L'auteur : heidi
La course : L'Ardéchois - 98 km
Date : 27/4/2013
Lieu : Desaignes (Ardèche)
Affichage : 2619 vues
Distance : 98km
Objectif : Pas d'objectif
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Je crois que je n’ai jamais eu aussi froid de ma vie. Au ravitaillement du 65e kilomètre, impossible de manger ma soupe. Je tremblais tellement de froid, que de l’assiette à ma bouche il n’y avait plus rien dans la cuillère, pareil pour le gobelet de café.
Cependant en amont de cette anecdote, il y a une petite histoire :
Je n’ai pas pour habitude de partir courir loin de chez moi, je trouve contradictoire de rejeter des tonnes de CO2 dans l’atmosphère pour aller s’éclater dans les bois. Mais là, je me suis laissée tenter par l’Ardèche, ses collines que je ne connais pas, un petit bout d’été avant l’heure, moi qui vis dans un pays de loups.
J’entends déjà les grillons sur les pentes ensoleillées, je me vois les mollets saupoudrés de pollen de pissenlit, les épaules parsemées des pétales de fleurs de cerisiers emportés par la brise tiède, appréciant la fraîcheur d’un ruisseau glougloutant sous les frondaisons vert tendre. Je me vois franchir la ligne, une couronne de pâquerettes offerte par un bénévole dans les cheveux, la cuisse légère, le mascara même pas entamé !
Las ! Déjà c’est mal barré pour la prépa. L’hiver rigoureux et à rallonge laisse dans mes sentiers de la vieille neige qui ne veut pas fondre. J’enchaîne les sorties sur les petites routes. J’aime pas trop ça, ça me bousille les tendons. Une saison de skating et un plan « last minute » plus tard, me voilà à préparer mon bordel pour filer en Ardèche.
Je ne suis peut-être pas assez entraînée, mais je suis or-ga-ni-sée.
J’ai étudié le parcours et le profil de la course, lu des compte-rendu (ceux qui racontent le parcours en détail pas comme les miens), regardé des photos, graillé sur google earth. découpé le trajet en autant de fois 10 km, estimant le temps nécessaire à les parcourir. Dans ce cas la prévision étant de 15h en version de rêve et 2-3 de plus en tapant dans le dur. Je consulte la météo. Mobilise mes parents pour l’assistance et la logistique. Choisis mon matériel pour faire face à 50 situations possibles.
Je coule mon déficit physique prévisible dans une organisation bétonnée.
A Désaignes, il ne fait pas très beau comme prévu, mais pas froid le vendredi soir. On soupe au chaud dans le camping-car de mes parents avec FWNat et hop au lit, jusqu’à 2h15.
Samedi, il pleut, mais il fait encore doux, je choisis de partir en corsaire et t-shirt à manches, tant pis si je suis mouillée, je n’aime pas l’effet étuve de la veste.
Et hop c’est parti, avec FWNat on met au point notre stratégie de course : « Chacune sa merde » (sauf accident bien sûr !) J’aime être sur la même longueur d’ondes avec quelqu’un comme ça !
Je profite du début de course et d’être encore lucide pour respecter un des préceptes que je me suis répété comme le mantra no 2 depuis quelques jours : « Pas de cuisses qui chauffent avant le 42e kilomètres » soit le 2e ravito. Je franchis les premières bosses en contrôlant mon allure et mes sensations. Le mantra en chef, le no 1, sur du long étant « Jamais dans le rouge ». J’adore le début dans la nuit, le cortège de lampes, les passages en sous-bois, il fait bon. Je crois qu’on est déjà trempés mais il ne fait pas froid. C’est au lever du jour que la température chute tout à coup (comme prévu !). Je ne suis pas encore gelée, mais je mets ma veste avant de l’être, la route est longue, je ne vais pas dépenser plus d’énergie que nécessaire à me réchauffer. Mantra no 3 « Bois et mange ». J’avale régulièrement un gel, je bois de l’eau et de la boisson « isotonique ». Les premiers flocons font leur apparition. Magnifique passage dans les ruines d’un château, bien acrobatique, gros coup de cul ensuite. Au premier ravitaillement (22e km) je me fais des petits sandwiches au salami, j’ai toujours envie de salé, le sucré m’écœure vite.
