L'auteur : franck de Brignais
La course : L'Echappée Belle - Intégrale - 145 km
Date : 25/8/2017
Lieu : Vizille (Isère)
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Distance : 144km
Objectif : Terminer
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« Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ».
Ce proverbe africain est l’illustration de mon aventure en Belledonne. Je n’ai pas participé à une course, je me suis enrichi, j’ai partagé, j’ai découvert. Je vais tenter de vous faire partager ces émotions.
Je vous propose ce récit plusieurs semaines après la course parce que je veux être sûr que les quelques douleurs physiques inhérentes à l’exercice ne perturberont pas ma retranscription. Je veux aussi que les endorphines soient revenues à un niveau raisonnable pour qu’elles ne dirigent pas mes émotions.
Ce vendredi matin, à Vizille, il fait doux. Il est 5h00, le jour n’est pas encore levé, nous sortons de la chambre d’hôtel que j’ai réservée sur place pour dormir le mieux possible avant le départ. Caroline, Thomas et Alexandre m’accompagnent dans les rues désertes de la petite ville. Ils sont à mes côtés, ils le sont depuis que je me suis lancé dans ces défis de plus en plus fous, ils le seront les 50 prochaines heures. Leur présence est rassurante. Je suis serein, je sais que je terminerai. Je ne le confie à personne, pas même à Caroline ou aux garçons. Cette course est une des plus dures en France, je vais évoluer sur un terrain auquel je ne suis pas habitué, sur une durée que je n’ai jamais testée … mais je sais que je la terminerai.
Je ne rentrerai pas dans le détail du volume d’entraînement, il est conséquent. C’est un point important, il faut bien sûr être prêt physiquement, mais c’est finalement un détail à côté de la détermination qui est nécessaire pour rejoindre la ligne d’arrivée… aucun doute ne doit être permis, c’est mon état d’esprit, il n’y a aucun autre scénario que d’aller faire sonner la cloche à Aiguebelle.
Il y a plein de têtes connues à ce départ. De nombreux kikous sont présents. Sylvain (Spir), je suis soulagé de le voir, sans vraiment l’aborder franchement, notre cheminement ensemble est implicite avant même le départ. Nous avions eu ensemble un super moment de partage il y a 2 ans sur cette même course, le duo formé avait très bien fonctionné, sans qu’on en parle vraiment ce matin là, on fera la route ensemble. Une grosse représentation lyonnaise est aussi présente, ces visages familiers et sympathiques sont rassurants : Philippe, Fabien et Christian vont former un trio de choc. Ils sont tous les trois très bien préparés, avec un gros niveau. Je ne suis pas inquiet sur leur capacité à arriver au bout, juste curieux de voir le temps qu’ils vont mettre, quelle compétition va se jouer entre eux. Un autre trio est composé : Rémi, rencontré de nombreuses fois sur des offs lyonnais ou des courses en montagne. Je le sens inquiet mais il a une équipe d’enfer avec lui : Fred, comme sa barbe, généreux et un sourire constant aux lèvres, il n’y a jamais rien de grave. Et Antoine, le plus expérimenté du trio qui a une revanche à prendre en Belledonne. Tiens voilà Sébastien, un gars hors norme, j’ai une affection particulière pour lui : il vit sa vie sans se poser de questions, il est jeune, extrême, il tente beaucoup de choses, apprend beaucoup sur lui. Et puis il y a ces 2 phénomènes que je découvre un peu plus, Julien et Manu. Ces 2 cinglés ont fait la course en mode « 180 » : ils ont pris le départ en sens inverse il y a 2 jours, ils ont dormi quelques heures et les voilà avec nous sur la ligne de départ !!... Ils sont tous les deux très impressionnants, des phénomènes rares en course à pied. Je suis inquiet de ne pas voir Christophe, copain LURien qui a, lui aussi, une revanche à prendre sur cette course. Il ne doit pas être loin mais je ne le vois pas : on est assez nombreux finalement sur cette ligne de départ...
Pas loin de 600 coureurs qui vont affronter ce massif minéral et exigeant. Je regarde autour de moi en me rapprochant de l’arche, chacun a son histoire, sa raison d’être ici. La mienne est simple… j’avais envie d’être là, de prendre ce départ, de gérer les 3 prochains jours, de vivre cette aventure. J’ai mis un challenge supplémentaire que j’ai partagé avec Caro : si je boucle l’échappée belle alors j’ai la capacité à m’éclater sur le grand raid Réunion, et en 2018 c’est nos 20 ans de mariage… Alors faire un pèlerinage sur l’Ile qui a été le lieu de notre voyage de noce, ça le ferait bien quand même ! Bien sur la motivation profonde n’est pas là, la vraie raison est que je sais que je suis à la hauteur et je veux vérifier que c’est bien le cas…
Florent, directeur de la course, nous donne une seule consigne avant le départ : « gestion, gestion, gestion ». Ce mot va résonner dans ma tête durant toute la course. Tout doit se faire à l’économie, toujours être en dedans de ses possibilités, c’est la seule façon d’arriver au bout. Il nous confirme qu’il n’y aura que 35% de finishers… je regarde autour de moi… je sais pas pour eux, mais moi j’en ferai partie !
VIZILLE – Vendredi 06h00 – km 0 – D+ 0 - Temps en course 00h00
Le départ est donné, nous traversons en trottinant doucement le parc du château, sortons tranquillement de la ville en commençant l’ascension vers Chamrousse par un chemin forestier. Un groupe composé de Sylvain, Rémi, Fred, Antoine et moi se forme. Les blagues fusent, tout le monde est heureux d’être là, la bonne humeur est encore au rdv. Il y aura des moments bien plus difficiles, j’en profite donc pour emmagasiner toutes ces bonnes choses, je les ressortirai quand ce sera nécessaire. C’est là que Fred et Rémi sortent une phrase qui va devenir un mantra « Si tu veux arriver à Aiguebelle, tu ne dépasses pas Franck ». Je vous le raconterai plus tard dans le récit, mais c’est une phrase qui me reviendra dans des circonstances étonnantes durant la course !
Cette joyeuse équipe est complètement fêlée et on fait un bruit pas possible, certains se joignent gaiement aux discussions, d’autres doivent être gênés par autant d’exubérances et accélèrent ou ralentissent pour ne pas rester à notre rythme. Ce début de course n’a rien de très intéressant, un grand chemin forestier nous permet de prendre gentiment de l’altitude. Il est même très roulant, nous trottinons dès que la pente l’autorise. Christophe est bien là… en nous dépassant il nous signale que nous sommes sans aucun doute les plus bavards du troupeau ! De mon côté les sensations ne sont pas supers : j’ai un bon mal de tête depuis la veille qui persiste, les jambes sont très moyennes… Bref, j’ai beaucoup de mal à me mettre dans la course. C’est la 1ère chose que je vais dire à Caro en arrivant au 1er ravito.
ARSELLE – Vendredi 09h13 – Km 15,6 – D+ 1 490 m -Temps en course 03h13
Il y a beaucoup de monde à ce ravito. Difficile d’atteindre la nourriture et de faire le plein d’eau. Mais l’ambiance est très sympa avec beaucoup d’accompagnateurs, d’enfants, qui encouragent leur coureur. Ma famille est là au complet, quel pied ! Il fait déjà très chaud, je pense à me mettre de la crème solaire, la journée va être ensoleillée. La pause est peu efficace, je n’ai pas très faim, je me force à grignoter. Il y a Ingrid aussi, la femme de Sylvain et puis Murielle, la femme de Christophe. Tout ceci ressemble à un grand rassemblement de copains. On se retrouve tous à la sortie du ravito, on voudrait bien rester ici, mais il faut y aller. Je reverrai ma famille à Jean Collet en milieu d’après midi.
Le paysage devient moins boisé. C’est un secteur que je connais pour l’avoir traversé en raquette cet hiver. La montée au Lac Achard est superbe : des replats de verdure et de grosses pierres, des sapins, de ci de là, un sentier qui tourne et détourne en s’élevant toujours doucement le tout sous un superbe soleil. La douceur, c’est ce sentiment qui perdure depuis le départ : le paysage, les lumières,… je profite.
Le groupe s’est étiré, Rémi est resté un peu plus longtemps à Arselle, ses compagnons l’ont attendu. Nous repartons à 3 lyonnais, Sylvain, Christophe et moi. L’arrivée au Lac Achard signe la fin de la pente douce. Les dénivelés vont être plus forts, même si le terrain reste simple. Nous enchaînons 3 cols en moins de 2 kilomètres et assez rapidement se profile la bifurcation du sentier principal pour rejoindre le lac David… nous commençons à rentrer dans Belledonne. Le terrain est plus escarpé, la vitesse moyenne tombe. Des pelotons de coureurs se forment au gré d’une personne moins rapide. Il faut commencer à mettre les mains par endroit. A ce moment-là, je me demande si j’ai bien fait de prendre mes bâtons… (Qu’est-ce que je peux être con par moment ! c’est pourtant pas la fatigue à cet endroit-là… Ami lecteur, si tu prends un jour le départ de cette course et si tu t’interroges sur ce point, n’hésite plus…. prends les !!).
