Récit de la course : Embrunman 2018, par Berty09

L'auteur : Berty09

La course : Embrunman

Date : 15/8/2018

Lieu : Embrun (Hautes-Alpes)

Affichage : 2407 vues

Distance : 233km

Objectif : Objectif majeur

8 commentaires

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A découvert

    

    

     5h55 ce 15 août 2018. Une accolade avec Erwin avant le départ et je suis dans ma course. Je ne suis pas serein mais je suis là et c'est tout ce qui m'importe. J'aurais aimé être plus détendu, mieux dans mon corps. Je rêvais d'une journée parfaite avec des sensations au top et un sourire permanant!



La prépa est terminée. Je suis prêt.



  J'y ai cru jusqu'à J-4...Et puis le ventre s'est noué, les lombaires sont devenues douloureuses, le bassin s'est grippé et l'esprit s'est assombri. Après 6 mois de préparation sérieuse et concentré sur l'objectif, le corps se rebiffait. C'était cruel. J'ai même pensé un instant à de l'injustice.

 

  Et puis non. Si j'en étais là c'est que je le méritais. Dans une telle aventure il y a peu de place au hasard et encore moins à l'injustice. Je devais faire avec. Les 4 derniers jours de préparation auront donc été employé à retrouver un semblant de souplesse et de confiance.

 


C'est bientôt l'heure...



  Il est 6h. C'est parti devant. Je sais que la natation est l'élément où je suis le moins à l'aise. J'espère secrètement que mon corps va se détendre, que mes bras vont mouliner souplement et que la magie va opérer. Hèlas! Pas plus de magie que d'injustice.

 

  Je suis dans l'eau sombre et je doute. Heureusement, je connais la solution: AVANCER. Et oui, avancer coûte que coûte pour sortir de ce piège. Je fais de gros efforts pour garder mon sang froid et ne pas me presser. L'eau est mon amie. Cela fait des mois que je veux y croire, que je vais enfin trouver l'horizontalité, le roulis des épaules, l'allonge...LA GLISSE.

 

  3800 mètres. 2 tours du lac de Serre-Ponçon. C'est pas non plus la mer à boire. Alors j'avance. Je passe quelques bouées. Il y a du monde autour de moi. Ca devrait me rassurer. Je veux y croire, je m'allonge, cherche mon rythme. Bientôt un tour de lac. Je bois la tasse, je me reconcentre...Et puis enfin je trouve mon rythme.

 

  Ca aura duré 200 ou 300m. De nouveau les jambes coulent et je m'essouffle. Alors j'avance, je n'ai que ce crédo. Je viens de boucler le premier tour. De moins en moins de monde autour de moi. J'avance. Parfois je fais quelques mouvements de brasse à contrecoeur et je repars.

 

  Le jour s'est levé, je regagne la rive. Je ne suis pas fier de moi. Je sors de l'eau en 1h39. Enfin je l'apprendrai plus tard car je me refuse à regarder mon chrono. Je retrouve le parc à vélo et m'étonne de voir que quelques personnes sortent encore de l'eau après moi. Vite, se reconcentrer!



Sans commentaires!



  Enfin, les pieds sur terre. Je sais ce que j'ai à faire. Ma machine m'attend sagement. Surtout ne rien oublier: matériel, alimentation, hydratation. Tout est calibrer pour enfin m'engager sur ces 188 km de vélo et 4000m de dénivellé. Je pense quand même à sortir rapidement du parc car j'ai déjà en tête que les barrières horaires ne sont pas loin.

  

 

     Me voilà cycliste. Je connais le parcours. Le premier tronçon nous emmène au dessus du lac. Une boucle de 40km et 500m de d+ pour me mettre en jambe. Je pars tranquillement pour laisser mon corps s'adapter. J'apprécie les portions au soleil qui me réchauffent le corps. Je suis dans le rythme, je vais enfin pouvoir profiter de ma course. La vue sur le lac est magnifique.

 

  Deuxième partie de course. C'est 40 km pour remonter la Durance jusqu'au pied du célèbre Col d'Izoard. Je suis à l'écoute de mes sensations et c'est pas fameux. Les tensions musculaires qui s'étaient apaisées ces 4 derniers jours refont surface. J'ai mal aux lombaires, l'estomac fait déjà le difficile et même les jambes me paraissent lourdes. Sur le bord de la route, je commence à entendre des personnes me souhaiter du COURAGE...Pas bon signe tout ça.

