Chacun sa route, chacun son chemin...
Nous nous réveillons à 5h30 en prévision de l'étape la plus courte, en kilomètres, mais probablement la plus difficile, ne serait-ce que par son dénivelé (plus de 4000 m d'après l'IGN). Le patron du gîte a d'ailleurs accepté, à titre tout à fait exceptionnel, lorsque nous lui avons indiqué notre objectif du jour, de servir le petit déjeuner dès 5h45.
La routine s'installe : café pour Mathias et Michel, café au lait pour Nico, et chocolat au lait pour Serge et moi. Nous ne lésinons pas sur les tranches de pain accompagnées de beurre et de confiture. Comme à mon habitude, je me tartine les pieds de crème anti-frottements, avant de remettre des chaussettes qui commencent à porter les traces de l'effort, et me recouvre littéralement les parties du corps exposées au soleil d'une bonne couche de crème solaire.
Pêle-mêle de l'étape du jour.
L'heure des choix arrive : l'an dernier, Mathias, parti seul pour un périple similaire, avait dû abandonner, carbonisé, au pied de la Muzelle, destination de l'étape du jour. L'objectif aujourd'hui est donc, pour lui, de prendre une revanche méritée sur ce col réputé très difficile. De toute évidence, il est le plus marqué du groupe et, de mon côté, je ne brille pas particulièrement par ma maîtrise technique du cheminement en moyenne montagne, malgré un apprentissage accéléré lors des deux premières journées. De leur côté, Michel, Serge et Nico, s'ils souffrent, le cachent plutôt bien, et sont, de toute évidence, bien plus performants que nous.
Aussi, ainsi que nous l'avions évoqué la veille, nous décidons de nous scinder en deux groupes. Les "forts" optent pour une montée sur le Col des Colombes, qui ajoute environ 400 m de D+, tandis que Mathias et moi restons sagement sur le GR54 jusqu'à Villar-Loubière, soit 7 kilomètres tranquilles en fond de vallée.
Mathias sur le GR54 au départ.
But du jeu : se regrouper au Refuge des Souffles, prélude à l'ascension du Col de la Vaurze. Si tout se passe comme nous l'espérons, cela devrait même nous permettre, à Mathias et moi, de nous reposer quelques instants au Refuge, en attendant que nos camarades soient redescendus de leur difficulté supplémentaire. Mais, pour cela, il ne nous faut pas trop tarder.
A 6h28, nous partons donc (relativement) vite sur un GR très roulant et plutôt agréable et, qui plus est, en léger faux plat descendant. Nous atteignons ainsi Villar-Loubière en 48', soit moins de 7' au km, après avoir dépassé sans y mettre les pieds La Chapelle en Valgaudemar, où Mathias avait eu tant de mal à se loger l'an dernier.
Lors de l'ascension vers le Refuge des Souffles, nous dépassons un groupe de randonneurs qui nous interpellent (en substance) :
"Dites, les jeunes, vous feriez mieux de profiter du paysage !"
Rassurez-vous, nous n'en perdons pas une miette ! Certes, j'hésite parfois à sortir l'appareil photo et à prendre le temps d'immortaliser un paysage, un décor à couper le souffle, mais le cerveau s'imprègne totalement de cet environnement qui, pour moi en tout cas, a quelque chose de magique.
Nous atteignons finalement le Refuge des Souffles, ou plutôt ce qu'il en reste, vers 8h45. En effet, des travaux de reconstruction ont été entamés, et, en fait de refuge, nous ne trouvons qu'un amas de tôle et de bois. Heureusement, un point d'eau a été maintenu quelques mètres plus haut, qui nous permet de boire à volonté, mais Mathias, qui cherchait un endroit confortable pour évacuer quelques troubles gastriques, sera contraint de se tourner directement vers Mère Nature... En tout cas, nous constatons avec une certaine satisfaction que nous avons finalement réussi à parvenir au point de rendez-vous avant nos compagnons. Il s'en est toutefois fallu de peu, car Michel nous rejoint cinq petites minutes après notre arrivée, bientôt suivi de Nico et Serge.
Quand t'es dans le désert, depuis trop longtemps...
Connaissant mes talents de boulet, et la capacité de Mathias, tel un phénix renaissant de ces cendres, à revenir dans une ascension comme un boulet de canon, je décide de prendre un peu d'avance sur mes camarades pour la fin de l'ascension au Col de la Vaurze. Bien m'en prend, car cette ascension est truffée de petits passages en descente assez techniques, sur un chemin schisteux parfois très étroit et rendu glissant par l'eau qui s'écoule par endroits. Michel, Nico et Serge me dépassent malgré tout, et je parviens au sommet, à 2500 m, vers 10h20.
