Récit de la course : La Trace des Maquisards de l'Ain - 80 km 2022, par flblanc

L'auteur : flblanc

La course : La Trace des Maquisards de l'Ain - 80 km

Date : 19/2/2022

Lieu : Bourg En Bresse (Ain)

Affichage : 1184 vues

Distance : 80km

Matos : Evadict TR2
Legging chaud CIMALP
t-shirt technique Kalenji + manchons

Objectif : Terminer

5 commentaires

Partager :

Trace des Maquisards de l’Ain - 2022

La Saintélyon c’était super. Donc forcément, deux jours après, je m’inscris à la Trace des Maquisards, dont j’avais entendu parler après l’Ultra01. Prenez le concept de la STL, à savoir 80 bornes de nuit d’une ville à l’autre. Enlevez de la route, ajoutez du trail; enlevez du D-, rajoutez du D+; gardez la boue; saupoudrez de montées et descentes scabreuses. Ça donne la Trace, de Bourg-en-Bresse à Oyonnax à travers les reliefs de l’Ain à la fin du mois de février. 

 

Entraînement

De fin août à fin novembre, la STL avait été au cœur de mes préoccupations: entraînement rigoureux avec plusieurs semaines à plus de 90 bornes, sorties longues de nuit, réflexion approfondie sur le matériel, et même prise d’un jour de vacance pour faire une sortie de 50 bornes un mois avant la course. J’ai rapidement abandonné l’idée de faire pareil pour la Trace. D’abord récup de la STL, puis vacances de Noël, puis un besoin net de me re-concentrer sur le boulot en janvier. Il aurait été possible de faire une prépa solide malgré tout ça en le voulant suffisamment, mais c’est ça le truc: j’avais envie de faire la Trace, mais pas avec le même niveau d’engagement que la STL. Sportivement parlant, je me sentais la flemme de courir, et l’envie de faire de la muscu à la place. 

 

J’ai réfléchi à renoncer, mais une des raisons pour lesquelles j’avais choisi cette course est que c’était probablement le dernier ultra auquel je pourrais prendre part avant la naissance de ma fille en juin (sachant que je factorise dans tout ça ce que la préparation, et l’organisation du jour J, imposent sur ma compagne). Et puis le concept me tentait vraiment et de toute façon, je n’aurais pas fait une perf de l’espace même avec une prépa au millimètre. J’ai donc fait le minimum syndical, pic aux alentours de 75 km trois semaines avant la course, avec pas mal de dénivelé selon mes standards, et une juste une sortie longue ratée à S-2 pour cause de fatigue mentale (c’est-à-dire de flemme). J’espérais aussi avoir encore quelques restes de la prépa STL. Par contre, comme je l’ai dit plus haut, énorme motiv pour faire de la muscu et notamment des squats. À la fin du cycle je me retrouve donc dans la situation bizarre d’avoir pris trois ou quatre kilos depuis décembre, du gras mais aussi pas mal de muscle dans les cuisses et les fessiers. Cela se révèlera-t-il payant dans les montées? 



Avant la course

 

J’arrive à Oyonnax avec ma chérie le samedi aprem, on récupère le dossard, un bisou, et je prends la navette direction Bourg-en-Bresse. À Bourg, c’est un peu la cohue pour entrer dans la chapelle où on peut laisser les sacs de délestage. Une fois dedans j’inspecte une dernière fois mon matos, reste sur ma décision de laisser les bâtons dans le sac pour éventuellement les prendre à la BV, et pose mon sac avec les autres. On écoute le briefing d’avant-course, quelques mots de personnalités locales, et Casquette Verte dit aussi des trucs. Un clapping plus tard et c’est parti.



