Récit de la course : Saintélyon 2008, par Matov
L'auteur : Matov
La course : Saintélyon
Date : 7/12/2008
Lieu : St étienne (Loire)
Affichage : 4289 vues
Distance : 69km
Matos : Lampe frontale Petzl Tikka
Camelbak Quechua
Chaussures route Mizuno
2L Isostar, 2 gels énergétiques, 8 pates à sucre, 1 barre céréale épaisse, 2 balistos (je ne mangerai peut-être qu'un quart de tout cela).
Objectif : Faire un temps
5 commentaires
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Au cœur de la nuit
21 septembre 2008. Fini le marathon de Savoie, j’ai atteint mon objectif en finissant la course en moins de 3 heures.
AVANT COURSE
Je me suis entraîné presque 4 mois pour ce marathon. Quel sera désormais mon nouvel objectif ? Est-ce que j’aurais le courage de reprendre la course à pied après mon repos post-marathon. Mon frère David (Daviff pour les kikous) s’est déjà inscrit pour la Saintélyon et tente de me convaincre de faire cette course en solo. En 2003, j’y ai participé avec David en relai (x2) et nous avons fait une belle performance en nous positionnant au 7ème rang des relais x2. En 2005, j’y ai encore participé en relai x3 et là aussi ce fut une expérience sympathique. Courir la Sainté en équipe c’est super. C’est un objectif collectif. On se dit qu’on ne court pas que pour soi, mais aussi pour ses partenaires et ça rend les choses plus intéressantes. En 2008, j’apprends donc que Daviff veut la faire en solo. Moi je suis plutôt tenté de la faire en relai à 2 avec lui. Mais il s’est déjà inscrit, et rejette l’idée de la faire en relai. Cette année-ci, on la fait en entier me dit-il ! Je tergiverse. Jamais je n’ai sérieusement songé à la faire en entier. 68km, c’est de la folie. Je sais fort bien que je ne suis pas le seul à m’être interrogé sur la folie d’une telle aventure. Finalement, c’est par le biais de l’université Lyon 3 que je décide d’y participer. Lyon 3 est prêt à me financer l’inscription pour que je représente la fac. Cette fois-ci je n’ai pas d’excuse. Je décide donc fin octobre d’y participer. Le service sport Lyon 3 m’y inscrit le 30 octobre !
Niveau entraînement, ça va. J’ai un marathon dans les jambes, et j’ai continué à m’entraîner depuis. Il ne s’agit que de s’entretenir un petit peu jusqu’au jour J, ou plutôt, la nuit N. J’effectue donc quelques sorties longues dans les monts du Lyonnais le soir, quand il fait déjà noir, question de m’accoutumer un peu aux conditions de la course. Je m’achète une lampe frontale Petzl Tikka avec un éclairage minable il faut le dire (mais ça je ne m’en apercevrai pas avant la nuit de la course). Ça y est, la nuit fatidique du 6 décembre 2008 est arrivée. En route pour St Etienne avec l’équipe de Lyon 3 et mon frère venu de Madrid. La nuit s’annonce clémente car la pluie a cessé de tomber heureusement. On annonce du gras sur les chemins. Moi je vise un temps entre 6h30 et 7h, mais en fait je ne sais pas trop à quoi m’attendre. Si ça se trouve, je le ferai en 8h30.
LA COURSE
Minuit ! Pan départ sur un air de U2. Avec l’enfer qui nous attend, c’est plutôt une chanson de Sepultura qu’ils devraient nous mettre. Le départ est tout de même festif. Beaucoup de gens sont amassés dans les rues pour nous voir passer. Moi, je pense déjà à notre destination. Lyon !! Non, ça paraît invraisemblable ! Je débute la course aux côtés de mon frère. On veut rester ensemble aussi longtemps que possible. On n’a parcouru que 5km, j’ai déjà envie de pisser. Naannn, c’est pas vrai. J’hésite à m’arrêter, j’ai pas envie de perdre de temps (ha ! si je savais tout le temps que j’allais perdre pendant la course). Je m’arrête sur le bord de la route à la sortie de St Etienne. Je dis à mon frère de continuer, je le rattraperai. Je m’arrête une trentaine de secondes puis c’est reparti. J’ai pas envie de lâcher mon frère donc je vais devoir faire un effort pour revenir à son niveau. C’est déjà beaucoup d’énergie dépensée ! Je le rattrape après deux ou trois minutes d’effort. Je le rejoins au début de la montée sur Sorbiers.