Prochain objectif ravito du 42e kil, mes parents y seront avec des vêtements de rechange. Les bosses se succèdent, les descentes sont, comment dire? Glissantes, boueuses, casse-gueule et je sais pas pourquoi, à tous les coups au fond des vallons il y a un ruisseau à traverser. J’apprécie les bâtons, tout ce que je mets dans mes bras soulage mes jambes et je peux envisager les descentes franco. C’est sous le déluge de pluie que j’arrive au 42e kilomètre donc. Je me change de haut en bas, chaussettes, collant chaud, celui pour l’hiver, 2 pulls à manches longues, je pique la veste de ma mère, buff, gants. Remplissage de gourdes, j’avale une soupe et repars sous les encouragement de mes parents en grignotant un pain d’épices fourré à la pâte d’amande – si avec ça je gagne pas !!
J’ai beau avoir étudié le parcours avec soin et avoir le profil et la carte dans mon sac, il arrive toujours un stade où je ne sais plus trop où j’en suis. J’avance, j’estime ma vitesse, essaye de calculer ce que j’ai déjà fait, ai-je passé la mi-course ? Un gars m’assure que oui entre 2 bourrasques de neige qui commence à tenir au sol. Les genêts nous fouettent les jambes et cachent le sentier le rendant piègeux. Pas bon pour la moyenne ça, surtout quand la pente est au moins à 1000 %! J’avance, je ne réfléchis pas trop, ça va bien redescendre un peu, il fera plus doux dans les bois ou à l’abri d’un vallon.
La dame au point d’eau du 55e nous propose de nous réchauffer dans l’église. Je vais allumer un cierge plutôt!
Je repars, je trace, je réfléchis pas, mantra no 3 et mantra no 4 (celui à partir de la mi-course), « Trottiner au plat et courir encore à la descente ». Dire que le temps ne s’améliore pas est un euphémisme. Il neige dru, ça tient au sol, même en montant j’ai froid, je suis trempée jusqu’aux os. Tiens ! une descente acrobatique, un ruisseau avec un petit pont, mais pourquoi servir le pont hein ? Hop tout droit dans l’eau. Un long chemin blanc, frrrrcht, frrrrcht, frrrcht, c’est le bruit de la capuche sur les oreilles. Avance, trace, réfléchis pas, « trottine au plat, cours à la descente ». Je suis avec 2 ou 3 gars depuis un moment, je descends plus vite, mais au plat je me fais reprendre.
Arrivée au ravitaillement du 65e km, c’est là, la soupe et le café que je n’arrive pas à avaler, la faute à mes tremblements incontrôlables. Une gentille dame a ouvert son bistrot pour qu’on puisse se mettre au chaud. A l’intérieur, c’est la retraite de Russie. Certains sont encore plus frigorifés que moi, ou plus conscients, je sais pas, et posent les plaques (bon le gars est en short !). C’est marrant je n’ai même pas envisagé cette possibilité une seule seconde.
J’appelle mes parents pour leur donner des nouvelles (fraîches), ils ont prévus de me rejoindre au lac en haut au 70e kilomètres.
Et là je déroge au précepte 214 bis de toute traileuse qui se respecte ; j’écoute une accompagnatrice (c’est valable aussi pour les autochtones/touristes) qui nous dit que le parcours va être tronqué, qu’on ne va pas monter au lac. Je rappelle mes parents pour leur dire d’aller se mettre au chaud, inutile de monter, le parcours est changé, on se voit à l’arrivée les amis.
Je vais pas me plaindre d’avoir 10 kilomètres de moins à faire. C’est donc en révisant mes comptes et décomptes de temps, déjà bien complexes pour mon cerveau embrumé que j’attaque la suite. Mon problème essentiel étant de savoir si je vais arriver de jour ou pas sans arriver à le résoudre. Oui, oui, un peu embrumée !