Mathias en termine avec le Col de la Vaurze.
Vue sur la Chapelle en Valgaudemar depuis le Col de la Vaurze.
Vue sur le Désert en Valjouffrey et le Col de Côte Belle depuis le Col de la Vaurze.
J'aperçois, dans la vallée, le Désert en Valjouffrey, où nous devrions faire notre pause de midi. La descente m'apparaît, comme souvent, assez périlleuse, et je m'élance dès que Mathias atteint le col. Ce sera toujours ça de pris !
Comme d'habitude, tous mes camarades me dépassent assez rapidement : Michel d'abord, puis Nico, suivi de Serge, et enfin Mathias. Ce dernier, observant ma "technique" de descente (à savoir : marcher pour sécuriser au maximum l'appui à chaque pas), me conseille de trottiner au contraire le plus souvent possible, afin, justement, de réduire le plus possible la durée de chaque appui, ce qui permet paradoxalement de sécuriser davantage la descente.
Grâce à ces nouveaux conseils, après ceux de Michel la veille, je me lâche (un peu) plus dans la descente, et parviens en bas quelques dizaines de secondes après Mathias, qui a toutefois probablement levé le pied pour m'attendre.
Nous retrouvons nos camarades, attablés à la terrasse d'un bar, en pleine discussion avec un jeune couple apparemment fort sympathique, que je semble être le seul à ne pas connaître du tout. Il s'agit en fait de fredou et Sophie. Fredou est un UFO de haut vol : son dernier exploit en date ? La Transislande. Allez jeter un coup d'œil sur son site, c'est absolument délirant ( http://transislande.blogspot.com/ ). En discutant avec lui autour de Cocas, panachés, chips et autres tranches de saucisson, je découvre que nous avons des relations communes : fredou a en effet participé l'an dernier aux 6 jours d'Erkrath, où Claude Hardel et Christine Bodet, mes coéquipiers du Raid 28, s'étaient imposés dans leur catégorie respective. Le monde de l'ultrafond est décidément bien petit : même au fin fond du Désert, on arrive à retrouver des gens qui sont animés de la même passion. Et, ce que j'apprécie particulièrement avec ces personnes-là, c'est la simplicité et la gentillesse qui les caractérisent le plus souvent. Fredou et Sophie ne dérogent pas à la règle, et leur présence s'ajoute à notre besoin de repos pour nous clouer dans cette vallée encaissée pendant près d'une heure, jusqu'à 12h30.
Pourtant, que la montagne est belle...
Après avoir quitté nos deux amis rencontrés par hasard, et rechargé nos camelbaks à la fontaine du village, nous nous mettons en route pour le deuxième grand col du jour : environ 1000 m de D+ à grimper d'une seule traite, sous un soleil de plomb, heure oblige, pour atteindre le sommet du Col de Côte Belle, situé à 2290 m d'altitude.
Serge annonce la couleur dès le départ : il souhaite tester sa vitesse ascensionnelle sur cette fin d'étape, et compte se rendre au Refuge de la Muzelle au plus vite, sans nous attendre spécialement en chemin. Ce grimpeur d'exception a bien raison de se lâcher un peu : il est important que chacun d'entre nous profite au mieux de cette excursion de quatre jours entre amis.
Michel le suit de près, et Nicolas et moi avançons à peu près au même rythme, tandis que Mathias peine davantage une fois de plus.
Cette ascension prend très vite, pour moi, des allures de course extrême. Le serveur du bar au Désert nous avait prévenu qu'il n'y aurait guère de point d'eau en route : il ne s'était pas trompé ! La végétation encore bien présente et l'herbe bien verte sont particulièrement trompeuses : l'eau circule, certes, mais uniquement en profondeur. Le sol est globalement sec, et aucun ru ni torrent ne coule dans le gros de la montée.
Les premiers hectomètres nous mettent déjà dans l'ambiance : j'aperçois les os d'une mâchoire d'ovin, complètement séchés par le soleil, ainsi qu'un petit serpent, mort, apparemment grillé par l'astre du jour.
Je repense à ces albums de Lucky Luke où des vautours sont juchés sur un croque-mort patibulaire. Mon esprit divague même alors vers des courses comme la Badwater... J'ai vraiment l'impression de traverser une petite Vallée de la Mort, et ce sentiment, allié à la chaleur bien présente, ne me rassure pas vraiment.
