Récit de la course : Ultra Tour des 4 Massifs - 160 km 2015, par samontetro

L'auteur : samontetro

La course : Ultra Tour des 4 Massifs - 160 km

Date : 21/8/2015

Lieu : Grenoble (Isère)

Affichage : 5077 vues

Distance : 160km

Matos : Hoka stinson, batons black diamond ultra distance, sac salomon skin pro 10+3 et ceinture porte gourde (4 gourdes de 0,5l)

Objectif : Faire un temps

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UT4M 160, le tour de Grenoble par le périph extérieur

Se lancer dans un C.R. deux mois après l'UT4M cela fait beaucoup de temps écoulé depuis la course. Peut être parce que c'est le temps qu'il m'a fallu pour assimiler cette épreuve aussi difficile pour les jambes que pour la tête. Deux mois à effacer petit à petit les traces physiques laissées par cet enchainement des 4 massifs. Deux mois sans vraiment avoir repris l'entrainement. Peut être que ce C.R. sera l'étincelle de la reprise.

 

Mais revenons au début.

 

Retrait des dossards au palais des sports de Grenoble. C'est sympa, pas trop de queue. Éric est là mais avec la tête des mauvais jours. Dos bloqué depuis 3 jours, debout ça va (sauf en descente) mais passer d'une position assise à debout est un calvaire. En plus, demain il va faire chaud et je sais qu'il a une sainte horreur de ça ! Plein de tête connues sont là et peu avant le briefing je croise Julien Chorier qui vient de claquer un gros chrono dans le KV le matin même ! Un bout de temps qu'on ne s'était plus croisé et c'est avec plaisir que je le retrouve. Un grand bonhomme toujours aussi enthousiaste et qui a conservé la même modestie de ses débuts dans le monde du trail (via le forum de kikourou en plus). Et la discussion va me faire rater le briefing. Par chance Éric y est et me fait un rapide résumé du matériel obligatoire qui ne l'est plus. On décide donc tous les deux de partir... light ! 4 gourdes d'un demi-litre pour moi que je remplierai au gré des besoins, tee-shirt manches courtes, manchettes et gore-tex avec capuche pour affronter le froid ou l'orage. Je partirai en short avec un collant « été » au fond du sac. Le GPS avec fond cartographique restera à la maison, le GPS de poignet aussi : une simple montre fera l'affaire. Mais tout le matériel obligatoire sera dans le sac (2 frontales, couverture de survie, bande...)

 

Vendredi matin 8h, c'est cool pour un horaire de départ car ça permet de passer une vraie nuit. Je redoutais un peu les longs boulevards bitumés sur 6Km mais le peloton est sympa et ça passe vite. M_Baton me dépose allègrement dans un cliquetis caractéristique et je trottine avec l'Oiseau. Idéal comme échauffement ce plat. Rapidement on attaque les premiers lacets du parc Karl Marx de Fontaine mais les bâtons restent sur le sac, l'itinéraire jusqu'à St Nizier est plutôt soft. Dans la côte je rattrape Luca Papi fidèle à ses départs prudents et on entame la discussion. Qu'est ce qu'il est bavard, et c'est un spécialiste qui vous le dit. Traversée de route à la Tour sans Venin et là, énorme surprise : le bénévole qui sécurise le passage n'est ni plus ni moins que le vainqueur de l'an dernier : Fred Desplanches ! Et ses encouragements c'est de la dynamite !

Les escaliers du tremplin passent comme une lettre à la poste et c'est déjà le premier ravito. J'aperçois Denise, la Présidente de CAPVercors, mon club, je suis chez moi ! Arrêt très bref où je vais laisser M_Baton et Luca, juste le temps de remettre à niveau une des gourdes et de dégainer les bâtons car la pente va devenir plus sérieuse. Mais sur mes sentiers du Vercors chaque lacet est un ami, chaque bout de calcaire me sourit. A mi-pente du Moucherotte Luca refait la jonction et on reprend la discussion là où on l'avait interrompue.