Bourg-en-Bresse – Drom 18h - 21h

Ça commence par une douzaine de bornes dans les rues et la périphérie de Bourg. Au départ, c’est route plate et pistes cyclables, puis sentiers à mesure que l’on s’éloigne du centre, longeant champs, zones commerciales et autoroutes. Je prends immédiatement le parti de garder activement le pied sur le frein. Sur le plat pendant cette portion, je tourne à environ 6min30/km, c’est même un peu plus rapide que ce que je voulais. Du coup je me retrouve rapidement vers la fin du peloton, ce qui ne me pose pas de problème.

 

La dernière fois que j’ai fait un ultra dans l’Ain, j’ai fini dernier sénior homme et avant-avant-dernier au scratch. Les circonstances étaient certes différentes (je prenais le départ blessé et sévèrement sous-entraîné), mais j’avais aussi commis l’erreur de partir trop fort. Donc cette fois-ci je trottine en mettant mon ego de côté, et je profite du moment alors que la nuit tombe doucement. 

 

On entre dans une forêt le long d’un torrent, la Vallière, qui débouche au pied d’une belle cascade. C’est vers le km 12, à Ceyzériat, et ça marque la fin de la portion un peu vilaine des abords de Bourg-en-Bresse. Place à la jolie campagne de l’Ain, ses forêts, ses crêtes et ses rivières. Le peloton s’est bien étiré, et en sortant de Ceyzériat je suis quasiment tout seul. La première ascension, juste après, passe assez bien. On traverse d’abord la Cabane du Maquis, dans la forêt, puis ça débouche sur un chemin en balcon avec une vue magnifique sur les lumières de Bourg-en-Bresse et la plaine de l’Ain. Nuit claire, pas un nuage, les étoiles brillent, c’est le top. Il fait 2°C mais sans vent ni pluie, je n’ai pas froid malgré ma tenue relativement légère (t-shirt manches courtes et manchons). On passe le col de la Pérouse où des bénévoles/spectateurs me demandent s’il reste beaucoup de gens derrière moi. Je n’ai aucune idée de mon classement, mais vu la question je me doute que je dois vraiment être dans les derniers… ce qui me met un petit coup au moral malgré mes résolutions. “Au moins un”, je réponds, parce que j’ai doublé un mec à la sortie de Ceyzériat. Je continue le long de l’observatoire, me demandant un instant si on est pas en train de pourrir le groove des astronomes avec nos frontales. Le sentier est au bord de la falaise, c’est trop bien. Quelques kilomètres plus tard, la ligne de crête commence à descendre, le sentier est un monotrace très agréable et assez sec. J’en suis heureux, ayant privilégié la polyvalence et le confort sur les sections de route en chaussant mes Evadict TR2 plutôt que mes Speedcross. Au km 19 un gros groupe de bénévoles encourage bruyamment les coureurs, ça fait super plaisir. Je continue tranquillement, prenant garde de ne pas envoyer la sauce dans la descente. J’arrive au ravitaillement de Drom à 21h, soit pile trois heures de course. Je me sens frais, motivé, joyeux même, et j’ai une demi-heure d’avance sur mon plan de marche. Que demander de plus? Un peu de soupe aux champignons (délicieuse), du comté, remplissage des flasques, et c’est reparti. 

 

Drom – Corveissiat (BV) 21h - 23h30

 