On est parti très vite. On doit être sur un rythme de 14khm/h. Pour l’instant, je me colle à mon frère qui me semble beaucoup plus fort. La montée sur Sorbiers se fait à une allure assez élevée, mais je ne sens pas que je force trop la machine. Je me tourne vers David pour lui demander « on est encore loin de l’arrivé? ». Visiblement, ça ne lui fait pas trop rire. On arrive sur Sorbiers, 45 minutes sont déjà passées. On sait que l’obscurité des sentiers des Monts s’approche. Le son des voix des coureurs se fait de plus en plus timide. La fête est terminée, les choses sérieuses sont arrivées. Première montée dans le noir. C’est déjà raide. Ça va très vite. David et moi restons ensemble. Pour l’instant, il est toujours devant, et moi je me contente de suivre son rythme, me disant que s’il continue comme ça, il va vite me larguer. On grimpe pendant une dizaine de minutes. Enfin, ça descend un peu. On a un peu le temps de souffler, de causer un petit peu, et de se dire que pour l’instant, l’aventure est plutôt sympathique. Mais à nouveau, on se retrouve très rapidement dans les montées pentues aux alentours du col de la Gachet. Cette fois-ci, c’est moi qui mène le train. Plusieurs minutes passent, et je me rends compte que David n’est plus juste derrière moi. Je gravis ces pentes à une allure de fou. Je fais une sorte de marche du singe dans la montée, en jetant mes bras loin vers l’avant pour me propulser plus rapidement vers le haut. Mes pas de géants sont exploités au maximum pour maintenir le rythme (je mesure 1m95). David s’étant entraîné à Madrid n’a pas pu vraiment s’habituer aux rudesses des montées accidentées.
Arrivée à St Christo en 1h18 ! Il y a trois ans, j’ai fait la première partie du relai à 3 entre Sainté et St Christo. J’avais fait cette même distance en 1h16 ! Mais il ne me restait pas 52km à parcourir après St Christo ! J’arrive donc au ravito et j’en profite pour boire un peu d’eau. David arrive 10 secondes après moi. On repart ensemble dans la montée extrêmement raide qui suit le ravito. On est reparti sur les mêmes bases. Ça va vite. Il y a cependant une foule chaleureuse qui nous encourage dans cette montée. A la sortie de St Christo, je me retourne pour voir où en est David. Malheureusement, il a encore perdu du terrain. Je lui demande si ça va ? Il me répond que oui, mais ce n’est pas un oui très convainquant. Visiblement, il va falloir qu’on se sépare. C’est le désarroi. On se sépare sans mot dire, s’abandonnant chacun dans son effort, son endurance, mais surtout dans sa souffrance. Que peut-il bien lui arriver ? Est-ce un grand coup de fatigue, une grande défaillance qui pourrait plomber sa course ? Est-ce qu’il ralentit pour ensuite repartir de plus belle ? Ou a-t-il simplement décidé de réguler sa vitesse afin de mieux anticiper tous les kilomètres qui nous restent ? Cela, je ne le saurai pas avant la fin de la course. Mais je soupçonne fortement la défaillance physique et mentale, ce qui m’attriste compte tenu des efforts qu’il a fourni les mois précédents en préparation pour cette course. Je suis un peu abattu pour lui aussi dans la mesure où la hiérarchie est inversée. David, mon grand frère, est normalement devant moi pendant une course. Comment va-t-il accepter de parcourir encore une cinquantaine de kilomètres en courant après son petit frère ? Va-t-il pouvoir surmonter son éventuel ‘orgueil’ pour finir cette course correctement ? Je souhaite en tout cas qu’il se ressaisisse et qu’il puisse me rattraper, ou du moins qu’il ne perde pas trop de terrain.