 

Moucherotte, premier sommet, je range les bâtons sur le sac et annonce à Luca le profil de la section qui suit. Ça déroule tranquille jusqu'au ravitaillement de Lans en Vercors. J'y retrouve mon épouse venue m'encourager. La dernière fois qu'elle est venue jouer la supportrice sur une de mes course c'était sur l'UTMB en... 2007. Trop stressant de voir arriver son mec dans un état de décomposition avancée et repartir seul dans la nuit.... Là c'est le début, je suis tout frais et je savoure ce petit moment même si l'arrêt sera très bref. Puis c'est Béné qui me saute dessus avec un « Patrick t'es fou ! Tu sais qui c'est Luca ? Faut pas que t'essaie de le suivre tu vas exploser ! » Je sais Béné, t'inquiète pas ça ne va pas durer. Luca emmène un gros sandwich et on repart vers le second sommet. On discute à nouveau du profil des prochains kms et des coup de culs qui s'annoncent. Sur les faux plat on trottine en discutant et quand la pente devient sévère et que je ne peux plus répondre il sort son sandwich pour casser la croûte Cool! A mi-pente du Pic je décide de revenir à la raison, je lui souhaite une bonne course en lui disant... à demain soir ! Mais je ne suis pas seul longtemps, un « alleeerr papaaaaa !!! » déchire la quiétude montagnarde de cette section ! Ma grande gamine monte quelques centaines de mètres devant moi en tenue de trail. Je la rattrape et elle s'accroche derrière moi. « c'est pas possible, tu pars pour 170Km et tu montes plus vite que moi ! ». Sur mon Vercors, j'ai des ailes ! Au sommet c'est PetitFrank qui est là avec beaucoup de monde, toujours aussi bavard mais j'ai de la route encore à faire donc l'arrêt est bref, juste le temps de replier les bâtons. J'attaque la descente sur le col de l'Arc tranquille, toujours poursuivi par ma fille et croise Cyss : que de monde sur cette section et c'est vraiment sympa ! Au col de l'Arc j'attends ma fille qui va plonger côté Lans, on se tape dans les mains avec un « bonne chance » et je plonge côté Saint Paul de Varces. C'était bien le Vercors, mais c'était mon « pain blanc » .

 

Avec Luca au ravitaillement de Lans en Vercors (Photo Béné)

Dès les premiers lacets je me rends compte que les pieds glissent en descente dans les chaussures : j'ai de nouvelles chaussures, plus grandes mais aussi un peu plus larges et à peine rodées au plat, et de nouvelles chaussettes, pas du tout testées. Boulette de débutant et ça commence à chauffer grave sous les pieds. J'ai beau serrer très fort les lacets ça ne change rien. Dans la grosse pente je suis obligé de poser les pieds en escalier, à 90° de la pente. Putaaiiiiinnn ! Et il reste encore 140Km à parcourir ! Moi qui adore la descente, je suis scotché à limiter les dégâts et la douleur. Il commence à faire chaud et le niveau des gourdes baisse rapidement. C'est bon signe, je m'hydrate et ça passe bien. C'est mauvais signe, le prochain ravito est loin ! La fontaine de St Paul de Varces va arriver juste à temps avec son eau fraiche salvatrice. C'était moins une !

Une dernière petite bosse sévère, pendant laquelle je vais guetter en vain le retour de Laurie-Anne en relai 4, m'amène à la première base vie de Vif en 20ème position. Déjà certains coureurs sont assis pour une petite pause. De mon côté je réajuste les 4 gourdes aussi vite que possible et repart en marchant tout en mangeant un peu de solide. Direction l'Oisans et le massif du Taillefer  en 16ème position et bien décidé à en découdre avec ce second massif, patrie de mon épouse !

 

