L'auteur : LeSanglier
La course : La Bouillonnante - 44 km
Date : 22/4/2007
Lieu : Bouillon(B) (Belgique)
Affichage : 3734 vues
Distance : 44km
Objectif : Pas d'objectif
Partager : Tweet
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Venu expressément du Nord le matin même, un loup cherchait à se soulager.
Venant en sens inverse, un sanglier pressé cherchait à faire de même.
Au cœur de la ville de Bouillon ils se croisèrent,
Le temps est, Ardennes obligent, magnifique (il fait toujours beau dans les Ardennes) : le soleil brille, la température est douce, les shorts sont de rigueur. 240 personnes sont engagées sur le 44km, 320 sur le 22 (dont Sandrine, qui voudrait faire moins de 3h30). Des ravitaillements sont prévus en liquide et solide, mais l’organisation préconise de partir avec un minimum de boisson et de boustifaille sur soi, bien entendu. Malgré ça, on croisera pas mal de coureurs, surtout sur le 22, complètement démunis au bout de quelques heures.
Heureux de retrouver un camarade, loup et sanglier se saluèrent.
Deux ans plus tôt au milieu des volcans ils avaient couru ensemble,
Le loup blessé appuyé sur les bâtons du sanglier.
Et voilà l’heure du départ ! Briefing rapide, jovial et bilingue qui laisse supposer une épreuve costaude, et les premiers pas s’enchaînent en bordure de la Semois, rivière au cours plutôt paisible qui serpente entre les monts belges. Altitude prévue : entre 200 et 400m, plus grosse côte à environ 210m de dénivelée positive, plus grosse inclinaison à environ 30%, le tout pour 2000m de D+ sur 44km de long ! Le petit parcours fait quant à lui 22km pour 1000m de D+. La petite touche personnelle de l’organisation, c’est de nous faire passer par la promenade dite « des échelles », aux alentours du village de Frahan, promenade qui présente une zone chaotique de schiste et ardoise aux pentes très marquées, certains passages nécessitant d’emprunter des échelles pratiquement verticales. Ca va donner !
La saison n’était pas favorable au sanglier,
Qui, respirant pollens et poussières à plein nez,
Avait bien du mal à respirer.
Ainsi tous les deux nous voilà partis dans le premier tiers du peloton, sur un petit chemin en bordure de la Semois. Le coin est superbe, l’éclairage est magnifique, ça donnerait envie de s’allonger sur l’herbe tendre pour bronzer un peu. Surtout que j’ai du mal à respirer : depuis plusieurs semaines les crises d’asthme se succèdent, la faute au temps, aux pollens, à pas d’chance. Quelques centaines de mètres plus loin, nous voici mis au parfum : ça va monter aujourd’hui ! La côte qui se présente devant nous est raide (17%). J’adore. On grimpe le raidillon, pour le redescendre aussi sec de l’autre côté, en petits lacets serrés. Zut ! Me dis-je, voilà qu’ils nous refons le coup du Trail de la Vallée de Chevreuse ! Vla-t-y pas qu’on va passer notre temps à monter et descendre des coups de cul toute la journée ! Mais non, fausse alerte, en fait les pentes seront bien moins courtes et cassantes qu’en Vallée de Chevreuse. Par contre, du raide, il y en aura toute la journée !
Le loup qui de son côté,
N’a participé à aucune épreuve depuis l’UTMB,
Vient ici en début d’année pour se tester.
A la fin de la descente, petite traversée de ruisseau, moment d’hésitation devant le balisage assez léger, et c’est parti pour une longue montée assez douce. Je suis à l’agonie, j’ai l’impression de respirer par un tube de deux millimètres de diamètre. Dur. Enfin ce n’est pas grave, nous profitons de l’environnement paisible à une allure que j’estime tout de même très correcte. Nous n’avons ni l’un ni l’autre de bâtons, je les ai laissés à Sandrine au dernier moment, jugeant qu’ils me gêneraient trop dans les parties techniques. J’ai bien fait ! Peu de coureurs en ont emporté, et au final, je pense qu’ils sont plus gênants que bénéfiques.
Nous cheminons donc tous les deux, doublant quelques concurrents, nous faisant rarement rattraper par un autre. Les rangs sont assez clairsemés, ce qui est agréable et permet d’assurer son propre rythme. Seules quelques descentes bouchonnent un peu ; il faut dire que la plupart sont terreuses et couvertes de feuilles, ce qui ne permet pas une adhérence très importante ! Nous jetons fréquemment des coups d’œil sur le paysage, puisque nos montées nous mettent souvent en position de domination par rapport à la Vallée de la Semois, occasionnant de magnifiques points de vue sur les méandres de la rivière. Certains prennent des photos, ce sera le cas de Sandrine sur le 22km, comme d’habitude !
