L'auteur : patrickND
La course : Swissman Xtreme Triathlon
Date : 21/6/2014
Lieu : Ascona (Suisse)
Affichage : 2551 vues
Distance : 226km
Objectif : Terminer
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Début Novembre 2013 : pour la troisième année consécutive je reçois un mail de l’organisation du Norseman commençant par « we regret to have to inform you.. ». Une fois de plus j’ai donc échoué au tirage au sort de cette course mythique en Norvège qui me fait rêver. Je décide alors de tenter ma chance auprès du Swissman, la « petite sœur » du Norseman (avec le Celtman, ces trois courses font partie de la série « Xtreme Triathlon »), créée en 2013, et pour laquelle il n’y a pas encore autant de triathlètes qui s’inscrivent au tirage au sort (500 inscrits pour 250 places). Quelques semaines plus tard le mail que je reçois m’indique cette fois-ci « Congratulations! You are in for the SWISSMAN Xtreme Triathlon 2014! » ! Un beau lot de consolation finalement, et une course qui s’annonce passionnante et difficile: même si l’eau du Lac Majeur en Suisse est bien moins froide que l’eau des fjords norvégiens, le parcours vélo promet d’être très costaud avec plusieurs passages de cols dans les Alpes à plus de 2000m d’altitude et la course à pied offre un dénivelé positif hors norme de 2000m…
Comme pour le Norseman, il faut gérer sa propre assistance sur le Swissman et donc disposer d’une « voiture suiveuse » pour s’occuper des ravitaillements et des transitions, ainsi que d’un accompagnant qui doit obligatoirement faire les 10 derniers km de course à pied avec « son » athlète. Ma femme Carole et mon fils Elliott se portent gentiment volontaires pour tenir ces rôles, ce qui nous donnera l’occasion de vivre cette course en famille.
Tout va bien pour moi début 2014, notamment car les soucis de santé que Carole a connus en 2013 sont derrière nous et qu’elle peut reprendre une vie 100% normale. Je peux donc envisager une meilleure préparation qu’en 2013, quand j’avais participé à l’Altriman alors que Carole sortait tout juste de l’hôpital et que le triathlon n’était pas ma priorité…
Malheureusement, une mauvaise nouvelle s’abat sur moi en Février, car mon père est hospitalisé d’urgence en raison d’une maladie auto-immune grave, qui le rend pratiquement du jour au lendemain complètement dépendant. Je suis obligé d’aider ma mère à faire face à la perte d’autonomie de mon père, à gérer ses hospitalisations successives, les examens médicaux en tous genres, les avis contradictoires des médecins etc. Au-delà des tracas matériels que cela génère, la maladie de mon père m’affecte beaucoup : paradoxalement, nous n’avons pas une relation très proche, nos rapports étant marqués par une indifférence polie vis-à-vis de nos centres d’intérêt respectifs, mais en le voyant s’étioler et devenir l’ombre de ce qu’il était auparavant, je suis confronté à la déchéance physique et intellectuelle qui pourrait m’atteindre un jour. Sans aller jusqu’à parler de déprime, je perds un peu la motivation pour m’entraîner et préparer le Swissman comme il le faudrait.
Au printemps je me ressaisis et vais passer quelques jours chez des amis à Albertville pour pouvoir faire du vélo avec un peu plus de dénivelé qu’en région parisienne, mais malgré la montée du col des Saisies et autres cols des environs (Tamié, Forclaz), je me sens encore à court d’entraînement face à l’échéance qui m’attend le 21 Juin. Je m’inscris donc à l’Ironmedoc, qui a lieu le 1er Juin à Hourtin, dans l’idée de me rassurer en faisant cette course comme une « sortie longue » avec un enchaînement natation/vélo/course à pied, même si le dénivelé de l’Ironmedoc est négligeable. Sans trop forcer, je termine l’Ironmedoc en 11H04, ce qui est correct pour moi et me donne confiance pour le Swissman. La semaine suivante, je participe au déplacement du club au triathlon LD de Troyes, où je supporte bien la chaleur et finis en 5H09. Je considère que ma préparation est achevée et je me mets au repos presque complet pendant les deux semaines suivantes pour bien récupérer avant le Swissman.
Carole a organisé de main de maître la logistique de notre déplacement en Suisse, réservé nos hôtels à Ascona (point de départ) et Grindelwald (point d’arrivée), et potassé le « road book » de la course pour repérer les endroits où nous nous retrouverons pour les ravitaillements. Quant à Elliott, il court chaque semaine afin d’être prêt le jour J.
Au moment où mon père va bientôt disparaître, et où je prends conscience que je n’aurai jamais la possibilité de vivre les moments de complicité que j’aurais aimé connaître avec lui, la perspective de partager avec mon fils l’aventure sportive du Swissman prend une dimension particulière, et me motive énormément.