La monté vers Laffrey se fait dans une combe, c'est raide, pas beaucoup de visibilité. Au détour du sentier je tombe sur Charles et son épouse qui marchent à contre-sens. Charles à gagné le solo sur notre UTV il y a quelques années et c'est un peu à cause de lui que je suis là. Un sérieux problème de santé l'empêche de prendre le départ de cet UT4M et de l'UTV dans 15 jours et de le voir là, comment dire, c'est que du bonheur ! Il récupère vite, parle déjà de reprendre l'entrainement... je vais rester quelques minutes à échanger avec ce grand champion. J'ai encore en mémoire les quelques lignes de remerciement qu'il nous avait envoyé après sa victoire sur l'UTV. Il avait ému toute l'équipe organisatrice. Je reprend l'ascension, le col n'est plus très loin quand je trouve Éric, assis sur le bord du sentier, épuisé, le visage creusé : encore une fois la chaleur aura eu raison de lui, estomac bloqué, complètement déshydraté, en train de vomir. Je reste un moment avec lui à discuter. Le col n'est plus très loin Éric, on va y aller doucement. Son mal de dos l'empêche de se relever et je l'aide à se remettre debout. On marche lentement, il n'est pas bien du tout et il faut enchaîner les pauses « vomito » sans s'assoir, gratter quelques centaines de mètres d'ascension... qu'il est loin ce col. Sur Kikourou le forum s'inquiète de ne pas me voir pointer à Laffrey mais Cyss qui nous connait bien à flairé la situation. Enfin, on passe le col et on commence à trottiner lentement sur le faut plat. Petit rythme, mais on a des grandes jambes tous les deux donc on progresse mais Éric a beaucoup de mal, il n'arrive toujours pas a boire ni à manger. Il ne doit rester qu'un ou deux kms de descente avant le ravitaillement quand je pars devant prévenir de sa situation. Éric restera un long moment sous perfusion avant d'être rapatrié sur Grenoble. Il me dira sa grande surprise à avoir vu plusieurs coureurs se faire perfuser et reprendre la course ensuite... pas certain que ce soit bien réglo tout ça !

Je quitte Laffrey en 28ème position, direction le col de La Morte. Il fait toujours chaud, relancer pour regagner les places perdues me mènerait dans le mur. De toute façon la course est encore (très) longue ! Je vais reprendre deux places dans la descente sur le col malgré des pieds très douloureux qui me scotchent sur le sentier et pointer 2ème V2H au ravitaillement de la Morte. Mais à ce moment là je n'en ai aucune idée et près de 30 places derrière la tête de course je suis loin d'imaginer un si bon classement. Là encore l'arrêt sera très bref : deux bols de soupe, je fais le plein des gourdes et repart à l'assaut du pas de la Vache.


Coucher de soleil sur le Vercors depuis le lac Brouffiers (vidéo Wider TV)


Ce sentier aux innombrables lacets je l'ai parcouru en randonnée il y a quelques années. Il est splendide. On laisse sur la droite la petite cabane du périmètre dissimulée dans les résineux pour un finish dans les alpages. Les écarts sont stables entre celui qui me précède et les deux coureurs qui me suivent. On débouchera sur la crête sommitale qui domine le lac de Brouffiers au moment même ou le soleil rougeoyant se couche sur les crêtes du Vercors. Moment de magie où notre course se fige au grand dam du photographe qui voudrait nous voir passer en courant devant ce paysage extraordinaire. Puis c'est le retour de la descente et... des douleurs ! Mes pieds sont en train de se transformer en guirlandes de noël et la pente négative est un calvaire. Je reporterai le plus longtemps possible le moment de sortir la frontale, j'ignore tout de son autonomie, mais un passage en sous bois, une racine dans la pénombre et un vol peu élégant dans la végétation sonneront comme un « arrête tes conneries ! » Je ne connaissais pas ce passage de Combe Oursière mais je le trouve plutôt difficile. Le mal de pied altère peut être mon objectivité. Puis c'est le ravitaillement très animé du lac du Poursolet où de gentilles sorcières nous servent un bol de soupe. J'ai repris deux places sur cette section. La monté qui suit vers le pas de l'Envious est lugubre de nuit, au milieu des arbres arrachés par la tempête il y a quelques années déjà et agonisants de leurs branches sèches. L'eau noire des lacs du Fourchu ou de l'Agneau en rajoutent une couche. De jour, le plateau qui suit est magnifique. De nuit ce sentier semble interminable pour nous ramener sur les chalets de Barrière. Ici commence une descente sur Riouperoux annoncée comme terrible par de nombreux C.R. sur Kikourou. Ça ne va pas être de la tarte, surtout qu'en face nous attend le parcours du KV de la veille... De plus en plus handicapé dans la pente, je vais y aller prudemment. J'ai maintenant des douleurs sur tout l'avant du pied : ça sent la tendinite avec les chaussures très serrées et il va falloir jongler entre plus d'ampoules ou plus de tendinite en fonction du laçage plus ou moins serré. L'arrivée à Riouperoux sera une délivrance : on est à mi-course et surtout ça va remonter !