Quoi qu’il en soit, il faut que je me reconcentre sur ma course, sur mon propre effort. La nuit a encore son lot de surprises à offrir et je dois me tenir prêt à affronter tout cela. Pour l’instant je me sens bien. Je mange assez facilement la montée après St Christo jusqu’à l’Hôpital. Les participants se font déjà rares autour de moi. On se sent déjà un peu seul. C’est justement à ce moment-là que je commence à me rendre compte que ma frontale, c’est de la daube. J’ai acheté la Petzl premier prix à 25€. Grossière erreur. On n’y voit franchement pas grand-chose, simplement un petit rond de lumière. Le champ qui est éclairé ne l’est que très faiblement. Ça n’offre pas beaucoup de sécurité. Mon frère a acheté une frontale Mammut. Ça éclaire comme un phare de voiture. C’est bien ça qu’il m’aurait fallu. Bref, on descend sur Sainte Catherine. Ça va plutôt vite et il ne faut pas poser les pieds n’importe où. Cependant, ma lampe avec son éclairage très faible, ne me permet pas d’anticiper la grosse flaque en plein milieu du chemin. Je bondis donc vers la droite pour éviter in extremis la flaque, mais j’atterris au bord du chemin dans une fine couche de boue, et c’est la glissade ! Je me retrouve la hanche et la jambe droite à terre dans la boue. Je me relève tout de suite pour ne pas perdre de temps. Sans conséquence apparemment ! J’ai la main droite trempée d’eau froide et boueuse, sans compter la jambe et la hanche, sinon ça va. Descente pour le reste tranquille sur Ste Catherine. Je suis tout de même un peu secoué. La fatigue se fait sentir un tout petit peu, mais pas de quoi être affolé jusqu’ici. Arrivée dans les ‘marécages’ du ravito de Ste Catherine. Il n’y a pas grand monde. J’en profite donc pour prendre un peu d’eau et du coca. Mais rien de plus.
A ce moment de la course, je suis 84ème au classement général (je ne le sais pas). Je suis conscient que je suis allé très vite pour arriver à Ste Catherine. Mais je me sens si bien ! Je savoure cette belle course, que c’est agréable. Je salue en souriant les passants dans Ste Catherine. La vie est belle……
Le supplice
Et c’est reparti sur les chemins gras et accidentés de la nuit. La douleur commence à faire son apparition dans les jambes. 25 minutes après mon passage à Ste Catherine, tout change. La fatigue qui se cachait en moi depuis plusieurs kilomètres déjà commence à se propager étrangement dans mon corps. Dans mes jambes, dans mon ventre et dans ma tête, c’est une sensation étrange et désagréable qui s’installe assez soudainement. Comme une bombe à retardement qui sommeillait en moi, le venin de la fatigue se déverse dans mon sang. Tout d’un coup, la nuit semble plus noire, chaque foulée semble plus difficile, et c’est toute ma perspective de la course qui se transforme en quelque chose de très obscur. De plus je suis vraiment tout seul. Il n’y a plus personne autour de moi. Seules les lumières lointaines de villages endormis font leur apparition dans les contours sombres des Monts du Lyonnais. Une lumière orange, glauque, illumine une partie du ciel. C’est la lumière de Lyon au loin. Ma frontale illumine comme elle peut le chemin devant moi. Mais c’est une lumière grisâtre et laide. En somme, tout autour de moi est obscurité. Une obscurité si profonde que même les lumières paraissent céder au noir.
Il s’agit évidemment de mon état d’esprit qui a basculé du « côté obscur de la force » et qui refuse dorénavant de voir quoi que ce soit de positif ou d’encourageant. La plus grande bataille contre moi-même est sur le point de s’engager.
