« Cinque minuti !!... Cinque minuti !! » Voilà ce que répète l’italien qui se trouve à mes côtés.

Il a certainement besoin, lui aussi,  de matérialiser ce qui reste à faire. Il reprend à son compte ce que je répète avec rage, à voix haute, en serrant les dents : « cinq minutes Franck !!... cinq minutes !!.... tu n’as plus qu’à tenir cette allure cinq p…. de minutes !! ».

Sur cette fin d’épreuve, j’ai besoin de m’auto stimuler, à voix haute. Il fait chaud, j’ai la tête qui tourne mais je veux maintenir l’allure, cette allure que mes jambes connaissent bien. Je me suis entrainé des semaines pour l’apprendre. J’ai une occasion unique : je vais battre mon temps de référence au Marathon et je vais certainement pouvoir passer une barre tellement symbolique pour moi une barre qui me semblait tellement inatteignable il y a encore quelques heures.

Mon récit va être un peu « technique » et peu romancé, mais c’est ce qu’est l’épreuve même : technique, sans place à la romance.

J’ai basé mon entrainement sur une allure comprise entre 5’35min et 5’25min au km. J’ai choisi cette allure parce que je connais la réaction de mon corps à l’épreuve. A 4 reprises, même avec un entraînement structuré, mon allure s’est complètement effondrée entre le 27^ème et le 30^ème km. Travailler cette allure ça veut donc dire, pour moi, finir en dessous de 4h10 environ. Ca c’est mon « objectif secret ». J’annonce officiellement un 1^er objectif en dessous des 4h19 de Barcelone et un 2^nd objectif à 4h15…

Je me suis engagé sur 3 courses pour tester le plan et la forme du moment : Au decijogg je passe le semi en 1h46, puis 1 mois plus tard, au semi de Feurs, sur un tracé propice à la performance, je boucle en 1h43’50. Ce sont des temps exceptionnels qui me rassurent sur ma très bonne forme, mais il ne s’agit que de semi Marathon et moins point faible c’est de tenir l’allure sur la distance.

Pour tenter de m’améliorer sur ce point, j’ai transformé mes sorties longues : les plans précédents, je les courais uniquement avec pour cible de tenir l’allure Marathon. Cette fois ci j’ai inclus, dans ces séances, des passages à accélérations soutenues. Notamment à la fin de la séance (merci Lalan pour ce conseil de champion !!).

C’est donc assez serein sur ma capacité à approcher les 4h10 que je prends le départ de ce joli Marathon de Milan. Pour la 1^ère fois, celui-ci voit son départ et son arrivée au même endroit, en plein centre de cette superbe ville. Ma famille, indispensable soutien est à mes côtés. Cette course sera aussi l’occasion de prendre une semaine de repos au bord des lacs du Nord de l’Italie.

Nous arrivons en milieu d’après-midi de samedi en centre-ville, le retrait du dossard est très rapide, très pro. Un village Marathon très sympathique et vivant, à l’image de la course. Un plat de pâtes dans un resto typique du centre et après une nuit relativement bonne (bizarrement peu de stress avant le départ de cette course…) et un petit dej de champion, ma femme me dépose près de la ligne de départ. Je suis un des premiers à arriver sur place,  à déposer mon sac à la consigne et à entrer dans mon sas. Je me place dans le sas 4h00 – 4h15. Je suis devant la rubalise, les meneurs des 4h00 se placent à mes côtés.

Le départ est donné à l’heure exacte, je regarde attentivement le temps lors du passage sous l’arche : 2 min 25sec après le départ officiel, c’est parti ! Il s’agit de se mettre immédiatement sur l’allure. Mais… sur une course de cette taille, il y a du monde, énormément de monde. Et, malheureusement, il y a de nombreuses personnes qui se placent dans des sas qui ne correspondent pas à leur niveau. Du coup une énergie folle est dépensée à zigzaguer entre les concurrents. Et c’est de pire en pire : des virages où certains concurrents font prendre des risques inconsidérés en coupant les voies, certains marchent déjà on n’a pas encore fait 3 km !...l’énervement monte, il va être synonyme de dépense d’énergie inutile. Je prends une grande décision : il est temps de faire une escale pipi/technique. 1 bonne minute de perdue… mais je repars beaucoup plus serein !! (je vous avais prévenu : aucune romance… que du technique !!)  

Je boucle le 5^ème kilomètre enfin sur mon allure cible : 5’26. Le terrain est plus net, j’ai un peu plus de place, je me reconcentre et je pars, enfin, à l’assaut de l’épreuve. Au cumul pas de retard pris, j’ai même une 15aine de secondes d’avance. 

Il faut aussi composer avec une forte chaleur : il fera 27° avec un fort soleil à 13h00. Cette fois, pas question de reproduire une des erreurs de Barcelone : j’ai pris une casquette et je vais courir, constamment, avec une bouteille à la main. Dans cette bouteille de 500ml, un mélange à base de boisson énergétique déjà testée. Tous les 5 km, je prends, en plus, une bouteille d’eau sur un ravito : j’en bois 1/3 environ, je verse le reste sur la tête et les épaules. Puis tous les 2,5km, je bois une gorgée de ma potion. En tout, j’aurai bu 2 litres sur la course. Jamais je n’ai souffert d’un seul signe de déshydratation ou eu une sensation de soif, malgré la chaleur très importante.