En quittant le ravito, il y a une petite bosse à passer, puis quelques kilomètres dans la forêt avant d’attaquer la seconde grande montée de la course. J’ai assez peu de souvenirs précis de cette partie. Je me rappelle juste avoir savouré la solitude, et m’être fait plusieurs fois la remarque que j’avais les jambes plutôt solides. La nuit est toujours aussi étoilée et la lune est sortie. Je passe un très bon moment, et pense avec gourmandise à l’énorme boîte de bonbons qui m’attend bien au chaud dans le sac de délestage. Les derniers kilomètres avant la BV sont en descente et passent plutôt bien, à part peut-être une section goudronnée juste avant l’entrếe dans le village qui éprouve un peu mes pieds et mes quadriceps. Une borne avant la BV je croise un coureur dans le dur, et je l’encourage un peu. “Allez, la BV est dans une borne, ça va le faire.” “...” “Tu veux une barre, ou quelque chose?” “... des jambes”. Je le laisse avec deux spectateurs qui ont l’air de le connaître. J’arrive à la BV frais et dispos un peu avant 23h30. C’est 45 minutes d’avance sur mon planning. Les sensations ont été excellentes jusque-là et comme prévu je me pose presque vingt minutes. Je savoure une soupe (de pâtes, cette fois), du comté et des tucs. Le comté c’est trop bon. C’est la première fois que je fais une course avec un sac de délestage, du coup j’ai emporté la moitié de ma maison, mais finalement les conditions de course sont très bonnes et je n’ai pas besoin de grand-chose. Je vide mes poches des emballages de barres, en récupère d’autres que je range dans mon sac, et je change la batterie de ma NAO même si la batterie d’origine a encore 3 barres sur 3 (je cours toujours avec le faisceau sur la puissance minimum possible, ça marche nickel sauf quand on est suivi de prêt par des coureurs avec des frontales plus puissantes). Je me déleste aussi de mon pantalon de pluie. Et finalement, je sors le truc que j’attends depuis le début de la course: la boîte de bonbons format soirée ! 600 grammes de sucre, de gélatine à la provenance douteuse et de plaisir coupable, qui m’attirent les rires et les sourires des coureurs autour de moi. Ma proposition de faire tourner la boîte ne rencontre pas un gros succès auprès de ces derniers, ce qui est certainement à mettre à leur crédit. Tant pis, ça en fait plus pour moi, et je me goinfre par poignées. L’heure tourne, il va falloir repartir, mais pas avant de placer encore quelques poignées de bonbons dans un sac de congélation. Pour la route. 

 

Corveissiat - Granges (23h50 - 2h50)

 

Je repars de la BV avec beaucoup d’envie. Je me sens toujours très bien et je suis optimiste quant à la suite de la course. Par contre, je me suis beaucoup réchauffé dans le gymnase, et je me mets vite à claquer des dents (il fait environ 0°C). Ma veste est dans la poche arrière de mon sac, pas super facile d’accès, surtout quand il faudra ensuite l’enlever et la re-ranger. J’ai la flemme donc je me dis “si dans cinq minutes tu claques encore des dents, tu sors la veste”. 

Une bonne minute plus tard, je sors la veste que j’enfile par-dessus le sac. Mon corps se réchauffe vite mais pas mes doigts, seulement protégés par des gants fins. Mes doigts ont très vite froid, et j’ai prévu une multitude d’options pour ce cas de figure: chaufferettes chimiques, sur-moufles imperméables, et même gants chauds et imperméables de montagne. C’est vraiment le truc pour lequel je suis prêt à embarquer tout un attirail, parce que je flippe quand mes doigts perdent toute sensibilité comme ça m’est arrivé plusieurs fois pendant des sorties trail. À la STL, les chaufferettes ont sauvé ma course à la sortie de Sainte-Catherine. Pour ce coup-ci, j’enfile les gros gants. Quelques minutes plus tard je me suis totalement réchauffé, et je suis même d’humeur à faire un peu d’arithmétique. 

“Donc, la seconde portion, celle que je viens de faire, c’était 15 km, et franchement ça passait. Là il y en 17 donc c’est un peu plus long, mais par contre, ça veut dire que le prochain ravito est au kilomètre 54. 80 - 54 ça fait 26, 26 km c’est une sortie longue du week-end, ça passe easy. Conclusion, la course est finie au km 54.” 

Voilà voilà. Je me rappelle vaguement de ce profil de course avec encore trois grosses montées, dont deux massives, et du dénivelé total montant, mais je décide de ne pas les intégrer à mon calcul, et je continue joyeusement. En plus, ça descend ! Quelle course vraiment super! J’enlève vite veste et gros gants une fois réchauffé.