Nous partons le mercredi matin pour Ascona, où nous arrivons après 8 heures de route : cette station balnéaire de la Suisse italienne, située au bord du Lac Majeur fait penser à un « ghetto de riches », avec une forte densité de voitures de luxe, d’hôtels 5 étoiles et de bijouteries. Au milieu d’une clientèle dont l’âge moyen est de plus de soixante ans, les triathlètes présents pour le Swissman sont aisément reconnaissables. Avec Elliott, nous faisons un petit jogging de décrassage le jeudi soir, et le vendredi matin, je fais une reconnaissance des premiers km du parcours vélo pendant laquelle je croise notamment des triathlètes norvégiens venant de Bergen, où j’ai participé à la course organisée par leur club en 2011. Ils me parlent du Norseman, qu’ils ont eu la chance de faire plusieurs fois, ainsi que du Celtman, où ils ont nagé dans une eau à 10°c (encore plus froide qu’en Norvège !).
Le briefing d’avant course le vendredi après-midi est l’occasion de faire connaissance avec toutes les nationalités présentes au Swissman (dont une forte délégation française), et d’être informés sur un certain nombre de particularités de la course : pas d’arbitrage officiel (l’organisation fait confiance aux athlètes pour respecter les règles, notamment en ce qui concerne le drafting), pas de puce de chronométrage et pas de mesure des temps intermédiaires, mais un « boîtier GPS » à porter en permanence pendant la course, l’obligation de porter un bâton lumineux coincé sous notre bonnet pendant la natation (pour la sécurité), et une consigne « oubliez le chrono et profitez de l’expérience que vous allez vivre ». Suisse oblige, nous recevons chacun deux tablettes de chocolat estampillées du Swissman.
La soirée du vendredi est marquée par la victoire de la France sur la Suisse en coupe du monde de foot, et par le début du festival de jazz d’Ascona sous les fenêtres de notre hôtel : les concerts se terminant vers 1 heure du matin et le réveil étant programmé à 2H45, autant dire que la nuit est courte… En effet, l’installation du parc à vélo se fait sur le parking de la plage d’Ascona à partir de 3H, et nous devons être présents à 4H pour embarquer sur le bateau qui nous emmènera aux îles Bressago à 3,8 km au large de la plage.
Peu avant 5 heures, les 250 concurrents munis de leur bonnet lumineux sont donc à l’eau, alors que le jour commence à peine à se lever, avec comme point de repère un girophare installé sur la plage d’Ascona vers lequel nous devons nous diriger. L’eau est bonne (20°c) et il me semble que nous profitons d’un courant favorable qui nous pousse vers la rive. Il n’y a aucune bouée pour marquer le parcours, donc pas de point de repère pour savoir où nous en sommes, et il est difficile de savoir quelle distance il nous reste à parcourir. Vers la fin du parcours nous avons un peu de houle et de courant qui nous déporte vers la droite, mais rien de bien méchant. Je m’applique pour essayer de nager à peu près correctement, et quand je sors de l’eau ma montre indique que j’ai parcouru 3,9 km en 1H08, ce qui confirme que nous devions avoir un courant favorable.
Carole et Elliott m’attendent sur la plage, et Elliott a le droit de m’aider à effectuer la transition : il prend son rôle au sérieux, m’aide à enlever la combinaison et à enfiler mes affaires de vélo, s’assure que je n’oublie rien (notamment le tracker GPS), me met de la crème solaire et me souhaite bonne chance pour la suite.
Le vélo commence par 43 km assez plats qui permettent de s’échauffer tranquillement, puis on attaque la montée du col de Saint Gotthard (2091m), avec 1700m d’ascension sur 40 km, dont 12 km sur des pavés entre Airolo et le sommet du col. C’est très dur et j’ai beau mettre la chaîne « tout à gauche », je peine et avance à une vitesse pitoyable. Dans ces moments de solitude, les chansons des Smiths, groupe culte des années 80 dont j’étais fan, me remontent à l’esprit, notamment « You just haven’t earned it yet Baby », dont le refrain s’applique cruellement à ma situation :
You just haven't earned it yet, baby
You just haven't earned it, son
You just haven't earned it yet, baby
You must suffer and cry for a longer time
You just haven't earned it yet, baby
You must stay on your own for slightly longer
Carole et Elliott m’encouragent à plusieurs points de passage, puis je les retrouve au sommet du Saint Gotthard, où je prends la peine de m’arrêter pour manger quelques TUC et une banane et enfiler une veste pour la descente du col. Le plaisir de rouler à 60 km/h sur 10km est de courte durée, car il faut rapidement enchaîner avec l’ascension du col de Furka (2436m), sur un meilleur revêtement que les pavés du Saint Gotthard, mais avec une pente qui me paraît encore plus raide. A la vitesse à laquelle je roule, les km défilent très lentement et c’est un grand soulagement d’arriver au sommet, où je retrouve à nouveau Carole et Elliott pour me changer (et prendre une veste plus épaisse que dans la première descente dans laquelle j’ai eu un peu froid). Après 10 km de belle descente jusqu’à Gleitsch (1757m), il reste encore le col de Grimsel à franchir (2164m), dernière grosse difficulté du parcours, moins raide que les deux premiers cols, mais avec la fatigue et la chaleur qui augmentent, c’est loin d’être une partie de plaisir, d’autant plus que la circulation devient de plus en plus dense, avec en particulier beaucoup de motos. Nous sommes néanmoins récompensés par une vue magnifique du haut de ce col, qui marque la frontière entre la Suisse Italienne et la Suisse Allemande.
