Récit de la course : Ultra Trail du Mont Blanc 2007, par LeSanglier

L'auteur : LeSanglier

La course : Ultra Trail du Mont Blanc

Date : 24/8/2007

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

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Distance : 163km

Objectif : Faire un temps

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La boucle est bouclée

Pourquoi l’UTMB ?

L’UTMB, c’est la course mythique chez les UFO. Seulement, moi, elle ne m’attire guère. En 2004, je sais à peine ce que cet acronyme signifie. Il faut dire que je suis tout récent chez les UFO, et presque aussi jeune en course à pied (premiers pas en juin 2003). En 2005 je boycotte cet événement qui attire selon moi trop de monde, et s’éloigne des fondements du trail et de la course nature. On se retrouve là dans une démesure peu propice à trouver tout ce que cherche habituellement le traileur, et moi en particulier. Puis en août 2006, un peu par hasard, je me retrouve au départ de la Courmayeur-Champex-Chamonix, le « semi-UTMB ». Sans préparation spécifique, je prends beaucoup de plaisir sur ce trail, et finis dans un temps très correct de 14h41, en 75ème position (cette place est dûe principalement à un plateau peu relevé). Quelques jours après la course, je mets de côté l’aspect démesuré de l’UTMB, et je décide d’en faire mon objectif majeur de la saison 2007. 

Préparation avortée

 Mon plan est simple : penser UTMB d’avril à août, et axer ma saison sportive sur ce rendez-vous, en intégrant des ultra-trails, des offs en montagne, et en travaillant au maximum le dénivelé à l’entraînement. Seulement, à la mi-avril, on me propose de participer au Raid Montpellier-Valencia, 500km de course à pied sur huit jours début mai. J’accepte, le termine, mais reviens avec deux tendinites rotuliennes, qui m’obligent à couper l’entraînement pendant deux mois. Forcément, mes ambitions pour l’UTMB doivent être revues à la baisse, et je passe d’un objectif 29h à 33h, qui me paraissent réalistes vu mon peu d’entraînement. Mes genoux me font toujours souffrir dès que la sortie dépasse quelques heures, mes sorties longues se limitent à trois offs dans les semaines précédant l’épreuve, bref, je ne suis pas serein. 

 

Départ de Chamonix

 

Place du Triangle de l’Amitié, quelques minutes avant 18h30, j’attends avec impatience d’enfin m’élancer sur cette énorme boucle. Près de moi se tiennent des amis UFO, pressés d’en découdre eux aussi. Nous sommes mal placés, dans le milieu de la foule, loin des avants-postes. Ca va sans doute bouchonner pas mal. J’en ronchonne déjà. Un Italien à-côté de moi se signe, je le regarde bizarrement. Hé les gars, c’est une course hein, on ne part pas à la guerre ! Quelques blagues pourries fusent, des types se retournent avec leurs bâtons qui dépassent de leur sac et manquent éborgner leurs voisins… Tout ça ne me plait guère. Enfin, la musique démarre, et les coureurs de tête partent à toute allure. Pour nous, pas de risque de partir trop vite : il faut déjà attendre quelques secondes pour ne serait-ce que faire un pas, puis quelques minutes pour pouvoir courir. Et encore, ça ne dure pas longtemps : quelques mètres, puis l’on s’arrête, et ainsi de suite pendant deux ou trois kilomètres. Cool. Heureusement, le public est présent et égaie par ses bravos ce début de course qui me déplait franchement.

 

 Chamonix – les Houches 

Nous sortons de Chamonix, et nous dirigeons vers les Houches sur un sentier en sous-bois un peu bosselé. Forcément, ça ralentit de nouveau, d’autant plus que de petits groupes d’amis courent de front à quatre ou cinq, prenant toute la largeur du sentier. A chaque fois, c’est une prise de risque sur le bas-côté pour doubler ces petits groupes, et un énervement en prime. Aux Houches, de nouveau le public est présent, enthousiaste. Je trace tout droit au niveau du ravito, décidé à ne pas m’y arrêter (trop tôt, j’ai tout ce qu’il faut) mais un autre coureur me crie « ravito à gauche ! » à plusieurs reprises, d’un air implorant. J’espère qu’il a pu dormir depuis, enfin s’il lit ceci, qu’il sache que de ne pas m’être arrêté à ce ravito ne m’a pas pénalisé. Autre anecdote quelques kilomètres plus tôt dans les rues de Cham : je cours en tenant mes bâtons main droite, pointes devant moi. Un type à-côté m’engueule : « hé toi, mets les points derrière, pas devant ! ». P…., je lui aurais collé une mandale à ce type. Un autre coureur lui dit que non, justement, de tenir les pointes devant permet de voir ce qu’on fait avec, alors qu’en arrière on pourrait les planter dans une cuisse sans s’en rendre compte. Merci à lui.

 

 Montée du Col de Voza 

Et toujours ces bâtons à éviter, ces gros lourds qui te doublent en soufflant, se postent juste devant toi et ralentissent… Dans l’entame de la montée du Col de Voza, quelques coureurs coupent un large lacet en passant dans l’herbe ; trente mètres et une vingtaine de places de gagnés ; ils se font huer par les autres, moi y compris. Pas d’histoire de manque de lucidité, ça ne fait que deux heures que nous sommes partis. Quelle connerie. Je rattrape Jesus dans la montée, puis Olivier91, à qui je fais part de mon profond ennui actuel : vivement dans quelques heures ! Je croise aussi de manière innatendue Vincent rencontré sur le Raid Montpellier-Valencia : nous avons choisi le même sapin pour uriner ! Heureusement, le soleil se couche doucement, et baigne le haut du massif du Mont-Blanc d’une magnifique lumière dorée. Souvent mon regard se perd au loin : même si c’est une course, il me paraît invraisemblable de ne pas profiter de ce sublime environnement.