 

Bientôt, je débouche au dessus du viaduc de Cize, que l’organisation a éclairé en Bleu-Blanc-Rouge. Voilà l’image qui me viendra en premier à l’esprit quand je repenserai à cette course: le pont illuminé aux couleurs du drapeau, se découpant dans la nuit entre des falaises juste devinées. Je traverse le pont sous les encouragements de bénévoles enjoués et bruyants. C’est le kilomètre 43, la mi-course est passée depuis 3 kilomètres, les sensations sont excellentes, preuve que faire des squats avec une barre sur le dos c’est en fait un super entraînement pour un ultra, j’adore cette course et j’adore ma vie.

 

Et bien entendu, tout bascule. 

 

En sortant du viaduc je me prends un mur. Littéralement: un mur à escalader - j’exagère un poil, mais il faut mettre les mains. Ça dure pas longtemps, mais ça casse un peu l’élan, et surtout, je vais comprendre que ça présage de ce qui suit. 

Ça monte, raide, et longtemps. C’est dur. Pour la première fois de la course mes quadris accusent le coup. Et je me traîne: je n’ai jamais été rapide en montées, mais mes kilos supplémentaires n’arrangent pas les choses. Je regarde ma montre qui affiche “--- min/km” et j’ai envie de cogner un ingénieur Coros. Au début, j’essaie de relancer un peu sur les rares (faux-)plats, mais je renonce vite parce que mes jambes ont trop besoin de ce répit. J’arrive enfin en haut, heureux à l’idée de descendre, mais je déchante vite pour deux raisons. La première, c’est que j’ai finalement trouvé la fameuse boue annoncée: le sentier est un bourbier. La seconde, c’est que cette montée a eu raison de mes bonnes sensations. Mes jambes sont attaquées, j’ai mal aux pieds, et je n’arrive pas à courir. Depuis le pont, la montée m’a pris une heure: une heure pour quatre kilomètres, à voir le compteur de ma montre rester figé pendant de longues dizaines de secondes, à me dire “dès que ça va descendre, tu vas courir, tu reprendras du temps”. Me voilà à la descente, incapable de relancer, et je prends le premier gros coup au moral depuis le début de la course. 

On s’en fout. Il faut continuer. Peu à peu, quelques sensations reviennent, et cette boue est plus compacte que je ne le craignais. Je remets un peu de rythme - on parle de 9 ou 10 minutes au kilo, hein, mais c’est toujours ça, et je parviens même à doubler un coureur que je suivais de loin depuis le viaduc. Et puis, alors que l’espoir revient, je me retrouve face à une nouvelle montée basiquement identique à la précédente. Ça m’apprendra à ne pas étudier le profil et la trace avant la course. 

Rebelotte. Quadriceps en souffrance et mental en déliquescence. J’arrive en haut éclaté, bascule comme un zombie, à ce stade j’ai aucune idée si le ravito est au bout de la descente ou si on a encore 5 ou 6 enchaînements comme ça. Mais une fois de plus je me fais la remarque que cette boue est navigable. 

Un souvenir marquant de ma (courte) carrière d’ultra-trailer est la portion finale du 90 km de l’Ultra 01, en juillet 2021. Arrivé blessé et mal préparé, je m’étais retrouvé à marcher les 50 dernières bornes, essuyant au passage un orage monumental qui avait lessivé les sentiers. Sur les dernières bornes se trouvait une descente de deux kilomètres extrêmement raide que la pluie avait transformée en patinoire. Il m’avait fallu deux heures pour passer cette section, de nuit, notamment en glissant sur les fesses, et ça reste le moment de course le plus éprouvant que j’ai vécu tous formats confondus. J’appréhendais une situation similaire sur la Trace et, vu la boue, la technicité et la raideur de cette descente, les ingrédients sont là. Pourtant, les sensations sont totalement différentes. Certes, je suis en meilleure forme et avec deux fois moins de bornes dans les pattes, et cette fois l’orga a posé des cordes dans les passages les plus scabreux. Mais je me sens aussi beaucoup plus à l’aise, y compris psychologiquement, et je double plusieurs coureurs. Tout cela contribue à me remonter le moral. J’arrive au ravito, bien heureusement au bout de cette descente, fatigué mais avec une envie retrouvée. 