La bataille contre mon ventre ! On est vers la Bullière en route vers le Bois d’Arfeuille et St Genoux. Une nausée se saisit irrémédiablement de mon ventre. Cette nausée se mélange avec d’affreux maux d’estomac qui me font croire à une éventuelle « explosion » de diarrhée (pardon pour ces détails grotesques). Mais tout de suite, j’écarte l’idée de m’arrêter pour essayer d’assouvir un besoin quelconque. Il n’en est pas question. À partir de ce moment je croiserai assez fréquemment des participants en train de succomber à l’appel de leur estomac martyrisé, ce qui me permet de comprendre qu’évidemment, je ne suis pas le seul à souffrir le même supplice. Inutile de préciser que je dois commencer à lutter contre la fatigue des jambes
Passage dans le Bois d’Arfeuille. On m’avait prévenu que c’était pentu. Je souffre tellement au ventre à ce moment-là que je ne me rends même pas compte de la raideur de la descente. Je suis encore tout seul, ce qui rend la progression d’autant plus difficile. Je préfère être entouré d’autres participants. Ça n’enlève rien à la douleur, mais ça permet d’éviter ce sentiment de solitude qui ne fait qu’accentuer la détresse que nos souffrances nous causent. J’ai maintenant l’impression de courir très lentement. Je m’achemine péniblement vers le ravitaillement de St Genoux. On y est enfin. Ici, je ne suis pas tout seul. Déjà plusieurs coureurs ont commencé à me dépasser après le Bois d’Arfeuille. Au ravito, je demande au volontaire combien de kilomètres on a parcouru. 34km me dit-il ! Cela me semble impossible. Je vois déjà mon objectif de 6h30 balayé comme de la poussière. Je n’arrive pas à croire qu’il me reste encore 34 km à parcourir. Je n’ai donc fait que la moitié de la course ? Bon, s’il l’a dit, c’est que c’est vrai… Je reprends donc la route encore plus désespéré qu’avant. La montée suivant le ravito de St Genoux ne contribue pas à me remonter le moral. Des coureurs commencent à me dépasser. Je lutte encore contre mes maux d’estomac. Et David, où peut-il bien être. Peut-être est-il en train de me rattraper ? Il a peut-être abandonné. J’imagine assez régulièrement le voir arriver par derrière avec sa grande lumière de camion. Je me retourne de temps en temps quand je vois une lumière plus forte que d’habitude. Ça serait chouette s’il me rattrapait. On pourrait continuer ensemble, s’encourager. Mais jamais je ne le vois arriver.
J’arrive enfin en-haut de la pente et j’aperçois le panneau indiquant que l’arrivée est à 30km. C’est précisément à ce moment-là qu’une vue splendide d’un Lyon lointain s’ouvre à moi. « Alleluïa ! » Je le dis à voix-haute. On m’a donc mal informé au ravito de St Genoux. Lyon est plus proche que prévu. Je reprends courage. Je sais que d’ici, il y aura beaucoup de descente. Je continue donc mon chemin dans la descente qui mène à Soucieu. Mais j’ai l’impression de tourner au ralenti. En réalité ce n’est pas une impression. Je ne fais pas plus de 10km/h dans la descente. Mes jambes me font très mal et mon ventre continue à me torturer. J’essaie de penser à autre chose, mais il m’est presque impossible d’ignorer les douleurs. J’essaie de penser à ma femme, aux quelques instants de douceurs qu’on a pu avoir la veille avant que je m’en aille pour St Etienne. Il y a aussi des mélodies de musiques qui me tournent dans la tête. Mais rien y fait, l’essentiel de mon esprit est prisonnier de la souffrance. L’idée d’abandonner me traverse l’esprit à plusieurs reprises, mais je n’envisagerai jamais sérieusement l’abandon. A quoi bon de toute façon ? J’ai déjà froid en courant, alors si je m’arrête, ça ne sera que pire, et j’aurais à trouver un moyen de retourner à Lyon, ce qui ne serait pas chose évidente. Non, la déception de l’abandon serait encore pire que les quelques heures de souffrance qui me restent. Le meilleur moyen d’arriver à Lyon, c’est en courant, lentement mais sûrement.