Les chemins sont assez variés, mais pour l’instant pas trop techniques. Ils sont secs, terreux, parfois un peu pierreux, parfois ornés de profondes ornières. Nous empruntons même dans cette prmière partie une petite passerelle métallique et une espèce d’escabeau permettant d’enjamber un rocher monumental. Autant dire que malgré mes difficultés respiratoires, je m’éclate, et Irving semble en faire autant. D’autres aussi s’éclatent, les genoux notamment ! En descendant sur Frahan, lieu du premier ravitaillement au km 11, nous doublons un coureur qui comprime un chiffon autour d’un de ses genoux. Le chiffon est déjà bien rouge : le sang pisse ! Il a l’air d’aller malgré ça, et les secours sont déjà prévenus.
Toujours ensemble loup et sanglier déboulent à Frahan,
Les deux animaux sont toujours aussi souriants,
Malgré une petite erreur en ville qui n’entamme pas leur allan.
Irving prend un peu de temps au ravito, j’en profite pour vidanger et prendre une bouffée de dopant, à savoir de la ventoline. Je me vois mal continuer sans ça, j’ai la respiration sifflante. Presque immédiatement, les conduits reprennent leur taille normale et tout rentre dans l’ordre. Je n’aime pas trop les médicaments, mais là il faut dire que je peux difficilement faire sans. Nous reprenons notre route, prenant soin de ne pas nous engager sur le retour (le 44km et le 22km se séparent ici, les coureurs du 44 faisant une boucle supplémentaire qui les ramène ici même après 22km). De nouveau nous sommes en bord de Semois, sur un passage étroit et ludique composé en partie de petites passerelles métalliques et ponts de bois.
Il commence à faire un peu chaud, on transpire à grosses gouttes. Irving est parti en corsaire, et a relevé ses bas Booster, si bien qu’il a les jambes complètement couvertes, j’ai chaud pour lui ! De mon côté, parti en short court, j’ai des échauffements entre les cuisses. Grmbl, j’ai du prendre du gras dernièrement ! Avec la sueur, ça picotte ! La suite de l’itinéraire est très agréable, mais Irving peine un petit peu. Il n’a aucune côte par chez lui pour s’entraîner, alors forcément, les montées sont un peu dures. On traverse la partie que j’ai trouvée la plus ludique du parcours, petit sentier qui serpente sur les crêtes entre les rochers, avec une jolie vue sur la vallée, très chouette. S’ensuit une longue descente vers Mouzaive, au début de laquelle on se trompe un peu, et pendant laquelle Irving découvre le décor de près. Quelques hectomètres de route nous amènent au second ravito où de jeunes hommes nous accueillent avec le sourire, et des gâteaux apéritif (hhhmmm !!!!).
Et ça repart à travers le village et les gens endimanchés qui se rendent au restaurant, avant de quitter la civilisation par une longue montée régulière. Arrivés au tiers, nous voyons débouler à travers bois un petit groupe de coureurs qui avaient loupé une bifurcation… que nous avons failli louper aussi ! Irving a un coup de moins bien, mais un petit gel et ça repart ! La suite : ça monte et ça descend, ça monte et ça des…
Loup et sanglier rallient Frahan les jambes un peu lourdes,
Mais les plaintes de leurs membres postérieurs restent sourdes,
Et les deux compères se précipitent pour remplir leurs gourdes.
Un peu de chocolat, deux ou trois gâteaux apéritif, deux verres de coca, un remplissage de poche à eau, et c’est reparti, avec les encouragements de Marc toujours présent aux tables du ravitaillement. L’équipe de bénévoles est prête à tout faire à ta place si besoin : c’est du ravito quatre étoiles ! Cette fois, c’est après le pont à droite et plus à gauche, sinon on repart pour un tour sur la boucle de 22km supplémentaire ! A partir de là, il reste 11km, communs au 44 et au 22.
Je sais qu’on doit monter à Rochehault après Frahan, et que Rochehault, comme son nom l’indique, est un village perché haut sur une roche. Il surplombe Frahan de 150m peut-être. Bref, je sais que ça va monter, mais je pensais qu’on allait le faire par un petit sentier en lacets : tout faux ! L’organisation a jugé que les lacets, c’était bon pour les chaussures, et que tracer tout droit dans la pente c’était quand même bien plus marrant. Nous voici donc à la queue-leu-leu sur une pente diablement corsée, quelque chose comme 30%. Les organisateurs du Trail Tiranges Tour et de la Bouillonnante doivent être de la même famille ! Bref, ça monte un moment, tout le monde en chie derrière moi, et moi ça va plutôt bien. Arrivée en haut, j’attends Irving quelques minutes, et nous finissons ensemble l’ascension par une pente beaucoup plus douce.