J’imagine qu’à la prochaine route il y aura des signaleurs qui vont nous indiquer le nouveau parcours. Première route, personne, un chemin, personne, 2-3 fermes, personne. Sauf un gars qui nous dit : « courage dans un quart d’heure c’est dur, il y a une montée à 22% sur un kilomètre ». Ne jamais croire les supporters, ne jamais croire les supporters (214 bis). Et finalement on arrive … au lac. Ouais dans 10 cm de neige on y est à ce putain de lac.
Deux bonnes nouvelles pourtant, même si mon moral n’est pas à plat du tout. Je suis branchée sur « finir », je finirai. Le tour du lac est supprimé (3 km) et il a arrêté de neiger depuis un moment. Les vêtements sèchent un peu, c’est bienvenu parce que les kilomètres suivants sont exposés. Les grosses difficultés sont derrière nous, je ne me souviens plus exactement du profil, j’imagine encore quelques bosses sur les 20 derniers kilomètres qui vont nous faire redescendre à Désaignes. On reste cependant sur les hauteurs enneigées jusqu’au 85e où le tenancier du café de St-Jeure nous offre gentiment des thés et des cafés tout chauds. Et enfin ça sent l’écurie, il doit rester 10 kilomètres, le mantra no 4 devient le 5 « Fais ce que tu peux encore» ce qui signifie trottiner-marcher au plat et trotter en descente. Je suis désorientée, je ne me souviens plus dans quel sens on arrive au village, mais le balisage est sans faille, impossible de se perdre ailleurs que dans l’Ohio. Je suis tout-à-fait seule sur cette dernière portion. « Bois et mange », même au bord de la nausée, ce serait bête de s’effondrer là. Je sens que toute mon énergie est épuisée dans les derniers kilomètres le long de la rivière.
Allez quoi ! 2 tours de piste vita, tu sais faire ça facile. Un dernier talus, un pont de pierre et on remonte dans le village.
Et enfin, comme dans mon imagination pré-course je franchis la ligne avec ma couronne de pâquerettes sur la tête et la cuisse légère en un peu moins de 16h (15h48).
Ah non ! Je trottine vers la place du village, pour une arrivée sans cérémonie, si ce n’est celle de rendre ma puce et de recevoir un t-shirt. Je prends un coca que je n’arrive pas à avaler. Mince, mon mascara a un peu coulé quand même, c’était pourtant du waterproof.
Je retrouve mes parents, patients et frigorifiés qui ont eu bien du mérite de m’accompagner. Douchée et réchauffée, j’apprends que FWNat a du abandonner. Je reçois plein de sms et de félicitations par l’intermédiaire de mon mari, c’est très sympa.
J’apprécie le trail pour de multiples raisons : celles égoïstes de profiter de la nature, de l’effort, des heures en solitaire, de savoir aller au bout du truc et celles plus conviviales des rencontres avec d’autres coureurs, coureuses dans ce cas, FWNat, Aurely et Sophie autour d’un très chouette repas le dimanche à midi pour ponctuer le week-end.
Merci à ceux qui m’ont soutenu, encouragé, entouré, croient que je suis folle.
Les mantras sont libres de droits !
14 commentaires
Commentaire de @lex_38 posté le 30-04-2013 à 09:09:36
Bravo Karine pour ta course! C'était vraiment dantesque on dirait, mais tu vois que ça sert de s'entraîner l'hiver dans la neige!
Si tu n'as pas de force pour courir demain, essaye au moins de marcher jusqu'à la Charrière que je te paye une bière à l'arrivée :-D
Bises
Commentaire de heidi posté le 30-04-2013 à 10:31:35
Bien sûr que je viendrai t'encourager! Je ferai la queue au bar pendant que tu te douches.
Merci pour tes messages et à demain :)
Commentaire de Japhy posté le 30-04-2013 à 09:37:52
Bravo Heidi, tu es non seulement rapide, mais rustique comme il le faut dans ces cas-là!
Vous avez eu droit à la burle (que nous ne connaissons pas dans l'Ardèche du Sud, ouf), mais heureusement pour vous, vous n'avez eu droit qu'à de gentils aubergistes avec des cafés gratuits, et pas à celui de l'Auberge rouge de Fernandel.
Commentaire de heidi posté le 30-04-2013 à 10:40:39
La Burle? Rien que le nom fait froid dans le dos!