 

 Passage à La Charme 

Le Kloug, du Raid 28, nous pointe, Olivier91 et moi, à la Charme en 2h. J’ai un peu plus de 35mn d’avance sur mon plan de route en 33h. Ceci dit, je n’ai sur moi aucun chrono (hormis mon téléphone mobile) et je n’ai pas non plus imprimé mon plan de route. Je préfère de loin courir à la sensation. Pour établir mon objectif à 33h, j’ai estimé tronçon par tronçon le temps que je mettrais ainsi que les temps d’arrêts aux différents ravitaillements. Connaissant plutôt bien mon allure de course, de marche, de descente, frais et fatigué, je suis à peu près serein sur ma capacité à tenir mon objectif, mais je sais bien que vouloir faire moins serait risqué. Tout le long du grand tour, je n’aurai des informations temporelles que de temps en temps, soit en demandant l’heure à un bénévole, soit en consultant mon mobile. Je trouve que le fait de courir sans montre fait passer plus vite le temps : les repères disparaissent, on ne sait pas depuis combien de temps on court, ni combien de temps il reste. On sait juste où on est, où on va, et c’est là l’essentiel.

 

 Incivisme 

Bien sûr, dès le début de la descente sur Saint-Gervais, Olivier91 me lâche. La descente, il aime ça, et il maîtrise. Moi j’aime ça, mais je maîtrise beaucoup moins, et surtout j’ai très peur de me plier une cheville. Les deux sont fragiles, et il suffit souvent de peu pour qu’elles vrillent ; une entorse et l’UTMB risque de s’arrêter, c’est vraiment trop bête. Juste devant moi, une nana prend un gel dans son sac, l’ouvre, laisse tomber le bouchon, l’avale, laisse tomber l’emballage. Je reste interdit ; je l’engueule vertement. Elle me regarde bêtement, chacun continue son chemin. Je n’en reviens pas. Là encore, pas d’histoire de lucidité, de maladresse, d’oubli : simplement un geste conscient, de jeter dans la nature un emballage plastique plutôt que de le garder avec soi jusqu’au prochain ravitaillement, et de le mettre dans une poubelle. Ces gens-là ne méritent pas de participer à cet évènement.

 

 Début de la descente sur Saint-Gervais 

Heureusement, la descente est là pour me divertir. Je m’amuse bien, dans la pente herbeuse et raide d’abord où je tombe une fois sur les fesses juste avant de re-doubler Jesus qui galère, puis sur le bitume pour finir, raide lui aussi, mais très agréable dans la pénombre qui a désormais remplacé la lumière du jour. Je ne sors pas encore ma frontale, le terrain étant sûr, je préfère profiter du peu de lumière de la lune, de la ville, et des autres coureurs. Déjà je sens mes genoux, surtout le droit, qui me lancent des signaux d’alerte. Ce n’est pas encore une douleur franche, plutôt une sensation de « quelque chose qui cloche » dans l’articulation. Pourtant, très vite, la douleur viendra remplacer la mauvaise sensation, et je n’aurai plus qu’à composer avec jusqu’à la fin.

 

 Arrivée sur Saint-Gervais 

Le bas de la descente est transcendant : on découvre de mieux en mieux la ville, ses milliers de lumières, les clameurs de la foule qu’on imagine surchauffée… Je ne me laisse pas pour autant emporter, bien conscient que cette descente non maîtrisée peut hypothéquer l’avenir. Enfin j’arrive en ville, quelques escaliers et me voici à longer des barrières par la droite, alors que des coureurs font de même dans l’autre sens par la gauche ; on se salue, on s’encourage, les spectateurs font de même, hurlant nos prénoms marqués en gras sur notre dossard. L’ambiance est électrique, j’en ai les poils hérissés.

 

 Saint-Gervais 

Je passe au ravitaillement de Saint-Gervais à 21h16, soit 2h42 de course, ¾ d’heure d’avance sur mon planning. Comme pour tous les ravitaillements lourds suivants, je remplis ma poche à eau, bois deux verres d’eau gazeuse et deux verres de coca, empoigne quelques bricoles salées et sucrées et repars en les dévorant et en remettant tout en place. En repassant le long des barrières, cette fois c’est moi qui salue les camarades en train d’arriver sur Saint-Gervais, et j’ai la bonne surprise de croiser le regard de Brandon, également connu sous le nom de RunStéphane. Il n’est pas loin derrière le bougre ! Je m’arrête quelques instants pour mettre correctement en place mes brassières, mon buff et ma frontale, en prévision de la nuit qui s’annonce claire, pas trop froide, et étoilée. J’ai hâte d’être seul en montagne. Mais pour le moment, c’est en ville qu’il faut progresser : on nous fait passer dans un chantier, puis sur une passerelle métallique enjambant la route ! Quelle horreur ! Autant le reste du passage dans Saint-Gervais est un petit bonheur, autant ce bref passage est une horreur, une faute de goût dans un parcours que j’ai par ailleurs trouvé très attachant. Je pense aux Américains comme Scott Jureck qui ont du découvrir cet endroit peu avant moi, ils ont du se demander où ils étaient tombés !

 

 Saint-Gervais – Les Contamines 

Les kilomètres de liaison qui permettent de rejoindre les Contamines sont assez roulants, avec des tas de portions permettant de bien relancer. Ou de ne pas relancer, si on est déjà un peu cuit ! Je tombe de nouveau sur Olivier91, qui n’est pas au mieux. Il discute avec son épicier, à 500m à peine de son chalet à Saint-Nicolas de Véroce. Une espèce de cruralgie, des jambes pas au top, des doutes, brrrr, je préfère ma place. De mon côté, tout va bien : physiquement je n’ai pas tapé dedans jusqu’à présent, et moralement ça va mieux avec les rangs qui se clairsèment. Je double pas mal de monde dans les parties roulantes, je marche dès que ça devient pentu, je me fais plaisir en somme. En approchant des Contamines, je sens venir un gros coup de mou : aïe, une hypo ! Il faut dire que je n’ai préféré retarder mon alimentation sur ce tronçon, jugeant que ce que je prendrais au ravito me suffirait. Erreur : je suis à cours de jus. Je prends un gel rapidement, marche sur des portions que j’aurais pu courir, et dix minutes plus tard ça va mieux.