 

  Je roule vers l'Izoard et aborde le premier passage en lacets...Et là, bizarrement, je me sens mieux!! Il était temps. Je rentre enfin dans mon élément. Je ne vole pas mais j'ai plaisir à avancer et mon corps retrouve une certaine symétrie. Au lieu d'avoir des tensions à droite uniquement, j'ai mal des deux côtés et ça passe beaucoup mieux.

 

  Avec mon gros plateau de 39 dents, j'ai peu de marge et dans les hauts pourcentages qui arrivent je navigue uniquement sur deux vitesses et la position en danseuse quand ça se complique. C'est pas l'idéal mais avec de bonnes jambes ça passe bien. Je suis dans l'Izoard et je me sens mieux.

 

  Pourtant, même si je ne veux pas encore y penser, beaucoup de coureurs autour de moi parlent déjà des barrières horaires. Je sais comme eux qu'il faut passer le Col avant 13h10. Je refuse toujours de regarder ma montre. Dans ma logique c'est inutile car je ne pourrai pas aller plus vite. Alors je grimpe et je grimpe bien. Je remonte beaucoup de coureurs sans pour autant me mettre dans le rouge.

 

  Soudain, j'y pense. Je pense que dans quelques temps tout peut s'arrêter. Je pense qu'il se peut très bien que je sois hors délai dès le Col d'Izoard. Je pense à mes enfants, mon frère, ma femme qui m'attendent à Briançon. Je les revois, la veille de la course à préparer leurs pancartes dans la bonne humeur. Je pense que je me suis peut-être vu plus fort que je ne l'étais.

 

  Alors, comme en natation, la même réponse. J'avance. Je grimpe. Je fais tourner les cannes et ça marche. Il reste 5km d'ascencion. Après un rapide calcul, je me dis que ça va passer mais de peu. Je dois rester concentré et efficace. Encore 3 km. Un minibus me double. Il traine une longue remorque avec des vélos allignés, il y a encore de la place. Je mets du temps à comprendre...C'est la voiture-balai! Mais qu'est-ce qu'il fait là si haut!?

 



  Ca devient sérieux! Je suis pourtant bien. Le cadre est magnifique. Je suis dans ma course maintenant et ILS voudraient briser mes rêves. Pas question, je pousse un peu plus sur les cannes, on s'approche du sommet. On commence à sentir l'ambiance "Tour de France". Je serre les dents. Dernier lacet. Je vois des gars de l'orga prêt à stopper le passage des coureurs hors-délais. Je passe...OUF.

 

  Ca se bouscule dans ma tête. Je suis soulagé que mon aventure ne se finisse pas en queue de poisson ou en eau de boudin. Oui soulagé, mais maintenant?! Je vais pas sortir le pique-nique quand même? Alors je m'étire, je me restaure, enfile le coupe-vent et feu!

 

  La descente est parfaite. Revêtement au top, pas de voitures. Je descends bien mais les sensations restent mitigées. Comment faire pour boucler mon Ironman si je suis déjà si près de la sortie? Je descends. Encore 10 km et je retrouverai enfin mon team de supporters. L'émotion m'envahie. Je sens les larmes monter. Je ne me laisse pas submerger mais je comprends bien que ça yest, j'y suis dans l'évènement.


  J'arrive à Briançon. Ils sont là. Pourquoi j'arrive si tard? Est-ce que tout va bien? Je regarde tout le monde puis je baisse la tête. Je range méthodiquement mon coupe-vent:

"C'est dur depuis le début". "Je vais avancer et je verrai bien jusqu'où j'irai". Je remonte sur mon vélo: "Je ne lâcherai rien".

Je les regarde encore furtivement. C'est reparti. Loïc court à mes côtés. Je prends tout.

 

  Je sais ce qu'il me reste à faire. Rouler et aller au bout du parcours vélo. Il reste 70km et deux grosses difficultés. Je connais bien le parcours. Je me sens plus léger. Physiquement, je suis plus confiant. Le corps semble retrouver un certain équilibre. J'avance correctement, au rythme des coureurs qui m'accompagnent.

