L'auteur : Thibaud GUEYFFIER
La course : Ultra Trail du Vercors
Date : 8/9/2018
Lieu : Villard De Lans (Isère)
Affichage : 1858 vues
Distance : 86km
Objectif : Pas d'objectif
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Les lumières du car s'allument en tremblotant. Je cède enfin à la fatigue et laisse de guerre lasse les phares des voitures d'en face traverser, comme des flèches incendiaires, mon cristalin lassé par tant de mouvements. A l'extérieur je flotte dans le vide, à l'intérieur une grenade lacrymogène a explosée et dispersée toutes pensées superflues. La concentration s’installe..:
Il est 21:00 quand je descends du bus qui me ramène d’un magnifique voyage scolaire dans les Alpes avec des gens tout aussi magnifiques. Et voilà que déjà le compte à rebours est enclenché ! J'ai encore quatre heures de voiture à tracer pour rejoindre Saint-Paul de Varces. Et après je dois me débrouiller pour dormir sur une peau de chagrin et toper le départ de l'Ultra Trail du Vercors à 5:00 A.M.
Encore une de ces innombrables situations où tout seul comme un grand je me suis rendu capable de fabriquer un petit enfer domestique pour avoir le droit de flâner une poignée d’heures au paradis.
Allez ne pas réfléchir surtout ! Deux wraps humides, caoutchouteux et insipides sur une aire d'autoroute, un mélange de graines piquantes à grignoter et me voilà parti pour une interminable série de virages nocturnes avec un phare avant claqué. J'arrive brassé et sur les nerfs mais tellement heureux de retrouver mon grand pote François qui m’accueille à 01 :30 A.M. chez lui et me suit demain en VTT sur 85 km et 4500 m de grimpette. (si l’amitié avait besoin de preuves je peux vous garantir que lui peut déjà en être dispensé à vie).
Le réveil sonne à 03 :00 c’est rude mais on est content de partager ça. Une dernière heure de charrette à moteur et on est à Méaudre avec nos frontales vissées au front. L’accueil est cool et la musique parfaite est reggae. Je décime quelques viennoiseries et décilitres de thé noir tout en papotant avec Dawa Sherpa la légende de l’Ultra Trail du Mont Blanc. Petit selfie et on dégage de cet endroit trop convivial pour être honnête
On est nickel dans les temps et les startings blocks agglutinés derrière le ruban Ferrari. Je cherche mon pote Nicolus qui prends aussi le départ en brayant son nom mais rien ne bouge et puis c’est déjà parti! Trop de lumière partout j’éteins la mienne et goûte la nuit si douce. Les étoiles timides vacillent au-dessus des herbes trempées pendant que la lune nous montre sa face la plus noire. François un peu gelé sur son vélo est bien sûr au premier ravito. Juste derrière, nous voilà parti sur une rampe droit-dans-la-pente parfaitement poétique (il s’agit du tremplin olympique d’Autrans). Au son grave et solennel d’une corne muse on passe sous un tempo militaire entre des flambeaux allumés. Le pied se doit d'être précis sur les dix centimètres des lames en béton qui retiennent cette volée infernale de marches creusées En levant la tête c’est la perspective d’une ligne de fuite flambante parfum kérosène qui se perd dans le brouillard… En somme l’histoire de l’humanité résumée de bon matin !
En haut, on déroule le moelleux sous bois de Bellecombe avant de rejoindre un promontoire. Le jour s’y lève en étirant une ligne d’horizon de braise qui à elle seule explique bien des choses.
De villages en villages nous nous immisçons dans un royaume calcaire. Les trois pucelles drapées dans leur blancheur se dressent dans leur beauté virginale. La légende dit qu’elles furent pétrifiées par Saint-Nizier pour échapper aux mains impures des brigands qui les retenaient.
Voilà que ça recommence à peine redescendu nous voilà à remonter le tremplin olympique de Saint-Nizier en Moucherotte . Star décatie des JO de Grenoble de 68. La belle quinquagénaire dévastée par les herbes folles et les arbres restent impressionnante de démesure. Finalement courir toute la journée me paraît infiniment plus raisonnable!
Maintenant on se lance en direction de la table d’orientation de Moucherotte. la lumière des premiers matins du monde baigne la Chartreuse, le massif de Belledonne et le Mont Blanc.
On brûle un peu de gomme de chaussure pour toper Villar de Lans. Le public y est chaud, les fondeurs sont en phase de préparation sur ce trail ça se sent.