Au gré de l’avancement, Christophe a pris de l’avance, je ne le vois plus. Sylvain est quelques places devant. Je suis surpris de voir beaucoup de coureurs déjà souffrir. La chaleur ? le manque de préparation ? On a n’a pas encore attaqué une seule difficulté et j’entends quelques coureurs se plaindre du terrain de jeu, c’est étonnant… il s’agit de la 5ème édition, la communication autour de ses spécificités est assez importante. Ne pas être préparé à avancer comme une tortue, dans un environnement compliqué, c’est se mettre en position difficile dès le départ. De mon côté je ne souffre pas, mais je ne suis toujours pas dans ma course. Je prête trop d’attention à qui est devant ?… où est Sylvain ?… Est-ce que j’ai bien pris mes barres céréales ?… est ce que ma provision d’eau va être suffisante ?... Je ne suis pas détendu, pas dans ma course. Et ça se confirme en arrivant au second ravitaillement…
REFUGE DE LA PRA – Vendredi 12h23 – km 28 – D+ 2 396 m - Temps en course 6h23
J’arrive dans le ravito sans avoir rien préparé. Je me pose 5 minutes à ne rien faire. C’est totalement inutile… je cherche mon gobelet… je papillonne sur le ravito… Il est bien fourni mais je n’ai pas faim. Mon mal de tête ne passe pas, les jambes tournent moyennement, c’est pas top. Un concurrent demande comment rendre son dossard, pas de bol : il va falloir faire demi-tour ou redescendre par le lac du Crozet ! C’est une caractéristique de la course. L’abandon ne signifie pas la fin des emmerdes : selon l’endroit il peut y avoir 2, 3 ou 4 heures de marche pour retrouver la civilisation ! Le trio Fred/Antoine/Rémi arrive au ravito au moment où je repars avec Sylvain après avoir bien vérifié que j’avais fait le plein… il faudra bien 4h00 pour rejoindre le prochain ravito.
C’est aussi la première difficulté que nous allons attaquer : La Croix de Belledonne, c’est le point le plus haut de la course. Je connais bien, j’y ai fait des recos. C’est un élément rassurant pour moi de connaitre le parcours. Je le conseille vraiment, il ne faut pas hésiter à reconnaître les principales difficultés quand c’est possible. Ca permet de dédramatiser certains endroits dont les récits ou retours d’expériences d’autres traileurs ont parfois tendance à grossir la difficulté.
Une fois passés les lacs du Doménon, on rentre dans le vrai sujet : c’est pentu, c’est de la caillasse…terminés les chemins, il faut maintenant lever le nez à chaque pas pour savoir quelle direction suivre en se guidant avec les fanions orange. Ces fanions vont devenir nos meilleurs amis pour les 50 prochaines heures ! 600m de dénivelés sur 3 km, ça grimpe ! Je suis sur les pas de Sylvain, on a rejoint Christophe qui nous avait un peu distancé. Le site est magnifique, lunaire. Plus de végétation, pierres, blocs et rochers sont les uniques décors de cette montée qui se fait en 2 temps. Une fois passé le 1er verrou, un replat permet de reprendre son souffle, nous sommes bientôt à 3 000m d’altitude. Puis la seconde montée nous fait passer à proximité des rochers rouges, endroit atypique ou des centaines de pierres sont plantées dans le sol donnant l’impression que la montagne frissonne !
La montée est longue, sous le soleil, mais l’altitude nous préserve d’une trop grande chaleur. Parfois une sente se dessine sous nos pieds, mais bien vite ce sont les cailloux qui réapparaissent. On commence à enjamber quelques blocs, mais on avance plutôt bien et la croix apparait au loin sur notre gauche. C’est le seul endroit de la course où l’on croise les coureurs de devant : ils redescendent de la croix, nous y montons. Encouragements mutuels. L’étroit sommet arrive vite, « qui embrasse la croix, fais sonner la cloche ». Je ne me prive pas et je fanfaronne « rdv à Aiguebelle maintenant !! ». J’avais prévu un passage à la croix entre 13h45 et 14h45, il est presque 14h30, pas franchement en avance ! Je repars quelques secondes avant Sylvain qui fait quelques photos. Il est très agile à la descente, il me rattrapera vite. Nous redescendons dans les pierres et rochers. Il faut être attentif, un pied mal posé peut tout compromettre : le terrain est propice à la blessure : pas assez technique pour aller lentement, mais assez minéral pour ne pas avoir de sentier. Encouragement des derniers qui montent (j’espère que les barrières ne leurs poseront pas de problème…) et nous bifurquons à droite vers le col de Freydane.
La partie suivante est une des plus techniques du parcours : la descente de Freydane au Lac Blanc c’est 400m de D- … sur 1 km ! Petit sentier sur des cailloux fuyants, mes 2 précédents passages m’avaient laissé un mauvais souvenir de cette portion, ça passera finalement bien. Sylvain me dépasse et s’envole… et maintenant Manu qui me double sur le replat du lac Blanc en me gratifiant d’un superbe sourire et d’un « ça roule Francky ? ». Disons que ça roule aussi bien que les pierres sous les pieds… donc plutôt pas mal !
D’ici on aperçoit au loin le prochain ravito : le refuge Jean Collet. Accroché à flanc de montagne, la vue est superbe. Nous surplombons par un chemin en balcon un superbe vallon. On l’aperçoit ce ravito, mais on en est encore loin. Je double un anglais qui me dit « Probably 10 minutes for géan coulè ?? »… je lui réponds « oh no more than 30 minutes !! »… je le laisse quasiment en pleurs et continue mon chemin. Sylvain est devant, je le vois au loin. J’ai hâte d’arriver, je sais que les miens sont là… la chaleur commence à devenir un problème, le single en balcon est superbe mais il est temps d’arriver.
REFUGE JEAN COLLET – Vendredi 16h08 – km 39 – D+ 3 252m – Temps en course 10h08
Quelques courageux accompagnateurs sont montés jusqu’au refuge pour encourager leur coureur… dont ma petite famille ! Ils sont là, bien installés, à papoter avec Christophe qui est arrivé depuis quelques minutes. Je dois racler de la gorge pour signaler ma présence (tout se perd…)… Ils sont aux petits soins pour moi. Caro m’explique qu’elle a ravitaillé Sébastien en bière, que le trio lyonnais a bien une heure d’avance, elle me donne des nouvelles de tout le monde, le suivi live sur Kikourou bat son plein !… bref un moment bien sympa d’échanges. D’autant plus qu’Ingrid, la femme de Sylvain, est là aussi… on profite de la vue, du soleil, on recharge les batteries, la prochaine portion va, encore une fois, être très compliquée. Enchaînement du col de la mine de fer et de la brèche fendue… plus minéral que ces 2 endroits, ça ne doit pas exister sur Terre… Ce sont les 2 seuls endroits que je n’ai pas repéré et je suis un peu stressé de savoir ce que l’on va trouver là haut…
Nous repartons après une pause assez longue d’une bonne vingtaine de minutes. La barrière horaire est 2h derrière nous, je ne veux pas prendre plus de risques. Sur un format comme celui-ci, 2h00 ce n’est rien du tout ! Nous entamons à bon train, avec Sylvain, la longue montée. Le ciel se couvre, on surveille du coin de l’œil les nuages qui arrivent. La pluie à ce moment là de la course ne serait pas une bonne nouvelle : les rochers deviendraient glissants, la progression serait nettement ralentie. La couverture nuageuse a surtout pour effet de masquer le soleil et de faire baisser la température.
Au fur et à mesure que je monte je me sens mieux. Le mal de tête est, enfin, en train de s’estomper et les jambes répondent à la sollicitation. On va reprendre une dizaine de places rien que dans cette montée. Arrivée au col, quel chantier !! D’énormes blocs de partout, le chemin n’existe pas, il faut repérer les fanions coincés entre 2 rochers. Mais ma fraîcheur retrouvée me permet de bien vivre ce passage. La redescente qui suit est très technique : il faut sauter de blocs en blocs. Encore une fois, une chute ici aurait de lourdes conséquences. Il faut rester très concentré sur les poses de pied. On trottine pas si mal finalement, on continue à reprendre des places. Sylvain est tantôt dans ma trace et parfois prend le relais devant.
Etre devant demande une double concentration : la pose du pied et le repérage des balises. Notre duo fonctionne plutôt bien, nous sommes tous les 2 dans le même état d’esprit : calme et déterminé. Le sourire dès que possible, un bon mot avec le coureur du moment. On continue à gentiment reprendre des places… d’un coup Julien nous double en sautant comme un cabri de blocs en blocs… suivi par une jeune fille au moins aussi habile que lui. Elle ne porte pas de dossard, c’est son pacer du moment, il nous explique qu’elle habite juste en bas dans la vallée et que nous évoluons sur son terrain de jeu… ce qui se voit assez nettement : elle est très facile, très aérienne dans sa foulée, un bonheur à regarder au milieu des coureurs usés que l’on croise depuis plusieurs heures. Instinctivement on emboîte le pas avec Sylvain et on compose un joli quatuor qui redescend à bon rythme en direction de la prochaine étape : le Habert d’Aiguebelle. Il suffit de lever le nez pour apercevoir, juste en face, la prochaine difficulté que nous aurons à passer : les cols de l’aigleton et de la vache. La vue est, encore une fois, à couper le souffle, les mots manquent pour décrire cette impression d’espace et de vue à 360 sur un des plus beaux massifs des Alpes. Après un longue descente de plus de 1 000 m, on aperçoit enfin le ravito.