Arrive enfin la partie tant attendue par certains, tant redoutée par d’autres : celle de la fameuse promenade des échelles. D’entrée, on arrive dans un territoire pour le moins chaotique : des blocs de roche émaillent le paysage, et le sentier se voit obligé de les contourner quand c’est possible. Quand ça ne l’est pas, des échelles ont été installées pour permettre de monter ou descendre sans devoir pratiquer l’escalade. Les promeneurs sont impressionnés par notre rythme, je suis même filmé par l’un d’eux : grande classe ! Je m’amuse pas mal sur cette partie, jusqu’au moment où je me tords la cheville droite dans une petite descente. Je chute sur les fesses, sans gravité. Du coup, pour la suite, je reviens à la prudence, et baisse un peu le rythme. Les quatre échelles à descendre ou à gravir sont raides, presque verticales, et assez longues, jusqu’à une dizaine de mètres. C’est assez impressionnant ! Parfois ça bouchonne un peu, le temps que tout le monde descende, ou que des randonneurs en sens inverse montent. Je me demande comment ça s’est négocié devant !
Pentes abruptes, rochers coupants, feuilles glissantes, rien n’y fait,
Loup et sanglier dans leur élan franchissent chaque obstacle qui apparaît,
Oubliant dans l’effort les maux qui tout à l’heure les titillaient.
Après la dernière échelle, Irving n’est plus derrière moi, nous avions quelques personnes entre nous deux, et les délais de descente font qu’on s’est écarté de plusieurs dizaines de mètres. Dans l’environnement sauvage où l’on est plongés, on se perd vite de vue ! Nous voici en bord de Semois, directement sur la roche baignée de l’eau tiède. C’est ici que Sandrine est tombée quelques dizaines de minutes plus tôt, c’est vrai qu’il y a moyen de chuter ! Rapidement nous quittons le bord de Semois pour retrouver du sentier forestier. Il doit rester environ 8 ou 9km, je me retourne fréquemment pour voir si Irving revient. Enfin il réapparait au loin, facilement reconnaissable avec son corsaire et ses bas.
Depuis quelques minutes, par moments, un point de côté me fait mal à droite. C’est étrange, ça ne m’est jamais arrivé en ultra, seulement sur piste, parfois, lorsque je fractionne. Nous doublons depuis les échelles des coureurs du 22km, les derniers étant une famille (deux enfants et les parents) qui ont profité de l’épreuve pour faire une randonnée. Excellente idée je trouve ! Alors que nous suivons un groupe de coureurs, nous voyons remonter en sens inverse d’autres personnes : apparemment, il n’y a plus de balisage plus loin ! Pourtant, nous sommes sûrs d’avoir vu une flèche indiquer cette direction. Nous persistons donc un peu, puis dépités retournons sur nos pas. Effectivement, dans la descente que nous venons d’effectuer, il fallait emprunter un petit sentier sur la gauche, que personne n’a vu… Dommage !
Ainsi donc vont loup et sanglier, grapillant mètre après mètre sur les chemins,
Avalant montées et descentes en s’aidant parfois des mains,
Pas encore fourbus, mais bien moins fringants qu’au petit matin.
Nous rallions ensemble le dernier point d’eau, où je bois trois verres coup sur coup. Alors que je repose le dernier, je me traite d’imbécile : déjà que j’ai un point de côté, ces trois verres d’eau froide ne vont rien arranger, j’aurais plutôt du remplir ma poche à eau ! Bref, nous repartons Irving et moi à petite allure, mais jusqu’à l’arrivée désormais j’aurai ce point de côté douloureux et handicapant dès que j’accélèrerai un petit peu. Difficile d’avancer à un rythme correct dans ces conditions ! Je suis Irving en serrant les dents, et reconnais enfin la Tour de Guet sur les hauteurs de Bouillon. Youpi ! Il ne peut plus rester qu’un ou deux kilomètres à cet endroit, la libération est proche !
Toutefois la descente sur Bouillon qui nous attend est assez costaude : pentue, en lacets, recouverte de feuilles, encore une fois j’aurais aimé assister à la descente des premiers ! Enfin nous abordons le pont d’où nous sommes partis le matin même, et enchaînons avec les 300m plat qui restent avant l’arrivée. Ovations de rigueur lorsque nous passons à hauteur des UFO et autres Kikoureurs, et montée sur le podium pour Irving et moi, avant de recevoir notre saucisson de finisher !