Il faut quand même que je pense à manger. Je saisis une barre de céréales énergétique. J’essaie de prendre une bouchée, et en l’avalant, j’évite de peu de régurgiter la barre. La nausée est si forte à ce moment-là, mais je me dis que si j’ai pu avaler ça, c’est un signe que mon ventre va tenir le coup. La descente vers Soucieu est une bataille. Beaucoup de gens me dépassent maintenant. Mais il ne faut pas que je fasse attention à eux. Je dois continuer à me concentrer sur mes propres efforts. Jusqu’à Soucieu, c’est un peu le flou, c’est long et tortueux. Mais enfin, j’y arrive. L’entrée dans le village est étrange. J’ai l’impression de débarquer d’une autre planète. Je suis presque ébloui par la lumière orange des réverbères. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai envie de donner bonne impression aux gens qui nous regardent passer. J’accélère un peu le rythme, je me redresse. On pourra croire que tout va bien, qu’il ne s’agit que d’un petit footing nocturne pour moi. Mais très vite, la douleur reprend le dessus et je reprends naturellement mon air de martyr. « Oulah » on me dit en me voyant passer. Quoi ? J’ai l’air si misérable que ça ? On arrive enfin au ravito. La deuxième féminine me dépasse juste avant d’arriver aux tables, accompagnée d’un monsieur. J’entends ce dernier faire une remarque sur les tours et détours qu’ils nous font faire derrière le gymnase et autour du mini-terrain de foot avant d’arriver enfin aux tables. Je m’arrête pour la première fois depuis le ravito de St Genoux. Jusqu’ici, je ne m’étais arrêté à chaque fois que 10 ou 20 secondes au maximum. Mais là j’en peux plus. Il faut que je souffle une ou deux minutes. J’essaie tant bien que mal de manger quelque chose. Je prends du coca-cola, de l’eau, une bouchée d’un biscuit, de la patte de sucre… tout cela en très petite quantité. Je me force pour avaler quoi que ce soit. La nausée et les maux de ventre ne me lâcheront jamais me semble-t-il. Je demande à un volontaire combien de kilomètres il reste jusqu’à Lyon. Il me répond environ 24. Je lui dis que je n’en peux plus. Je veux une réponse de sa part. J’ai envie qu’on me réconforte un peu ; qu’on me dise « courage », ou « allez, c’est bientôt fini », comme si cela allait me permettre d’échapper à ce que je suis en train de vivre. Mais il ne me répond même pas. Je regarde autour de moi. Tout le monde est silencieux. Même les gars de service aux tables ne parlent pas. J’ai l’impression qu’on ressort tous de la pire bataille que l’humanité ait connue, comme si chacun était totalement sonné à cause d’une explosion de mortier qui venait de s’abattre sur le champ de bataille non-loin de nous. A l’arrêt, la douleur dans mes jambes semble se faire sentir davantage. J’essaie de trouver un brin de courage pour me permettre de repartir. Je m’éloigne en marchant lentement. Je range péniblement mon gobelet dans mon sac. Je n’y arrive pas. J’ai trop froid aux mains. Je n’ai pas envie de courir tant que ce ne soit pas rangé. C’est aussi une excuse pour ne pas m’y remettre. Voilà, c’est rangé. Bon….. on y va….
Ce n’est même plus le courage qui me permet de repartir et de me replonger dans l’obscurité. Ce n’est pas un second souffle qui me relance (je n’en ai pas de second souffle à ce moment-là). Ce n’est pas la pensée de franchir la ligne d’arrivée à Gerland non-plus. Mais qu’est-ce qui me permet donc de repartir ? C’est peut-être la fierté, la hantise de l’abandon. « Il ne faut pas que je m’arrête » : voilà la seule idée qui me fait avancer et rien d’autre. La douleur, je ne m’y habitue pas ; elle ne s’amoindrit pas. Je l’accepte comme je peux.