 

 Les Contamines – Notre-Dame de la Gorge 

L’arrivée aux Contamines, km 30, Altitude 1150m, D+ 1463, D- 1338 se fait de nouveau en pleine euphorie. Les spectateurs sont chauds, la foule porte chaque coureur, c’est du délire ! J’ai mis 4h11 pour y parvenir, soit 50mn de moins que mes prévisions. Il est 22h45, il fait nuit noire, et cette fois-ci, je n’aimerais pas être ailleurs. Ma course commence ! Je connais le tronçon suivant, jusqu’au Col du Bonhomme, pour l’avoir reconnu en deux parties avec Sandrine dans l’année. Je pars donc sans trop forcer sur la route et les sentiers en bord de rivière. Sur la route, je profite du sol sûr et de la légère clarté de la voûte céleste pour éteindre ma frontale : pur bonheur que d’évoluer ainsi dans le noir. En approche de Notre-Dame de la Gorge, les bois regorgent de spectateurs attentionnés : des encouragements fusent, des feux de bois nous apportent des odeurs de sève agréables, des alignements de bougie nous montrent le chemin à suivre… L’ambiance est très « colonie de vacances », il manque juste Tom à la guitare, Phil à la kena, mais la nuit noire est bien présente.

 

 Notre-Dame de la Gorge – La Balme 

Enfin on entame la montée après Notre Dame. J’adore cette portion, les dalles un peu glissantes, les écoulements d’eau, la boue, les rochers affleurants… J’ai envie de courir dans la pente, mais bien sûr je reste sage. Je passe beaucoup de monde jusqu’aux gorges, et avec un petit regret je poursuis la montée ; j’aurais presque envie de redescendre pour la refaire une seconde fois… Jusqu’aux chalets de Nant Borrant, où une grosse fête à lieu, je reste tranquille, puis ensuite le terrain permet de bien relancer, et ce presque jusqu’à la Balme. Encore pas mal de places grapillées, et un peloton qui devient vraiment moins dense ; j’apprécie. J’arrive à la Balme en 5h25, soit 1h15 pour le tronçon les Contas – la Balme (8km, 550m D+). J’ai gagné 105 places entre ces deux points (332 contre 437), et plus de 200 depuis la Charme (536ème). Au ravito pré-signalé par de longues guirlandes d’ampoules, je retrouve Juanfé qui n’a pas l’air bien, on papotte tout de même deux minutes. Je retrouve également Forestalex qui semble en forme ; je trouve bizarre toutefois de le trouver à ma hauteur, je l’imaginais davantage devant. Avant de partir, j’empoigne un gobelet de thé, et demande, l’air très sérieux, à la bénévole en charge de le servir : « c’est du Darjeeling au moins ? ». Je rigole intérieurement de ma petite blague, mais la vois me regarder d’un air suspicieux, regarder sous la table les sachets, et me répondre d’un air sec « Non c’est du Lipton Yellow ». J’en reste comme deux ronds de flan, mais un coureur à-côté de moi éclate de rire et nous repartons tous les deux en plaisantant de cette mésaventure.

 

 Montée Col du Bonhomme puis Refuge de la Croix du Bonhomme 

La suite de l’ascension du Bonhomme se passe très bien. J’apréhendais un peu les chemins étroits et encaissées avec le monde, mais les bouchons sont rares, et je peux progresser la plupart du temps à ma vitesse. C’est assez ludique qui plus est, pas de la bête piste carrossable, et le passage sur le névé (il est encore là lui ?) donne un petit coup de frais. D’ailleurs je n’ai toujours pas relevé les manchettes, j’ai chaud ! Arrivée en haut du col, je sombre de nouveau dans l’inconnue, avec l’avidité de découvrir les futurs plaisirs. Et des plaisirs, il y en a ! Le passage de 3,6km jusqu’au refuge de la Croix du Bonhomme est lui aussi très ludique, avec des passages sautés de rochers en rochers, de la progression sur de minuscules chemins bordant des précipices identifiés par une longueur de rubalise… J’adore !

 

 Descente sur les Chapieux : ouille ! 

Seulement voilà, arrivé à 2433m d’altitude, il faut maintenant redescendre sur les Chapieux, 884m plus bas, sur un peu plus de 5km. Val, avant course, avait annoncé qu’il se strappait les chevilles en prévision de cette descente. J’ai vite compris pourquoi. Très raide par endroits, la progression se fait au choix sur des chemins terreux, des dalles rocheuses, ou des pans herbeux. Le tout est rendu très glissant par l’eau qui suinte de partout. Et encore ! Il faut beau et sec ! S’il avait plu, je n’ose imaginer les dégats… Je chute une première fois, sur le côté gauche, sur des rochers. Aïe ! Egratignures, mais a priori rien de bien grave. Un peu pus bas, virage vers la gauche, je le prends et là, clac ! Ma cheville droite part, je me laisse entraîner par le mouvement pour ne pas risquer une rupture du tendon et me retrouve à faire quelques roulés-boulés dans la pente. Je me relève, la mort dans l’âme. J’ai très peur de m’être fait très mal à la cheville. Les premiers pas sont douloureux, et je sens mon articulation bien fragile : une petite entorse. Par précaution, je décide de ne plus courir dans cette descente de la mort, ce qui ne m’empêchera pas de tomber encore deux fois, sur les fesses, dans l’herbe.

 

 Les Chapieux 

J’arrive enfin au ravitaillement des Chapieux, soulagement intense. Cette descente était vraiment infernale ! Ma cheville me fait toujours mal, et je poursuis ma progression en marchant. J’ai perdu 43 places sur ce coup-là… Ca fait 7h40 que je suis parti, j’ai environ 1h20 d’avance sur mon plan de route. Heureusement, l’excitation fait que je n’ai pas sommeil, malgré l’heure avancée (2h23). Un petit point de mon état au bout de ces 49km, 2792m D+, 2278m D- me rassure : ok, j’ai mal aux deux genoux (la douleur s’est stabilisée, c’est handicapant mais supportable) et j’ai une cheville en vrac (mais j’ai de moins en moins mal et je retrouve de l’assurance), mais en dehors de ça je m’éclate, je suis en forme, et j’ai super envie de voir la suite. Donc tout va bien !

 

 Montée du Col de la Seigne 

La progression vers la montée du Col de la Seigne, puis la montée en elle-même sont féériques. J’éteinds régulièrement ma frontale, et lève souvent les yeux au ciel pour admirer cette multitude d’étoiles qui encombrent la voûte. C’est magnifique. Derrière moi, des centaines de points lumineux progressent le long de la pente : la terre aussi a ses étoiles, cette nuit. Je monte cette partie tranquille, en restant sagement en dedans, en prenant soin de ma pose de pieds pour préserver ma cheville. Je perds encore quelques places et un peu de temps, puisque je parviens au Col de la Seigne en 385ème position, en 10h34 de course, soit 50mn plus tôt que mes estimations. Mais je suis en forme, et c’est là l’essentiel.

