Récit de la course : Saintélyon 2010, par ogo

L'auteur : ogo

La course : Saintélyon

Date : 5/12/2010

Lieu : St étienne (Loire)

Affichage : 4132 vues

Distance : 69km

Objectif : Pas d'objectif

10 commentaires

Partager :

Nuit blanche sur la Saintélyon

« T’es un malade ! ». C’est à chaque fois le même refrain. Lorsque j’annonce ma participation à une
épreuve qui dépasse le marathon, on me dévisage, les yeux écarquillés, l’air consterné, les épaules basses. Si dans mon esprit les mots « courir », « longtemps », « nuit », « neige » s’assemblent à merveille, ce mariage semble inconvenable pour beaucoup. Faussement modeste, je rétorque que « bof, tout le monde peut le faire avec un peu d’entraînement et de motivation » mais secrètement, je jubile de passer pour un fou. Ces courses sont pour moi de courtes aventures, quelques heures à tutoyer l’extraordinaire, à vivre l’inaccessible. Une façon de flatter mon ego, sans doute, une recette pour approcher mes rêves, à coup sûr.
Si dans les bois de Clairefontaine-en-Yvelines, je souffre peu de la concurrence, ce soir, en pénétrant, dans le hall A du parc des expositions de Saint-Etienne, mon sentiment d’appartenir à une espèce rare et unique, vole en éclat. Nous sommes des centaines, que dis-je des milliers, à arborer cette panoplie bigarrée qui d’ordinaire me confère l’impression d’être si particulier.    


L’organisation recommandait d’arriver avant 19h pour éviter le coup de bourre lors du retrait des dossards. Je me félicite de les avoir écoutés. Il est 18h45 à peine et la file d’attente est déjà longue. Dans les rangs, on discute et on s’inquiète de la météo. Des bâtons dépassent des sacs de bon nombre de concurrents. L’attente est d’assez courte durée. Après 20 minutes à faire le pied de grue, on me remet ma chasuble barrée du numéro 6051, ma puce et le buff cadeau de la Saintélyon. Peu à peu, le gymnase prend des airs de dortoir géant et il faut prendre garde pour ne pas piétiner un malheureux assoupi sur son sac. Je quitte les lieux et rejoins le restaurant le Flore à quelques pas où a lieu l’AAB Kikourou. Mamanpat m’accueille très chaleureusement et me remet un autocollant avec mon pseudo. Dans la salle de restaurant, je ne connais personne, mais Taroc 78 et l’un de ses amis de l’AS Bazainville, m’acceptent généreusement à leur table. Une assiette de pâtes bolo plus tard, nous applaudissons Arthurbaldur et ses sept acolytes qui arrivent de Lyon en courant. Je discute ensuite avec Gilbert ou plutôt j’écoute, rêveur, ses récits d’UTMB et de GRR. Il va prendre le départ de sa 18e Saintélyon. Il a été de l’édition de 1990, stoppée à Sainte-Catherine, à cause de la neige.


Je m’habille dans l’entrée du restaurant, trois couches plus un coupe-vent, puis rejoins le parc des expos où je compte déposer mon sac pour Lyon. J’ai de la chance, il n’y a pas la moindre attente à la consigne. En cinq minutes, j’ai déposé mes affaires dans le car à destination de Gerland. Je tente ensuite de me reposer dans le hall B, au milieu de la foule, sans grand succès. Chacun fourbit ses armes : bâtons, yaktrax, isolation thermique pour tuyau de camel…