Maintenant les choses sérieuses commencent le sentier Peronnard longe la grandiose barre Vercorienne. Ca ne fait que monter pourtant les relayeurs qui font le parcours à quatre ne cessent de me doubler. C’est un ballet de stars aux pieds bondissants tenues fluos, lycra ultra moulant à la Freddie Mercury, casquettes fleuries, baskets minimalistes un vrai défilé plutôt divertissant.
Mais la star du podium reste la voilure blanche du massif : écrasante de beauté. L’hydrolyse délite sa trame, la glace hivernale l’éclate de toutes parts créant une coulée de blocs échoués à ses pieds. Mais le navire reste intemporel, fantastique impérial, subjuguant...
On arrive sur les coups de midi sur un ravitaillement clef. Le soleil est haut, et la suite de l’histoire est encore loin. L’organisation contrôle le volume d’eau embarqué et le matériel obligatoire. J’estime mal la quantité de sucre que j’absorbe. En fait je commence une claire et sournoise hypoglycémie. Les lapiazs à perte de vue m’obligent à beaucoup de concentration tandis que je ralentis nettement. Je pense au ralenti également et médite sur ma faute d’appréciation. J’encourage un coureur pris de vomissements tandis que moi même les crampes de mon estomac vide me courbent par instant. Enfin le col des deux sœurs d’où j’admire la cathédrale de pierre de Moucherotte. Derrière elle le ciel est bleu liquide. Le vent qui forcit pour passer la crête arrache tout sur son passage. Des lambeaux de nuages à une vitesse infernale semblent décoller comme des avions kamikazes à la verticale. Les arbres aussi semblent avoir été arrachés de ce monde par une main malveillante, le rendant totalement minéral, vide là et partout désormais... Des randonneurs assis avec un drone filment ce sublime carnage. Je suis défoncé par le manque de sucre mais tout ceci reste fascinant. La descente facile est interminable.
J’ai au moins soixante-dix ans dans les veines et les jambes. J’arrive au Clos de la Balme, François me regonfle: soupe salée, petit coca. Je repars tant bien que mal sur des sentiers faciles. Petit passage amusant on descend la piste olympique de luge et là encore ça me parait dingue de partir dans ces virages gelés sur une savonnette en métal !
Mon taux de sucre remonte et je m’enflamme un peu dans les montées mais l’effet yoyo est enclenché et soudain de nouveau je n’ai plus de jambes. Dernier ravitaillement je prends cette fois ci le temps de faire le plein de glucoses rapides, de sel d’eau. Mais je suis complètement vide et j’ai un mal fou à repartir. Je marche en descente mais je croise François et je relance doucement. Puis je croise dans la dernière montée la seconde féminine et on papote gentiment. Ma glycémie remonte en flèche et avec elle l’envie d’en finir. Je cours de nouveau et de plus en plus vite, mon envie deviens rageuse, mes yeux bouffés par le sel, droit dans le soleil je vais chercher sur 10 km cette ligne. Derrière elle c’est l’amitié parfaite, l’embrassade, la fraicheur d’une bière, enfin !. Et tout redevient simple comme ça devrait toujours l’être, et tout reprend ce goût inimitable des choses qu’on découvre pour la première fois.
Ultra Trail du Vercors : 13h 34’ et 43ème sur 200 fishers
5 commentaires
Commentaire de Shoto posté le 17-09-2018 à 13:59:28
Très belle plume qui nous permet de profiter pleinement de ton ressenti de course et des paysages rencontrés. Bravo et merci.
Commentaire de Free Wheelin' Nat posté le 17-09-2018 à 15:35:10
Peu importe la couche pourvu qu'on ait la quête! Jolie perf compte tenu des conditions d'arrivée sur place! Bravo!
Commentaire de richard192 posté le 17-09-2018 à 17:21:12
Très joli récit et belle performance surtout avec un sommeil plus que réduit la veille
Commentaire de Thibaud GUEYFFIER posté le 18-09-2018 à 13:28:01
Merci pour vos retours, j'en suis honoré! Je trouve ça incroyable d'arriver à partager ces émotions fortes parfois intime avec des gens que je croiserai sur des courses peut-être un jour ou peut-être jamais mais qui peuvent les ressentir avec moi. Longue vie à Kikourou!
Commentaire de samontetro posté le 29-07-2020 à 15:45:56
Je n'avais pas vu ton récit.... particulièrement émouvant parce qu'il reflète tellement ce que j'ai essayé de partager avec vous en traçant cette édition 2018. Et avec juste 2h de sommeil le classement est très impressionnant! Bravo pour la perf et pour toutes ces émotions partagées.
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