 

 Col de la Seigne – Refuge Elisabetta 

Il est alors temps de se laisser glisser vers le Refuge Elisabetta, 481m plus bas. Je reste toujours très prudent, et laisse passer quelques coureurs plus vifs. J’y parviens à 5h26 du matin. Je trouve l’endroit étonnant, niché au fond d’un lit caillouteux. Il fait un peu frais, je ne m’attarde pas. En repartant, je demande à un bénévole si les clés sont sur le 4X4 garé un peu plus loin, il me regarde en rigolant. Ca ne fait pas de mal de raconter n’importe quoi à cette heure-là ! Nous descendons encore un peu, mais cette fois sur une piste roulante : je reprends une allure correcte, d’ailleurs ma cheville ne me fait plus du tout mal, bonne nouvelle ! Tout doucement, le soleil apparaît sur les hauteurs enneigées des sommets à ma gauche, c’est majestueux. Je passe au milieu d’étendues d’eau (le Lac Combal), miroir reflétant les quelques étoiles qu’on distingue encore. J’imagine que bivouaquer sur le bord de ces lacs doit être magique…

 

 Montée vers l’Arête du Mont Favre 

Mais finies les rêveries, il est temps de reprendre les affaires en main. De nouveau, le sentier s’élève, et il est temps de crapahuter pour rejoindre l’arête du Mont Favre. Je crois les premiers randonneurs de la journée, partis tôt pour je ne sais quel périple. Ils sont Italiens, il faut dire que nous sommes en Italie depuis déjà quelques kilomètres (montée du Col de la Seigne). Le chemin est plaisant, le paysage toujours splendide (en s’élevant, on découvre un lac circulaire qui ressemble étrangement à un lac volcanique), l’allure correcte. Je joue au yoyo avec quelques autres traileurs, selon la pente et la technicité du terrain. L’Arête passée, il faut de nouveau redescendre. Le soleil est levé, j’y vais à bonne allure. Cette descente est très chouette, jusqu’au Col Chécrouit. J’y parviens à 7h13, en 377ème position. Les bénévoles m’annoncent environ dans les 350, tout en modérant par le fait que beaucoup sont passés cassés ou blessés. Bon, pour l’heure, je m’en cogne un peu, je veux juste arriver au bout dans le temps que je me suis fixé.

 

 Col Chécrouit - Courmayeur 

Je repars sur Courmayeur pour près de 800m de D- encore. Mes cuisses commencent à s’en ressentir, je ralentis donc par endroits, et effectue même quelques mètres à reculons de temps en temps. Dans les derniers lacets de la descente, j’aperçois nettement la trace de coureurs ayant coupé tout droit dans la pente, dans le milieu des lacets. De nombreux mètres grapillés à chaque virage, mais un règlement non respecté, puisqu’il est interdit de couper, essentiellement pour des raisons de respect de l’environnement. Les plantes en montagne ont un mal fou à s’enracinner, et en quelques pas le traileur peut arracher ce que la nature a mis des années à construite : c’est inadmissible. Je trouve bien triste ce comportement typiquement latin de contourner les règlements. D’ailleurs, Scott Jureck dans son bref compte-rendu de son UTMB, livrera sa réflexion à ce sujet. Chez eux, aux Etats-Unis, il est inconcevable de sortir des sentiers lors d’un trail.

 

 Pause à Courmayeur 

Enfin, à force de descendre, je rejoins les faubourgs de Courmayeur, et pénètre la ville en courottant tranquillement. Quelques personnes à l’abord du gymnase nous applaudissent, je reconnais d’ailleurs la maman de Stef34 (bénévoles RMV) dans le public. J’ai déposé un sac contenant des affaires sèches et de nouveaux gels à Courmayeur, seulement je ne trouve pas nécessaire de me changer complètement vu les conditions climatiques. Je change juste de chaussettes, me re-crème bien les pieds (pas d’ampoules ni d’échauffements), mange un plat de pâtes et bois abondamment. Etonné, je vois Jean-Christophe (Escalamonaco) qui s’apprête à repartir. Sur des bases de 29h, le vainqueur du RMV 2007 commence à prendre un peu de retard, d’autant plus qu’il s’est fait masser ici-même. Juste avant de repartir, je vois Juanfé qui m’annonce avoir abandonné : il faut dire qu’il s’est tapé près de 2000km de voiture ces derniers jours pour venir du Portugal…

 

 Courmayeur - Bertone 

Jean-Chris et moi repartons de conserve, en marchant d’un bon pas dans les rues de Courmayeur. De toute façon, il ne faut pas s’affoler, nous n’aurons guère l’occasion de courir avant d’arriver à Bertone ! Je connais la suite du parcours, puisque j’ai couru la CCC l’année dernière. Je tire donc Jean-Chris dans Bertone, il m’avoue ne plus avoir de jambes. Nous avalons cette montée à un bon rythme, et reprenons quelques personnes, tout en croisant des randonneurs qui nous saluent en souriant. Il commence à faire un peu chaud dans cette montée, je sue abondamment, et par conséquent m’hydrate très régulièrement. Depuis le début de course, je prends aussi un comprimé de Sporténine (à base d’arnica) par heure, et il s’avèrera que je n’aurai aucune crampe de toute la durée de l’épreuve. Nous avalons les 814m de dénivelé jusqu’à Bertone en 1h34, ce qui porte à 14h53 mon temps de course, pour une 301ème place (368 à Courmayeur). Je viens de passer la mi-course (82km, D+ 5097m, D- 4143m) et suis toujours en forme, heureusement ceci dit ! J’ai environ 1h20 d’avance sur mes ambitions de 33h (mais à ce moment, je n’en sais rien, n’ayant pas mon plan de route sur moi).