Un kilomètre après le ravito, je croise un monsieur qui me dit que je suis 119ème au classement. Je pensais qu’au mieux j’étais dans les 400 ou 500 premiers. Je m’accroche donc à cette nouvelle pour y trouver un peu d’encouragement. J’hausse le rythme…. pendant 2 minutes. Mais je retrouve désagréablement ma ‘vitesse de croisière’ pénible et lente. Je me fixe comme prochaine étape Chaponost. Je m’y achemine difficilement ; la montée après le Garon n’est pas un cadeau. J’ai l’impression que je n’y arriverai jamais à Chaponost. De plus, depuis St Etienne, j’ai déjà en tête cette montée redoutable des aqueducs de Ste Foy les Lyons. J’y pense de temps en temps sachant que dans un « futur lointain », peut-être y arriverai-je. Quand j’y parviendrai, je serais content de m’attaquer à cette côte malgré sa difficulté car je sais qu’elle constitue vraiment le tout dernier obstacle me séparant de Lyon. Entre temps, il faut déjà que je parvienne jusqu’à Chaponost. Les minutes et les kilomètres passent lentement, lentement…
Enfin arrivé à Chaponost, je demande à un volontaire si l’on est bien où je pense. Il me répond par l’affirmative. Je sais alors que je m’approche d’une étape difficile. En effet, on m’a prévenu que le parc de Chaponost réservait une belle surprise. Je ne serai pas déçu. Une belle montée bien boueuse dans le parc finira presque de m’achever. Mon corps va tomber en morceaux si je continue. Chaque pas représente un effort colossal. Chaque foulée accomplie est un miracle dans cette boue épaisse. Mais qu’est-ce que je fais ici dans cette pente boueuse, la nuit à 5h du matin ? POURQUOI ?
Descente vers Ste Foy. Une envie pressante me saisit à nouveau. Je m’arrête une deuxième fois pour pisser un p’tit coup. Je continue encore et toujours avec ce ventre qui me fait des misères. Cette douleur va et vient en vagues. A chaque fois que la vague revient, je pense au pire (chiasse ou vomi… eh oui), mais à chaque fois, la gène diminue progressivement pour revenir en force par la suite. Je me frotte le ventre pour tenter de le réchauffer. Est-ce que c’est l’isostar qui me met dans cet état, ou est-ce que c’est le froid ? Je ressens régulièrement des douleurs au niveau du cœur aussi. Là aussi, je frotte un peu mon torse et la douleur s’en va (mais revient périodiquement).Cette descente vers Ste Foy est horrible. Mentalement, je suis au fond du gouffre depuis longtemps. Le fait de me rapprocher de Lyon n’a pour l’instant rien d’encourageant pour moi. J’arrive bientôt à Ste Foy sans trop y croire.
Ravito de Ste Foy : même sentiment de désolation qu’à Soucieu. Je ne m’attarde pas trop longtemps aux tables. Pourquoi faire durer la nuit ?
Le renouveau
Je sais maintenant ce qui m’attend : la montée des aqueducs ! J’ai tout d’un coup l’impression de sortir du cauchemar dans lequel je suis plongé depuis Ste Catherine. Arriver à la montée des aqueducs, c’est une victoire pour moi. Ça fait si longtemps que je pense à cet endroit. Plusieurs volontaires nous encouragent chaleureusement. Pour la première fois depuis Ste Catherine, je retrouve le sourire. J’attaque la montée en marchant. Une excitation s’empare de tout mon corps. C’est sans doute parce que je me rends compte que je ne serai plus dans le noir ; que les chemins boueux, glissants et accidentés sont tous derrière moi. Je pense encore aux milliers de personnes derrière moi qui ont encore tant d’efforts à fournir pour sortir du noir. Je pense aussi à David, ne sachant vraiment pas ce qui peut bien lui arriver en ce moment. Je me sens privilégié. Je suis un des premiers à sortir du « tourment » de la nuit. Le ciel est encore bien noir, mais les lampadaires illuminent tout. La lumière est tellement agréable. Quel bonheur de voir clairement où l’on pose ses pieds. Finalement, la SaintéLyon, je l’ai déjà terminée. Tout ce qui reste maintenant n’est qu’une formalité. Je monte joyeusement la rue pentue de Ste Foy. Je trouve même la force pour discuter et plaisanter avec d’autres participants. J’aperçois un certain soulagement dans le regard des autres. Ce second souffle que je pensais impossible à trouver, je l’ai enfin ! Je marche rapidement dans la montée. Et je recommence à courir dès que la route s’aplanit un peu. Il ne me reste même pas 10km. Par miracle j’ai retrouvé un peu de vitesse dans mon allure. Je dois courir à 12km/h environ dans les rues de Ste Foy. La fin est proche !
