L'auteur : hellaumax
La course : Marathon de Cheverny
Date : 11/4/2010
Lieu : Cheverny (Loir-et-Cher)
Affichage : 1455 vues
Distance : 42.195km
Objectif : Pas d'objectif
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Il y a Carole, Sylviane, Michel, Magali, Cristelle, Martine, Edgar et So de Hong-Kong, et tous les autres dont je n'ai pas su ou pas retenu les prénoms et dont j'ai pour beaucoup oublié les visages. Ils viennent juste d'entrer dans le Parc du Château de Cheverny, et ils sont tout de suite venus se regrouper autour de Michel et de moi et de nos fanions de meneurs d'allure 4h30. Les autres, les plus ambitieux sont devant, bien sûr, mais on doit y ressentir le même type d'angoisse et y rencontrer le même type de comportements que ceux que j'observe à l'arrière du peloton; il y a les bavards, ceux qui n'arrêtent pas de toucher leur chrono, leur gourde, ou simplement de croiser les mains, ou de se frapper légèrement les cuisses. Ils nous regardent Michel et moi, comme si notre seule présence était l'assurance de l'accomplissement de leurs espoirs; nous sommes des meneurs d'allure mais certains, clairement, nous voient comme des guides.
Aucune arche dans l'allée du Château ne matérialise la ligne de départ, et c'est donc un peu au hasard que je déclenche mon chrono lorsque je vois l'avant du peloton se mettre en branle. On partira donc sur la base de 4h30 en temps officiel puisqu'il n'y aura pas de temps réel. Mais Michel, l'autre meneur, n'a pas déclenché au même moment, et la plupart des concurrents ne déclencheront qu'à la grille du château, soit sans doute après déjà une centaine de mètres. Comme c'est mon temps le plus pessimiste, c'est sur lui que l'on va caler l'allure, mais sans pour autant chercher à revenir rapidement sur les temps de passage que nous portons dans le dos, et dont je me suis fait un rappel sur un petit carton plastifié que je porte autour du cou. 7'15 au premier kilomètre, c'est 50" de retard sur le train moyen que nous devons assurer (6'24, pour vous épargner le calcul…). Mais Michel et moi nous sommes mis d'accord pour que "nos" coureurs puissent disposer de temps aux ravitaillements et c'est donc sur un rythme de 6'10 – 6'15 que nous avons convenu de courir.
Le parcours nous fait faire une petite boucle autour du château avant de revenir dans le centre de Cheverny, toutes les familles, tous les amis sont sur le bord de la route, il fait encore un peu frais, mais l'ambiance est super bonne. Au km4, nous avons encore une trentaine de seconde de retard, mais tous ceux qui n'ont déclenché qu'à la grille du château pensent qu'on est en avance et ne comprendraient pas que l'on aille plus vite que le rythme de 6'15 auquel nous nous tenons.
Le premier ravito arrive au 5ème kilomètre, et je conseille à chacune de prendre le temps de boire sans se presser. Ca me rassure de pouvoir donner ce genre de conseils évidents, sans doute parce que ce que j'appréhende le plus, c'est d'envoyer les gens au casse-pipe, en imprimant un rythme trop rapide, ou en ne donnant pas l'info qu'il faut au moment où il faut.
Nous empruntons maintenant une très longue ligne droite, en forêt, avec une légère pente ascendante qui, je m'en doute, fera certainement très mal, au deuxième passage 19km plus tard.
Mais pour l'heure, tout le monde va bien et le moral est au beau fixe.
Michel court environ 20 mètres devant moi, et je demeure à l'arrière d'un peloton assez compact qui va parcourir sans encombre cette première boucle.
Un concurrent assez jeune me fait bien rire en me demandant pourquoi c'est le panneau "20km" qui suit le panneau "39km" et non pas le panneau "40km", et je suis bien obligé de lui expliquer que nous avons deux boucles à faire et que même si on a vu le panneau "39km", on est encore malheureusement bien loin de l'arrivée!
Nous passons le semi en pile 2h15, juste avant de pénétrer par les somptueuses allées du Château de Cheverny. C'est là que je perdrais le contact avec Edgar, de Mons en Belgique, bien sympathique coureur barbu avec qui je serai bien resté; mais je dois tenir la cadence, et c'est maintenant la mort dans l'âme parfois, que je vais voir notre peloton petit à petit se désagréger.
Nouveau passage au ravito à la sortie de Cheverny, où je retrouve une des bénévoles de la Pasta de la veille. Je lui promets de faire un troisième tour rien que pour elle (j'espère qu'elle ne m'a pas cru).