 

 Bertone – Refuge Bonati : les balcons italiens 

Nous nous hydratons bien à Bertone, et repartons ensemble. Très vite, Jean-Chis me lache, plus rapide que moi sur les parties courables. Ne voulant pas puiser, je le laisse partir, il me lance qu’on se reverra, mais je n’y crois guère, il a de la ressource l’animal ! J’adore la partie suivante qui mène au refuge Bonati : toute en balcons, elle offre une superbe vue sur les montagnes à gauche, et permet de bien avancer sur des chemins où l’on peut sans cesse relancer. Un peu étonné, je rejoins Jean-Chris au refuge Bonati, il est sec comme une trique. Après m’être ravitaillé, je le laisse se reposer un peu sur une chaise, et repars vers Arnuva, en envoyant un petit texto à ma chérie Sandrine, qui je pense, doit être arrivée au terme de sa CCC. Coïncidence heureuse, ce texto lui parvient au moment précis où elle arrive à Chamonix, au bout de 22h19 d’effort : elle a bouclé son plus gros trail !

 

 Bonati - Arnuva 

Peu après, je double une nouvelle tête connue (décidémment, ces montagnes regorgent de gens que je connais !) en la personne d’Anisse (Séraphin). Il ne va pas très bien, a les cuisses carbonisées, et des soucis alimentaires. Je lui propose un gel (désolé, je n’ai pas de hot-dog sur moi), mais il préfère ses gâteaux au chocolat. Je laisse Anisse à son avancée pas à pas, et retourne à ma foulée encore dynamique vers Arnuva. La suite est toujours agréable : une succession de sentiers joueurs entrecoupée de traversées de torrent, puis enfin la descente finale sur Arnuva, assez raide et où je n’hésite pas à me freiner à plusieurs reprises. C’est qu’il reste encore des bornes ! En bas, je trouve Alice, la femme d’Olivier91, qui attend patiemment son traileur de mari, un peu en retard. On papote quelques instants, je file au ravito et retrouve François (Françoisdelesbauges) avec qui je re-papote un moment. Pendant ce temps, deux charmants papys se chargent de me remplir ma poche à eau (je leur ai dit cinq fois que je pouvais le faire moi-même mais…), et lorsque je récupère mon sac, il est trempé. Je grince un peu des dents, les deux hommes s’excusent, je leur dis que ce n’est pas bien grave, avec le soleil qu’il y a ça sèchera vite. N’empêche que ça me contrarie, ça va faire du poids en plus à porter pendant quelques dizaines de minutes !

 

 Montée du Grand Col Ferret 

François me donne des nouvelles des UFO déjà passés, notamment Val qui cartonne en tête de course. Ragaillardi par ces nouvelles, je repars vers le monstre qu’est le Grand Col Ferret. Lui, il ne plaisante pas : c’est le point culminant de la course (2537m), et pour le rejoindre, c’est 768m de dénivelé que nous allons devoir gravir, en 4,6km. Pour ne rien arranger, il est presque midi et le soleil cogne au plus fort de la journée. Et enfin, l’année passée, j’ai été victime de maux de tête et de légers vertiges (les syndôrmes de base du Mal Aigû des Montagnes) sur la fin de l’ascension. Pourtant, cette année, je l’aborde encore une fois serein, sûr de moi. Je vais l’avaler, lentement, mais sûrement. Avant d’entamer la montée sérieuse, je rejoins et double Titi, le frère de Jesus, qui n’a pas l’air en grande forme. Nous entamons le gros du dénivelé ensemble, mais rapidement je le lâche. A mi-hauteur, je fais une pause assis sur un abreuvoir, m’arrosant abondamment la tête, et Titi me rejoint. Nous repartons de nouveau ensemble, mais je le largue de nouveau, et ne le verrai plus. J’apprendrai plus tard que les deux frères ont tous deux abandonné.

 

 Grand Col Ferret – La Fouly 

Soulagé, j’arrive au sommet sans avoir souffert du MAM. 98km ont été parcourus à ce moment, et je commence à calculer dans ma tête combien il m’en reste… Stop ! Hors de question de faire ce genre de calculs sur cette course, il faut procéder par tronçons. L’objectif n’est pas l’arrivée, l’objectif est le prochain point de contrôle. Je franchis le Grand Col Ferret à 13h07, après 18h33 de course, en 269ème position. Je me sens un peu fatigué, et les jambes commencent à tirer un peu. J’entame la descente vers La Peule prudemment, me souvenant de passages délicats l’année passée. Seulement depuis l’année dernière, j’ai pas mal progressé en rando-course en montagne, et cette descente n’est plus un problème pour moi. Passage rapide à La Peule, puis je poursuis ma descente sur La Fouly dans mon élan. Petit coup de fil pour féliciter ma chérie, et voilà-t-y pas que je retrouve au ravito… Ultra-Steph. Le gaillard est assis (avachi ?) sur un banc, sa femme et son papa plantés comme des piquets de part et dautres du bonhomme. Je l’interpelle trois fois, mais malgré qu’il me regarde en plein, il ne me répond pas. Pas bien grave, je me ravitaille, et file m’asseoir à-côté, où enfin il me repère. On papote un peu, effectivement il n’est pas au mieux. Parti un peu vite (pour moins de 30h), il est complètement sec. Il repart un peu avant moi, alors que Jean-Chris arrive.

 

 Balade en Suisse 

Le chemin se poursuit, globalement descendant, jusqu’à Praz de Fort. J’y double Ultra-Steph en croisant les doigts pour qu’il retrouve des forces, et me retrouve en bord de ruisseau. J’adore cette partie Suisse, fraîche et champêtre. Rien à voir avec les kilomètres passés en Italie, où tout est impressionnant, écrasant. Ici, c’est le côté bucolique qui domine. J’aimerais m’arrêter là, me coucher sous un arbre sur ce gazon naturel en bordure de ruisseau. La Suisse appelle à flaner, à oublier ses rendez-vous : on se rend vite compte du pourquoi de la réputation un peu traînante des Suisses. Peu de temps après, je suis très surpris : je rattrape l’Castor Junior. J’avais vu son père dans la montée de Bertone, ce dernier m’avait annoncé que Cédric était 30mn devant moi. Mais là, je le rattrape sur une portion roulante, et il marche ! Je le salue et m’enquiers de son état. Le pauvre camarade m’annonce que des douleurs semblables à ses prémices de fractures de fatigue viennent d’apparaître, et que dans cet état, il n’est pas sûr de vouloir continuer. Difficile de trouver quoi dire à un copain en proie à ces doutes ! Poursuivre comme si de rien n’était en croisant les doigts pour qu’il n’y ait pas de conséquences graves ? Finir en marchant juste pour finir l’UTMB ? Abandonner pour se préserver ? Je passe quelques minutes à marcher avec lui sans chercher à l’influencer, mais je sens bien que sa décision d’arrêter est déjà prise.