 

  J'arrive à la fameuse côte de Pallon. Deux km à plus de 10%. D'un coup, la route s'élève. Je suis prêt à passer au révélateur. La famille est là. Les panneaux déployés, les yeux, la voix. Je monte en danseuse sereinement. Ca passe bien. La confiance remonte. J'y suis dans la course. Je profite...ENFIN.

 

  Allez, j'enchaîne. Je me pose enfin à un ravito pour croquer mon sandwich préparé la veille et récupéré à l'Izoard. Quelle dégustation! Je sens mon corps puiser de nouvelles ressources. Je repars. La route est longue. Il faut revenir à Embrun. Les jambes fatiguent mais ça tient bon. Dans un coin de ma tête, je n'oublie pas que que je vais enchaîner avec un marathon...SI tout va bien.

 

  Embrun. Il reste une dernière côte. Je retrouve ma team. Je suis un peu plus serein et profite de leur soutien. Je pense être dans les délais mais ne suis sûr de rien encore. Plus que 10 km et 400m d+ pour clore le parcours vélo. Les jambes sont toujours prêtes pour grimper alors je file. Une petite frayeur en partant quand mon fils me dit qu'il me reste 10 minutes pour passer à Chalvet! Je reste calme, une petite estimation et je vois que j'ai plus de 30' de marge sur les délais. Yes!

 

  Encore 2km de descente à bonne vitesse et je rejoins le parc à vélo. C'est dans la poche. Je change de rapport, les pédales se bloquent! J'ai le bon réflex et ne cherche pas plus loin. Stop, je descends du vélo. Heureusement, pas de dégâts. La chaîne est bloquée et je remets tout ça en place. Si j'avais cherché à forcer un peu, je cassais tout. Je remonte sur le vélo, un tour de roue et c'est tout bon.

 

 

     J'ai du mal à y croire mais j'ai le droit et même le privilège de chausser mes baskets pour me lancer dans le marathon final. Je suis passé si près de la sortie que je savoure la chance d'être encore en course. Je me prépare rapidement et demande un kiné pour un massage. Les lombaires et les jambes SVP! Je prends 5' mais les bienfaits sont immédiats. Je sens la souplesse revenir et prêt à repartir.

 

  Je suis coureur à pied. Je sais ce qu'est un marathon mais là, après 11h de course, je plonge dans l'inconnu. Le circuit fait 14km. On monte sur les hauteurs pour rejoindre le village d'Embrun et on redescend le long de la Durance après quelques lacets. Bien sûr, il faudra le parcourir 3x pour arriver au bout de ce défi.

 

  Je suis confiant. Je sors du parc à vélo en trottant doucement. Les sensations sont moyennes puis carrément mauvaises. Les tensions physiques réapparaissent. L'estomac se ferme. Je dois pourtant y croire. Qui sait, en y allant tranquillement, la forme peut revenir. Je veux y croire. Je suis plus motivé que jamais.

 

  Après 2km à me traîner, j'accepte de marcher un peu aux abords du premier ravito. Je redémarre et la foulée rasante se met en place. Je cours! C'est pas rapide mais je cours!! J'attaque la côte Chamois pour monter au village et je cours toujours!!! Je suis heureux. Pour la première fois, je me dis que je peux le faire. La traversée d'Embrun est un plaisir: ruelles ombragées, applaudissements, sourires, musique. Je suis gonflé à bloc.

 



  Je reste concentré sur l'objectif final. Je sais que la défaillance dans un marathon peut nous laisser sur le bord du chemin sans prévenir. Je suis dans mon premier tour. Grâce à mon entraînement régulier de ces 6 derniers mois, je connais mon rythme de course par coeur. Surtout ne pas sauter de ravito, s'hydrater, s'alimenter et profiter des éponges pour faire descendre la température du corps.

 



  Je boucle enfin mon premier tour et accepte de regarder le chrono. Je sais maintenant que si j'arrive à maintenir mon rythme de course, je serai dans les délais. Ma team family est toujours aussi présente et enthousiaste. Je repars pour un deuxième tour, la fatigue se fait de plus en plus présente. Erwin, mon pote de club, me double et engage lui son dernier tour. Il est costaud mais craint aussi la défaillance. Il me dit vouloir finir au plus vite! Il me demande de mes nouvelles. Je sens qu'il tient sincèrement à me voir finisher...Je vais tout faire pour.