A partir de là, nous avons une très longue descente jusqu’à Brienz, avec juste une dernière bosse à 15 km de l’arrivée, et c’est un pur plaisir de profiter du paysage sous un superbe soleil. Malgré ces derniers km parcourus à vive allure, il me faut près de 9H pour boucler le parcours, soit à peine plus de 20 km/h, et il est donc environ 15H quand je retrouve Elliott et Carole à la zone de transition de Brienz.
Elliott m’aide à nouveau à me changer, m’accompagne au pointage et je pars pour les 43 km du parcours càp. Cela commence par une grande montée en forêt jusqu’à une belle cascade, et la pente est trop raide pour courir. Puis nous avons des portions plus plates, voire descendantes, dans lesquelles j’arrive à trottiner. Elliott et Carole sont présents aux points de ravitaillement prévus au km 8, puis 14 puis 17 et enfin 22, mais j’ai un coup de chaleur vers le semi-marathon, et à partir du km 21 je n’arrive plus du tout à courir et peux seulement marcher. Comme dans la montée des cols en vélo, les km s’écoulent très très lentement, d’autant plus que nous n’avons plus de points de rencontre avec Elliott et Carole avant le km33. Je me sens à la limite de faire un malaise, et je n’arrive plus à boire le bidon d’Hydrixir tiède que j’ai en main. Je plonge ma casquette dans toutes les fontaines que nous croisons pour me rafraîchir, et je suis pris de l’angoisse d’être interdit de continuer la course au check point médical du km 33. J’hésite à m’allonger à l’ombre quelques instants, mais décide de continuer à marcher sans m’arrêter. Evidemment, pas mal ce concurrents me dépassent, dont plusieurs me prennent (malgré mon maillot Champigny Triathlon) pour un coureur venu du Japon pour participer au Swissman, et j’ai droit à des « Come on Japan, Go Go Go », auxquels je réponds par « Sorry I’m French ».
Au bout d’une éternité (en fait 5 heures), pendant laquelle j’ai eu le temps de me repasser la discographie complète des Smiths dans la tête (en particulier « These things take time » dont le dernier couplet « Vivid and in your prime, You will leave me behind » retranscrit bien ce que sens chaque fois qu’un coureur me dépasse) , j’arrive enfin à Grindelwald, où est installé le dernier check point avant la montée de 10 km (et 1100m de dénivelé), que je dois faire avec Elliott. Carole me trouve mauvaise mine (et pour cause), et je m’arrête quelques instants pour souffler. J’arrive à boire un peu de Red Bull, ce qui à défaut de me donner des ailes me donne un coup de fouet pour repartir, et comme il est déjà 20H (soit deux heures avant la barrière horaire) la chaleur diminue et je reprends mes esprits.
Nos sacs sont contrôlés attentivement pour s’assurer que nous avons bien tout l’équipement obligatoire pour la dernière ascension (vêtements chauds, téléphone, couverture de survie, frontale, eau et barres énergétiques), et nous sommes autorisés à partir de Grindelwald vers le col de Kleine Scheidegg.
Elliott prend littéralement les choses en main, puisqu’il m’agrippe fermement et me tire dans cette montée le long des chemins de randonnée. Je retrouve un peu de vigueur et nous parvenons à avancer d’un bon pas et dépassons pas mal de binômes qui marchent moins vite que nous. Nous traversons des prés où des vaches nous regardent passer d’un œil narquois et progressons vaille que vaille km après km vers la ligne d’arrivée, sur ce chemin qui grimpe quasiment sans discontinuer. La vue sur la vallée et le massif de la Jungfrau est phénoménale, et je vis un moment très intense de partage d’émotions avec mon fils. Un peu avant 22H la nuit commence à tomber et nous nous couvrons car la température baisse sérieusement, mais nous voyons au loin les lumières de l’arrivée, et nous réussissons à faire le dernier km sans avoir besoin de sortir nos frontales. La joie que je ressens en passant la ligne main dans la main avec Elliott est indescriptible, je le prends dans mes bras et je le remercie de m’avoir accompagné tout au long de cette aventure, puis nous nous asseyons et profitons d’une soupe bien chaude pour nous requinquer. Carole nous rejoint peu après (elle est montée par le train), contente de nous voir arriver avant minuit, et nous pouvons alors regagner notre hôtel à Grindelwald, où une douche bien chaude nous fait le plus grand bien.