 

 Praz de Fort – Champex-Lac 

Je passe à Praz de Fort en coup de vent, acceptant de bonne grâce un verre d’eau tendu par un gamin tout heureux d’aider ces « grands qui courent dans la montagne ». Les populations des villages traversés participent vraiment à la fête, cet engouement est génial ! L’après-midi s’étire doucement, et j’entame la remontée vers Champex-Lac. Je ne me souvenais pas, l’année passée, d’être monté pendant si longtemps. Sans doute l’effet de la fatigue accumulée ; il faut dire qu’on a tous déjà près de 120km dans les jambes, et 6400m de D+/D-. Ce n’est pas rien ! Enfin, la montée vers Champex est agréable, en sous-bois la plupart du temps, sur des terrains ludiques et amortissants. On y croise de petits groupes de randonneurs, toujours très agréables, et qui se jettent pratiquement sur le côté pour nous laisser passer.

 

 Base-vie de Champex-Lac 

Enfin, ce que je ressens comme une libération à ce moment arrive, et Champex est en vue ! Encore quelques lacets en bordure de ville dans la forêt, et j’arrive à la base-vie où je récupère mon second sac. Je pioche quelques victuailles, des pâtes, et file m’asseoir pour changer de chaussettes et manger. Je retrouve de nouveau Alice, la femme d’Olivier91, qui trouve que j’ai une drôle d’avance sur lui. On discute un peu, et j’ai la surprise de voir Jérôme, alias jj, un coureur qui a une allure normalement autrement bien plus importante que la mienne. Il s’avère que Jérôme a eu de nombreux problèmes depuis le début : poche à eau à trou, estomac à gargouillements, bref, tout pour ne pas réitérer sa superbe performance de 2003. On cause, juste ce qu’il faut (décidément, l’UTMB, c’est un salon de causeries ou quoi ?), et on repart, lui quelques minutes avant moi.

 

 Champex-Lac - Bovines 

Je prends le temps de repartir doucement en bord de lac, et d’expliquer à des Suisses interrogatifs ce qui est en train de se passer ici. Ils en restent babas. Tout content de moi, je repars à bonne allure vers mon point noir de l’année passée : Bovines. J’y avais fait une hypoglycémie me contraignant à m’arrêter sur un rocher en pleine montée, à me reglucoser la glotte et à me reposer. Cette année, il n’en sera rien ! Dimanche dernier, nous avons reconnu cette partie avec entre autres Ultra-Steph et Olivier91, et j’ai laissé mes deux camarades sur place dans la montée. La bougresse, je la maîtrise maintenant ! J’effectue l’approche sans me presser, renseignant au passage un gars sur le reste des difficultés à venir. En bas de la partie technique de la montée, je prends un gel que notre pote Québecquois Marc (14h01 sur la CCC) m’a filé, je le recrache aussitôt. Comment peuvent-ils avaler ça ?! Je reprends un gel bien de chez nous (Authentic Nutrition, les mêmes que Dawa Sherpa, je les conseille !) et monte à l’assaut de Bovines la bien-nommée. Il fait jour, il fait bon, j’entends les ruisseaux tonitruer sur les rochers, le paysage est superbe. J’adore.

 

 De Bovines à Trient 

J’arrive au refuge de Bovines, km131 D+7594m D-6642m, à 19h39 (25h05 de course). Il fait encore jour. Une petite soupe, un peu d’eau, et je ne m’attarde pas : je file à travers les alpages vers la descente qui nous mène au Col de la Forclaz, descente que j’entame à grosse allure. Je m’y fais plaisir, doublant de nombreux coureurs, sans pour autant prendre de risques. J’essaie en fait de couvrir un maximum de terrain avant que la nuit n’arrive, et je profite de cet endroit que je connais un peu pour avancer. Je retrouve Jérôme au Col de la Forclaz, et lui prête mon mobile pour qu’il rassure sa femme. Nous repartons ensemble sur la descente sur Trient, lui étonné de mon rythme soutenu, et moi fier du coup de tenir cette allure. Nous arrivons à Trient ensemble, alors que la nuit commence à tomber. Sandrine nous y attend, je laisse donc repartir Jérôme qui me lache un « à tout à l’heure ». Je prends le temps de bien me ravitailler, de discuter un peu avec ma chérie (fatiguée après sa CCC réussie !), et je repars avec la ferme intention de rattraper Jérôme.

 

 Les Tseppes mon tuer 

Je me souviens des Tseppes comme d’une montée régulière en lacets tranquilles, et je me retrouve hyper surpris de l’allure que prend la pente. Parfois raide, souvent peu roulante, elle n’a rien à voir avec mes souvenirs. Mais je ne lache pas l’affaire, et je donne beaucoup dans cette montée, jusqu’au moment où je reprends Jérôme. Un petit salut, je le laisse avancer pour uriner, et jamais je ne le reverrai. Cet effort a été trop violent, c’est stupide de ma part d’avoir puisé à ce moment de la course. De plus, la fatigue commence à me tomber dessus avec ce début de deuxième nuit sans dormir. Je me hisse péniblement sur les derniers mètres de dénivelée, mais m’aperçois que je ne suis pas au bout de mes peines : le point haut est à Catogne. Je n’en peux plus, j’ai sommeil, j’ai envie d’une seule chose : un lit. Au point où j’en suis, je décide (mon corps décide pour moi) de me reposer un peu : je m’allonge sur un tas de cailloux sur le côté gauche du chemin, éteinds ma frontale, et dors dix petites minutes. De temps en temps, je suis obligé de répondre que tout va bien (sic !) à des traileurs s’enquérant de mon état (merci les gars, bonne réaction), ce qui me fait maugréer quelques secondes à chaque fois.

 

 Vivement la France ! 