 

Granges - Izernore (3h05-5h45)

 

Je décide de prendre mon temps au ravito. Il est 2h50 du matin, j’avais prévu d’y arriver autour de 4 heures, je suis super en avance et j’ai besoin de souffler. C’est dans une tente ouverte, certes chauffée, mais le différentiel de température avec l’extérieur n’est pas trop important. Les bénévoles sont sympas, la soupe chaude et le comté toujours aussi bon. Surtout accompagné de tucs. Un gentil bénévole, l’air d’un vieux briscard, remplit mes flasques pendant qu’un cadet de la gendarmerie me prépare de la soupe, c’est royal. Je m’assois un moment pour déguster mes victuailles et échanger un peu avec ma chérie qui me suit par whatsapp depuis le début de la nuit. “Portion très difficile”. “Bravo mon chéri !! C’était la plus dure.” me répond-elle. Cette phrase va me faire tenir tout le reste de la course. 

 

Je pars du ravito remotivé, pas totalement au taquet mais pas un zombie non plus. Je trottine sur la route pour me réchauffer, on passe un pont qui surplombe une cascade, c’est super beau même dans la nuit. Et puis c’est l’heure de la montée. Encore. 

Même tarif. J’ai de plus en plus mal aux jambes, de plus en plus cette impression de faire du surplace, qui pour moi est la chose la plus nocive pendant un ultra. C’est interminable, des bornes à 16 min/km, j’ai mal au dos et pense à mes bâtons bien au chaud dans le sac de délestage. Il se met à pleuvioter, ça restera comme ça presque jusqu’à la fin de la course, mais ce n’est même pas une fine bruine. Finalement ça arrête de monter, mais je suis pas sûr qu’on y gagne au change: une brève descente raide nous amène au pied d’un mur. Il faut ensuite remonter le mur en s’accrochant aux troncs d’arbres. Bref, mais intense. Une fois au sommet, je m'aperçois avec apathie que je n’arrive plus à trottiner, ou presque. Je commence à avoir très mal aux pieds, notamment une douleur sur le dessus du pied gauche apparue je ne sais pas comment vers le km 56. On passe la stèle du maquis de Chougeat, puis on redescend vers le village du même nom. C’est dur, ma foulée est ridicule, plus proche de celle d’un canard qui s’essaierait au ski de fond classique. Dans le village, descente sur du goudron, je frôle le craquage mental, puis une petite remontée dans la forêt après un croisement. Pendant une minute ou deux mes muscles apprécient de ne plus descendre, puis la douleur revient, bien évidemment. Je continue tant bien que mal, cette montée est assez courte, ça redescend vite derrière, et on voit des lumières, c’est forcément Izernore ! Je m’éteins dans cette descente. Je renonce. Je marche, tout penaud, les épaules affaissées. Le couple de coureurs qui me suivait depuis le ravito précédent me remonte et me double. Je ne dis rien, ne me pose pas de question, et prends le train en marche. Je me colle à eux comme un pique-assiette et me force à suivre le rythme, qui est solide, ça trottine bien. Petite portion en forêt, j’ai repris un peu d’assurance, puis un sentier dans un champ, très boueux où je glisse mais ça tient. Au bout d’un moment la dame se met sur le côté. “Tout va bien?” je lui demande. Elle me fait signe que oui. “Merci pour le train”, lui dis-je en la dépassant. Devant nous l’autre coureur s’arrête; je le remercie également (“Merci beaucoup pour la relance!”) et continue tout seul. À ce stade de la course, ces remerciements représentent le summum de l’altruisme dont je suis capable. 

Un peu plus loin, je passe un pont étroit au-dessus d’un torrent que l’on devine loin en contrebas. Ou peut-être que je me fais un film, je sais pas, je suis un peu attaqué mentalement. “Continue, regarde tout droit, regarde pas en bas, regarde tout droit, continue” Vertige et ultra c’est pas un super combo. Ça promet pour de futurs ultras en montagne. 