HABERT D AIGUEBELLE – Vendredi 19h16 – km 47 – D+ 3 964 m – Temps en course 13h16
Les amis et la famille des 2 compères Manu et Julien mettent une super ambiance ! Le ravito est sommaire, il ne reste plus grand-chose en solide. J’arrive à trouver un peu de pain de mie et une soupe de vermicelle. Je commence, enfin à avoir faim. Je tape du coup dans mon stock personnel. Je prends vite froid à ne plus bouger, on refait le plein des gourdes et on repart assez rapidement.
J’ai la grosse patate dans cette montée et j’impose un bon rythme. Là encore, on double pas mal de concurrents. J’ai tellement la forme que je suis obligé d’attendre Sylvain qui est plus modéré dans son allure. C’est très bien, ça permet de ne pas trop en faire. On n’a pas encore fait la 1ère nuit…. Gestion, gestion, gestion. Je retrouve avec délice ces bonnes sensations tant attendues. J’avais vécu les mêmes durant l’UTMB : une impression de grande facilité dans les montées. Je profite à fond de ce moment, le paysage est toujours aussi magnifique, je connais très bien cette portion, la fraîcheur commence à arriver, quel pied !
Avec un tel rythme on arrive très rapidement au col de l’aigleton. Encore une fois très minéral, avec des passages à forte inclinaison. Il faut poser les mains à plusieurs reprises pour passer ce col. On double 2 concurrents un peu dans le dur qui nous demandent si ça va être encore long avant d’arriver en haut. « Non plus vraiment…mais le prochain col n’est pas des plus simples non plus… ». Chaque chose en son temps il faut redescendre avant d’y remonter.
Lors de cette descente, très agréable à courir (enfin un peu d’herbe !!) , je baisse ma vigilance et tombe en avant en buttant sur une pierre. J’atterris sur le genou gauche… la douleur est très violente… des picotements m’envahissent d’un coup les jambes, les bras, jusque dans les lèvres… je suis à 2 doigts de tomber dans les pommes sous le coup de la douleur. Sylvain qui était quelques mètres devant remonte et me demande si ça va. Je mets quelques secondes à répondre. En fait, j’en sais rien… la douleur est très forte. Je me remets debout et j’essaie de marcher. Je boite. Durant 2 secondes le scénario de l’arrêt sur blessure se dessine, je continue à avancer. La douleur commence à diminuer, je boite un peu moins. Le risque d’abandon s’éloigne en même temps que la nuit s’approche. La douleur reste présente mais gérable, de toutes façons on ne courra pas avant un bon moment : l’inclinaison s’inverse de nouveau et nous grimpons sur un sentier très agréable qui va nous mener à plus de 2 500 m, au col de la vache. La lumière tombe très rapidement, le coucher de soleil est magnifique dans ce paysage, on a une chance incroyable d’être là ! On s’arrête pour mettre les frontales, nous allons attaquer notre première nuit à l’assaut du col.
Les contours de la montagne s’estompent au fur et à mesure que la nuit s’installe. Mais on garde visuellement le profil de la montée : les frontales dessinent le chemin à suivre. Il y a encore quelques années c’est un moment qui m’aurait effrayé, mais l’expérience m’a appris que la nuit amplifiait les difficultés. Il ne faut pas anticiper la difficulté, il faut mettre un pied devant l’autre… et monter. Les pas sont irréguliers et s’adaptent au terrain, l’enchaînement de plusieurs blocs, le petit scintillement de la prochaine balise que l’on cherche du regard, une sente en S. Je sais que l’environnement est très minéral, mais on ne peut que le deviner. On distingue les ombres des gros blocs qui nous entourent, pas un seul bruit dans cet environnement désert, pas de bruits d’animaux, d’oiseaux, pas de chuchotement rassurant d’un torrent, pas un souffle d’air. Ce passage n’est pas brutal, il est brut : rien de plus que ces énormes blocs et le bruit de nos efforts.
On débouche d’un coup en haut du sommet, deux bénévoles nous accueillent gaiement « Ca y est ! le col est derrière… y a plus qu’à descendre !! »… C’est vrai… jusqu’au prochain ! On prend le temps de souffler 2 minutes, quel dommage de passer de nuit, la vue est tellement magnifique ! Sur un kilomètre la descente est difficile, mais j’arrive à suivre le rythme de Sylvain. J’attends avec impatience le répit que va offrir le replat des lacs du Cos et des 7 Laux . J’ai peu de souvenir de ce passage à plat, si ce n’est qu’il est très long. On a récupéré un concurrent qui n’a pas envie de se retrouver tout seul, on chemine donc à 3. Le sentier s’élargit et nous sommes maintenant à plat, nous trottinons dès que possible. La fatigue commence à se faire sentir, il faut rester attentif aux appuis. Sylvain me confie son appréhension du prochain passage : la redescente en direction du Pleynet est effectivement dangereuse : sur plus de 2 km ce sont des dalles rendues humides par les nombreux ruisseaux qui nous attendent.
Il faut maintenant redoubler d’attention. Je prends la tête d’un groupe de 5 coureurs. L’avancée n’est pas homogène, je me sens plutôt bien sur ce terrain, mais je vois que Sylvain galère énormément. Lui qui est d’habitude très à l’aise en descente est très crispé. Il a mal aux jambes et les enchaînements de grosses pierres et racines sur un terrain boueux n’arrangent rien. On descend à petit rythme en faisant très attention à ne pas tomber. Le terrain s’améliore au fur et à mesure, mais je sens que Sylvain a du mal à repartir, je me sens bien de mon côté, j’ai besoin d’avancer. C’est le problème du duo sur ce genre de format : les moments de moins bien ne se produisent pas au même moment. Je lui demande si je peux avancer et que l’on se retrouve à la base de vie du Pleynet qui est à moins d’une heure. Je connais très bien le terrain : dès que l’on aura passé le chalet du Gleyzin, le terrain sera un joli sentier de rando bucolique au milieu de la forêt, donc sans risque, même seul. Sylvain me donne son accord et je pars devant en cherchant à rattraper le groupe des 3 coureurs de devant.
Je rentre dans leur rythme et nous cheminons à bon rythme. Au chalet du Pra, je reconnais une voix familière : Yannis est là en tant que bénévole (très bien accompagné de deux jeunes femmes bénévoles !). Le voir ici me fait un bien fou, dans ces cas là toute présence connue est rassurante. Je lui confie que Sylvain est quelques minutes derrière, qu’il n’hésite pas à l’encourager car il a un gros coup de mou. Je repars rapidement.
Le chemin est maintenant très simple, un sentier de rando très agréable et vallonné. Mais c’est aussi un moment redoutable : on entend la base de vie, comme si elle se trouvait au prochain virage… mais plus on avance, plus on a l’impression qu’elle s’éloigne ! Le chemin serpente et entre dans des vallons… pourquoi on part à gauche alors que j’entends la base de vie à droite ??... A ça y est je la vois, c’est juste là… oh non le chemin part encore de l’autre côté !! Je commence à en avoir marre. A l’occasion d’une pause technique, je vois revenir avec bonheur Sylvain qui semble aller mieux, son super sourire est en tous cas de retour « alors comme ça on voulait planter l’accélération qui tue ?! ». Je suis ravis que l’on reprenne notre cheminement ensemble. Le sujet de notre conversation n’a rien de très philosophique à ce moment là : « Pourquoi cette p…. de foutue base de vie s’éloigne au fur et à mesure que l’on avance ??!! ». Je finis par reconnaitre le chemin forestier très large qui amène à la station du Pleynet… j’encourage Sylvain autant que possible, descente, virage à gauche (tiens du goudron !!), l’arche de mi-course est devant nous. La lumière, le bruit… nous voilà replongé dans la civilisation ! Ces phases sont très marquantes en course d’ultra : après plusieurs heures seul, en complète autonomie, dans le silence et la nuit, les arrivées aux ravitos sont toujours très perturbantes : il faut de nouveau réfléchir à ce qu’il y a à faire, dans quel ordre… encore une fois j’ai une chance exceptionnelle : ma famille est là pour me guider!