Bon, finalement, la raison se rappelle à mon bon souvenir : ce n’est pas couché sur un tas de cailloux que je vais finir l’UTMB ! Je me relève et repars, gromelant dans ma barbe de deux jours. J’ai l’impression de marcher encore dix ans jusqu’à enfin parvenir à ce fouttu point haut de Catogne, à 2011m d’altitude, 778m plus haut que Trient. J’y aurai laissé des plumes dans cette portion. Deux jeunes et jolies (enfin c’est l’impression que j’ai sur le coup, un peu comme si j’avais vu deux anges) filles tiennent le stand à pointage. Je lorgne un instant leur baraque, voir si elles ne pourraient pas me faire une petite place où passer le reste de la nuit, mais résigné je me laisse porter par le chemin descendant. Très loin là-bas, j’aperçois des frontales, sans doute des camarades ayant quelques kilomètres d’avance sur moi… Je descends doucement vers la frontière, souffrant des genoux, hésitant dans ma pose de pieds pour ne pas risquer d’entorse, baillant toutes les vingt secondes. C’est un calvaire, et pourtant je n’ai pas de gros pépins physiques ; un gros manque de fraîcheur sans doute ? Plus loin, un refuge abandonné me fait de l’œil ; ses entrées sont condamnées par des planches, malgré tout je lorgne à la recherche d’une ouverture et… suis surpris en pleine maraude par un grand type : Jean-Chris !

 

 A fond ( !) vers Vallorcine 

Le camarade monégasque est aussi frais que moi, il en a plein les bottes, a envie que ça se termine vite, et qu’on arrête de lui faire grimper des montagnes pour les redescendre aussi sec ! Décision est instantannément prise de finir cette coursette tous les deux, histoire d’avoir quelqu’un qui puisse entendre nos jérémiades mutuelles. Il me tire dans cette interminable descente, d’abord sur petits chemins terreux, puis sur la piste de ski, et je prends les commandes sur la fin, plus joueuse et amortissante. Nous arrivons à Vallorcine à 23h51 (29h17 de course), j’ai toujours 50mn d’avance sur mes prévisions en 33h. Je suis 212ème à ce moment. Sandrine nous attend, Marathman (Fabien) est là également, qui nous donne des infos sur nos potes et la tête de course. Nous avons la surprise de voir Jean-Baptiste Protais (marathonien en 2h16) se ravitailler en même temps que nous : voilà qui fait plaisir, de voir des routiers d’excellence venir se frotter à ce genre d’épreuve ! Mine de rien, nous discutons un moment à ce ravito, nous avons un peu de mal à lacher le confort pour repartir. Tant bien que mal, nous nous remettons en route, pour encore 16km…

 

 Encore un faux col 

Peu après Vallorcine, de la rubalise scotchée à un pont me fait prendre la mauvaise direction : nous passons sous le pont, et montons un petit raidillon plein de boue et de bouse. Ca empeste ! On en a plein les godasses. Un peu plus haut, on se regarde étonnés : un champ devant nous, rien nulle part. Plus bas sur la droite, on voit des frontales passer. Grmbl ! J’me suis gouru ! On redescend, Jean-Chris se retenant de me planter ses bâtons dans le dos, et on reprend le bon chemin. S’ensuit la montée du Col des Montets, une formalité, puis la descente sur Argentière qui nous occupe un moment. C’est qu’on n’est plus très vigoureux tous les deux. On papote un peu pour faire passer plus vite les heures, mais la plupart du temps la discussion tourne autour de ces p.… de sentiers de m….. pleins d’e…... de cailloux à la c... Des discussions d’hommes quoi. Charmant.

 

 Argentière : the last one 

Enfin, après un virage à droite, nous pénétrons tels deux fiers chevaliers le village d’Argentière et fonçons tels des conquérants vers l’ultime ravitaillement. Un peu d’eau, de coca, et on repa… Ah non, on ne repart pas, voilà Olivier91 qui arrive ! Alice est là aussi, qui nous prend en photo. C’est décidé, nous finirons les dix kilomètres restant tous les trois. Olivier91 sort sa calculette mentale, et nous promet qu’en s’activant un peu on peut rentrer en 32h30. Deux minutes plus tard, penaud, il nous annonce qu’il s’est gouré : c’est en 33h que nous pouvons bâcher si nous ne traînons pas. Aussitôt dit, aussitôt fait : on court trente secondes, et on s’arrête. C’est que ça fait mal !

 

 Un trio de choc 

A retenir dans ces derniers kilomètres, une phrase de Jean-Chris alors qu’on monte en sous-bois à s’en exploser les cuisses : « si je tenais Michel Poletti, je lui dirais bien deux mots de sa descente ! ». Pas faux, le profil est totalement descendant sur la carte plastifiée… N’empêche qu’il reste près de 200m de D+ entre Argentière et Chamonix, ainsi que 400m de D-. Olivier ne peut plus courir sur le plat, Jean-Chris ne peut plus avancer en montée, et moi j’ai du mal à descendre : autant dire qu’on forme le parfait trio de bras cassés. Enfin, peu importe, malgré tout Olivier toujours en tête nous relance régulièrement, et nous progressons vers Cham. D’autres coureurs nous doublent régulièrement et nous ne reprendrons pas grand monde sur cette partie.

 

 Chamonix : pas trop tôt ! 

Au bout d’un siècle, nous entendons enfin le grondement sourd de l’Arve, signe caractéristique de notre entrée prochaine dans Cham’. Vraiment heureux d’en finir, nous avalons en courant les dernières centaines de mètres. Alors que nous ralentissons pour nous regrouper avec la famille d’Olivier pour passer la ligne, deux olibrius nous doublent en courant comme des malades. Mouais. Enfin ça y est, 32h52 après être partis de cet endroit, j’y suis revenu, et pas par le plus court chemin : l’UTMB 2007 est bouclé. Pas spécialement d’émotion, juste une grosse satisfaction, d’avoir terminé, et en plus dans le temps que je m’étais programmé (33h). Embrassade avec ma chérie sur la ligne, avec mon camarade Jean-Chris qui décidément trouve que « ce n’est pas une course pour les lourds ». On se partage une bière (que j’arrive à renverser aux ¾, quelle honte !), et chacun rentre dans ses pénates essayer de dormir un peu (essayer, parce que pour moi, impossible de fermer l’œil).

