Au moins, ce fil a l'intérêt de pouvoir mettre à plat les connaissances que nous partageons sur cette question mais aussi de souligner les quelques différences qui s'expriment depuis un certain temps sur Kikourou, et de mieux les argumenter.
En gros, je crois que tout le monde est OK sur les choses suivantes. Pour performer sur du hors stade (10km au marathon), il faut, dans l'ordre d'importance :
1. Développer son endurance (son foncier) :
- faire beaucoup de bornes (donc sans dire 3, 4, 5 séances voir plus, disons autant que votre emploi du temps et une montée en charge progressive sur plusieurs années vous le permet)
- garder une part importante d'endurance fondamentale (le fameux sub 140). A la suite de Cotereau, la plupart des entraineurs recommandent entre 75 et 80% d'EF dans l'entrainement. Donc si tu veux faire 2 séances de qualité dans la semaine, il faut pouvoir placer suffisamment de séances et de kilomètres à côté pour conserver la bonne proportion d'EF => augmenter le kilométrage hebdo.
Objectifs :
habituer le corps aux traumatismes de la course à pied pour éviter les blessures et le phénomène de jambes de bois (renforcer les articulations, calcifier les os...), mais surtout
[edit : pour ralentir le plus possible la perte d’efficacité des fibres suite aux traumatismes et micro-lésions provoqués par les chocs des foulées ; en quelque sorte, ralentir la dégradation des fibres actives],
élever la vitesse de base (développer la filière énergétique lipidique, celle qui utilise les graisses comme combustible et vous permet de tenir très longtemps, augmenter la production de mitochondries, développer le réseau capillaire sanguin... ce qui ne se fait qu'à allure lente),
s'habituer à courir longtemps (pour courir vite, il faut s'entrainer longtemps et pour courir longtemps, il faut s'entrainer lentement).
2. Développer sa résistance : la capacité à tenir un % élevé de sa VO2max le plus longtemps possible.
Ce qu'on appelle aussi développer sa base aérobie = une utilisation des filières énergétiques qui fait d'avantage appel à la consommation du glycogène. Cela fait intervenir les notions de seuil aérobie (seuil 1 = AS 4,5heures d'après plans-entrainement.net ;
[edit : certains le situe plutôt à AS3h]) et de seuil anaérobie (seuil 2 = AS 1heure). Beaucoup de littérature et de physio compliqué là dessus. En gros, ce sont les seuils physiologiques autour desquels la filière énergétique dominante change (mais aussi à partir desquels la production de lactate commence à augmenter tout en restant encore 'sous contrôle' (seuil lactique 1), puis augmente de façon incontrôlable (seuil lactique 2). Au dessous du seuil 1, on est en EF (part importante pour la filière lipidique), entre le seuil 1 et le seuil 2, on est en résistance douce (part qui augmente pour la filière glucidique + O²= filière aérobie), au dessus du seuil 2 la part de consommation de glucides sans apport d'O² s'intensifie = filière anaérobie, avec une augmentation forte de la production de lactates que le corps ne parvient plus à réguler, ce qui aboutit à plus ou moins court terme à l'arrêt de la machine.
Pour des coureurs du milieu du peloton, le semi et le marathon se courent entre ces deux seuils. Le 10 se court légèrement au dessus du seuil 2.
Pour développer la base aérobie, il faut donc augmenter le niveau des seuils 1 et 2. Pour cela, il est préconisé :
- du travail en haut de la zone EF (vers 75 à 80% FCM)
- du travail en résistance douce (entre les 2 seuils, donc), par fractions longues (entre 80 et 90% EF)
- du travail de seuil 2 (autour de 90% FCM),
- certaines séances nouvelles comme les lactates shuttle (voir ce fil :
viewtopic.php?f=21&t=34535) qui permettent de développer les 2 seuils (on court alternativement au seuil 2, puis au seuil 1 (des fractions autour de 3mn), ce qui induit une alternance entre des phases de production de lactates autour du seuil 2, puis de consommation des lactates surproduits au seuil 1 => augmentation de la capacité de recyclage (et donc d'élimination) des lactates => augmentation du seuil 1 mais également travail au seuil 2 => augmentation du seuil 2.