Je me renseigne auprès des bénévoles pour savoir où récupérer mon sac. Je refais le plein de gels et barres de céréales, change de tee-shirt et repart très rapidement : entré 24ème, sorti 16ème. Je ne sais pas à cet instant ce qui m'attend : ça va cuire ! L'enthousiasme de la pause côté douleurs aux pieds sera de courte durée devant l'horreur de cette terrible ascension. La côte n'a jamais été mon point fort et celle ci est d'une rudesse... interminable ! Sur un passage équipé d'une main courante dans du 50/60 % un bénévole sort la tête de son hamac tiré entre deux arbres pour me demander de passer sans courir ! Je n'en avais pas l'intention de toute façon. Bientôt 2h que je bataille dans cet enfer, dire que Julien l'a expédiée en... je ne vous le dirai pas, ça me fait mal d'y penser ! Il me faudra 2h05 pour rejoindre le ravitaillement de l'Arselle. Dans cette tourbière l'air est glacial. Je suis en sueur après cette ascension et je claque des dents. Je remonte les manchettes et n'emmitoufle dans la gore-tex. Les bénévoles au pointage sont quasiment en tenue de ski ! Dès que l'on quitte la tourbière la température remonte, le paysage devient minéral, la végétation plus sporadique... bienvenue dans l'ambiance Belledonne. Au ravitaillement de la croix de Chamrousse je m'assoie deux minutes pour me ravitailler. Je discute avec la Buse de Noyarey sans le reconnaitre, mais comment l'imaginer ici au milieu de la nuit. Il fait froid à nouveau et je repars emmitouflé en direction du refuge de la Pra. Cette liaison qui m'inquiétait va vite passer même si avec le lever du jour la fatigue se met brutalement à alourdir mes paupières. On arrive en petit groupeto au refuge ou je réajuste ma réserve d'eau et repart aussitôt. Il faut remonter un pierrier pour gagner le sommet du Grand Colon et le soleil qui se lève commence à illuminer le sommet. Il faut faire vite pour le monter à la fraiche. Du sommet je peux contempler Chamechaude de l'autre côté de la vallée de l'Isère : bouge pas, j'arrive !

 

Dans Chamechaude (Photo Cyss)

Avec la descente, je retrouve les douleurs aux pieds et maintenant les cuisses commencent aussi à me faire payer ces descentes sur la retenue. Ça grince de partout ! J'ai mal et le bonhomme ne doit pas être joli à voir avec cette démarche chaotique. Au niveau de la cabane du Grand Colon, je croise deux randonneuses et là je me fais brancher de chez branché par un « vous avez de jolis yeux vous savez ? » . Soit elles se foutent de ma gueule car je dois avoir les yeux rougis par la fatigue de la nuit, soit j'ai vraiment un charme fou. Laissez moi opter pour la seconde hypothèse (en toute modestie, cela va de soi)

 

Sur le long chemin qui descend vers Freydière 3 coureurs arrivent à contre-sens, dont une silhouette qui ne trompe pas, taillée en V sur près de 2m, depuis les étroites chevilles aux immenses épaules : le PtiJean accompagné de Pio38 et LoloProvez ! Ils me diront plus tard qu'ils m'ont trouvé... détruit ! C'est que mon charme n'opère pas sur eux ! On va trottiner tout doucement jusqu'au ravitaillement et ils m'annoncent que je suis second V2H loin derrière le premier. Wahou ! Et le troisième il est loin ? 30mn m'annonce Pio38 après avoir demandé aux bénévoles. En fait le fameux V2H qui me « précède de loin » à jeté l'éponge depuis le Taillefer et je suis désormais le 1er V2H ! Heureusement qu'ils se sont trompés, je ne vous dit pas la pression que ça m'aurait mis. Désormais, dans ma tête le but est de gérer la place de second. Je descend seul en direction de la vallée du Grésivaudant affronter une traversée que je redoute. Je vais la faire en marchant pour garder des ressources pour le dernier massif et parce qu'il fait chaud. C'est une erreur, je vais y perdre beaucoup de temps inutilement. Et en plus c'est un cauchemar : il fait déjà chaud (ce sera pire pour les suivants), les maïs arrosés génèrent une humidité pénible et on passe au bout de l'aérodrome du Versoud : entre les petits avions qui décollent, les ULM qui semblent punaisés dans le ciel avec leurs bruits de moulins à café c'est un véritable bourdonnement qui m'agresse  après cette nuit dans le silence de Belledonne. La dernière base vie de Saint Nazaire les Eymes mettra un point final à ce cauchemar !

