descentes, nous arrivons à Roche Plate. Mon compagnon de route commence à en avoir ras la casquette et nous nous accordons une pause un peu plus longue que les autres. J’en profite pour retirer chaussures et chaussettes. C’est pas très joli à voir... Le frottement du tissu mouillé a énormément fripé la plante de mes pieds. J’ai l’impression d’avoir une semelle naturelle de 5 millimètres d’épaisseur. Je vérifie quand même si je n’ai pas des chaussettes dans le sac, mais je dois me résoudre à ré-enfiler ma paire mouillée. Pendant ce temps, Rapace arrive et nous raconte sa course. Il se sent bien, et nous savons qu’il va finir très fort. Nous repartons enfin accompagnés de Zabou, une UFOtte sympathique en direction de la Roche Ancrée et Grand Place. Dans les côtes, mes pieds ne me font pas trop souffrir, mais dans les descentes, je commence à déguster sérieusement. Cédric souffre également des pieds, mais aussi du sommeil, ce qui nous conduit a adopter un rythme réduit. Nous estimons notre temps final à 43 heures environ alors que nous étions sur des bases de 38 heures à Marla. Après une interminable descente au cours de laquelle Rapace nous a passé comme une balle, nous arrivons dans le lit de la rivière. J’appréhende d’avoir à remettre les pieds dans l’eau. Certains passages sont délicats, voir dangereux mais je conserve les petons humides seulement...
Après une petite pause à un poste de la croix rouge, il est temps d’attaquer la Roche Ancrée : 500 mètres de D+ en 1,5 kilomètres, un mur. Je souffre dans cette montée... Pas trop physiquement, mais surtout mentalement. Je me demande comment je vais réussir à finir avec mes problèmes de pied et ça me sape le moral. J’essaye malgré tout d’encourager Cédric qui a toujours sommeil. Le fait que nous soyons de nuit nous permet de ne pas voir ce qui nous reste à gravir, mais l’altimètre de mon Castor se charge de nous en informer. Enfin le sommet... Zabou décide de faire une pause tandis que nous continuons notre route vers Grand Place. J’ai de plus en plus mal dans cette descente, et je commence à râler un peu... Notre progression est rythmée par les SMS d’encouragement des Kikoureurs. Ca fait plaisir, Merci à tous.
Arrivés à Grand Place, je retire à nouveau chaussures et chaussettes pour essayer de faire sécher un peu, en buvant une soupe. Avec l’humidité ambiante, c’est peine perdue... Je retrouve Pascalarmissan, compatriote narbonnais kikoureur qui a également des soucis (entorse) et qui galère autant que nous. Après un quart d’heure de pause, nous repartons ensemble vers Aurère. Cette partie sera aussi très difficile. La douleur s’accentue et j’ai l’impression d’avoir de la braise dans les chaussures. En parallèle, les jambes vont toujours bien, pas de douleurs, et je n’ai absolument pas envie de dormir. L’Castor Junior par contre a toujours sommeil et attend avec impatience le lever du jour, tandis que Pascal décide de faire un petit somme dans le sentier, au milieu de nulle part. Cette partie est vraiment très longue, et notre rythme ne nous aide pas à arriver plus vite. Je dois agacer Cédric avec mes plaintes, mais il est suffisamment sympa pour me supporter... Nous passons sur une passerelle où il est indiqué « une personne à la fois ». On ne voit pas le vide sous nos pieds mais ça à l’air assez profond.
Le jour se lève enfin. Les nuages ont disparu et nous pouvons profiter un peu du paysage même si mes pensées sont ailleurs... Nous arrivons en vue d’un village et pensons qu’il s’agit d’Aurère. Cédric demande confirmation à deux réunionnais qui nous dépassent... Quel choc lorsque j’ai entendu : « Aurère, encore une heure ». Damnation. C’est terrible psychologiquement. Dans ces cas la, on se raccroche à de petits objectifs et Aurère en était un... L’ilet en question est Ilet à Malheur... il porte bien son nom. Dans la montée qui suit, la douleur devient difficilement supportable et je dis à Cédric de prendre un peu d’avance et que l’on se retrouve à Aurère. Je ne pourrai même pas apprécier le passage exceptionnel d’un pont au dessus d’un canyon de plusieurs dizaines de mètres de profondeur. Durant l’ascension, je commence à douter. Je songe à abandonner à Deux Bras, ne me voyant pas supporter cela jusqu’à l’arrivée. Je pense même à voler une paire de chaussettes sèches sur un étendoir au prochain ilet, tellement je n’en peux plus... J’arrive enfin à Aurère quelques minutes apès Cédric. J’ai le moral dans mes chaussettes humides. J’appelle Elodie, ma compagne pour lui dire que, si les podologues de Deux Bras n’arrivent pas à me soulager, je jette l’éponge. Elle me réconforte et me dit de la rappeler après les soins. Mais avant les soins, il faut descendre durant 8 kilomètres... Nous repartons mais je me rends vite compte que je ne peux pas suivre Cédric, un comble en descente... Je lui dit alors de s’avancer à nouveau afin qu’il aille se faire lui aussi soigner les pieds. Ces 8 kilomètres seront un véritable calvaire. J’en pleure presque... Des dizaines de raideurs me dépassent. Je vais mettre plus de deux heures quinze pour rejoindre Deux Bras.