BASE DE VIE DU PLEYNET – Samedi 00h43 – km 65 – D+ 5 140m – Temps en course 18h43
J’ai beaucoup de plaisir à croiser Jean François, un copain du Lyon Ultra Run. Il est venu nous encourager avec Christophe. Il nous retrouvera du côté du Moretan, il va accompagner Biscotte de Gleyzin à Périoule. Beaucoup de choses à faire ici : d’abord changer le tshirt pour ne pas prendre froid pendant cette longue (trop longue !) pause. Ensuite aller faire un vrai repas : la soupe de légumes, l’assiette de pâtes et la compote sont un vrai délice. Les bénévoles sont exceptionnels de gentillesse, toujours prêt à aider et faire en sorte que notre course se passe au mieux. Mille merci à eux ! Je rejoins ensuite la voiture pour faire un somme. Je suis pourtant bien installé, mais rien n’y fait, impossible de dormir : les bruits des autres voitures, le stress de ne pas me réveiller, j’ai super chaud, l’adrénaline qui n’arrange rien, c’est pas grave, je me repose quand même. Caroline vient me chercher 30 minutes plus tard comme convenu, elle me masse les jambes. Je remonte à la base de vie. Ingrid me dit que Sylvain vient à l’instant de s’installer pour dormir dans sa voiture. De mon côté, je suis prêt à repartir. Je lui demande de passer le message à Sylvain que l’on se retrouve à la prochaine étape. Je remercie ma super team et repars dans la nuit. Je suis resté presque 1h30 à ce ravito, je ne m’en suis même pas rendu compte. C’est beaucoup, il y a moyen de bien mieux optimiser ce genre d’arrêts… c’est un point à travailler.
Je connais très bien cette portion, c’est maintenant la trace du 85 km que nous empruntons. Je l’ai faite 2 fois, je connais les difficultés, elles sont maitrisables. J’ai 2h15 d’avance sur la barrière, je commence à me relâcher un peu. Je profite de cette longue descente qui nous amène à moins de 1 000 m d’altitude. Un chemin forestier sans grand intérêt mais qui a l’avantage de faire avancer le kilométrage. Je cours à bon rythme, la pause a été très bénéfique et je profite de jambes étonnamment très fraîches à ce stade de la course. Je double de nombreux concurrents, chaque frontale est un objectif et à chaque fois je remonte et dépasse le concurrent. La traversée du hameau de Fond de France me renvoie plein de souvenirs es éditions précédentes. Je sais aussi que c’est le point bas et qu’il va falloir maintenant remonter plus de 1 000 m positif. J’attaque la montée avec entrain, le chemin de 4X4 boueux laisse bientôt la place à un joli single dans la forêt. Je double encore un groupe de 5 concurrents, pas un mot échangé, tout le monde est très fatigué en ce milieu de nuit. J’ai une pensée pour les concurrents du 85km qui vont partir dans 2 heures environ. La plupart doivent commencer à se réveiller, le stress doit monter de leur côté. Je suis curieux de savoir à quel moment les 1ers vont me doubler. Certainement à la montée du Moretan.
Ma vision commence à me jouer des tours, je vois des flash en pleine nuit, je souris intérieurement sur ce phénomène d’hallucinations que je ne découvre plus. Les flash sont de plus en plus nombreux… et bientôt accompagnés de grondements sourds : ce ne sont pas des hallucinations, c’est un orage en préparation ! C’était pas prévu au programme ?! C’est quoi ce b…. !? La forêt passe d’amicale à hostile. A l’occasion des éclairs, les ombres alentours des arbres deviennent effrayantes, les bruits des animaux me surprennent… un bruit énorme juste devant moi : une chouette s’envole à mon passage ! J’ai failli mourir de peur ! Les éclairs s’intensifient, les grondements du tonnerre se rapprochent. Je finis par rejoindre un concurrent, lui je vais pas le lâcher ! Il doit avoir besoin de ma présence aussi, puisque, comme s’il avait lu dans mes pensées, il me propose qu’on fasse un bout de route ensemble. J’accepte avec joie et on continue notre ascension.
L’orage est maintenant juste au dessus de nous, la pluie tombe fort, nous avons mis notre veste pour nous protéger du froid à venir. La foudre tombe pas loin à 2 reprises, les conditions ne sont vraiment pas simples. J’anticipe déjà la montée du col Moretan. Il s’agit d’un passage très technique qui peut vite devenir très problématique avec la pluie ! Pour se rassurer on discute avec mon camarade du moment. Je lui dis que je me prénomme Franck. Il me répond : « Tiens c’est marrant, j’ai discuté avec un gars en début de course qui m’a dit que si je voulais arriver à Aiguebelle, il ne fallait pas dépasser Franck ! »… J’explose de rire ! Je lui explique que je connais bien un des 3 loustics qui a pu lui dire une telle bêtise, la situation est un peu irréelle : je me retrouve avec un gars que je ne connaissais pas quelques minutes avant et qui est en train de m’expliquer que quoi qu’il arrive sur la course, il restera derrière moi parce qu’il a bien l’intention d’arriver à Aiguebelle !!
Ces échanges ont aussi l’avantage de tuer le temps et on arrive au 1er chalet de la grande Valloire. Les pointeurs ont organisé un ravito improvisé avec du thé et du café chaud. J’en prends un avec plaisir et essaie de me tenir à l’abri des trombes d’eau. De nouveau j’ai froid, mon compagnon du moment me lance lorsque je repars « je t’ai bien repéré, je t’assure que je resterai derrière toi ! » Je quitte l’attroupement sous les regards perplexes des autres concurrents et attaque la 2ème partie de la montée. La pluie se calme, l’orage semble s’éloigner. Je suis sorti de la forêt et chemine sur un sentier balisé par des buis et des rochers. L’endroit est superbe le jour, mais de nuit, la portion est bien longue. Le 2èm chalet est en approche, les bénévoles ont fait un feu pour se réchauffer, ils relèvent mon dossard, je les salue mais ne m’arrête pas, j’ai hâte de redescendre pour rejoindre le ravito de Gleyzin où je sais que Caro m’attendra.
Autant j’avais adoré cette descente les 2 précédentes éditions, autant là je n’en vois pas le bout ! Que c’est long ! Je descends pourtant à bon rythme, je me force à courir alors que les jambes commencent à franchement accuser la fatigue. La pluie s’est arrêtée, le jour commence à poindre, mais on le distingue mal dans cette forêt dense. Le chemin n’a aucune difficulté particulière, si ce n’est que ça descend sans arrêt et que les cuisses sont en feu. Je me fais doubler par 3 concurrents dont 1 pacer. Effectivement, depuis la base de vie du Pleynet on a la possibilité de se faire accompagner par un pacer qui peut nous aider pour cette 2ème partie. Une grosse partie qui représente encore 85 km et 7 000 mD+. J’ai une pensée pour Sylvain, j’espère que le passage sous l’orage s’est bien passé pour lui. J’ai des regrets à ne pas l’avoir attendu. Enfin la descente s’adoucit et je sais que l’étable qui sert de ravito n’est plus très loin.
GLEYSIN – Samedi 6h32 – km 79 – D+ 6 260 m – Temps en course 24h30
J’y arrive et je retrouve Caro qui prend en charge le rechargement des bidons. Elle me dit que Christophe dort dans une tente à côté. Elle me propose à manger, mais je n’ai pas faim du tout. J’accuse le coup de cette trop longue descente qui m’a beaucoup entamé. Je sais qu’il faudrait pourtant que je mange, la prochaine étape va être très difficile et je vais avoir besoin de beaucoup d’énergie. Caro me propose d’essayer de dormir, mais je sais que je n’y arriverai pas. Je suis assis sur un banc à l’intérieur du ravito, l’ambiance est glauque. L’abandon ici est facile : il y a une route, donc une navette. Je n’y pense pas un seul instant, mais je vois bien, sur la table du pointeur, que les dossards rendus s’entassent, beaucoup lâchent ici. On est à mi-course, il y a encore une journée et une nuit complète à gérer.
Je ressors du ravito, on croise Ingrid. « Sylvain abandonne… ». Ce qu’Ingrid vient de dire me bouleverse d’un coup, à aucun moment je n’avais imaginé que ce serait possible. D’un coup je culpabilise… j’aurais dû l’attendre à la base de vie, j’ai été très égoïste de repartir sans lui. Je réponds à Ingrid qu’il n’en est pas question. Je l’appelle immédiatement. « J’ai super mal aux jambes Franck… je n’arrive plus à descendre, ce n’est pas envisageable de continuer. Surtout la montée du Moretan, impossible même d’y penser ». « Ne prend pas ta décision maintenant, rejoins le ravito du Gleysin, mange, dors et prend la décision APRES la pause. ». Je raccroche, je ne suis pas serein… merde ! Pourquoi les choses tournent mal, j’ai vraiment pas assuré. Si j’étais resté avec lui, j’aurais pu l’encourager, chasser ses idées noires. On serait ici tous les 2 et on repartirait à l’assaut du Moretan ensemble. Je demande à Ingrid de lui dire que je l’attends à Périoule et qu’on va continuer ensemble. Qu’il faut absolument qu’elle le fasse repartir, il n’est pas blessé, il peut continuer.