 

Chamechaude, c'est 1650m plus haut dont 1100m rien que dans le premier col : celui de la Faita. Le sentier alterne des parties roulantes avec des coups de culs inouïs. Je l'avais descendu lors d'un Grand Duc et dans l'autre sens il ne m'avait pas paru aussi raide ! Je bataille arcbouté sur les bâtons dans le raide, essayant d'allonger le pas sur le moins raide car je ne cours plus les faux plats montants. Au détour du chemin je croise et fait enfin la connaissance de Zecrazytux ! On discute un moment et il me situe dans l'ascension. Sans GPS je ne savais pas trop ce qu'il restait. Puis c'est la crête pour rejoindre le magnifique alpage de l'Émeindra. Mode course à pied « on » . Mais au niveau de la bergerie je suis très surpris qu'on ne garde pas la splendide petite crête en direction du col de l'Émeindra. On descend sur une grosse piste jusqu'à la ruine de l'Émeindra du dessous pour remonter au col. J'ai pas compris l'intérêt du détour. Un nouveau raidar permet de gagner un sentier en balcon et le ravitaillement au refuge du habert de Chamechaude. Et là, dire qu'il y a une grosse ambiance, c'est peu dire ! Un bénévole se démène pour essayer de voir à combien pointe le V2 qui me suit, pendant qu'on rempli ma gourde et m'apporte à manger dans une ambiance vraiment festive ! Quel accueil !

Je ne rempli cependant qu'un gourde, il y a un point d'eau à la bergerie des Bachassons au pied de Chamechaude et on va y passer deux fois, donc inutile de se charger. Je quitte le habert avec le mental rechargé à 100 % passe aux Bachassons et attaque Chamechaude. Dans l'ascension j'y rattrape un relayeur en difficulté. Je l'encourage à prendre mon pas de tracteur forestier fatigué mais il renonce. Au passage de l'épaule je retrouve Cyss et sa famille en supporters. Il m'emboite le pas en me créditant d'un « punaise tu montes vite pour un mec qui a 150Km dans la jambes ». Même si je suis encore assez lucide pour voir la vérité, ça fait du bien à la tête de se dire qu'il a du voir des coureurs encore plus mal que moi sur ce passage. Et puis on fait demi-tour 30m sous la crête ! On vient de s'envoyer 1700m de D+ et on nous zappe les 30 derniers mètres avec la vue panoramique. Je m'imaginais, comme lors d'un lointain Grand Duc au départ du Sappey, parcourir cette crête aérienne, point culminant de Chartreuse, et faire un clin d'œil au Grand Colon de l'autre côté de la Vallée... Quelle frustration. Et la descente qui redevient laborieuse, pieds et cuisses à l'agonie !

Peu avant le second passage aux Bachassons, je double 4 apprentis traileurs (une famille) un peu en perdition sur le 40km Chartreuse et j'enchaîne direction le Sappey, prochain ravitaillement. Et la ma lucidité va me faire défaut : je commence à voir des secouristes en tenue orange cachés derrière un arbre mais ce n'est qu'une rubalise agitée par le vent. Puis ce sera un pont autoroutier au dessus de la piste forestière. Je fermerai les yeux un moment pour le laisser disparaitre. Le chemin descend en sous bois et débouche dans un pré et là, couché dans l'herbe verte, un magnifique lion regarde vers moi. Je m'arrête net et me dit « un lion en Chartreuse, c'est pas possible » mais en même temps je me mets à taper des bâtons pour le faire réagir ! Bien entamé le Samontetro et la souche sur laquelle les branches et le vent font jouer les ombres ne bougera pas.

Le Sappey est en vue et on débouche sur le bitume mais là encore, surprise, on repart à contre-sens sur une piste sans intérêt pour un long détour et une bosse. Plusieurs coureurs me diront ne pas avoir vu ce changement de direction brutal et rejoint le Sappey tout droit par la route goudronnée. Au Sappey je fais un break pour retrouver un peu de lucidité, du café, de la soupe. La dernière bosse c'est le St Eynard qu'on grimpe par une longue piste forestière très pentue en sous bois en contournant quelques arbres fraichement abattus. C'est raide, les jambes souffrent mais c'est la dernière. Au sommet je pense à tort qu'on va passer sur la superbe petite terrasse panoramique et le tunnel mais non, on reste dans les arbres et on rejoint la route. Dommage d'avoir raté cela. Puis un petit tour sous les murailles du fort et un nouveau détour pour éviter de longer le fossé des fortifications nous amène sur la crête. C'est là que j'entends un cliquetis pareil à aucun autre : Wolfgang, notre M_Baton, est en train d'envoyer tout ce qu'il lui reste d'énergie dans cette ultime ascension. Il a l'air bien et dans la descente je comprends très vite que je ne le suivrai pas. Et il va me faire la démo du siècle dans une descente avec les bâtons à tombeau ouvert ! Dit , Wolfgang, l'année prochaine t'es sûr que tu veux être V2 ? Ça te dirait pas encore un ou deux ans en V1 ?