A 23h30, je sors dans le froid et trottine jusqu’à la ligne de départ à quelques encablures. Il y a encore peu de monde et me place à une trentaine de mètres derrière l’arche. Je me frictionne et sautille sur place pour réduire l’intensité des morsures de l’air glacé. Autour de moi, on plaisante, on fait le mariole, comme pour conjurer sa peur du noir. Deux minutes avant le départ, le speaker nous demande d’allumer nos frontales pour la télé, la musique retentit et c’est parti. Après quelques pas au ralenti, je m’élance étourdi par les flashs et les encouragements du public. Ca part vite. Comme un prélude à la fête des Lumières, le cortège aux mille lampions s’étend sur les longues avenues stéphanoises. J’ai les jambes engourdies et l’esprit embrumé. Je peine à mesurer l’intensité de mon effort. Un coup d’œil au GPS, 14 km/h. Je ne sais même pas si je me sens bien. Je suis vaporeux, les neurones congelés, en fait je ne ressens rien. Du peloton émane un silence glacé. Nous passons devant un thermomètre à cristaux liquides et mes yeux enregistrent -8°c. Je récupère quelques sensations lorsque la route s’élève puis très vite nous rejoignons le premier chemin. La neige le recouvre entièrement et modifie considérablement mes appuis. Je m’enfonce et manque à plusieurs reprises de trébucher. Je jette toutefois régulièrement des coups d’œil en arrière pour profiter du spectacle féerique des frontales qui dansent sur l’horizon enneigé tel des lucioles hivernales. Les montées les plus abruptes sont avalées en marche rapide. Je me suis interdit de regarder ma montre avant Saint-Christo pour voir si je suis naturellement dans le bon tempo. A la sortie du petit pont de bois qui mène au ravitaillement, des spectateurs enthousiastes nous lancent « Bravo, les gars, moins d’une heure trente. Vous êtes dans les 300 premiers ». Cela me gonfle le moral à bloc. Je ne m’arrête pas et saisi seulement une tranche de pain d’épice et du chocolat au passage. En réalité, plus de 600 coureurs sont passés avant moi mais je ne le sais pas encore.

J’ai de  bonnes jambes et rejoins Moreau en une quarantaine de minutes. Certains coureurs sont à l’agonie et marchent déjà sur le plat, d’autres rendent tripes et boyaux sur le bas-côté. Les 8 premiers km envoyés plein pot ont fait des dégâts. Je file sur Sainte-Catherine essayant tant bien que mal de ne pas trop dépenser d’énergie en pataugeant dans la neige profonde. J’avais prévu de ne pas marquer d’arrêt à Sainte-Catherine mais je décide tout de même de prendre un thé et de grignotter du sucré cinq minutes. Au sommet de la côte qui suit le ravito, je sens que quelque chose ne va pas. Mes forces semblent me quitter à chaque pas. Je ralentis sans que mon état ne s’améliore. Des flots de coureurs me dépassent. Pour la première fois depuis le début de la course, je mets le pied sur de la terre humide sans neige pour la recouvrir. J’attaque à allure réduite la descente du bois d’Arfeuille. Cette portion sera pour moi la Berezina. Sous les arbres, l’atmosphère est froide et humide. Le sol glisse. La neige cache souvent les pierres et les racines mais surtout je n’ai plus la moindre force. J’ai soudain l’estomac qui bouillonne et les intestins pris de crampes. Je persévère quelques minutes mais très vite je n’y tiens plus. Je trace sur la droite, éteint ma frontale, et baisse culotte, en contrebas, à moins de cinq mètres du tracé officiel. Le besoin est impérieux et je n’ai pas envie d’y laisser mon collant, j’ai de toute façon perdu toute pudeur en pareille circonstance depuis ma traversée de l’Afrique en tandem (www.tandafrika.com)


Je me crois sorti en remontant sur le chemin. Fausse joie. Cinq cents mètres plus loin, mon ventre est à nouveau au bord de l’explosion. A cet instant, je n’ai plus qu’une idée en tête, rejoindre Saint-Genoux, rendre mon dossard et élire domicile sur les chiottes pour le reste de la nuit. Il me faudra me soulager une nouvelle fois avant de rejoindre le ravito. Parvenu sous la tente, je suis surpris de me sentir mieux. J’évite de manger mais avale trois verres de coca. Je m’arrête une dizaine de minutes sans doute et repars plus serein. Je rêvais de la Sainté d’argent, tant pis, mon objectif sera désormais d’aller au bout coûte que coûte. Malgré les plaques de verglas et une douleur naissante dans les cuisses, je descends vers Soucieu bon train aux alentours de 12km/h. Je passe le marathon en 4h50. Symboliquement, cela me redonne la patate. Le verglas est de plus en plus présent et je suis témoins de nombreuses chutes heureusement sans gravité. Je me ramasse deux fois, des gamelles sans conséquences. Des escaliers totalement gelés me contraignent à marcher. Je suis dépassé par les premiers du relais à quatre qui allument sur des tronçons où nous progressons en nous accrochant aux branches.