Je ne connaissais pas le coin, je connais mieux vers Ruoms, mais finalement le terrain était très ressemblant à ce que je pratique toute l'année. Souple (bon gras, parce que mouillé) avec une grosse couche de terre et d'humus. Je m'attendais à plus "sec", sablonneux. Merci pour tes messages. A bientôt
Commentaire de ptijean posté le 30-04-2013 à 09:48:46
Bravo pour avoir vaincu l'hard et choix !!! arrivé plus d'une heure après toi affamé et frigorifié...Mais quel pied!!!
Commentaire de heidi posté le 30-04-2013 à 10:42:29
Ah oui c'était long hein? Les derniers 3 km le long de la rivière. J'ai hésité à sauter dedans et me laisser porter par le courant :))
Tu n'avais plus rien à manger? En tout cas bravo à toi aussi :)
Commentaire de philkikou posté le 30-04-2013 à 12:33:50
Chapeau pour avoir fini cette course dans ces conditions : bien géré, sans être dans le rouge ni en péril.... En te souhaitant d'avoir l'occasion de la refaire en version Grand bleu !!!
Commentaire de samontetro posté le 30-04-2013 à 18:50:30
Heidi l'in-des-truc-tible! En lisant ton récit on se demande vraiment ce qui pourrait t'arrêter quand tu as décidé d'être finisheuse! Un énorme bravo!
Commentaire de Byzance posté le 30-04-2013 à 20:46:32
Quasi 100 bornes dans ces conditions ... juste un énorme BRAVO !
Commentaire de Free Wheelin' Nat posté le 30-04-2013 à 23:40:15
Indestructi-girl, la heidi!!
Je réitère toute mon admiration devant ta volonté et ta résistance, chapeau!
Commentaire de nimzo posté le 01-05-2013 à 09:16:21
Bonjour,
Merci et bravo de ton beau CR !
Et merci de me faire revivre cette épreuve épique. Je me suis bien retrouvé dans tes écrits. Ben oui, les petits ponts de bois casse gueule, j'ai tiré tout droit aussi. Et comme nous étions à 100 % d'humidité, pas de soucis ;).
Et je pense t'avoir vu arriver au 3 ème ravito au 64 ème. L'accent n'est pas trompeur. Et comme toi, j'ai indiqué dans mon petit CR aussi que la vision était apocalyptique avec tous ces trailers tremblants et frigorifiés. Idem pour la soupe, obligé de la poser sur la table ou le tabouret pour envisager d'en boire au moins 3 gorgées...Passage au café également pour se réchauffer et mettre les gants sur les radiateurs.
Bravo à toi d'avoir tenu. Perso, avec le froid gagnant le haut du corps, j'ai vraiment pensé un moment à mettre le clignotant.
Ca restera un souvenir impérissable.
A bientôt sur les chemins.
Commentaire de heidi posté le 01-05-2013 à 10:48:29
Ah oui, je crois que je vois où on s'est croisé, avec nos assiettes de soupe sur les tabourets de bar et ensuite près du radiateur.
J'ai un accent moi??!? Il me semble toujours que c'est les autres qui en ont un :)))
C'est sûr que ça sera impérissable comme souvenir, le froid ça conserve!
Tu as fait un cr? où? tu le gardes que pour toi?
En tout cas bravo aussi!
Commentaire de nimzo posté le 01-05-2013 à 11:20:52
Hi hi hi...ben oui, le froid conserve, mais comme toi, je m'étais inscrit en pensant mettre mes belles lunettes de soleil et faire bronzer mes mollets de coq. Et comme je suis un optimiste, je les avais même mis dans le sac ! Bon, OK, avec toute la flotte qui est tombée sur ma tente vendredi soir et qui a continué au matin, je lai ai laissé se reposer tranquille...
Mon CR est là :
http://nimchtistrailers.over-blog.com/article-ultra-trail-de-l-ardechois-117458487.html
A +
Commentaire de heidi posté le 01-05-2013 à 10:49:58
Merci pour vos commentaires et félicitations.
Rôôô je me réjouis trop de faire chier mes petits enfants tous les dimanches, en leur racontant en boucle mes aventures!! :))))
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