 

De mon côté cette ultime descente est terrible, dans la souffrance et au ralenti. Je m'entraine souvent ici et j'y ai mes repères quand j'y fractionne en descente à plus de 17Km/h. Et là... quelle frustration ! Depuis le début je me voyais dévaler ces dernier kms et fondre sur Grenoble et là je me traine, j'agonise.

 

Les V2H "même pas mal" en haut de la dernière bosse (Photo Laure Bouchard)


Les derniers Kms en ville ne seront que du bonheur, pouvant enfin dérouler au plat, encouragé par les Grenoblois en train de manger aux terrasses des restaurants de la vieille ville. A l'arrivée je suis accueilli par Luca (3ème) et Fred qui me fait « péter la bise »

« Fred, je marine dans ma sueur depuis 37h, je pue ! »

« Rien a foutre ! Bravo Patrick »

On s'assoie, on discute puis au bout d'une petite demie heure c'est le trou noir, j'ai soudainement très froid, je claque des dents brutalement, une immense sensation de fatigue, je sens que je suis limite perte de connaissance. Les bénévoles m'entourent, m'amènent une couverture, je m'allonge sur la moquette dans l'entrée du palais des sports incapable d'aller jusqu'à la zone dortoir puis au bout de 15mn je repars avec leur aide pour m'installer sur un lit de camp ou je vais dormir 1h30 et récupérer. Merci vraiment de votre aide attentionnée, vous êtes des bénévoles formidables.

 

Voila, très heureux de ce podium V2 mais en même temps une impression mi-figue, mi-raisin au final. Une organisation irréprochable, des bénévoles fantastiques tout le long du parcours, un balisage parfait. Un Vercors / Oisans magnifique, Belledonne de nuit pas vu grand chose (mais je connais aussi), peut être cette frustration sur la partie Chartreuse. Une course en tous cas très difficile ou il n'y aura que 1/3 des partants qui rentreront finishers à Grenoble (1/4 chez les V2H) malgré des conditions de courses plutôt clémentes.

De mon côté les douleurs aux pieds mettront plusieurs semaines à se résorber et ces 37h de course réactiveront la hernie discale ce qui me vaut aujourd'hui encore la compagnie de petites fourmis dans les orteils de chaque côté. Allez savoir sur quel massif je les ai ramassées....

 


 

29 commentaires

Commentaire de PhilippeG-640 posté le 29-10-2015 à 15:30:54

Encore bravo Patrick !
Cela m'a fait un grand plaisir de te voir revenir aux avant-postes.
Une course bien menée, chapeau car elle n'est vraiment pas facile.
J'espère que ton hernie va te laisser tranquille définitivement...
Un chouette récit qui me donne envie d'y revenir une 2e fois sur ce 160 :)
Bonne reprise et à une prochaine.
@+
Philippe

Commentaire de samontetro posté le 29-10-2015 à 18:35:21

Plaisir partager de t'avoir croisé sur cette édition! On aurait presque pu arriver ensemble en plus puisque les 3 qui te précédaient m'ont passé dans la descente finale!

Commentaire de Jean-Phi posté le 29-10-2015 à 15:51:06

tu es quand même incroyable ! Et quelle longévité ! Plus le temps passe et meilleur tu es. Bel exemple !
Bravo pour tas superbe course, ça donne vraiment envie !
Récupère bien surtout.

Commentaire de samontetro posté le 29-10-2015 à 18:37:56

Merci Jean Phi, mais avec la longévité le temps nécessaire à la récup augmente aussi... Il n'y a que l'extra-terrestre M_Baton pour remettre le couvert les 2 week-ends suivants!

Commentaire de bubulle posté le 29-10-2015 à 16:18:06

Il y a quand même du niveau chez ces V2...:-). C'est sûr que cet UT4M, il fait envie, là, mais c'est vraiment pénible tous ces trucs que je voudrais faire et qu'on ne peut quand même pas tous caser dans la même année.