Comme prévu l'allée forestière qui nous mène du km24 au km29 va faire mal. On entend moins de discussions, les têtes commencent à regarder le sol. Michel et moi tentons de rassurer tout le monde en disant que le retour sur les allées asphaltées va être beaucoup plus facile.
C'est vrai, mais il n'arrive qu'au km30, où nous avons une trentaine de secondes de retard sur le tableau de marche. Le faux-plat a fait baisser la moyenne, et notre rôle n'est pas de suivre le groupe à son rythme, mais bien d'indiquer la cadence. La difficulté étant passée, nous reprenons notre rythme de 6'15, mais aux alentours du 30ème, beaucoup ont dû mal à suivre, et le peloton se disloque.
C'est encore pire après le km33 et le retour sur la départementale où un vent de face assez fort décourage tout le monde. Sylviane qui souffrait depuis déjà deux ou trois kilomètres n'arrive plus à suivre, Magali s'accroche pour encore quelques kilomètres, Carole tient grâce à la présence de ses deux garçons sur le bord du parcours et la perspective de terminer avec eux main dans la main. Elle a fini par prendre le gel "coup de fouet" qu'elle n'avait jamais testé à l'entraînement et que je lui ai donc conseillé de ne pas prendre si tout allait bien, c'est donc que pour elle aussi, c'est devenu très dur.
Michel est maintenant quarante ou cinquante mètres devant moi, et je me dois de reprendre l'allure, alors que je préfèrerais, c'est sûr, accompagner toutes ces personnes avec qui je cours depuis 3h30 et que je dois abandonner alors que c'est maintenant qu'elles ont le plus besoin de soutien.
Je remonte au train de 6'15 vers Michel, essayant d'accrocher quelques coureurs en difficulté au passage, mais la plupart veulent en fait terminer à leur rythme.
Un tout petit peu avant le km38, le parcours fait traverser un chais, ce qui me permet de croiser Michel alors qu'il en ressort. Il me dit "T'es en retard" en même temps que je lui dis "T'es en avance"… toujours cette histoire de déclenchement de chrono. Mais en fait, je suis en 4h02 au km38 pour 4h03 au tableau de marche.
Vers le 40ème, je vais parvenir à reformer un petit groupe: il y a d'abord Jean-Louis, cent bornard en préparation de Chavagnes, mais un peu juste en préparation, qui va accrocher mon rythme. Et je réalise qu'il porte le T Shirt des 100km de Millau, et qu'il a certainement beaucoup plus à m'apprendre sur la gestion des fins de courses que l'inverse. Mais apparemment, je lui ai apporté le soutien dont il avait besoin.
Et puis deux jeunes, Anthony et Michael, qui marchent parce qu'Anthony a des crampes. Un peu de bluff ("en suivant mon rythme régulier, tes muscles vont se ré habituer, et les crampes vont disparaître, si, si, j t'assure"), un peu de tchache (" eh les gars, vous réalisez que vous allez être marathoniens dans moins d'un quart d'heure?"), et de l'apophtegme à deux balles ("un marathon, ça se termine en courant, pas en marchant") suffisent à les remobiliser et à les faire repartir.
(photo prise par Christelle - Chris91)
Arrive enfin l'arrivée, et le chrono officiel qui indique 4h30'05". Pas mal. Sauf que le chrono est 5 mètres avant la ligne et que du coup je ne l'ai toujours pas passée! Pas bien grave, l'essentiel n'est pas mon temps mais bien ceux des autres. C'est d'ailleurs bizarre d'avoir passer ma course les yeux rivés sur le chrono alors que ni mon temps ni mon classement n'avaient la moindre importance.
Je reçois plein de mercis des coureurs que nous venons de mener en 4h30 sur ce magnifique parcours, et de ceux qui ont mis en peu plus de temps.
Carole traversera la ligne en 4h33 avec ses deux garçons, Magali arrivera en 4h40, Sylviane en 4h41, et So, mon chinois de Hong-Kong ("I follow you, I follow you") en 4h50.
Vraiment une superbe course, et des moments très sympa partagés. L'expérience est gratifiante mais aussi frustrante: gratifiante par la confiance que des inconnus placent en vous, par les contacts qui se créent, mais frustrante car on ne peut malheureusement pas permettre à tous d'atteindre l'objectif chronométrique que l'on porte sur le dos. Je me demande d'ailleurs si la notion de meneur d'allure ne prête pas à confusion : on fixe un rythme régulier tout au long de la course, ce qui n'est pas forcément la meilleure stratégie. Si je peux courir un marathon en 4h30 à vitesse constante, c'est parce que je peux le courir normalement en 3h30. Mais est-ce qu'un coureur dont le potentiel est de 4h30 ne doit pas partir un peu plus vite pour tenir compte de la perte de vitesse qui surviendra nécessairement vers le 30ème…
Ma conclusion est qu'il vaut mieux voir le meneur d'allure comme un repère que comme un métronome….