On s’apprête à plonger dans la descente ultime sur Lyon. L’énorme ville endormie mais illuminée se présente soudainement en contrebas. J’ai la ville à mes pieds ! Des larmes me jaillissent aux yeux. Je comprends à ce moment précis c’est qu’est la magie de la SaintéLyon ! Indescriptible.
Si j’avais le temps, je tomberais à genoux pour embrasser ce sol lyonnais. Cette terre promise m’attire à elle d’une force maintenant irrésistible. J’accélère encore le pas. J’ai l’impression de dévaler la pente vers la Mulatière. Le chemin de Fontanières, c’est la voie romaine, la voie royale vers la gloire qui m’attend. Certes, je m’emporte un peu en disant tout cela, mais ça montre à quel point je suis passé d’une extrémité à une autre. Du désespoir le plus profond à l’euphorie la plus complète. J’aperçois dans ce chemin de Fontanières le panneau indiquant l’entrée dans Lyon. Plus loin c’est le panneau indiquant les 5 kilomètres qu’il nous reste à parcourir. Un gars devant moi lève les bras silencieusement en voyant la courte distance qu’il reste. Je m’approche du centre d’échange de Perrache. Un passant me souhaite « bon courage ». Je lui réponds merci, mais ce n’est pas du courage qu’il me faut maintenant, puisque de toute façon c’est fini. Je passe devant le ravito à la place Carnot, surpris de voir qu’on nous propose une dernière halte si près de l’arrivée. Je ne m’arrête pas. Peut-être certaines des personnes moins ‘pressées’ trouveront sympathique de s’arrêter une dernière fois afin de trinquer aux 4 km qui leur reste. Je maintiens le bon rythme que j’avais retrouvé sur les hauteurs de Ste Foy.
Arrivée au palais des sports
La nausée et les maux de ventre ont quasiment disparus. La douleur des jambes est encore là mais semble s’être évaporée en partie. J’ai l’impression de courir sur des nuages. Sur le pont Gallieni, un tramway me dépasse. J’aperçois les passagers qui nous regardent étonnés et amusés. S’ils savaient d’où on venait… Des marches nous permettent de descendre sur les berges du Rhône. Je tourne pour m’engager dans les escaliers, mais une dame avec ses trois caniches bloque le passage avec ses laisses qui barrent presque toute la largeur des marches. « Attention » je lui dis, car je sais que d’autres coureurs arrivent. J’accélère encore sur les berges. Tout le monde semble avoir repris du rythme, mais je parviens tout de même à en doubler quelques uns. Tiens, ça ne m’étais pas arrivé depuis un moment de dépasser autant de monde. Malgré l’arrivée imminente, l’euphorie commence à retomber. Décidemment, cette dernière ligne droite sur les berges est bien longue ! Je me rappelle des nombreux kilomètres parcourus sur ces quais pendant l’entraînement. Je cours enfin en terres connues. Il fait encore nuit, cela nous permet d’admirer le joli bouquet de lumières que nous offre le parc de Gerland comme pour nous féliciter de nos efforts. La réalité de « la fin » s’est déjà installée dans mon esprit depuis presque 10 km. Je franchis donc la ligne d’arrivée tranquillement, je lève timidement les bras et je m’arrête en titubant un peu. Difficile de trouver son équilibre quand on ne tient presque plus sur ses jambes.