Puis encore un champ, et enfin Izernore. J’atteins le ravito vers 5h45, soit juste avant les douze heures de course. 

 

Izernore - Oyonnax (6h - 8h15)

 

Je suis totalement éclaté (et en plus le ravito est à l’étage ! j’espère que ce D+ est compté dans le total!). Le directeur de course est présent avec d’autres bénévoles, l’ambiance est sympa, ça blague, j’écoute en silence pendant que je collecte ma bouffe. Le couple que j’ai doublé arrive un peu plus tard, ils connaissent le directeur de course et j’apprends qu’ils sont mariés en écoutant la conversation. Je mange du comté. J’ai mal partout, je n’en peux plus, et ça doit se voir sur ma tronche: “Allez, c’est presque fini” me dit la dame du couple. “Oui, c’est vrai” je réponds faiblement. “Il reste douze kilomètres jusqu’à Oyonnax” déclare le directeur de course. “Vraiment douze?” demande le mari. “Bon, ok, 12,5 - mais c’est sans commune mesure avec ce que vous venez de traverser”. Pause. “Allez, y a bien le premier kilomètre qui est un peu pénible, mais sinon…” Je reprends du comté. Avec des tucs. Le combo comté/tucs c’est une grande révélation de cette course pour moi. Je remplis mes flasques avec une bouteille qui traînait sur la table. “Comptez plus de deux heures. Deux heures c’est en bombardant”. Je paraphrase parce que j’écoutais que d’une oreille, mais l’idée d’avoir encore au moins deux heures et demie d’effort ne m’enchante pas. En fait je m’en fous. Je suis en mode victime consentante. Je me lève, remercie les bénévoles, lance un au-revoir à la cantonade, et je repars. 

 