Voilà 24 h que je suis en course, je repars de mon côté. Le jour est maintenant bien levé mais le ciel est gris. Je suis agacé par mon comportement, je n’aurai pas dû le laisser, s’il revient je ne le lâcherai plus. J’attaque avec rage cet énorme morceau qu’est le Moretan. Il va se découper en 2 parties : 800m de D+ en alpage jusqu’au refuge de l’Oule, puis encore 700 m de D+ dans la caillasse pour arriver en haut du col. Soit 1 500m de D+ sur 6 km. Je sais, une fois encore qu’il faut être patient. La montée jusqu’au chalet est plaisante. D’abord en forêt, puis en alpage, le sentier en S m’amène à destination en 1h40 environ. Les patous, d’habitude en liberté à cet endroit sont bien sagement dans leur enclos. Je préfère les voir là. Je fais une pause de quelques minutes pour manger un peu et en profite pour discuter avec le pointeur et la bergère, gardienne du refuge. Elle admire l’exploit de la course, je lui confie que j’envie souvent ses conditions de travail… encore un échange atypique…
Je repars avec un père et son fils. Le père semble être le pacer. Leur rythme est très lent à la montée, ils ne disent pas un mot. Je devine l’immense lassitude de ce jeune coureur. Je les dépasse finalement et lève le nez pour essayer de retrouver le passage du col. Il est peu marqué depuis le bas. Au fur et à mesure de la montée, le ciel gronde de nouveau… puis quelques gouttes qui se transforment en véritable averse, je peste à haute voix « Mais merde !! c’est pas possible ! le seul endroit de la course où il ne faudrait pas qu’il pleuve !! C’est pas possible !! ». Je croise un groupe de randonneurs qui descend, ils me regardent bizarrement et compatissent à mon excès de colère. « Allez courage… ». Ces mots ne sont jamais futiles, je les prends en tous cas, chaque fois, pour ce qu’ils sont : des encouragements qui viennent du fond du cœur. Chaque fois l’effet est le même, ils me redonnent du courage ! L’averse est assez courte mais elle a suffit à bien détremper les rochers qui sont devenus très glissant, la vitesse d’ascension baisse encore.
Enfin nous bifurquons en direction du col. Je devine les silhouettes des bénévoles. La phase finale du col est très dure techniquement, forte inclinaison, graviers fuyants, humidité… toutes les conditions sont au top ! J’ai hâte d’arriver ! Je me retourne de temps en temps pour surveiller la tête de la course du 85 km, ou tenter de voir Christophe ou Sylvain, mais je ne vois rien de particulier. La fin de l’ascension se fait avec les mains et je vois apparaître… le sympathique visage de Jean Louis. Le patron des Coursières de Hauts du Lyonnais est fidèle à son poste de bénévole ici, au Moretan, comme chaque année. J’ai beaucoup de plaisir à échanger quelques mots avec lui… un visage connu, souriant, chasse d’un coup les pensées négatives. Il y a très peu de place à cet endroit, je bascule rapidement de l’autre côté pour entamer la longue descente qui va nous amener au plateau de Périoule.
Les années précédentes cette descente se fait sur un superbe névé de neige, mais cette année la fonte a été bien plus importante et la descente sera beaucoup moins ludique : il faut enchainer les sauts de blocs en blocs. Mon état de fatigue est tout de même bien inférieur à celui d’autres et je maintiens un rythme de descente important. Je dépasse quelques concurrents vraiment en galère. Et la galère n’en est qu’à son début, la vraie difficulté arrive : une moraine pentue, composée de graviers fuyants nous attend. Elle a été cordée pour des raisons de sécurité par l’orga… et j’en profite bien de cette corde, elle est une véritable aide, je mets mes bâtons dans une main, j’attrape la corde de l’autre, me positionne le buste bien en avant et je descends à bon rythme…. Enfin c’est ce que je pensais jusqu’à ce que je sente un mouvement dans la corde : le 1er du 85 est juste derrière moi. Je m’arrête immédiatement à la recherche d’un replat pour le laisser passer. Pas besoin : le jeune homme fond sur moi, lâche la corde en arrivant à ma hauteur, me gratifie d’un « Salut ! bon courage !! », reprend la corde en aval et continue de dévaler à toute vitesse cette descente vertigineuse.… Le nuage de poussière se repose et je continue la descente.
La pente est maintenant moins inclinée, j’arrive au bout de la corde et continue la descente vers le lac Moretan. Les nuages se sont dissipés et le soleil baigne le paysage d’une douce lumière.
Cet endroit est le plus beau de la course : on est encore dans des blocs énormes, mais en contre-bas le joli site de Périoule, recouverte d’une douce herbe, à gauche le lac Moretan avec ses reflets bleus cristallins. Ce paysage est une vraie dose d’énergie… je prends toutes ces ondes positives, ces belles images, je fais le plein de bonnes choses ! Dommage que je ne puisse pas partager ce moment.
Les 1ers du 85 km continuent à me dépasser allègrement, ils sont facilement repérables lorsque je me retourne : ils ont encore une vraie foulée. Mais ils sont aussi repérables lorsqu’ils me doublent : ils sentent bon !! La chaleur fait doucement son retour, je ne sais pas encore qu’elle va devenir un vrai problème dans quelques heures…
Je profite de ce doux moment. Je trottine maintenant sur un petit sentier à plat, bordé d’herbe. Devant moi se déroule le plateau de Périoule. Ce plateau est composé d’une multitude de petites sentes. Il faut bien les choisir : certaines sont gorgées des eaux des sommets qui entourent ce plateau. Il me revient le souvenir d’une reco faite avec Caro il y a 2 ans durant laquelle elle s’était foulée la cheville à cet endroit. Le passage est propice à se relâcher, mais il faut rester concentré : je ne veux pas devoir abandonner ici pour une faute d’inattention. Christophe, pacé par Jean François, me dépassent en m’encourageant. Le ravito de Périoule se profile à l’horizon, 2 barnums surgis de nulle part dans ce désert de verdure.
PERIOULE – Samedi 11h19 – km 90 – D+ 7 585 m – Temps en course 29h19
Ici je vais prendre mon temps : Sylvain m’a envoyé un SMS pendant la descente : « Je repars de Gleysin ». Je suis aux anges, le duo va se reformer ! Je vais donc attendre Sylvain ici, pas question de repartir sans lui ! Je prends mon temps, je bois, je mange, l’appétit est revenu. C’est une bonne nouvelle, la prochaine portion va être très longue, très usante. Jean François et Christophe sont installés à l’ombre à l’arrière de la tente, je les y rejoins et on passe un super moment d’échanges. Je mange plusieurs soupes… Je suis tellement bien, que je suis à 2 doigts de m’endormir. Sylvain arrive, il a retrouvé son sourire « Ah bah quand même !... j’ai failli t’attendre ! » « Ben écoute je viens de découvrir le concept de récupération des jambes en montée… une tuerie ! ». Il prend le temps de se ravitailler, de se reposer. Je propose un départ pas trop tard, il faut que l’on reste zen sur la barrière. Christophe part quelques minutes avant nous. Et nous voilà reparti sur ce plateau, sous un soleil de plomb.
Dès qu’on peut on trempe la casquette dans l’eau, la chaleur commence vraiment à attaquer, il n’y a pas un brin d’air. Nous trottinons doucement sur les sentes plates… le plateau touche bientôt à sa fin, nous arrivons au barrage et entamons la longue descente de 700m négatif. D’abord entre les pierres, puis bien vite sous les arbres où de traitres racines voudraient bien nous crocheter les pattes. Nous sommes super contents de nous être retrouvé. On papote comme des filles sur nos dernières heures seuls. Sylvain est arrivé terrassé en bas des Gleysins, mais sa femme et la mienne l’ont pris en charge et ne lui ont pas laissé d’autres choix que de continuer, il s’est donc lancé courageusement à l’assaut du Moretan. La montée a été salvatrice et lui a permis de retrouver ses jambes, il est maintenant au top et envoi du lourd ! J’ai du mal à le suivre ! Heureusement Ingrid, sa femme a fait une super rando et est venu à notre rencontre, nous sommes très surpris et très heureux de croiser ce visage familier et souriant. Nous faisons un bout de chemin avec elle. Elle ne cesse de nous répéter qu’elle ne veut pas nous retarder et qu’il faut que l’on avance. On apprécie tous les 2 sa distrayante compagnie, elle est super pêchue et ça fait du bien !
On finit par la laisser continuer sa rando seule et nous continuons à dévaler rapidement en sous bois cette longue descente, enfin le large chemin forestier se dessine. Nous continuons à trottiner, j’appréhende beaucoup la prochaine montée : la Pierre du Carré, pas loin de 500 m de D+ sur 2 km (soit 25% de moyenne !!), sur un chemin dégueulasse… en plein cagnard !!! Effectivement je ne suis pas déçu : je suis complètement scotché dans cette ascension ! Plus de jus, je me mets dans les pas de Sylvain et j’essaie tant bien que mal de suivre son rythme. Il a repris la grosse patate, mais pas moi, je suis dans le dur, dans le très dur même. Je m’arrête tous les 200m pour boire. Le soleil, qui me réchauffait si délicieusement ce matin en haut du Moretan, devient mon pire ennemi. Je cherche la moindre zone d’ombre, quitte à zig-zaguer sur le chemin. Ce qui me rassure c’est que les concurrents du 85 ne sont pas mieux pour certains. Heureusement que Sylvain est avec moi, je n’ai plus de force, je suis vidé, donc je le suis. Il m’attend patiemment, m’encourage.