Je n'ai qu'une hâte : arriver au sommet où je sais pouvoir trouver un peu d'air. C'est probablement cette envie irrépressible qui me permettra de boucler l'ascension en 1h20', soit 750 m/h. Je prends quelques photos au sommet, puis décide d'entamer la descente, sachant pertinemment que mes camarades, Mathias compris, n'auront aucun mal à me rattraper dans cet exercice où je ne brille pas.
Michel et Nico bronzent au sommet du Col de Côte Belle.
Le Col de la Muzelle vu depuis celui de Côte Belle.
Nico et Michel au Col de Côte Belle.
Cédric au Col de Côte Belle (merci Nico).
Cédric et Michel au Col de Côte Belle, avec celui de la Muzelle en toile de fond (merci Nico).
Las, cette descente sera finalement la plus agréable de tout le périple. Contrairement au versant sud que nous venons de monter, la descente sur le versant nord est très roulante, sur une terre souple, et bien plus végétale que minérale, avec des passages étroits au milieu d'une végétation luxuriante. J'ai l'impression d'être ici chez moi, comme dans ces coteaux de l'Yvette où je m'entraîne habituellement. Je me sens pousser des ailes, et ai l'impression de dévaler ces lacets à grande vitesse. Ce n'est pas totalement faux, car, fait exceptionnel, seul Nico me rattrapera dans le bas de la descente, et je parviendrai à m'accrocher à son pas, de telle sorte que nous pourrons entamer la dernière montée ensemble.
Mais oui, mais oui, les cols c'est fini...
Arrivés en bas, nous devinons le chemin qui mène à Valsenestre, village où Mathias avait conclu son aventure l'an dernier. La dernière difficulté du jour, le Col de la Muzelle, se situe dans la direction opposée. Et il faut reconnaître que la demoiselle en impose : le sommet semble à la fois horriblement haut et terriblement difficile d'accès, car on ne distingue aucune trace vue d'en bas. De plus, les nuages commencent à s'amonceler sur les sommets environnants, et ni Nico, ni moi ne tenons à effectuer cette dernière ascension sous l'orage.
Nous nous mettons donc en route rapidement, après avoir rechargé (enfin !) nos camelbaks dans un torrent, et partagé un fromage frais que Nico avait amené avec lui.
Je passe en tête, et précise à Nico qu'il ne doit surtout pas hésiter à me doubler si je n'avance pas assez vite. Mais ce rythme semble lui convenir, et nous progressons donc ensemble, à un rythme relativement soutenu étant donnée la difficulté intrinsèque de la montée, jusqu'à une vingtaine de mètres d'altitude avant le sommet. Là, je rencontre, sans réaliser immédiatement, mon premier coup de fringale de cette longue aventure. Michel, qui nous suivait depuis le début de l'ascension à quelques dizaines de mètres plus bas, fond sur moi à vitesse grand V. Il me conseille, en me rattrapant, de manger un peu. Je le remercie, mais suis au fond de moi alors intimement persuadé que c'est la technicité de cette fin d'ascension, avec une montée droit dans la pente sur un terrain schisteux qui se dérobe sous mes pieds, qui est la cause unique de mon coup de moins bien. En une dizaine de minutes, je vois Nico et Michel atteindre le sommet, tandis que je ne suis même plus sûr de m'en approcher.
C'est un passage psychologiquement difficile, que je surmonte essentiellement parce qu'il ne reste que quelques dizaines de mètres de D+, et que j'ai mes camarades en ligne de mire.
Je ne les rejoindrai toutefois au sommet que plus d'une dizaine de minutes après qu'ils l'auront atteint.
Et Mathias dans tout cela ?
Nico au sommet du Col de la Muzelle.
Michel au Col de la Muzelle.
Flash back sur la montée au Col de la Muzelle. Mathias vient à peine de pénétrer dans la zone verte au milieu...
Je réalise seulement au sommet du col que notre GO n'est pas là. Michel nous explique l'avoir attendu au sommet de Côte Belle, mais avoir fait la descente seul. Nico emprunte des jumelles à un groupe de randonneurs stationnés au sommet, et finit par apercevoir le pauvre Mathias dans le début de la montée, plusieurs centaines de mètres au-dessous de nous. Persévérant dans mon égoïsme, notamment après avoir vu que la descente sur le Refuge de la Muzelle était assez longue, apparemment technique et, horreur, impliquait la traversée de névés, je ne désire qu'une chose : commencer cette descente pour en finir avec cette journée éprouvante.
Vue sur le Lac de la Muzelle depuis le Col.
Cédric et Michel au Col de la Muzelle (merci Nico).