14 commentaires
Commentaire de CROCS-MAN posté le 17-04-2010 à 17:16:00
Génial ton récit Laurent, et ta générosité ressort bien.
J'ai fait meneur d'allure 4h personnel pour FOXDIVER l'an dernier au Luberon et j'ai eu les mêmes sensations et comportements.
BRAVO et Merci.
Commentaire de Chris91 posté le 17-04-2010 à 18:15:00
kikou Laurent,
super récit,c vrai que c'est pas évident de voir les gens "lacher" et les laisser. j'ai remarqué que cette année, du groupe de départ très peu étaient avec nous à l'arrivée. En revanche, certain parti pour faire moins étaient très content de vous voir arriver et de ce caler dans ce petit groupe qui c reformé dans les dernier km.
Christelle
Commentaire de Chris91 posté le 17-04-2010 à 18:15:00
kikou Laurent,
super récit,c vrai que c'est pas évident de voir les gens "lacher" et les laisser. j'ai remarqué que cette année, du groupe de départ très peu étaient avec nous à l'arrivée. En revanche, certain parti pour faire moins étaient très content de vous voir arriver et de ce caler dans ce petit groupe qui c reformé dans les dernier km.
Christelle
Commentaire de francois 91410 posté le 17-04-2010 à 22:03:00
Bravo Laurent pour cette innovation, qui doit effectivement enrichir et faire enrichir ;
j'ai bien pensé à toi au bord du MDP, même si l'ambiance y était plus festive et délirante !
A+
Commentaire de Dom 61 posté le 17-04-2010 à 22:47:00
J'ai bien aimé ton récit Laurent,
cela ne doit pas être évident d'être meneur d'allure et comme tu le souligne trés bien,c'est de voir les gens lachés avant la fin alors qu'on aimerait bien finir ensemble.
Bravo à toi !
Commentaire de Astro(phytum) posté le 17-04-2010 à 22:58:00
Belle expérience Laurent ,merci de nous faire découvrir une autre facette de la course .
Commentaire de Goldenick posté le 18-04-2010 à 10:24:00
Bravo à toi d'avoir su mener aussi bien! Et merci pour le CR
Commentaire de taz28 posté le 18-04-2010 à 14:13:00
Voici un nouveau métier qui te va à merveille Laurent !!
Ta générosité et ton sourire ont forcément aidé ces coureurs sur 4 H 30...
Dire que c'est mon chrono espéré à Toulouse !!!
Merci pour ce récit, et au plaisir de te revoir bientôt !!
Bisoussssssssssss
Taz
Commentaire de chtigrincheux posté le 18-04-2010 à 19:54:00
Lolo j'ai hâte de t'en serrer cinq ainsi qu'a ton petit bout d'homme.
Si un week-end made in Raismes vous branche ce sera avec plaisir que nos vous accueillerons
Commentaire de fanfan59 posté le 19-04-2010 à 17:25:00
Magnifique photo que celle de cette maman (Carole) avec ses deux enfants. Merci d'avoir eu les mots pour aider ceux qui étaient dans le "moins bien". Je sais combien ça réconforte et combien ça booste d'avoir des gens à nos côtés. Au plaisir de te revoir et surtout, comme l'a dit le grincheux, vous êtes les bienvenus quand vous le souhaitez.
Commentaire de Land Kikour posté le 19-04-2010 à 18:21:00
Bravo Laurent un véritable exploit de tenir une allure... Chose dont je me sens totalement incapable.
Merci pour ton cr et son détail, très agréable à lire.
Commentaire de eric41 posté le 20-04-2010 à 08:50:00
Bravo Laurent pour ton implication et merci pour ton récit qui m'a rappelé mon expérience en 2005 sur ce même marathon.
Eric
Commentaire de Pascal75 posté le 20-04-2010 à 20:51:00
Bonsoir,
Tu fais un très beau meneur d'allure. J'ai adoré ton récit remplit d'humanisme et de générosité.
Il m'a fait revivre ce très beau marathon... Bravo pour ta course en tant que meneur, et pour ce CR.
PS : Je suis Pascal (de Pcap) qui suis venu te trouver avant le départ..
Au plaisir de te lire et de te revoir au détour d'une petite course.
Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 20-04-2010 à 21:27:00
C'est génial de faire ça !
Mais pourquoi t'as pas pris le fanion des 3h15 ?
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