Enfin la pente devient plus douce, quelques zones d’ombres reposantes nous accueillent, un ruisseau nous permet de tremper la casquette, j’arrive à marcher un peu plus vite. Plus personne ne coure de toutes façons. Le refuge de la Pierre du Carré est à l’horizon. Je ne suis plus très lucide : je ne vois pas Alexandre, mon fils ainé, qui est venu nous chercher en sens inverse. Là aussi, ça fait un bien énorme au moral. Nous relançons à la course en descente, repassons à la marche au moindre faux plat. Il est long ce single en balcon pour arriver sur la station de Super Collet. Je demande tous les 500 mètres à Alexandre combien de km il reste… Qu’ils sont longs ces 3 km !! Enfin je reconnais le sentier sur lequel nous étions venus randonner quelques jours avant, la descente qui mène à la station. Beaucoup de personnes sont là pour nous encourager.
SUPER COLLET – Samedi 15h07 – km 98 – D+ 8 317 – Temps en course 33h07
Le ravito est super, la famille est là, mais pas que. Beaucoup de copains sont aussi rassemblés : Christophe, le duo Manu et Ju,… Caro a eu l’excellente idée d’acheter une pizza et c’est carrément génial ! Enfin on mange autre chose… je suis saturé de tout ce qui se trouve sur les ravitos ! J’avais eu cette subite envie l’année dernière sur l’UTMB. En repartant de Champex, j’avais eu une envie folle de pizza… mais pas assez sur moi pour en acheter… je me suis juré que je le referai. Caro a super bien visé. Je partage la pizza magique avec les copains, pas un ne se fait prier !
Je vais ensuite trouver un endroit à l’ombre et un peu au calme derrière le ravito et je tente une fois encore de dormir… et une fois encore en vain : l’hélicoptère des secours fait des allers retours incessant et se pose dans le pré juste derrière. Je profite donc de mes 2 garçons. Thomas va régulièrement me chercher à manger et à boire. Je fais le plein de toutes les énergies : nutritionnelles et émotionnelles ! Nous restons 1 heure et ¼ à ce ravito. Je retourne chercher Sylvain, lui aussi chouchouté par ses proches. Il va falloir y retourner : Il est 16h30, heure limite que je n’étais fixé pour repartir d’ici. Je pensais que j’aurais eu plus d’avance à cette étape de la course, mais les circonstances en ont joué autrement. Rien de grave, je suis toujours en course, dans les temps… mais j’aurais tellement préféré passer les Férices avec un peu de lumières !
Nous attaquons vaillamment les 400m de D+ qui vont nous mener en haut de la station, au col de Claran. On papote toujours autant, et vient se joindre à notre conversation un coureur du 85km. Il semble bien entamé et nous demande si il peut partager un bout de route avec nous… nous finirons la course ensemble ! Je suis bien désolé, mais à l’écriture de ce récit je n’arrive pas à retrouver son prénom, mais je me rappelle plein de choses de lui : il est éleveur dans le Nord Est de la France. Il vit seul et s’est mis au trail avec un groupe d’amis il y a peu de temps. Il sont 4 ou 5 copains à s’être inscrits sur cette course. Quelques uns ont déjà abandonné. Lui a très mal au genou et n’est pas sur de pouvoir finir. Nous allons lui promettons qu’il finira. Il faut de la patience, mais il finira. Il est très attachant et parle beaucoup. Je trouve ça très sympa et me laisse bercer par ses histoires. Nous descendons en direction de la passerelle de Claran, le soleil est caché derrière la montagne, la fraîcheur du torrent au loin commence à se faire sentir. Je me sens de mieux en mieux dans cette descente, nous pondérons notre rythme pour que notre nouveau camarade puisse rester avec nous.
Passage bref à la passerelle, pointage et on remonte en direction des Férices. C’est un très gros morceau que nous attaquons : 800 m positifs, je sais que je ne verrai pas le sommet, au col d’Arpingon, sous la lumière du jour. Le début de la montée se fait à bon pas, j’ai pris la tête et donne un rythme régulier. Nous doublons quelques dossards du 145 mais plus tellement. Nous doublons par contre de nombreux coureurs du 85. La plupart certainement surpris par la technicité de la course. Le paysage est extraordinaire sous la lumière de fin de journée : la crête des Férices en haut à notre gauche, verte et vallonnée. La montagne minérale, dure et vertigineuse à droite. Le sentier est en S, très escarpé. Il faut souvent monter très haut la jambe pour passer les nombreux obstacles.
Le refuge des Férices est en vue mais me parait encore plus long à atteindre que les années précédentes. Comme d’habitude une super équipe de bénévoles est installé à cet endroit. On rigole quelques minutes avec eux et on repart, j’ai encore le secret espoir de passer le passage très délicat du sous col de la Frèche de jour. Le long passage que nous empruntons maintenant est superbe : nous montons le long d’un sentier en balcon en direction des crêtes des Férices, à notre gauche c’est un vallon superbe qui s’offre à nos yeux. Le soleil est en train de se coucher dessus. Le temps est suspendu, plus personne ne parle, chacun apprécie ce moment unique en silence. Nous doublons des coureurs par grappe. Il semble que, à la faveur de la nuit qui arrive, personne ne veuille rester seul. C’est aussi un endroit très particulier puisque nous enchaînons les cols et sous cols avec cette désagréable sensation de ne jamais voir arriver le sommet. J’ai une pensée pour les bénévoles qui sont au col de l’Arpingon : nous les avons croisé la semaine précédente en montant à la Croix de Belledonne et nous sommes promis de nous saluer !
Le col est en vue, nous allons nous y poser pour nous équiper et attaquer notre 2ème nuit : pause cacahuètes (c’est important de manger équilibré quand on fait du sport !) et on s’équipe de la frontale. C’est aussi le moment l’endroit qui a vu, il y a 3 ans mon 1er abandon en course : c’est à la redescente de ce col que j’étais tombé et m’étais fait une belle frayeur. Je ne suis toujours pas rassuré, Sylvain le sent et passe devant pour ouvrir le chemin. L’endroit est escarpé mais passe correctement « normal tu es bien accompagné cette fois ci » me confirme Sylvain. Et il a raison sa présence, à ce moment-là, est rassurante pour moi. S’en suivent 4 km, interminable, à plat, pour arriver jusqu’au prochain ravito. Je connais maintenant le tracé par cœur. Il n’y a plus de passages très techniques. C’est ce que je confie à notre camarade de jeu pour le rassurer sur sa capacité à finir. Nous avons monté plus que l’équivalent de l’Everest et ce n’est pas terminé…On relance à la course, là encore, sur le plat pour avancer le plus possible et vite rejoindre la douce chaleur du ravito.
VAL PELOUSE – Samedi 22h46 - KM 114 – D+ 9 847m – Temps en course 40h46
Encore une fois, saisissant contraste entre la nuit et le silence duquel nous venons et l’arrivée dans le bruit et la lumière vice du ravito. Ici je me sens super bien. Caro me dit que Christophe est là depuis plus d’une heure et attend notre arrivée pour repartir avec nous. C’est une super nouvelle qui renforce encore mon sentiment de bien-être ! Cette fois c’est sûr, on finira bel et bien… et ensemble !! Je n’ai par contre pas faim du tout. Je change de Tshirt et vais me reposer quelques minutes au calme dans la voiture. Impossible de fermer l’œil, je suis encore et toujours dans les projections de temps, de notre arrivée qui commence à se profiler. Cette nuit qui commence ne me fait pas peur, j’ai hâte de l’entamer ! Les garçons viennent me chercher, je refais le plein des bidons, Caroline ouvre un gâteau breton que je partage avec Sylvain, c’est le seul aliment qui passera. J’essaie de rassembler les troupes, mais nous sommes maintenant 4 et il faut un peu de temps !
Nous voilà enfin repartis, je prends la tête du convoi et m’attaque au 300 premiers mètres de cette étape. J’ai une grosse forme, mais il me faut ralentir : Christophe a du mal à suivre. Ca ne me dérange pas, je fais des pauses régulières et profite de l’environnement, j’écoute les bruits de la nuit, je regarde le balais des frontales au loin, arrivé en haut du col de la Perrière, nous avons une vue magnifique sur une bonne partie de la course : à droite là d’où nous venons : le col d’Arpingon et à gauche là où nous allons : le col de la Perche. De part et d’autre les frontales dessinent le relief de la montagne. Ici se succèdent les cols, les lacs que nous devinons. Nous nous faisons encore une fois la remarque, au passage du sommet du Grand chat qu’il faudra absolument revenir ici de jour, la vue à 360 doit être spectaculaire, à ce moment là nous ne pouvons que la deviner : le Mont Blanc à droite, la Chartreuse à gauche… Cette partie est longue. Le rythme du groupe ne permet plus de courir et les km sont longs à enchaîner. J’ai hâte de retrouver la grande descente dans la forêt sur le large chemin forestier, pour le moment nous sommes en effet sur un single souvent boueux (c’est le problème d’être à plat dans une région pleine de lacs !!).