Michel vient m'enlever mes scrupules en se proposant de descendre, sans son sac, à la rencontre de Mathias, en se disant qu'il pourra le délester du sien pour cette ascension difficile.
Nico et moi abandonnons alors nos deux amis, légèrement rassurés par le fait que les nuages ne semblent plus si prompts à déverser des trombes d'eau sur l'ascension du Col.
Dès le premier névé, Nico file au loin, en montagnard averti, tandis que je descends à pas lents, prenant bien soin d'éviter la chute à tout prix. Il me faudra près de trois quarts d'heure pour atteindre le Refuge qui surplombe le lac de la Muzelle.
Bilan de la journée :
10h25' pour
38,8 km et
4073 m de D+.
Bilan cumulé des trois jours :
30h42' pour
134,4 km et
9941 m de D+.
Vue satellite du parcours (via SportTracks).
A la guerre comme à la guerre...
J'arrive au refuge vers 17h00, où je retrouve Serge, déjà légèrement débarbouillé, et Nico. Il semble qu'il y ait une douche dans le refuge, mais elle tournerait à l'eau froide, et plusieurs personnes patientent déjà devant. Aussi, Nico et moi décidons d'aller nous laver les pieds dans le lac tout proche. En nous voyant nous diriger vers ce lac glacé, d'autres hôtes du refuge croient que nous voulons piquer une tête et nous prennent pour des fous. Fous, peut-être, inconscients sûrement pas. La toilette du jour sera d'autant plus rapidement expédiée que l'eau est véritablement glaciale (3°C peut-être ?). Tant pis pour notre entourage : il y a fort à parier que nous ne sentirons pas la rose le lendemain mais, à la guerre comme à la guerre...
Michel nous rejoint quelques minutes plus tard, signe que Mathias a bel et bien pris la plus belle des revanches sur ce Col de la Muzelle qui le hantait tant depuis un an. Tant mieux ! Mathias nous disait en effet, avant le départ du Chazelet deux jours auparavant : "Voir la Muzelle, et mourir...". Le p'tit gars, qui nous disait plusieurs fois par jour depuis le départ être mort avait finalement réussi son pari. Chapeau bas l'ami, et merci de nous avoir emmené avec toi dans cette magnifique galère !
En allant, à son tour, se laver les pieds au lac, Michel nous offrira sa première, et dernière, chute de l'aventure. Rien de grave heureusement : le gaillard est solide, et la terre bien meuble...
Après un apéritif bière, coca et eau - pour Serge - (un véritable rituel maintenant), nous prenons possession de nos lits superposés dans un vaste dortoir bondé, pour un petit somme avant le deuxième service auquel nous avons été affectés d'office. Le repas (soupe et tartiflette) fait un bien fou, et permet de recharger un peu les batteries. Favoritisme du jour lié à la spécificité de notre périple, je peux même recharger celles de mon GPS en le branchant dans la cuisine du refuge, où s'affairent les gardiens et leur famille.
A ma plus grande joie, je constate encore une fois l'absence de douleurs musculaires ou articulaires, seules les ampoules se faisant, très relativement, sentir.
L'ambiance ce soir là, au milieu du refuge bondé, est particulière : nous avons tous le sentiment d'avoir fait le plus difficile de notre périple, et, même si l'étape de demain s'annonce longue, un sentiment diffus de victoire avant l'heure est perceptible.
En tout cas, pour ma part, je n'ai maintenant plus de doute : j'irai au bout de cette aventure dans laquelle je m'étais lancé un peu rapidement, sans réaliser vraiment ce qu'elle impliquait.
Et, pourtant, il nous reste encore plus d'un marathon et 3000 m de D+ à parcourir...
Suite, et fin, demain...
L'Castor Junior
4 commentaires
Commentaire de Kiki14 posté le 02-08-2006 à 09:32:00
Ca c'est trop le TOP....heu je veux dire le SOMMET des récits .....quelle volonté et quel courage....vivement la suite....
et merci pour les magnifiques photos et pour les AIRS de montagnes......que tu fredonnes tout en écrivant......
Commentaire de robin posté le 02-08-2006 à 10:31:00
Moi j'adore cette saga de l'été !
vivement demain pour le prochain épisode !
Commentaire de Le Bulot posté le 02-08-2006 à 13:18:00
Respect
c'est véritablement superbe,
Mais pourquoi je suis la a travaillé dans ce bureau alors que la montagne est si belle ???
Merci pour ces photos et CR
ranchin
Commentaire de devey posté le 02-08-2006 à 16:18:00
a demain pour la suite de la saga .
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.