6h22 – voilà le temps qu’il m’a fallu pour aller de St Etienne à Lyon (149ème classement général). Je suis surpris d’être arrivé aussi proche de l’objectif que je m’étais fixé (6h30 au mieux) étant donné qu’il était vraiment difficile pour moi de prévoir ce que je valais sur cette distance.
APRES COURSE
Une douleur me saisit à nouveau le ventre. Je ne tiens plus debout. Je m’assieds parterre et tout mon corps se met à trembler violement de froid et de fatigue. Finalement, je trouverai la force de m’habiller. Ma femme a été prise au dépourvu par mon arrivée « anticipée », et donc n’a pas pu me voir franchir la ligne. Je la retrouve un peu plus tard. Je me douche vite-fait avant de passer chez les podologues pour me faire soigner une petite douleur au pied gauche. J’espère que David va bien. Est-il arrivé ? A-t-il abandonné. Je le retrouve enfin vers 8h du matin dans un couloir du palais des sports. Finalement, il ne sera arrivé qu’une petite demi-heure après moi (6h51). Il a tenu le coup et a fait un temps plus qu’honorable. Je ne peux que le féliciter d’avoir persévéré de cette manière après notre séparation à St Christo. Chapeau bas surtout pour quelqu’un qui ne s’est entraîné que deux mois dans la ville de Madrid en ne parcourant au maximum que 70km par semaine. S’il avait eu l’occasion de s’entraîner comme je l’ai fait, ça aurait été une toute autre paire de manches !
CONCLUSION
Comment donc résumer cette expérience en quelques mots ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela restera un moment inoubliable. A chaud, j’ai dit que cette course n’était qu’un cauchemar que je ne voudrai jamais rééditer. Il est vrai que j’ai un peu vécu l’enfer avec les multiples douleurs subies, ainsi qu’avec les coups de blues et le désespoir mental que j’ai pu endurer. Mais avec du recul, je me rends compte que l’expérience globale a été quelque chose d’exceptionnel, et je peux même trouver un peu de magie dans la « boucherie » de cette épreuve. Ayant toujours eu l’esprit de compétition, je n’ai pas pu faire la course simplement pour vivre l’expérience, pour m’amuser, avec pour unique objectif de la terminer. J’ai voulu me surpasser, et faire un bon temps. Mais que ce fut difficile ! Peut-être suis-je parti trop vite avec David. Je me dis qu’il aurait été sage de conserver quelques forces pour la seconde moitié de la course. Quoi qu’il en soit je félicite tous ceux qui ont participé à cette course. Je remercie aussi les organisateurs pour l’énorme travail fourni pour faire de cet événement quelque chose d’exceptionnel.
5 commentaires
Commentaire de Matov posté le 27-01-2009 à 17:34:00
va falloir m'expliquer comment faire une mise en forme de texte de CR sur ce site...
Commentaire de jepipote posté le 27-01-2009 à 18:08:00
trés sympa ton récit. félicitation d'avoir tenu mentalement!!
Commentaire de thunder posté le 27-01-2009 à 20:44:00
Pour la mise en forme faut tester ;)
Maintenant j'ai les détails de l'aventure.
Il y a quelques mois un ami m'avait dit "il n'y a pas de victoires, il n'y a pas de défaites, il y a juste des expériences" Te voilà riche d'une expérience de plus et maintenant il reste plus qu'à se faire plaisir
Commentaire de intuitiv posté le 28-01-2009 à 08:05:00
super chrono,
le recit me rapelle quelquechose.... sauf que j'ai mis 2h10 de plus donc encore bravo
Commentaire de Mamanpat posté le 28-01-2009 à 10:28:00
Que de souffrances !
Maintenant tu ne peux plus dire "plus jamais", tu es obligé d'y retourner pour la vivre différement et surtout connaître à nouveau cette euphorie qui nous touche tous à un moment ou un autre de la course !
Et bravo pour ce superbe chrono !
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