Nous finissons par descendre, celle-ci est rude pour les organismes. Christophe et notre 4ème camarade ont de plus en plus de mal… Nous débouchons enfin sur le chemin. Là encore un visage familier et souriant : Anthony, copain du LUR, est positionné en tant que bénévole. Nous passons quelques minutes en sa compagnie et à côté de l’immense feu qu’ils alimentent depuis plusieurs heures. C’est dur de repartir, les muscles se raidissent vite… Nous reprenons le chemin, à la faveur de cette longue descente nous courons, à bon rythme. Nous perdons notre camarade de route, nous nous retrouvons à 3. La descente n’en finit pas… le large sentier, puis une coupe dans le bois… encore le chemin… un passage très boueux. Tiens le terrain semble s’aplanir. Je sais maintenant que la longue ligne est un enfer : 3km de plat qui n’en finissent pas sur un chemin sans saveur, humide, froid. Des panneaux humoristiques positionnés par l’orga nous occupent « t’es pas venu là pour acheter du terrain, avance ! ». Alors on avance… Enfin, on pense repérer des lumières au loin… oui c’est bien ça…
LE PONTET – Dimanche 5h18 – KM 132 – D+ 10 650m – Temps en course 47h18.
Ingrid, Caro Thomas et Alexandre sont là pour nous accueillir. Quelle fête d’être là ! Toute la fatigue s’estompe. Voilà 48h que nous sommes en course, certains copains sont déjà arrivés. Il ne nous reste plus grand-chose. L’ambiance à ce ravito est super : ceux qui sont là savent qu’ils vont finir ! L’appétit revient doucement, j’ai beaucoup de plaisir à prendre un petit déjeuner : confiture et café sont avalés très facilement ! Ca fait un bien fou ! C’est aussi à partir de là qu’Alexandre va nous pacer. Le pauvre… s’il savait qu’il allait plus souvent marcher que courir ! Je le lui rappelle : « tu es bien sûr ?! on va vraiment pas aller vite ! » « Ouais, ouais je suis sur !! ». Le 4ème de la bande arrive à son tour au ravito. Alors on y va !
Sauf que ça n’avance plus du tout du côté de Christophe, qui est vraiment dans le dur. Il y a encore 500 mètres positifs en sous-bois à faire et nous le faisons à tout petit rythme. Mais le jour est aussi en train de se lever, j’ai hâte de pouvoir enfin enlever ma frontale, pour la dernière fois… de pouvoir profiter encore des paysages qui nous entourent. La montée est un véritable calvaire pour Christophe qui dort debout, il a beaucoup de difficulté à mettre un pied devant l’autre. Il a beau manger, boire, rien n’y fait, son esprit s’est éteint, je prends une photo (que je garderai pour moi !!) de lui en train de marcher en dormant !
De mon côté c’est hallucinations à fond : tous les troncs d’arbres sur le côté du sentier sont des créatures imaginaires, certaines surprenantes, d’autres amusantes, toutes éphémères, rassurantes. Je m’en amuse, je les partage avec les autres… mon fils me regarde bizarrement… je peux comprendre… Je confie à Sylvain qu’il serait amusant que l’on entende de nouveau la musique que l’on avait eu il y a 2 ans : de la musique électro, perdue au milieu de la forêt de Montgilbert !On avait pris ça pour l’animation de l’arrivée, on en était pourtant encore loin !...
Et c’est bien ce qui se passe, juste après avoir passé le fort ! On commence à percevoir un battement sourd, régulier. On marche à plat depuis un bon moment, on passe le dernier pointage, saluons les bénévoles, les remercions pour leur présence. On ne doit plus avoir l’air très frais : ils nous demandent si tout va bien… et comment !!... dans moins d’une heure on est arrivé. La musique Electro sourde et lancinante se rapproche… le chemin se met à descendre, je relance en courant, les 3 autres suivent, nous débouchons d’un coup sur une clairière… une nouvelle rencontre irréelle : 6 ou 7 « teuffeurs » bouteilles d’alcool à la main, sont debout devant un mur d’enceintes et dansent aux sons durs et prenants de la musique électronique. Nous les saluons au passage, ils nous rendent le salue mais prennent peu d’attention à notre présence… ils sont dans un autre délire… qui sont les plus dingues ??...
Nous finissons par arriver sur une route goudronnée, je sais que c’est la dernière ligne droite, il n’y a plus qu’à descendre maintenant, j’ai hâte d’arriver. Plus moyen de faire courir les copains, alors nous marchons à bon rythme. « Il reste 4km… à notre rythme on est arrivé dans 45 min ». J’annonce la couleur pour finir d’encourager tout le monde. On se fait doubler à de nombreuses reprises. Alexandre se retourne chaque fois qu’il entend quelqu’un revenir sur nous. « C’est bon c’est un 85 » ou bien « ah zut c’est un 145, on perd une place ! » . Je trouve très touchante sa volonté de nous forcer à ne pas perdre de place. Mais après une telle aventure ce ne sont pas 5 ou 10 places, ni même une ou 2 heures qui feront la différence. Un dossard 145 nous double en courant, il s’agit d’Antoine, qui formait le trio avec Rémi et Fred. Je suis étonné qu’il soit seul, j’espère que les 2 compères sont encore en course. Il nous salue vaguement, accablé lui aussi par la fatigue et continue son rythme effréné vers l’arrivée.
Plus je descends et plus le bonheur m’envahit, petit à petit. Je suis en train de boucler une des courses les plus dures de France. Je suis fatigué, certes, mais en parfait état. Je savais que je rallierai l’arrivée. J’en étais convaincu au départ ! Je suis tellement heureux, une belle revanche sur mon abandon d’il y a 3 ans. Je me retourne, je suis aussi heureux d’avoir partagé cette course avec Sylvain. C’est un gars bien, toujours le sourire. Quand ça ne va pas il ne se plaint pas, il ne dit plus rien mais il avance. On s’est beaucoup aidé durant ces 50 h. J’espère que je lui ai rendu ce qu’il m’a apporté. C’est aussi un grand bonheur de finir avec Christophe. Il nous a attendu à Val Pelouse, mais je crois qu’il est content d’avoir passé cette 2ème nuit avec nous. Christophe aussi c’est un gars bien, simple, modeste. Pas de mots en excédents, juste des actes qui montrent une amitié. Et puis notre camarade de la fin de course, je suis content qu’on l’ait amené à bon port, depuis quelques minutes il insiste pour que l’on finisse tous les 3, il veut rester en retrait derrière, pour que l’on profite d’un finish à 3 copains.
La route goudronnée est longue jusqu’à l’entrée de la ville d’Aiguebelle… mais on finit par voir arriver le panneau d’entrée d’agglomération, bordé de rouge. Moins d’un km maintenant, on enjambe l’autoroute par un pont. Un coup de klaxon nous encourage, certainement un coureur ou des supporters. D’autres voitures passent sans bruit, un dimanche matin comme les autres pour eux… pas pour moi…
On longe le parking réservé à la course, chaque personne que l’on croise maintenant nous glisse un encouragement « Allez c’est terminé ! » « Bravo les gars, un sacré truc que vous finissez ! »… Caroline, Ingrid et Thomas viennent à notre rencontre, ils ont un sourire au moins aussi large que le nôtre : ils sont fiers de ce que nous avons fait, heureux de nous voir arriver sain et sauf d’une telle aventure ! Je suis fier d’avoir cette famille, qui m’entoure, m’encourage, me supporte. Fier de ce qu’ils sont, de la simplicité de ces moments forts. Je suis heureux que nous partagions ces moments ensemble, que nous trouvions tous les 4 du plaisir à nous retrouver dans ces occasions-là.
Nous traversons la route, longeons la salle des sports, nous entrons dans le parc de l’hôtel de ville. Nous nous prenons la main tous les 3, courons jusqu’à l’arche sous les applaudissements des quelques spectateurs présents si tôt le matin. Les copains lyonnais sont là : Philippe, Fabien et Christian sont arrivés dans la nuit et se sont levés pour nous accueillir, leur présence me fait très chaud au cœur… il n’y a pas beaucoup de sport où l’on peut voir cette solidarité... Nous passons la ligne d’arrivée tous les 3, comme nous avons franchi celle du départ 2 jours plus tôt : ensemble.
AIGUEBELLE – Dimanche 9h20 – Km 144 – D+ 11 140 m – Temps en course 51h20
J’ai de la chance, j’ai encore une belle aventure à vivre : l’Ile de la Réunion possède une géographie incroyable. La diagonale des fous permet de la traverser et de l’explorer. 2018 sera l’année de nos 20 ans de mariage avec Caroline, une occasion rêvée de retourner, 20 ans après, sur cette île qui a accueilli notre voyage de noce !
Franck
28 commentaires
Commentaire de Antoine_974 posté le 28-10-2017 à 05:46:11
Tu as mis le temps :wink: mais bravo pour ton récit et pour ta course. Bonne Diag pour 2018, tu vas en chier !!!