Main dans la main loup et sanglier ont franchi l’arrivée,
Heureux d’en avoir fini mais pas tout à fait éreintés,
L’épreuve du jour n’aura pas eu raison de leur volonté.
Après l’arrivée, je m’assieds rapidement : je suis cramé. J’ai mal au côté droit, et absolument pas envie de manger ce que Sandrine et ma maman voudraient me refourguer (du pâté en croûte ou du sandwich à la saucisse). J’ai besoin d’un quart d’heure pour me remettre de ces points de côté qui me tiraillent les tripes depuis plus d’une heure. J’avoue que ça m’a un peu gâché la fin de course, dommage.
Côté résultat, nous finissons en 5h35, à la 80 et 82ème place (ils ont trouvé quelqu’un entre nous deux et plus d’une minute d’écart? Pourtant nous sommes arrivés seuls et ensemble) sur 206 arrivants. Les trois premiers arrivent ensemble en 4h11, parmi eux se trouve Raphaël Brabant, vainqueur l’année précédente, et également vainqueur de la Ronde des Nutons 2006 (100 miles belge). Sandrine dépasse le temps qu'elle s'est imposée, mais elle aussi s'est perdue en cours de route, et elle s'est abimé le tibia en cours de route.
Belgique oblige, nous dégustons une petite mousse bien fraiche qui retape les troupes. C’est l’occasion de croiser des coureurs déjà vus comme Fabien Debaucheron (8ème), ou encore inconnus, comme Mercator le fameux cartographe belge ou Titou, qui s’empresse de m’embrasser (« tu sais, en Belgique, on est comme ça on s’embrasse »). Excellents moments, auxquels malheureusement nous devons mettre fin, puisque les urnes nous attendent, de l’autre côté de la frontière… Mais ça, c’est une autre histoire, beaucoup moins amusante !
Le soir venu, la foule partie, tout redevient calme dans les bois,
Les esprits de la Bouillonnante peuvent de nouveau donner de la voix,
Et hurler leur tristesse : loup et sanglier ont eu raison de leurs pièges cette fois.
9 commentaires
Commentaire de Zeb posté le 25-04-2007 à 16:18:00
Ha ! une si belle course valait bien un si beau CR !!!! bravo !
Commentaire de Sandrine74 posté le 25-04-2007 à 16:37:00
Et ben, je sais à quoi elles servent mes photos maintenant ! :)
Bises
Sandrine
Commentaire de akunamatata posté le 25-04-2007 à 18:36:00
beau récit! Ca donne envie ces escaliers.
Commentaire de agnès78 posté le 25-04-2007 à 20:50:00
Alors Monsieur le Sanglier, je voulais te dire Merci
D'avoir fait de cette course avec Monsieur le Loup, un si beau récit
Et c'est avec un réel plaisir, je te le dis
Que je vous retrouverais, toi et ta douce, au Mont Joly
bises
agnès
Commentaire de taz28 posté le 25-04-2007 à 21:17:00
Superbe récit conté tel une fable !!! J'ai adoré te lire Manu, et les photos de ta journaliste en herbe, la sublime Sandrine agrémentent ta prose !
Merci beaucoup
Bisous
Taz
Commentaire de gdraid posté le 26-04-2007 à 09:44:00
Bravo LeSanglier, récit très imagé, Jean de la Fontaine aurait aimé.
A lire facilement jusqu'au bout, derrière toi et le Loup !
A l'arrivée, celui entre vous deux,
c'était peut être nous ?
JC
Commentaire de JLW posté le 26-04-2007 à 11:04:00
Dis le Sanglier, il faudrait que tu viennes à la course du Sanglier pour nous faire un aussi beau récit. Bravo pour la prose, belles photos (merci Sandrine) on attend la video ?
Commentaire de seb59 posté le 29-04-2007 à 22:07:00
Monsieur le sanglier, Bravo ! Nous avons couru une partie de cette superbe mais difficile course ensemble ! Habillé de noir avec short et débardeur salomon + sac lafuma. Et nous sommes salués rapidement après l'arrivée.
Bref, beau CR et j'espère à une porchaine fois.
Séb
Commentaire de lecoureurdesbois posté le 24-04-2009 à 21:36:00
bien sympa ton CR, j'espère que cela ce passera tout aussi bien pour moi avec un peu moins de jardinnage. En tout cas cela donne un bon apperçu de ce qui nous attends.
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.