De façon générale, Cotereau indique une proportion générale de 15% de travail en résistance douce, et de plus en plus de monde s'accorde pour dire qu'il faut balayer un peu toutes les allures et ne pas se spécialiser sur une seule. Pour la construction d'un plan spécifique, chacun a sa cohérence, qui dépend aussi du profil de l'athlète (ou plutôt de l'entraineur
), du rythme de progression à respecter et de l'objectif visé.
Edit : l'indice d'endurance, qui mesure la capacité à perdre le moins de vitesse possible en augmentant la durée de la course, est un indicateur relatif qui permet de mesurer si on progresse ou régresse en endurance. Sur les courses de fond >10km, si on améliore ses chronos, c’est qu’on progresse en endurance. C'est donc bien le développement de l'indice d'endurance qui doit être l'objectif central d'un entrainement visant à améliorer sa vitesse moyenne sur distance >=10k. Or cet indice d'endurance, qui mesure l'aptitude à l'endurance (et non à la résistance), se développe sur une base de travail en endurance mais aussi beaucoup par du travail de résistance, notamment autour du seuil 2.3. Développer sa vitesse :
Traduction : développer sa VMA, ou sa VO²max en fonction des écoles.
C'est surtout là je crois que les avis divergent un peu.
L'idée générale est que la performance dépend du fait de pouvoir tenir pendant longtemps un % élevé de sa vitesse maximum. Pour performer, il faut donc d'une part développer sa capacité à tenir ce % le plus longtemps possible (la résistance qui fait l'objet du point ci-dessus), mais aussi augmenter la vitesse de base à partir de laquelle est calculé ce %, cette fameuse VMA (vitesse maximum aérobie, VM6mn, au delà de laquelle on est dans la filière anaérobie pure).
Donc à un moment ou à un autre de sa carrière d'athlète, il faut développer cette VMA, ce qui peut se faire par du travail de fractionné court à VMA, les fameux 30/30, ou fractions de 100m à 400m (qui se travaillent entre 105 et 95% VMA). Sachant qu'elle se développe le plus (j'aurais envie de dire essentiellement) quand on est jeune. A 40 ans, il sera beaucoup plus facile de développer sa résistance que sa vitesse de base.
En partant du principe que le corps progresse aux allures où il s'entraine, le travail de fractionnés courts permet de travailler plus longtemps à ces allures élevées, donc de les améliorer. Pincer les récups permet de garder un travail de cardio élevé, mais aussi de ne pas laisser trop de temps au corps pour éliminer les lactates entre chaque fraction, et donc de développer sa capacité à résister à l'acide lactique ce qui est indispensable pour le demi-fonds.
Par ailleurs, c'est aux allures élevées que se travaille le mieux l'économie de course, le travail de la foulée (belle, souple, le corps droit, le regard au loin, les bras et les épaules détendus...).
Là où intervient le problème (et les divergences dans l'entrainement), c'est que l'on a aussi remarqué que le type de fibres musculaires qui permet d'aller vite (les fibres rapides) n'est pas le même que le type de fibres qui permette de courir longtemps (les fibres lentes).
Edit : la qualification de fibres rapides ou lentes se rapporte à la consommation d'oxygène. On les appelle « lentes » ou « rapides » à cause de leur temps de réaction par rapport à la commande nerveuse envoyée par le cerveau. Et les fibres qui ont un temps de réaction court (les fibres rapides) sont aussi celles qui consomment moins d’oxygène, donc celles qui sont plus spécialisées dans la filière anaérobie, c'est-à-dire celles ou se passe la glycolyse (la dégradation du glucide ou du glycogène sans oxygène). Les fibres qui ont un temps de réaction plus long (les fibres lentes) sont aussi celles qui consomment le plus d’oxygène (leur couleur est différente sur les biopsies). C'est la proportion plus importante des fibres lentes par rapport aux fibres rapides qui permet d'avoir de bons temps de soutien et de faire de bons temps du 10km au marathon. Or chez la plupart des coureurs, les fibres rapides qui se développent en courant vite le font au détriment des fibres lentes (qui se développent grâce au travail d'EF et de résistance, et qui sont abimées par le travail trop rapide).