Le dimanche matin, nous avons droit à la cérémonie de remise des récompenses, et recevons chacun notre T-shirt de finisher du Swissman, gagné de haute lutte. Cette épreuve restera dans ma mémoire comme l’une des plus belles et des plus difficiles auxquelles j’ai participé, et le bonheur que j’ai ressenti en faisant cette course en famille a été exceptionnel. Encore merci à Carole et Elliott sans qui je n’aurais pas pu vivre ces moments intenses.
8 commentaires
Commentaire de franck de Brignais posté le 23-06-2014 à 22:24:56
Félicitations tout d'abord pour cette exploit. Je voue une admiration totale aux triathletes et encore plus aux finisher de ces ultra !! Je me rends compte aussi, à la lecture de ton récit que nous avons une chance inestimable : lorsque nous en avons besoin nos proches sont à nos côtés, au bord de la route, à nous encourager, guetter nos signes de fatigue et se réjouir avec nous lors des franchissements des lignes d'arrivées ... Bravo encore je te souhaite plein d'autres aventures avec tes proches !
Commentaire de La Tortue posté le 24-06-2014 à 01:47:14
merci pour ce cr plein d'émotions. je ne connaissais pas l'épreuve et tu m'as donné envie...
j'en étais resté à ton cr de l'altriman de l'an dernier et je suis très heureux des bonnes nouvelles pour ta femme.
j'ai aussi partagé ce grand moment d'émotion d'arriver avec son fils sur une épreuve difficile (Norseman 2012) et je comprends vraiment ta joie. persévère pour le Norseman, ça va finir par passer un jour !
quant à ce que tu écris ci dessous, je trouve cela magnifique !
"Au moment où mon père va bientôt disparaître, et où je prends conscience que je n’aurai jamais la possibilité de vivre les moments de complicité que j’aurais aimé connaître avec lui, la perspective de partager avec mon fils l’aventure sportive du Swissman prend une dimension particulière, et me motive énormément."
merci encor d'avoir écrit ce magnifique cr
Commentaire de ouster posté le 24-06-2014 à 10:31:41
Bravo, la Tortue nous a fait connaître ce beau récit 5 jours avant mon premier Ironman et c'est vrai que ça motive !
Commentaire de augustin posté le 24-06-2014 à 11:35:06
Bravo pour votre performance sur cette épreuve atypique, en tant que triathlète on ne peut que vous féliciter pour cette épreuve et pour le récit qui va bien après! bonne récup ;-)
Commentaire de raspoutine 05 posté le 27-06-2014 à 00:48:25
Merci pour ce beau récit !
Ces épreuves avec sa support team sont vraiment les plus prenantes de toutes pour bien des raisons ! Cette année, je surveillais de près l'épreuve car j'avais des connaissances venues s'y mesurer.
Que dire, ça fait envie et..; arfff ! Si le Carapacidé y pense également !!! C'est un signe. Il n'y a plus qu'à se laisser repousser des nageoires comme en 2012!
(Perso, ma décision de participer en 2015 au Swissman sera prise le 2 août, après, on croise les doigts, of course !).
Merci d'ouvrir le chemin aux copains !
Commentaire de panâme posté le 16-09-2014 à 13:18:06
C'est beau et très sympa à lire,tu nous donnes envie forcément de nous y mesurer.je viens de vivre un Norseman 2014 avec mon fils et ma fille et j'en garde un souvenir fantastique.Bravo et au plaisir de te retrouver sur d'autres défis.
Commentaire de La Tortue posté le 01-07-2016 à 16:50:39
et voilà, je te l'avais bien écris en 2014 que ton récit m’avait donné envie. je viens de boucler le swissman 2016. récit en cours. c'est une superbe épreuve. dommage que l'on ait pas eu le beau soleil que je vois sur tes photos de 2014.
on se revoit à l'altriman dans 1 semaine ??
Commentaire de patrickND posté le 02-07-2016 à 08:53:35
Hello, content que tu aies bouclé cette belle course! Cette année j'étais en Islande pour un triathlon "off" confidentiel (pour le récit: http://www.recits.champignytriathlon.org/2016/snaefellsnes-jarnkarl), donc pas d'Altriman la semaine prochaine....
Bonne continuation à toi. Patrick
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