Après quatre passages à guet casse gueule (j’ai failli tomber dans l’eau, juste devant le photographe), j’arrive enfin à ce poste tant attendu. Celui-ci est géré par les militaires qui ont installé une piscine, un terrain de foot... Je vais directement à la tente des podologues où je retrouve mon compagnon de route qui en termine avec les soins. Quelques minutes après, c’est mon tour. La podologue en charge de mes pieds les déclare vainqueurs dans la catégorie « plus grosse ampoule ». Ils ont même droit à des photos… Chaque podologue vient faire sa petite photo avec son portable... Bilan : gros échauffements sur les plantes, qui ont provoqué d’énormes ampoules sur les talons. Ma « sauveuse » commence par vider les poches (ça va encore) avant d’y réinjecter de l’éosine (ça pique un poil !!!) puis m’applique un gel glacial, strappe les talons et m’enduit le tout de crème anti-frottement. Chaussettes sèches (enfin !!!) et c’est reparti...
Je rejoins Cédric sous la tente restaurant, et mange rapidement un carry poulet et quelques pâtes. Zorey974, kikoureur résidant à la Réunion, et finisher 2007 du Grand Raid nous a rejoins. Il va faire la terrible montée de Dos d’Ane avec nous. Après près d’une heure quinze d’arrêt et une cinquantaine de places supplémentaires perdues, nous repartons à l’assaut du mur au sommet duquel je dois retrouver mon assistance. Même si les douleurs sont encore présentes, ça va mieux et je suis désormais certain d’arriver au bout.
Nous attaquons la montée de Dos d’Ane, la pente est raide mais c’est surtout la chaleur qui nous fait souffrir. Il est 10 heures du matin et il doit faire 30°. Je suis le rythme de Cédric sans grosses difficultés et le fait de discuter avec Zorey974 fait que l’ascension, ponctuée de passage d’échelles, passe assez bien pour moi. Vers le sommet, la pente s’adoucit, tout comme la température. Encore une petite hallucination, je vois ma famille dans le sentier alors qu’ils sont un peu plus haut...
Je retrouve ma super assistance au sortir du sentier, et nous parcourons ensemble les quelques mètres qui nous séparent du ravitaillement. Pendant que nous nous ravitaillons, j’envoie ma soeur nous acheter trois Dodo. Nous discutons quelques minutes avec Zorey et perdons quelques places, mais bon... cela n’a pas grande importance. Nous repartons tranquillement sur une partie assez pénible : de la route dans le village pour rejoindre le stade trois kilomètres plus loin. Heureusement, nous sirotons notre bière, ce qui fait bien rire tous les spectateurs que nous croisons. Coïncidence marrante, nous rencontrons le groupe à qui nous avons taxé une bière à Mare à Boue. Toujours une Dodo à la main, nous avons du passer pour des ivrognes...
Stade de Dos d’Ane. Encore pause, assez rapide celle-ci, et nous attaquons la dernière grosse bosse de la course : le Piton Batard. Le ciel est maintenant complètement bouché et c’est dans le nuage que nous allons passer la fameuse crête avec le vide de chaque côté. Encore une fois, nous ne pourrons pas admirer le paysage, parait-il exceptionnel, de cette partie. Nous attaquons la montée avec un petit groupe. Mes pieds me font toujours souffrir mais c’est supportable, et mes jambes répondent très bien. Cela me regonfle le moral et mon esprit de compétiteur reprend le dessus. Je prends la tête pour imposer un bon rythme et faire exploser notre petite troupe. Cédric me régule un peu et nous arrivons sur la partie sommitale de la crête. Beaucoup de coureurs ont vraiment du mal dans cette zone, car on n’en voit jamais la fin. Ca monte, ça descend, ça remonte... Mais ça ne me gène pas trop et mes pieds me permettent même de trottiner dans les descentes. Le sentier, pas trop technique malgré les marches stabilisées par des rondins de bois, est rendu délicat par la pluie. Cela dit, cela ne me gène pas trop car j’aime bien la boue. C’est sur un bon rythme que nous arrivons au ravitaillement marquant la fin de ce sentier.