Commentaire de Fusalp posté le 28-10-2017 à 08:47:36
Bravo Franck, super récit! Les recos t'ont bien aidé, je suis bien content d'y avoir participé avec toi! Au pleynet, j'y suis resté 1h30 comme toi (douche comprise) alors que je pensais avoir fait au plus vite... Bonne diagonale à toi et ta belle équipe!! Bye
Commentaire de patrovite69 posté le 28-10-2017 à 10:34:24
Contente de t'avoir accompagnée sur cette course de cinglés. Pour nous aussi, suiveurs,elle a eu quelque chose de magique.
Vivement l'année prochaine pour nos 20 ans!
Commentaire de bubulle posté le 28-10-2017 à 12:50:33
Heureusement que tu mets moins longtemps en course qu'à écrire le récit de la course....
Bon, c'est malin, maintenant je n'ai plus qu'une envie : de revenir pour retrouver ces cailloux que tu as si bien décrits (parce qu'on se fiche de moi et de ma mémoire photographique des lieux, mais j'en connais un autre.
Je retiens le coup de la pizza de Super Collet : si je remets ça, j'en connais une qui n'y coupe pas vu qu'elle est en compétition avec Caro pour le titre de Meilleure Suiveuse du Monde (quoique sur le coup, Ingrid a marqué beaucoup de points avec sa remontée au pas de course du vallon de Périoule).
Le seul problème de revenir, c'est qu'à ta description, cette course est quand même truffée de lyonnais, ça devient vraiment un problème. Je m'en accomoderai, mais bon...;-)
Et je réserve déjà un bouzinage dantesque pour le GRR de l'an prochain.
Biz !
Commentaire de Gilles45 posté le 28-10-2017 à 20:18:22
Merci pour ce CR Franck. Très agréable à lire.
J'ai revécu de vrais beaux moments de ma course, notamment les frissons de froid au ravito improvisé du Chalet de la grande valloire et j'ai transpiré lors du passage décrivant la montée de la pierre du carré !!
C'est incroyable de voir comme des sensations peuvent être partagées par différents coureurs aux mêmes endroits.
On a effectivement navigué pas loin les uns des autres.
Bonne réussite à la Réunion 2018
Encore bravo et merci au team de Brignais pour les "good vibes" transmises à tous les coureurs
Commentaire de TomTrailRunner posté le 29-10-2017 à 10:04:44
Bon l'EB on connaît maintenant...donc on se dit qu'un nouveau récit sans photo de cailloux cela va être fade....
Mais hier soir lors du off, j'ai senti de l'émotion dans ta voix à l'évocation de la rédaction du récit, cela m'a mis la puce à l'oreille pour aller voir ce qu'il y avait entre les lignes : ben c'est simple : juste une énorme dose d'EMOTIONS...
Commentaire de Kashmir57 posté le 29-10-2017 à 11:44:51
Superbe récit !!
Bravo pour la perf , car c'est une performance ...
Commentaire de Jean-Phi posté le 29-10-2017 à 14:14:52
Chouette CR et très belle perf. Quels progrès depuis que l'on t'a vu démarrer. Chapeau ! Un petit reproche : Quelques photos pour agrémenter ta plume qui auraient été sympas !
Commentaire de Mazouth posté le 29-10-2017 à 14:26:09
Quel mental ! Quelle force tranquille ! Respect m'sieur Franck ;)
Commentaire de elnumaa[X] posté le 30-10-2017 à 11:00:30
petit nostalgique souvenir de la nuit des cabornes 2012 ! que de chemins parcourus depuis !!
et c'est pas fini , une after à la redoute se profile ;-))
next 'll be fun
++
Commentaire de tidgi posté le 30-10-2017 à 17:13:09
Les photos sont très chouettes et la balade impressionnante.
Bravo mister !
Pour la Diag, prévois déjà un escalier à portée de jambes pour la prépa ;-)
Commentaire de Shoto posté le 30-10-2017 à 18:45:31
Tu as une assistance familiale de classe mondiale .... bravo à toi et à eux .
Commentaire de jano posté le 30-10-2017 à 21:59:14
super CR...beaucoup de points communs avec celui que j'essaye d'écrire !! Et petit coup de nostalgie pour moi aussi avec la saison qui se termine. Bravo à toi pour avoir superbement géré l'affaire.
Commentaire de anthodelb posté le 30-10-2017 à 22:52:36
Pour avoir vécu la course en tant que coureur je te dis bravo car c’est un sacré morceau que tu as brillamment réussi à boucler.
Et pour avoir vécu la course en tant que suiveur je dis bravo à ta famille car il faut en faire des bornes à pieds et en voiture pour voir les coureurs.
Tiens d’ailleurs ton récit m’a fait réaliser que c’est sûrement la femme de Sylvain que j’ai croisé et qui m’a demandé si c’etait le bon chemin alors qu’elle montait vers Perioule alors que j’en redescendais .
Commentaire de Benman posté le 31-10-2017 à 00:08:14
Un récit qui se savoure et se laisse mijoter pour mieux y revenir.
Quelle course quand même. Nous l'avons un peu vécue par procuration sur le live, mais rien à voir avec l'aventure que vous avez vécue et que tu décris si bien. Grand bravo pour tout cela. Cf
Commentaire de Vik posté le 31-10-2017 à 08:58:43
bravo mec t'es parti avec le bon état d'esprit ! "je finirai", JCVD style !
j't'enverrai juste mon avocat pour régler le démenti à faire sur le "il se pose pas de questions" nan mais :devil_smile:
bon ça donne quand même vachement envie d'y retourner ces conneries...
Commentaire de fildar posté le 31-10-2017 à 17:34:31
Heureusement que tu n'es pas passé à autre chose après l'UTMB !!!
il faut en profiter avant d'être V4.
Que de souvenirs partagés avec ta famille et tes potes, tu es vraiment la force tranquille
comme le dit Sylvain.
Commentaire de Arclusaz posté le 01-11-2017 à 08:27:11
Sacré mec, sacrée famille, sacrée course et surtout sacré ami.
merci.
Commentaire de Arclusaz posté le 01-11-2017 à 08:27:26
Sacré mec, sacrée famille, sacrée course et surtout sacré ami.
merci.
Commentaire de Spir posté le 01-11-2017 à 10:26:27
JE plussois sur le proverbe africain. En tout cas, c'est sûr que pour ma part je n'aurais sans doute pas été si loin sans ce binôme que nous avons constitué et nos formidables suiveuses. Au delà de la performance sportive (car on est quand même des warriors, faut pas le nier), c'est surtout l'aventure humaine qui laissera des souvenirs pour longtemps !
En tout cas merci pour tout ! Bon, faut vraiment que j'avance sur mon CR maintenant...
Commentaire de rico69 posté le 02-11-2017 à 14:10:14
Tu as bien fait de prendre le temps de ce CR c'est un vrai régale! quelle aventure que de partages merci!
Commentaire de zeze posté le 02-11-2017 à 23:03:41
Moi je dis bravo quelle aventure quel CR quelle famille quels amis cela donnerait presque envie d'y aller
Commentaire de Davitw posté le 03-11-2017 à 10:42:39
Sacrée aventure, bravo ! Ton CR est superbe, chapeau pour ta patience, ta sagesse et ton humanité que tu transmets une fois encore à travers ces lignes. Tu boucles un sacré morceau ! Merci pour ce partage :)
Commentaire de marat 3h00 ? posté le 03-11-2017 à 16:22:10
bravo Franck pour ta sagesse et ta gestion. Merci pour ce récit et les photos qui montrent sans fard certains passages. ça évitera de se pointer à la course sans savoir pour certains. respect à toute la Debrignaisteam, c'est beau ce que vous faites !
Commentaire de Cheville de Miel posté le 06-11-2017 à 11:54:24
ça valait le coup d'attendre! Ravi d'avoir pu partager un moment de route avec toi! Enfin, je me suis bien appliquer à rester derrière.....
Merci pour le partage.
Commentaire de JuCB posté le 23-11-2017 à 16:09:03
Bravo et merci
L'EB est réputée dure, diff..... : je n'ai vue que des mecs avec une grande banane.
Félicitations pour l'avoir terminé avec la manière les amis et en famille.
Merci pour toutes ces belles rencontres.
Commentaire de courotaf posté le 04-12-2017 à 01:08:15
Pfff… C'était trop bien… et c'est trop bon de lire ton CR 2 mois après!
Bravo à toi et ta famille en or! Encore merci pour les bons moments (et les bâtons)!
À bientôt!
Commentaire de titane38 posté le 03-09-2018 à 17:21:55
Bonjour Franck!
Avec mon compagnon, nous avons bouclé hier l'Echappée Belle. Tu y es un peu pour quelque chose car nous avions choisi d'utiliser ton récit pour organiser notre table de marche et "réviser" le parcours et ses difficultés, ton récit étant très précis et détaillé. C'est donc avec tes temps dans la poche que nous avons progressé durant 51h. Un grand merci à toi!!!
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