Le canard skieur de fond est de retour pour un bref moment, le temps de sortir du village et de gagner les sentiers. Là, ça se met à monter direct, donc je passe sur de la marche. Comme annoncé par le directeur, rien à voir avec les montées précédentes. Celle-ci est nettement moins raide, parfois presque un faux-plat montant. Je trouve ça encore plus frustrant, parce que je me dis que j’aurais pu courir, au moins en partie, si j’avais été plus frais. Et aussi que, à défaut de courir, c’est le terrain et l’inclinaison parfaits pour la marche nordique et que je suis un gros abruti d’avoir laissé mes bâtons à la BV. Enfin je sais pas. Ils m’auraient saoulé dans la descente. Mais bon quand même là ça serait cool de les avoir. J’avance lentement, à petits pas, maudissant cette montée qui ne s’assume pas, conscient de payer ma préparation tronquée. Je suis au bout du rouleau, je me sens essoufflé non pas parce que mon cœur travaille, mais parce que j’ai mal aux intercostaux comme à tous les autres muscles. D’ailleurs, mon cœur commence à descendre sous les 120 bpm, qui est mon seuil auto-déterminé de “arrête de te toucher la nouille et bouge-toi un peu”. Ce que j’arrive globalement à faire. C’est marrant n’empêche: au début de la course, le capteur cardiaque est là pour m’éviter de trop forcer, et à la fin, c’est le contraire. Sans aller jusqu’à courir, je relance un peu l’allure de marche, allant jusqu’à balancer mes bras dans ma plus belle imitation d’un Yohann Diniz des grands jours. Le soleil se lève peu à peu, la journée sera nuageuse mais ça fait plaisir de pouvoir éteindre la frontale après douze heures d’obscurité. Il n’y aura pas, cependant, de grande relance mentale à la vue de l’astre du jour, comme cela arrive parfois. Je continue en maudissant mes pieds jusqu’au panneau: “Arrivée dans 5 km” placé juste avant le sommet de la bosse. Descente jusqu’à Oyonnax, tout va aller mieux maintenant ! Non, bien sûr que non. Mais j’arrive quand même à courir un peu - tapant même des pointes à 7min55 au kilo alors que l’on rejoint une route en périphérie d’Oyonnax. La ville est là, toute proche, et je me demande quel détour pervers les orgas ont prévu en guise de bouquet final. Le jour étant levé, il y a de nouveau des spectateurs, mais ils ne reçoivent qu’un rictus de douleur en réponse à leurs encouragements. Je suis un mec théâtral, ok? On quitte la route pour une ultime portion de trail dont les cailloux achèvent de me dégommer les pieds. Il doit rester trois bornes et je craque. La douleur à mon pied gauche apparue au kilomètre 56 n’a fait que s’amplifier et porte la responsabilité principale de mon incapacité à courir. Ça en est au point que je commence à psychoter de m’être fait une fracture de stress. Je pense au fait qu’en ultra il faut résoudre les problèmes, je pense à Courtney Dauwalter qui a du abandonner la Western à 2 miles de l’arrivée parce qu’elle s’était flingué un genou (en fait elle a abandonné à 20 miles, mais c’est pareil), je pense à la foulée fluide et bondissante du coureur qui vient juste de me doubler, et décide de mettre le clignotant. Juste à ce moment, le couple que j’avais laissé au ravito d’Izernore me double aussi, et je leur souhaite une bonne fin de course. Je m’assois sur une grosse pierre et desserre les lacets de ma chaussure gauche. Le résultat est un peu instable, mais étonnamment satisfaisant, et je repars tant bien que mal. Il va cependant me falloir un surcroît de motivation pour terminer la course. Le moment est venu, et au prix d’une haute lutte avec mon sac, je dégaine le sachet de bonbons que je m’étais mis de côté à la BV. Ils devraient mettre ces trucs sur la liste de la WADA parce que je me remets à trottiner à un impressionnant 8 min/km pour la portion finale de route. Une bénévole m’annonce qu’il reste environ un kilomètre, mais je ne la crois pas. Je croise un mec qui fait son run du dimanche matin, survet et écouteurs. Signe de la main réglementaire de ma part, il me regarde d’un air intrigué. Un peu plus loin, un autre bénévole me complimente sur le fait que je suis en train de courir, et me dit qu’il reste cinq cent mètres, mais je ne le crois pas. Il faut jamais croire les gens qui annoncent la distance. Je cours sur un trottoir, virage, je crois bien que c’est Valexpo là, mais probablement pas, parce que c’est trop proche, il doit certainement rester encore deux bornes, parce qu’il reste toujours deux bornes de plus, mais non, les quelques spectateurs sur le bord de la route me disent que c’est presque fini, je suis sur le bord du parking et je cours encore, je veux arrêter alors je pense à ma fille à naître en me disant que je dois courir pour elle. J’ai beaucoup pensé à elle pendant la course - je ne l’ai juste pas écrit (théâtral, mais pudique!). Ça me donne un peu plus envie de pleurer, je suis au bord des larmes comme presque toujours à ce stade. Le corridor me guide jusqu’à l’entrée de Valexpo, j’entre, et je franchis enfin l’arche d’arrivée en essayant sans succès d’avoir l’air fier pour la photo. Résultat, 14h17 et un béret de Maquisard trop classe. 

 

Notes diverses

 

  • Dur à croire, mais les squats (même lourds) ne sont pas un substitut adéquat aux sorties longues.

  • Ceci étant dit, mes jambes ont relativement bien encaissé, même si les sensations étaient mauvaises une fois passé le viaduc.

  • Mes genoux ont bien tenu mais mes pieds ont été atomisés. C’est principalement sur ça que je paie la prise de poids.

  • Je fais un classement merdique (144/192 et 31/37 SEH), mais moins merdique qu’à l’Ultra 01 (même si j’ai l’impression que je suis encore le dernier SEH finisher…). Et surtout, remontée quasi constante depuis la 170-ème place à Drom. Je suis très content de ça.