J’arrive à Beaunant en 6h44. Reste une heure trois quart pour effectuer les 11 kilomètres restant et arriver dans les délais pour la Sainté de bronze. Sauf gros coup de pompe ça devrait le faire. Encore faut-il grimper la terrible côte de l’aqueduc qui monte sur 1,5 bornes à parfois plus de 20%. Je progresse en marche rapide et double pas mal de concurrents. La descente sur Lyon fait mal aux cuisses. Je me force à courir jusque sur les bords de Saône. Au panneau 5km, je m’accorde un instant de marche. Les jambes ne veulent plus. Jusqu’à la Confluence, sur des quais de Saône couverts de givre, je bataille avec mon for intérieur pour mettre un pied devant l’autre. Cinq kilomètres à l’entraînement, c’est une poignée de minutes. A cet instant, c’est une distance sans fin. Je traverse le Rhône et enfin pénètre dans le parc de Gerland. Les spectateurs qui ont été présents sur le parcours toute la nuit me donnent par leur encouragements l’énergie de courir jusqu’au bout. J’accélère en apercevant la coupole du stade. Deux cents mètres encore. Je n’ai plus mal, je file vers la ligne les larmes aux yeux et pénètre dans le palais des sports.

J’en termine en 8h05, satisfait d’avoir persévéré et de m’être donné les moyens de vivre cette aventure jusqu’au bout en délaissant le chrono. A mes côtés, un homme vient d’arriver avec le poignet pété. Depuis plusieurs heures déjà, un voile opaque recouvre mon œil droit. J’ai déjà vécu le même phénomène sur les Flambeaux et l’Origole mais par acquis de conscience, je fais une halte au poste médical. On me conduit auprès d’un médecin. Dans la salle où il officie, plusieurs hommes sont étendus dans des civières. L’un d’eux hurle de douleur à chaque fois qu’on le manipule. Je m’en tire à bon compte avec mon œil vitreux. Je suis bon pour quelques gouttes sans grand effet. « Cela devrait revenir dans les heures qui viennent », m’explique le docteur. C’est ce qui se produira après une bonne sieste. Je file et rejoins le buffet pour m’en mettre plein la panse. Une heure plus tard, je croise Fulgurex qui en termine avec la LyonSaintéLyon. 9h30 pour le retour, chapeau. Je résiste à l’envie de prendre une bière puis patiente jusqu’au podium. Un immense merci aux bénévoles qui ont bravé le froid pour nous permettre de faire les guignols dans la neige. Bravo à tous les participants. Cette édition restera dans les mémoires. 

10 commentaires

Commentaire de gdraid posté le 10-12-2010 à 19:48:00

Beaucoup de souffrance, mais un mental à toute épreuve, pour terminer Finisher aux places honorables, de cette Saintélyon, meurtrière par endroits sans yaktrax.
Merci pour ton bon récit ogo78 !
JC

Commentaire de Mustang posté le 10-12-2010 à 20:14:00

oui, beaucoup de mental pour avancer et finir!! bravo!

Commentaire de sarajevo posté le 10-12-2010 à 21:34:00

chouette Cr ... bravo a toi !!!

Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 11-12-2010 à 11:28:00

J'ai éliminé ce problème : 2 smecta avant le départ et ça marche !

Cela dit, t'as pas traîné ! Bravo !

Commentaire de JLW posté le 11-12-2010 à 15:12:00

A ta prochaine participation, sans neige mais avec smecta, tu vas exploser les chronos. Bravo, 8h dans ces conditions c'est top.

Commentaire de Pat'jambes posté le 11-12-2010 à 23:28:00

Les problèmes gastriques ont été le lot de beaucoup sur cette course décidément... Le froid ?

En tout cas, bravo et merci pour le Cr.

Commentaire de Natou posté le 12-12-2010 à 14:05:00

Bravo pour ce chrono et merci pour le CR !!!
Bonne récup et au plaisir de te croiser à nouveau

Commentaire de yves_cool_runner posté le 12-12-2010 à 17:27:00

C'est un vraiment un beau chrono dans ces conditions. Félicitations.

Commentaire de yves_cool_runner posté le 12-12-2010 à 17:28:00

... Et + 1 pour le Smecta : idem le Lutin, 2 avant le départ (j'avais souffert comme toi en 2009).

Commentaire de Arclusaz posté le 21-01-2011 à 12:17:00

Bonjour,

je lis "tardivement" ton CR : c'était un moyen pour moi de faire un peu connaissance avant de (j'espère) se rencontrer sur les pentes de Fourvière !
dis, promis, tu m'attendras ?

ah, ben oui, forcement, puisque tu ne connais pas, tu seras bien obligé de te caler sur mon rythme d'éléphant !

Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.

Accueil - Haut de page - Version grand écran