Merci pour ce récit très vivant, varié et fort bien écrit, cela valait le coup d'attendre. Et, bien sûr, en espérant que ce sera effectivement l'étincelle de la reprise.

En espérant se croiser vraiment sur une course, un jour (beau ratage, à la MH, cette année) mais c'est pas facile vu que:
1) tu es normalement devant
2) à l'inverse de toi, je monte mieux que je ne descends....:-)

Commentaire de samontetro posté le 29-10-2015 à 18:42:20

Il va bien falloir qu'on se croise, j'ai une dette envers toi depuis la MH100! Tu avais tellement bien décortiqué cette course sur kikourou que sans rien en connaître chaque difficulté arrivait là ou je l'attendais. Du papier à musique made in Bubulle!

Commentaire de M_baton posté le 29-10-2015 à 16:32:55

Magnifique de lire ton CR quelques semaines plus tard.
Sinon, ne t'inquiètes pas pour la suite, j'ai accepté de faire autre chose, donc, plus bcp de temps pour m'entrainer. Mais, je vais essayer de venir à Grenoble quand même ;-)
http://www.humboldt-professur.de/en/preistraeger/preistraeger-2016/wolfgang-wernsdorfer

Commentaire de samontetro posté le 29-10-2015 à 18:52:05

Si je comprends bien tu pars sur Karlsruhe inventer nos ordinateurs de demain ? La fréquence d'horloge des ces futures machines quantiques qu'utiliseront sans doute nos enfants sera sans doute loin du "cliquetis" rythmé d'une célèbre paire de bâtons en Alu! Et pourtant.... J'espère que tu reviendras quand même dévaler nos sentiers de temps à autres.

Commentaire de M_baton posté le 29-10-2015 à 21:15:07

La famille reste à Grenoble. Donc, j'ai une prétexte pour venir courir avec vous. Karlsruhe est très plat :(

Commentaire de BOUK honte-du-sport posté le 29-10-2015 à 16:40:05

Tu es un grand champion !
Merci pour le partage !!!

Commentaire de samontetro posté le 29-10-2015 à 18:55:50

Grand champion ? Bin ouais, 1m95 TTC!
Mais comme je dis toujours, si un podium ça fait plaisir ce n'est que quelques secondes de ta vie. L'essentiel c'est de prendre du plaisir à jouer sur les sentiers pendant ces dizaines d'heures au milieu de paysages exceptionnels! Même avec des pieds défoncés!

Commentaire de Arclusaz posté le 29-10-2015 à 16:51:11

Samontetro qui a des chaussures trop grandes ! je pensais pas que c'était possible.....

bravo pour avoir su gérer la douleur et en même temps je me demande si c'est bien raisonnable de se mettre dans des états pareils....

Commentaire de samontetro posté le 29-10-2015 à 19:01:53

J'ai pas dit "trop grandes" mais "trop larges". Et oui, j'ai le pied fin et délicat!
Pour le côté raisonnable, je ne suis pas sûr que sur Kikourou ce mot soit connu, depuis ceux qui avalent les petites distances, mais à des vitesses que je n'ose même pas imaginer, à ceux qui s'alignent sur ces très longues distances en montagne en passant par nos spécialistes du courir en rond pendant des heures/jours... restons une bande de doux fêlés (qui laissent passer la lumière)... déraisonnables! Ça vous va si bien!

Commentaire de freethunder posté le 29-10-2015 à 16:56:18

Superbe course, superbe place :) Chapeau.
Pourquoi tu dis mi-figue, mi-raison. En raison de ta hernie discale ? ou ?

En tout cas, félicitation d'avoir survécu :)

Commentaire de samontetro posté le 29-10-2015 à 19:11:56

Merci Freethunder. Je ne sais pas expliquer ce sentiment, une sensation d'inachevé peut être...Pourquoi aussi tout ces abandons alors que les conditions météo n'étaient pas si mauvaises et les barrières horaires quand même généreuses...
Côté orga c'est du 20/20 sur tous les fronts (bénévoles, balisage, ravitos...)
C'est peut être simplement moi qui n'était pas assez prêt pour que tout soit fluide sur ce parcours quand même exigeant.

Commentaire de laureduvercors posté le 29-10-2015 à 22:03:41

Félicitations et merci pour ce récit superbe à lire.