 



  Je repasse la côte Chamois, toujours en courant comme le trailer que je suis. J'enchaîne. La fatigue est de plus en plus pesante. Mon fils surgit et court avec moi quelques mètres pour m'accompagner jusqu'à mon clan. J'y trouve des sourires, des coeurs, des mains qui se touchent. Je dois aller au bout. Je ralie enfin le parc à vélo. Je suis très fatigué. Je demande les kinés. Ils sont au top. Un pour chaque jambe, je me surprends à blaguer avec eux. C'est sûr, je pars pour la dernière boucle. Je reste concentré mais l'horizon commence à se dégager.


  Je suis étonné par les changements opérés dans mon corps durant toute cette journée. J'ai l'impression que celui-ci s'est fortifié au fil des kilomètres. Je cours toujours aussi tranquillement mais la machine est maintenant bien en place et rien ne semble pouvoir m'arrêter. Mon esprit peut enfin s'ouvrir aux éléments extérieurs. La lune sur les falaises d'Embrun, le feu d'artifice sur le lac, ce rêve à porter de main. 

  

  L'obscurité est bien présente sur les derniers km du parcours. Certains s'étonnent de me voir courir ainsi malgré l'heure tardive. Une dernière inquiétude car je ne suis plus très lucide et je perds mes repères sur le parcours. Surtout ne pas louper un embranchement, un check-point. Non, pas maintenant! Rester concentré malgré tout.

 

  Je me sens solide, je vais boucler ce périple. Je suis ému. Je suis fier, étonné, enthousiaste, posé, serein. Je suis présent. C'est ma course. Je me rends compte que pour trois fois rien j'aurais pu rentrer chez moi dès l'Izoard avec le moral au plus bas et ma vie n'aurait pas été la même. Je me suis mis en danger. J'ai pris le risque de perdre. J'ai senti la froideur du couperet mais je suis passé.

 

  Je suis allé au bout parce que j'étais prêt et parce que les gens qui m'ont accompagné dans cette aventure sont formidables. Ils m'ont donné du courage et de l'amour malgré mes penchants égocentriques. Merci à tous.


  L'arrivée est un pur bonheur. Plus que le titre d'Ironman c'est cette aventure humaine qui me comble. J'ai écrit une magnifique page de mon histoire. Je lève les bras, mes yeux pétillent. Je vous aime.



 

 

 

 

 

8 commentaires

Commentaire de marat 3h00 ? posté le 22-08-2018 à 13:50:47

beau récit qui montre bien la difficulté de réunir mental et physique et où l'on sent que l'entourage à un beau rôle à jouer.

Merci

Commentaire de Bikoon posté le 22-08-2018 à 15:48:05

Merci pour ce beau récit et bravo pour ta course !
Embrun c'est en effet bien plus qu'un Ironman, ça fait plus de 20 ans que je l'ai fait et j'en garde des souvenirs émus tellement cette épreuve se vit intensément :o))

Commentaire de Ironmickey posté le 22-08-2018 à 20:34:05

BRAVO à toi !!! Tu avais mis un commentaire sur mon récit en 2015. 2018 c'est toi qui est finisher. Bonne récupération.

Commentaire de Kevmacs69100 posté le 23-08-2018 à 15:09:24

Super récit et belle performance !! Sacré mental parce que l'embrunman c'est pas le plus facile.
Bravo et bon repos

Commentaire de laulau posté le 24-08-2018 à 08:14:29

Très beau récit Berty, très humble et touchant ! Sacré défi mené au bout mais c'est sûr ce n'est pas pour moi !

Commentaire de augustin posté le 28-08-2018 à 15:37:22

bien joué! belle réussite pour cette épreuve hors normes, chapeau!

Commentaire de robin posté le 31-08-2018 à 16:54:32

Beau récit ! Félicitation pour avoir bouclé ce mythe.

Commentaire de L'Dingo posté le 02-09-2018 à 19:53:43

bravo.

il faut un sacré mental pour sortir de l'eau en fin de peloton, flirter avec la BH de l'isoard et enfin pour se lancer dans le dernier tour quand on voit que nombre des coureurs à coté de soi s'appretent à en finir.

Mais n'est pas finisher Embrun tout le monde et c'est ça qui est beau. :-)

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