Après 5 minutes de pause, nous repartons sur la route forestière pour rejoindre, quelques kilomètres plus loin, le sentier goyavier. Mes jambes sont toujours bonnes et je propose à Cédric de trottiner. Après 140 kilomètres, je suis surpris de pouvoir courir sans difficultés, c’est la magie de l’ultra, quel bonheur !!! Nous arrivons enfin sur ce sentier vallonné, étroit et très boueux. Après quelques mètres, je me crois revenu sur les sentiers glissants des Citadelles. Je décide de me faire plaisir et m’élance dans la pente, bien en avant, et dévale à toute allure (à ce moment là de la course, 12 km/h, c’est rapide...). Le fait de glisser fait que me pieds ne me font quasiment pas souffrir. Je dépasse plein de coureurs avant de me calmer un peu. J’attends le Castor et nous repartons ensemble. J’essaye de lui donner quelques notions de glisse sur cette partie ou des raideurs « pètent les plombs » à force de glisser. Nous sortons de cette zone où je me suis amusé comme un petit fou et entamons le second sentier goyavier, beaucoup plus sec, et un peu plus délicat à négocier pour mes pieds. J’ai à nouveau quelques hallucinations (des gens qui marchent dans les bois...) mais bizarrement, je ne me sens pas trop fatigué et je n’ai toujours pas sommeil.
Nous arrivons au poste du Colorado où ma famille nous attend. On se ravitaille, enfilons le débardeur obligatoire pour l’arrivée et c’est reparti. Il reste 5 kilomètres de descente, et Cédric m’annonce que nous en avons pour 2 heures, ce qui nous ferait arriver vers 18 heures 40, de nuit. Cela me parait énorme et je dis à Cédric qui si nous faisons la descente un peu fort, nous pouvons arriver avant la nuit. Il est un peu sceptique car il a un très mauvais souvenir de cette descente. Je prends la tête et Cédric me dit qu’il va essayer de poser ses pieds au même endroit que moi pour aller un peu plus vite. Cette partie est composée de gros cailloux et il faut sauter de l’un à l’autre, en sélectionnant attentivement ses appuis. Nous descendons à bonne allure, lorsque nous voyons deux concurrents couper les épingles... Tant pis pour eux...
Nous continuons à dévaler, et je comprends que nous pouvons rentrer avant 18 heures, soit 42 heures de course. J’encourage Cédric qui s’en sort très bien et après une heure de descente, nous arrivons sur la route. Il nous reste 800 mètres. Nous croisons Fastoch, qui a terminé à une magnifique 20e place, et a qui j’emprunte sa casquette Kikourou pour passer la ligne. Cédric regarde sa montre, ça peux passer, mais il faut carburer. Nous entamons un sprint final à 15 à heure. Plus de douleurs aux pieds, je suis shooté aux endorphines et nous entrons dans le stade à toute vitesse. La ligne est là : 41 heures, 59 minutes, et 50 secondes. Quel Pied !!! Nous avons réussi. Difficile de trouver les mots pour exprimer les émotions que je ressens... Il faut le vivre pour le comprendre. Nous récupérons la médaille, le sac et le T-shirt « J’ai survécu » et après quelques photos, nous nous posons sur le stade, en attendant L’castor Senior qui finira en un peu plus de 43 heures.
Bilan de cette diagonale. Beaucoup d’émotions... on passe par tous les états mais que c’est bon... Je pense avoir bien géré la course, en grande partie grâce à Cédric. C’était génial de faire route avec lui. Je pense que ma prépa était correcte et m’a permis de terminer sans problèmes musculaires. Mon gros regret est d’avoir mis les pieds dans l’eau à Trois Roche. En épluchant les résultats, je pense que ça nous a coûté au moins trois heures... Dommage également de ne pas avoir pu profiter un peu plus des paysages Il faudra revenir pour mettre à profit l’expérience acquise, et tenter un meilleur chrono.