 Je passe le 10^ème km en 54’55. C’est parfait pour le moment. Tout va pour le mieux, les jambes vont parfaitement bien, je suis même très facile, chaque km est passé entre 5’25 et 5’30 env. Cette première partie de course se fait dans l’hyper centre : la Scala, la majestueuse et si particulière cathédrale duomo di Milano. Puis petit à petit, nous nous éloignons de l’hyper centre, nous partons en direction du stade mythique de la grande équipe de foot milanaise : San Siro. C’est aussi le passage du semi Marathon. Je l’attendais avec impatience pour faire un état des lieux : le temps est parfait : 1h55 pile ! Les jambes tournent au mieux, je ne me pose aucune question supplémentaire et continue strictement sur l’allure. Caro et les garçons sont là tous les 10 km : ils font eux aussi leur Marathon en tentant de me suivre au mieux en métro. C’est très sympa de les savoir pas loin, leurs encouragements sont un super stimulant !

 Avant d’atteindre le 30^ème, nous traversons un parc très sympa, ombragé, très rafraichissant. Ce Marathon, comme je le disais au début est très vivant, tout le long nous aurons été encouragés. Les italiens sont très expressifs et c’est un vrai bonheur de les voir et de les entendre sur le bord de la route !! J’attends aussi ce passage du 30ème avec appréhension : c’est là que tout s’écroule pour moi d’habitude. Les km s’enchaînent, les jambes sont dures, certes, c’est moins simple qu’au début, c’est sûr… mais j’ai beau regarder, chaque km, mon temps/km reste rivé à 5’30.

La partie suivante est beaucoup moins fraiche : nous empruntons une grande route, en plein soleil, nous passons 2 trémies qui vont être fatales à nombre de coureurs, les marcheurs sont de plus en plus nombreux. Je remonte énormément de places, par centaines. Le 35^ème km est très compliqué, une remontée sur un pont qui enjambe le périph’ me brise littéralement en 2, le temps au km tombe à 5’50. Il faut absolument que je tienne le rythme, l’allure reste acceptable, mais elle ne doit pas baisser plus. Je sais que c’est possible. Une zone d’éponge propose des gels, j’en prends un, il m’aidera à terminer la course. Au 37èm^e, la famille est de nouveau là. Je ne suis pas au mieux, à 2 doigts de baisser encore le rythme. Mon fils ainé me propose de me suivre en skate sur le trottoir sur le côté, il sera mon pacer virtuel jusqu’à la fin.

Il est de plus en plus compliqué de trouver la motivation, alors je me mets à parler à voix haute. Le plus efficace que j’ai trouvé c’est de relativiser le reste à faire « Allez Franck, 4 km c’est le retour depuis le bout du Garon !! c’est que dalle, avance !! ». Mon fils à côté, d’abord surpris, rentre dans l’exercice « Allez papa, il reste rien, tiens bon !! »… enfin nous rentrons de nouveau dans le centre-ville. Nous passons un parc que je pensais être celui du départ, mais ce n’est pas le bon, il y a encore 2 km à faire. Je n’en peux plus, mais je vais continuer l’auto stimulation, c’est le meilleur moyen que j’ai trouvé pour avancer.

Je vais passer quelques minutes à côté de cet italien qui va reprendre à son compte la méthode dans sa langue. Et puis la volonté et la possibilité de finir sous les 4 heures ne peut plus m’échapper maintenant, je le sais, c’est aussi ça que je répète tout haut « Allez Franck, tu vas finir sous les 4h00 !! c’est une certitude maintenant !! Avance !! »… Et ça marche : je passe le 42^ème en 5’42 !

Une première arche, les barrières, Alexandre ne peut plus me suivre, je lui crie de me rejoindre après la ligne. Caro et Thomas prennent le relais, ils vont même emprunter, avec moi, la route réservée aux coureurs. Un virage à droite et je vois l’arche à 150 mètres. Le chrono, de loin, affiche 3h57, j’accélère encore, je lève les poings au ciel… ça y est… cette fois c’est bon… le boulot fait durant ces mois, 4 fois par semaine, les quais que je connais par cœur, les séances de fractionné que je déteste…. Le boulot a payé… je boucle ce Marathon en 3h55 !!

Quelques heures après nous étions, en famille, à arpenter les rues de Milan pour une vraie visite touristique… je finis donc dans de bonnes conditions.

Une semaine après, ce récit me replonge avec beaucoup de délice dans ce bon moment. Le problème c’est qu’il va falloir penser à l’année prochaine : maintenant que j’ai atteint cet objectif, y a-t-il un intérêt à aller chercher encore mieux ? ou est ce que je passe à autre chose ? Il est trop tôt pour répondre. Je vais prendre le temps de savourer cette victoire… et on verra ce que réserve l’avenir !

 

Franck