  • Les Evadict TR2 sont le meilleur rapport qualité-prix de l’histoire de la chaussure de trail à travers les âges.

  • Une fois de plus, aucune ampoule, et pas de précaution particulière.

  • Le craquage physique sur la dernière portion se voit très nettement sur la courbe de rythme cardiaque. Basiquement, une fois parti d’Izernore, je n’ai plus atteint la zone 2 sauf sur la route en toute fin de course. C’était malgré mes efforts pour relancer. J’ai vécu un effondrement similaire pendant l’Ultra 01, mais pas pendant la STL.

  • Toujours pas sûr à propos de ma décision de ne pas prendre les bâtons. D’abord, quand j’ai les bâtons j’ai tendance à ne pas faire l’effort de courir. Ils auraient été utiles dans certaines montées, mais m’auraient plus encombré qu’autre chose pendant les descentes techniques. Ils auraient aussi pu me faire gagner pas mal de temps, et préserver mon mental, sur la toute dernière section. Il va falloir que je refasse quelques séances avec et surtout que je m’entraîne à être fluide pour les sortir et les ranger. 

  • Hormis ce, matériel au top. Ça commence à être rodé de ce côté-là.

  • Je n’ai pas une seule fois ressenti le manque de sommeil. On dirait que le rythme “couché à 21h et levé avant 6h” de ces derniers mois paye. 

  • Deux 80 bornes à 2 mois et demi d’intervalle ça ne me va pas. C’est trop long pour préserver la forme entre les deux, mais trop court pour bien récupérer du premier et se préparer sereinement pour le second. Ça changera peut-être à mesure que les années passeront.

5 commentaires

Commentaire de TomTrailRunner posté le 25-02-2022 à 14:06:04

Bravo : très belle abnégation de ta part d'avoir fait cela en solo. Respect

NB pour les bâtons, je les considère très utiles pour pouvoir avancer non seulement en montées mais aussi en faux-plats et plats / possible de trottiner là où tu marcherais sinon

Commentaire de flblanc posté le 25-02-2022 à 14:56:28

Merci :-)
Oui effectivement pour les bâtons... À une époque je les prenais systématiquement en trail même pour 10 bornes, et étais un grand fan du "trottinage nordique" que tu décris. Notamment j'ai fait le 68 km de l'Infernale des Vosges en 2019 comme ça. Ça a changé pendant la prépa STL puisqu'ils y sont interdits, et à ma surprise, ça s'est bien passé. J'aurais certainement emporté les bâtons sur la Trace des Maquisards si j'avais pris le temps de préparer le coup, en comprenant par exemple comment les attacher rapidement à mon sac, en trouvant le bon réglage pour porter les gantelets par dessus les gants... Je n'ai pas fait cet effort là avant la course, et j'ai donc préféré ne pas les prendre pour éviter de trop galérer avec. S'ajoute à ça la première partie du parcours plus facile que la seconde, qui m'incite à les laisser à la base vie. Je pense que je les prendrai quand je referai cette course dans quelques années.

Commentaire de xian posté le 26-02-2022 à 11:59:36

hey ! bravo d'avoir bouclé le truc !
partis à 3 avec Cheville de miel et Tom, on s'est dit à plusieurs reprises qu'on était bien contents de ne pas être en solo sur les portions de boue ou les pistes faux-plat interminables... :)
même avis que Tom pour les bâtons...
bonne récup' (et bienvenue prochaine à ta fille :) :) :))

Commentaire de centori posté le 07-03-2022 à 10:25:52

vraiment bravo. on sent bien la souffrance, la boue, les montées. tu avais signé pour en baver j'ai quand même l'impression que ça a été au-delà de ce que tu avais imaginé. ce sera donc une bonne expérience pour la suite.

Commentaire de Eddy_87 posté le 31-03-2023 à 17:33:19

Bravo d'avoir été finisher de ce futur monument !

Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.

Accueil - Haut de page - Version grand écran