Commentaire de samontetro posté le 30-10-2015 à 12:48:46

Merci LaureduVercors, il faudrait que je vienne avec vous de temps en temps sur vos courses plus courtes, mais les rythmes infernaux sur ces distances font trop mal au vieux diesel que je suis....

Commentaire de lolo_du_94 posté le 30-10-2015 à 10:48:24

Superbe récit bravo !

Commentaire de samontetro posté le 30-10-2015 à 12:49:53

Merci lolo-du_94, au plaisir de t'accueillir un jour sur nos sentiers du Vercors et partager quelques kilomètres ;-)

Commentaire de lolo_du_94 posté le 30-10-2015 à 14:08:46

Merci beaucoup ce sera un plaisir partagé !

Comment arrives tu à décrire aussi précisément une course aussi longue ? Et deux mois après ? Quel est ton secret ? Tu prends des notes en même temps que tu cours ?

Commentaire de the dude posté le 30-10-2015 à 12:12:51

Salut Patrick,

Encore une fois un grand bravo à toi, une course parfaitement menée et une nouvelle victoire.
Les pieds qui chauffent à la première descente, pas glop, mais t'as su serrer les dents et faire avec (pas prévu une paire de chaussettes/chaussures de rechange à la base de vie?), et je ne suis pas étonné que la traversée du Grésivaudan ait été pénible.
Bravo aussi pour ton récit, toujours aussi agréable à lire.


sinon, t'es venu sur l'EB encourager Cyss? Il en avait besoin ;o) mais il a été fort jusqu'au bout.

Commentaire de samontetro posté le 30-10-2015 à 12:55:17

Merci l'Dude! Des chaussures de rechange... j'en ai pas cinquante paires dans mon type de pointure! Quant aux chaussettes... pour la première fois j'en avais prévu pour en changer mais... c'était exactement le même modèle! S'il y avait eu un podium pour la c..... j'y étais dessus!
Cyss a fait une super course sur l'EB! J'ai suivi ça sur le live et kikourou et à grands coups de SMS (il m'a même répondu à plusieurs reprises) pour l'encourager dans ce défit! Quel potentiel et quelle progression! Il ne lui reste plus qu'a... sourire sur ses superbes vidéos :-)

Commentaire de ptijean posté le 31-10-2015 à 13:31:19

Bravo grand machin t'es trop fort. Au plus bas dans la descente du Grand colon tu as su remonté la pente pour gagner ta catégorie.Félicitation de la part du grand machin d'en face.

Commentaire de samontetro posté le 31-10-2015 à 21:00:07

Vous trouver sur cette longue piste sous le grand Colon a été une sacré "remotivation" pour la suite! Mais je n'étais pas au plus bas... pas encore, capable de creuser encore plus profond le Samontetro et d'être... encore pire :)! En tous cas j'en ai rarement autant bavé sur un ultra!

Commentaire de xav04 posté le 31-10-2015 à 15:08:31

Bravo pour le Cr et pour la magnifique petite sortie autour de Grenoble... Toujours aussi fort à ce que je vois!!
J'espere a bientôt sur une petite coursette avec P'tit jean comme il y a quelques années!!
xav

Commentaire de samontetro posté le 31-10-2015 à 21:02:07

Yesss Xavier et en plus j'ai une paire de câbles pour batterie tous neufs :)
Content d'avoir de tes nouvelles en tous cas et à bientôt j'espère. Sur l'UTV une de ces prochaines années ? ? ?

Commentaire de le_kéké posté le 03-11-2015 à 14:50:38

Bravo Patrick très belle course et énorme perf.
Juste un truc, tu aurais pu te bouger un peu plus pour qu'on ait l'occasion de te doubler dans la Chartreuse, c'est pas tous les jours qu'on a cette chance.

Commentaire de M_baton posté le 03-11-2015 à 22:40:59

Effectivement, c'était mon objectif. Mais, j’étais trop nul ;-)

Commentaire de samontetro posté le 04-11-2015 à 09:41:57

C'est vrai que M_Baton a fait toute la course juste derrière moi avant une fulgurante accélération finale où il m'a déposé... Il aurait donc fallu que tu nous doubles tous les deux et le presque V2 ainsi que le V2 confirmé ne se seraient pas laissé faire par ce djeun's adepte du déplumage de chouette! Finalement, t'as eu de la chance sur ce coup là :-)! Non mais!

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