Donc le travail de VMA est intéressant sur un plan mais contre-productif sur l'autre.Pour ceux qui ne sont pas favorable au travail de fractions en VMA courte pour préparer des courses du 10 au 42, il y a d'autres moyens de développer la VO²max, comme le travail de sprint de 10 à 20 secondes en côtes par exemple, qui permet de travailler le cardio, la qualité de la foulée et le renforcement musculaire (avec récups complètes pour ne pas tomber dans un travail lactique potentiellement contre-productif pour du long). On peut aussi travailler sur des fractions de 400 à 800m jusqu'à l'AS5, soit entre 93 et 95% VMA selon les coureurs (dans une proportion max de 5% de l'entrainement). Ou encore, faire du travail de R-Pace comme le préconise l'entraineur américain Jack Daniels, à savoir des fractions assez courtes courues rapidement, mais avec récupération complète entre chaque, type 4 x 1000m r=4mn (avec + ou - les mêmes objectifs que le travail de sprint en côte). Et
[edit : compléter cela par du vélo, excellent pour développer la VO²max].
Là où ça se complique cependant, et ce qui empêche de trop généraliser, c'est que tout le monde n'a pas le même profil. Certains (la majorité) sont plutôt explosifs, forts en sprints, en sauts... en fait naturellement bien pourvus en fibres rapides. Ceux-là ont intérêt à faire un début de carrière sur du demi-fond pour bien développer la vitesse où ils peuvent performer, mais quand ils décident de se convertir au long (en profitant de leur bonne vitesse de base), ils ont intérêts à stopper le travail de VMA courte pour que leurs fibres lentes remplacent leurs fibres rapides. Et cette conversion peut prendre plusieurs années (Hailé Gebreselassié par exemple).
D'autres types de profil sont naturellement typés fibres lentes (comme Bruno Heubi par exemple, qui n'est pas passé par le demi-fonds). Pour ceux là, qui ne seront jamais très bons en sprints mais qui sont naturellement très endurants, ils peuvent effectivement faire du travail de VMA pour préparer du long. Ce n'est pas contre-productif avec leur métabolisme et leurs fibres lentes ne risquent rien, même avec des 30/30. Raison pour laquelle B Heubi conserve toujours de la VMA dans ses plans par exemple. Mais ce qui marche pour lui ne fonctionne pas forcément pour tous...
Pour Teleph56 qui est un footeux (voir fil 'Conseils 1er semi' sur lequel la même discussion a lieu en parallèle), il est probable qu'il soit typé rapide. Donc le travail de VMA n'est pas recommandé s'il veut aller sur du long
en phase de prépa spécifique.
Après, les profils ne sont pas binaires "lent" ou "rapide" : la proportion de fibres lentes/rapides est variable pour chacun, et c'est à chacun de trouver l'équilibre qui lui convient dans son entrainement.
De façon générale, je pense qu'il faut surtout retenir que tout ne se joue pas sur une seule prépa spécifique de 8 à 12 semaines. Canova, Daniels et la plupart des entraineurs sérieux travaillent par phases : phase de développement du foncier, phase de développement de la vitesse, phase de travail pré-spécifique, phase spécifique... Personne de sérieux ne vous recommandera un travail orienté développement de la VMA en prépa spé marathon, mais beaucoup de marathoniens font les cross et du travail rapide en hiver.
La construction de ces phases se pense sur le long terme, en fonction d'abord du profil du coureur, et ensuite en l'adaptant aux objectifs de sa saison, mais aussi de là où il en est dans sa carrière de sportif, puisque la plupart des sportifs démarrent plutôt sur du court et vont progressivement vers un allongement des distances.
Edit : Rendons à César ce qui appartient à César : les [Edit] ont été intégrés suite à un MP que m'a envoyé Nine pour corriger quelques erreurs ou imprécisions, et que je remercie au passage pour ses contributions toujours utiles et précises sur ce forum .