En conclusion, le Grand Raid est une aventure physique et intérieure, qu’il faut vivre au moins une fois dans sa vie de traileur. A tous ceux qui se disent que c’est trop dur, trop long... foncez, vous ne le regretterez pas... Je ne peux terminer sans remercier Elodie qui à supporté mes entraînements et qui a constitué avec ma famille une super assistance. Merci au Castor pour m’avoir supporté et fait partagér son expérience. Merci à tous les kikoureurs et à toutes les personnes qui m’ont encouragé et soutenu. Merci enfin aux organisateurs et aux bénévoles, tous exceptionnels, sans qui cette course ne pourrait pas exister.
14 commentaires
Commentaire de L'Castor Junior posté le 12-11-2008 à 06:21:00
Merci Benoît d'avoir écrit mon CR ;-))
Plus sérieusement, ce fut un réel bonheur de faire cette course à tes côtés. Je pense d'ailleurs qu'à certains moments, je n'aurais peut-être pas continué si j'avais été seul.
Ca m'a permis, entre autres, de profiter de ton assistance de choc. Avec la présence de Rapacette sur la première moitié, c'était confortable !
Au plaisir de refaire quelques pas ensemble sur une prochaine course !
Commentaire de rapace74 posté le 12-11-2008 à 08:05:00
bravo benoit pour ta superbe course!!! et surtout un enorme bravo pour avoir réussit a supporté ton coach de l'ultra ;-)) a tout bientôt j'espere
manu
PS: bises a toute ta famille
Commentaire de Domy posté le 12-11-2008 à 08:52:00
Super ton récit, moi G eu moins de chance car douleurs aux genoux dans toutes les descentes et abandon à Cilaos !!! Mais aprés avoir lu le récit et vu les photos de la 2eme partie, j'y retourne en 2009 pour boucler cette balace !!! Merci à vous kikourous pour votre aide et bijour a L castor Junior que j'ai croisé aux retrait des dossards. A+. Domy...
Commentaire de pascalarmissan posté le 12-11-2008 à 09:45:00
bravo benoit pour ton 1er ultra ta super bien geré ta course.felitacion.
Commentaire de caroux posté le 12-11-2008 à 10:08:00
Merci pour ce beau récit qui donne envie...
Un jour peut-être ;-)
Commentaire de Yvan11 posté le 12-11-2008 à 19:27:00
Un grand bravo pour cette belle aventure !! Merci de nous la faire partager..
A bientot
yvan
Commentaire de cat2513 posté le 13-11-2008 à 13:00:00
Bravo Benoit pour ce fabuleux exploit !
Ton récit est magnifique, il nous fais vivre et ressentir cette course hors du commun...
Bravo aussi à toute la bande des audois !
Commentaire de Tercan posté le 13-11-2008 à 16:29:00
Excellent ce récit !
Bravo a toi et a Cedric, un belle course bien gérée !!!
Commentaire de moumie posté le 13-11-2008 à 21:02:00
Bravo Benoît pour cette belle expérience que tu nous as fait partagé.
En lisant ton récit, j'ai bcp souffert pour toi. J'espère que tes pieds se sont bien remis.
Félicitation et comme le dit katie, bravo à toute la bande audoise.
Fabienne
Commentaire de marioune posté le 14-11-2008 à 00:59:00
Merci benoit et bravo!!!! Je t'avais suivi sur kikou, mais te lire c'est mieux. je ne suis pas encore à ce niveau mais cette course fait rever. A bientot au off dans la clape, tu me raconteras de vive voix..
Commentaire de chjou2 posté le 14-11-2008 à 16:52:00
Bravo Benoit, un grand bravo pour votre course à tous les deux.
Commentaire de zabou posté le 15-11-2008 à 16:17:00
Bravo Benoit !
Je ne pensais pas que tu avais eu si mal aux pieds car je ne t'ai pas trop entendu te plaindre au cours de la nuit, mais peut être que tes cris de douleur étaient couverts par les gérémiades du Castor ;-)))
sans blague, çà m'a bien aidé de faire un bout de route avec vous deux !
A bientôt
Zabou_kikourette aussi !
Commentaire de philtraverses posté le 15-11-2008 à 20:11:00
bonsoir
bravo pour ta course et ton courage et merci pour ton récit qui m'a tenu en haleine et qui renforce mon envie d'y être l'an prochain.
Commentaire de mic31 posté le 22-11-2008 à 22:11:00
Salut Benoit, bravo pour ta course et ce super récit. Faut être costaud surtout mentalement pour continuer avec les pieds dans cet état. Bravo aussi au Castor puisque c était une course collective.
A bientot sur les sentiers caillouteux de la Clape
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