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"Les algues vertes sont-elles responsables d’un nouveau décès sur le littoral des Côtes-d’Armor ? Après la mort d’un homme de 50 ans, parti courir le long de la baie de Saint-Brieuc, la question se fait pressante dans la région. Le joggeur a été retrouvé sans vie, le 8 septembre, le corps enfoncé dans la vase jusqu’à la taille, au débouché de la rivière du Gouessant, dans la commune d’Hillion.
Dans cette zone d’estuaire difficile d’accès, des ulves stagnent et pourrissent en dégageant de l’hydrogène sulfuré (H2S). C’est précisément à cet endroit qu’avaient été ramassés les cadavres de trente-six sangliers intoxiqués par des émanations de H2S durant l’été 2011.
L’association Halte aux marées vertes, qui dénonce depuis longtemps la dangerosité des amas d’ulves, est convaincue qu’il s’agit « très vraisemblablement » d’un accident de la même nature. Lundi 19 septembre, ses deux coprésidents, André Ollivro et Yves-Marie Le Lay, ont annoncé leur intention de déposer une plainte pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui » dans les prochains jours.
En compagnie d’autres associations bretonnes, ils ont rappelé, courriers à l’appui, avoir à plusieurs reprises attiré l’attention des autorités (préfets, élus locaux…) sans recevoir de réponse. Leurs avertissements au sujet de cette menace « n’ont jamais été pris au sérieux », affirment-ils. Ils se font accusateurs : « Qui sera la prochaine victime de ce déni persistant du danger des marées vertes ? »
« Incompréhension »
« Deux jours après le décès, nous sommes allés à proximité immédiate de l’estuaire du Gouessant et nous y avons relevé des concentrations de H2S de 360 ppm [parties par million], rapporte Yves-Marie Le Lay. A ce niveau, la victime a pu avoir un malaise, puis inhaler ce gaz toxique. » Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), des cas d’œdème pulmonaire lésionnel peuvent survenir dès que l’exposition atteint 250 ppm (soit 350 milligrammes par mètre cube).
Depuis 2010, Yves-Marie Le Lay et André Ollivro effectuent régulièrement des mesures sur les côtes de ce coin de Bretagne. Ils ont eu recours à des huissiers pour attester de leurs constats alarmants. Selon eux, ni les panneaux de signalisation ni l’odeur nauséabonde des ulves en décomposition ne suffisent à éloigner les promeneurs, car le phénomène peut couver subrepticement sous une couche de sable.
Ils ont écrit au tribunal de grande instance de Saint-Brieuc pour exprimer leur « incompréhension » face à l’absence d’autopsie du corps de la victime et d’enquête sur les causes de sa mort. Dans un premier temps, le parquet avait déclaré qu’il n’y avait « aucun doute » sur l’origine du décès et qu’« en l’absence d’obstacle médico-légal », le corps avait été remis à la famille. L’hypothèse était alors que le joggeur quinquagénaire s’était envasé en essayant de sauver son chien. Après ses efforts physiques et sportifs, il avait dû succomber à un arrêt cardiaque.
« La suspicion est inévitable »
Le procureur, Bertrand Leclerc, semble depuis avoir révisé sa position. Le 14 septembre, il a indiqué vouloir procéder à des auditions des membres de la famille qui ont découvert la victime, ainsi que des pompiers intervenus sur place. Aux questions du Monde, le magistrat s’est contenté de répondre que « des enquêtes sont actuellement en cours ».
La question des marées vertes est sensible dans la région. Ces phénomènes résultent de l’excès d’engrais azotés d’origine animale comme chimique. Par ruissellement, ils se retrouvent dans les rivières puis dans les eaux côtières où ils stimulent la production d’ulves et leur prolifération dans les baies peu profondes. La Bretagne, où l’élevage intensif fournit quatorze millions de porcs par an (60 % de la production française), ne parvient pas à surmonter ces problèmes tenaces d’épandage de lisier et autres déjections animales dans les champs.
« Je ne suis pas sûr que l’on mesure bien la dangerosité de ces vasières qui sont par définition les lieux de décantation de la matière organique. C’est terrible pour la famille mais la suspicion est inévitable, compte tenu de l’endroit du décès », s’est inquiété dans Le Télégramme Thierry Burlot, vice-président du conseil régional chargé de l’environnement, faisant référence au précédent des sangliers.
En 2011, à la suite de cette hécatombe, le ministère de l’écologie, alors dirigé par Nathalie Kosciusko-Morizet (LR), avait consulté les experts de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques et ceux de l’Anses. Les premiers avaient conclu que l’hypothèse de l’intoxication au H2S était « la plus vraisemblable », les seconds la considéraient comme « hautement probable ».
Avant ces événements, la mort d’un cheval sur une autre plage des Côtes-d’Armor, en 2009 à Saint-Michel-en-Grève, régulièrement recouverte par des marées vertes, avait déjà suscité une vive polémique. Il y a eu aussi l’affaire Thierry Morfoisse, mort au volant de son camion le 22 juillet 2009, alors qu’il transportait une cargaison d’ulves. A l’issue d’une instruction qui n’a rien révélé faute d’analyses solides, le tribunal de grande instance de Paris a rendu, le 9 juin, une ordonnance de non-lieu."