 

 Debrieffing 

Mon ressenti à froid sur cette course ? C’est vraiment costaud, une épreuve balaize. Je comprends aisément le pourcentage d’abandons élevé, il suffit de pas grand chose pour y rester. Je n’ai vraiment pas aimé les premières heures, au milieu de la foule ; j’ai eu cette impression d’être au milieu du semi-marathon de Paris, par exemple. J’ai trouvé que les coureurs n’étaient pas très respectueux : beaucoup d’emballages au sol, beaucoup de traces en dehors des chemins. L’organisation est parfaite, c’est du grand art de nous permettre de vivre cette épreuve. Un bémol toutefois : tous les coureurs n’ont pas pu bénéficier des soins, notamment ceux arrivés en plus de 45h, dommage. Le parcours est génial, hormis la fin, mais c’est sans doute parce que c’est la fin. Je suis hyper satisfait de ma gestion de course : toujours en dedans sauf à un moment (les Tseppes) qui m’a mis un peu dans la panade. Physiquement, rien à déplorer, hormis les genoux : j’ai eu mal 130km environ. Ca m’a pénalisé, mais peut-être aussi permis de ne pas me griller. Problème à régler ! Si j’y reviendrai ? Sans doute oui. En étant en forme (pas blessé), préparé, et affuté, je suis certain de pouvoir ôter plusieurs heures à mon score de cette année sur le même parcours. J’aimerais bien essayer en tous cas.

15 commentaires

Commentaire de titifb posté le 29-08-2007 à 19:45:00

Bravo pour avoir réussi à boucler l'UTMB et bravo également pour la qualité de ton CR : il est bien écrit et passionnant. Ca fait envie ? Ca fait peur ? Un peu les deux...
Merci et récupère bien !

Commentaire de akunamatata posté le 29-08-2007 à 22:11:00

Toujours la classe dans les CR Emmanuel!
concernant l'incivisme de certains il faudrait faire un exemple DSQ ! c'est dans la charte , pas de pitie pour les croissants :)))

Commentaire de Benoit_11 posté le 29-08-2007 à 22:52:00

Bravo pour ta course magnifique et pour ce récit très bien écrit, intéressant et drole...
Je te souhaite une excellente récupération bien méritée.

Commentaire de JLW posté le 29-08-2007 à 23:03:00

"Olivier ne peut plus courir sur le plat, Jean-Chris ne peut plus avancer en montée, et moi j’ai du mal à descendre : autant dire qu’on forme le parfait trio de bras cassés."
Comment veux-tu qu'on se présente un jour à cette épreuve en lisant ca ?
Bravo pour ta course, ton récit très très bien écrit ainsi que ton "esprit trail" qui fait plaisir à lire et à partager . Un vrai régal.

Commentaire de rapace74 posté le 30-08-2007 à 07:02:00

bravo manu pour ta course et ton recit heureusement qu'il y avait le Ouff a olivier sinon on n'aurait jamais couru ensemble.....
bonne recup

manu

Commentaire de agnès78 posté le 30-08-2007 à 07:06:00

Merci manu pour ce récit poignant et plein d'humour!
Un granggg BRAVO pour ta course
Bonne récup!
Gros bisous
agnès

Commentaire de taz28 posté le 30-08-2007 à 10:39:00

Quel récit Manu !!
Drôle, captivant, émouvant, poétique, j'ai adoré !!
Merci de nous faire partager ces courses de folie...
Bisous et soigne toi bien
Bisous à Sandrine

Taz

Commentaire de Jerome_I posté le 30-08-2007 à 10:50:00

très beau et long CR.

Dommage que certains coupent au début, pour celle qui jète son gel (elle a du se croire au marathon de Paris...), d'autres coupent pour descendre vers Courmayeur. Tout cela me désole...

Descente des Chapieux difficile ;-) Heureusement que la cheville s'est remise....

Je connais le reste du parcours, j'étais a Arnuva lorsque tu es passé. Dommage j'aurai pu t'encourager... Enfin j'ai applaudi tous les participants, je prenais le soleil dans l'herbe avant le ravitaillement en attendant mes collègues. C'est ici que j'ai rencontré olivier 91 et agnes....

Beau résultat, ca compte de finir à 3, ca motive...

Bonne récup...

Jérome

Commentaire de ex-kikoureur posté le 30-08-2007 à 12:50:00

Merci pour ce compte rendu hyper complet, qui m'a fait rire sur la fin, un peu à vos dépens !!!

deux choses que je retiens : même si on se sent bien, pas essayer de rejoindre quelqu'un, et descendre le plus possible avant la nuit !

Encore merci pour tes CR
;-p

Commentaire de Say posté le 30-08-2007 à 18:01:00

Salut Manu

Ton récit pourrait presque servir de road book tant il est précis. Quelle saison dis moi : le raid MV puis l'UTM en passant par des "footing" style 6h de Bures...

A peluche

Coli

Commentaire de oufti posté le 30-08-2007 à 22:10:00

J'ai bien aimé to récit aussi. Et déjà le mental pour le prochain grand tour!!!

Commentaire de nicnic38 posté le 30-08-2007 à 23:19:00

Long ton CR.... non non a l'image de cette coursette autour du gros caillou...

T'es vraiment une machine!!! quelle gestion de course!

et quel tenacité...

je suis vraiment épaté.

merci de nous faire partagé ça... ça fait envie

bonne récup!

Commentaire de zouzou posté le 01-09-2007 à 18:59:00

whaouuuuuu!!Merci Manu!!tu m'as fait revivre l'UTMB 2006 par procuration, il y avait plein de choses que j'avais oublié sauf les douleurs dans les cuicuisses!!aïe!aïe!aïe je m'en souviens encore!!ton CR est vraiment bien fait et de plus tu as fait une magnifique course!!bon ok!!vous aviez le temps(soleil) pour vous!!lollll mais quand même!!un grand Bravo à toi Manu!et un grand bravo à ta chérie qui a bouclé sa course aussi!!bravo Sandrine!!vous êtes fortiches :-)))))

zouzou

Commentaire de IRON KLOUG posté le 04-09-2007 à 15:42:00

Super Manu
Un récit qui tient en haleine...
chapeau bas et toutes un tas de félicitations à la pelle
KLOUG

Commentaire de Karllieb posté le 06-09-2007 à 23:18:00

Bravo Manu. Les ufo's ne lâchent rien et tu l'as encore démontré. Comme dit Nicnic, ça donne envie... L'an prochain peut-être ? Bonne récup.
Karllieb

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