Cela fait très, mais vraiment très, très longtemps, que j'ai entendu parler d'ultra-triathlon. Ca doit bien faire une vingtaine d'années. A mes débuts - en triathlon donc - j'entendais parler de Fabrice Lucas, du triathlon du Fontanil. Tout cela me paraissait bien lointain et improbable. Entre temps j'ai couru des distances "simple" Ironman, fait des ultra-trails, du 100km, mais bon, faire ce qu'on appelle dans le jargon, un "double", un "triple", voire un "déca", ça me paraissait bien lointain.
Et c'est en participant au Spartathlon que le déclic va se faire. Aux alentours du km 170, je cours avec Emmanuel Conraux, et on cause. On cause, et il me raconte un petit peu comment ça marche, un ultra-triathlon. Et ça m'a l'air plutôt sympa. Et accessible. Le rendez-vous est donc pris, en 2009, j'irai à Lensahn pour une folle aventure. Pour le coup, c'est un triple : 11,4km de natation, 540km de vélo, 126,6km à pied.
Ma préparation physique est finalement assez peu différente de ce que j'aurais fait pour une autre course. Ma théorie du moment, c'est que ce qui compte pour l'ultra, c'est d'avoir une condition physique générale excellente, d'être endurant, et de bien se reposer avant le jour J. Donc je me suis surtout entraîné en course à pied, et j'ai fait du vélo et de la natation en complément. Il est amusant de constater que quel que soit l'ultra que je prépare, mon fonds de commerce, la base, les fondations de mon entraînement, c'est de la sortie "toute simple" d'une heure, en footing. Pour me spécialiser et donc cibler l'objectif particulier "ultra-triathlon", j'ai fait un 24h pour m'entraîner à faire le hamster sur un circuit, et un triathlon pour réviser le triple effort. Et c'est parti mon kiki!
Je pars de chez moi le mercredi avant la course (départ vendredi matin) et fais une halte chez Saïd, et découvre son atelier de peinture. Le lendemain, il tombe des hallebardes, un temps pourri qui me fait penser "houlala, si c'est comme ça demain, on va pas rigoler".
En arrivant à Lensahn, je rencontre assez vite les autres français participant à la course. Emmanuel Conraux, Pascal Jolly, Fabrice Lucas et Guy Rossi. De sympatiques compagnons d'aventure. Je plante ma tente, comme prévu, un peu n'importe où, mais nous avons aussi la possibilité de squatter une salle de classe. Vu le potentiel de nuisance de l'orage dans cette contrée, et considérant que je suis venu en famille avec ma femme et mes trois filles de 2, 4 et 5 ans, je n'ai pas décliné cette offre. Une fois installés, hop, en route pour la pasta party.
Là, c'est pas que je sois stressé, mais le départ c'est demain, j'ai toujours pas mon dossard en main, et puis avec ces histoires de certificat médical dont je croyais qu'il n'en fallait pas mais en fait si, et avec par dessus le marché une analyse de sang et patati et patata, je serais presque fébrile. Bon, en fait, y'a pas de quoi paniquer. Le dossard m'est remis lors de la présentation des coureurs, et à ce sujet, l'IUTA a manifestement mis en place tout un protocole, on se serre la main entre coureurs, je papotte avec mes voisins, la vie est belle, je suis même pas fatigué. Pour ce qui est de la licence d'ultra-triathlon, effectivement il en faut une mais l'organisateur a le formulaire avec lui. Il vous en coûte 20€ et on n'en parle plus. A cette occasion je donne mon certificat médical mais j'ai l'impression que j'aurais pu le garder dans ma poche, ça revenait plus ou moins au même. Par pudeur je n'ai pas sorti l'analyse avec le hématocrite bidule-machin, je pense que ça devait être de l'humour allemand d'avoir écrit qu'il en fallait une sur la page d'accueil du site internet de la course.
Bon, la bonne nouvelle de la soirée, c'est qu'une équipe, que dis-je, une armée de jeunes filles se propose de m'assister sur la course. Je ne dis pas non! En effet, Valérie est déjà très occupée à gérer les filles, et elle aura assez peu de temps pour moi. J'avais prévu une assistance assez light. Grosso-modo elle aurait été là aux deux transitions, mais pour le reste j'avais juste prévu une caisse de bouffe et une caisse de vêtements, que j'aurais bien trouvé à mettre quelque part sur le bord du parcours. Là c'est une autre musique, Myriam et ses copines (Myriam est mon interlocutrice principale car c'est elle qui est le plus à l'aise en anglais) sont disposées à m'aider en continu sur toute la durée de la course. En plus elles ont une tente, des chaises, des tables, et elles connaissent la course car elles ont déjà fait ce type d'assistance plusieurs fois de suite. Wow. Je leur explique un peu comment je vois les choses, j'ai un peu du mal à imaginer des trucs à leur dire. Pour ce qui est de la nourriture, bah comme c'est moi qui ai tout acheté, j'aime tout, donc elles peuvent me donner n'importe quoi, ça me plait forcément! Pour les habits, on verra selon la météo. Allez hop, rendez-vous demain matin, au dodo!
Je passe une heure horrible avant de me coucher à ré-épingler 100 fois mes dossards, remélanger mes habits, vérifier que j'ai bien la puce dans le sac course à pied. Le stress du débutant. Puissance 3.
Réveil.
Je sors de la salle de classe. Je prends un petit déjeuner. Lait, muesli. Rien d'autre. Je me dirige vers la piscine, et croise Cynthia, une de mes équipières de choc. Tout se passe bien, il ne manque rien, mes affaires semblent OK. Inconscient comme je suis, j'avais pas spécialement prévu de boire plus que ça pendant la natation. Myriam et Cynthia semblent sceptique sur la quantité de liquide que j'ai prévue. Je ramène une bouteille de sirop, qu'elles pourront mélanger avec de l'eau pour faire de la boisson sucrée à gogo. A force d'insister elles arrivent à me convaincre que du solide ça serait pas mal non plus. Bon, allez, une tablette de chocolat aux noisettes et une banane, ça devrait le faire. Je croise Fabrice Lucas et lui demande ce qu'il a prévu niveau pause ravitaillement en natation. Il table sur un arrêt toutes les 20 minutes. Mon cerveau embrumé intègre lentement cette information. Je décide et informe mes équipières, 10 minutes avant le départ, que je ferai une pause ravitaillement toutes les 30 minutes, précises. Comme ça elles pourront être prêtes avec le bidon au bon moment.
Départ.
Je pars plutôt vite, n'ayant pas envie de faire la queue derrière les autres. Je pense être "sous classé" car je suis dans la ligne 5, ayant annoncé un temps natation sur distance Ironman assez modeste de 1h20'. En vérité je suis maintenant meilleur, mais au moment où je me suis inscrit, c'était loin d'être le cas. Il y a de la musique. C'est con je ne l'entends pas, je suis sous l'eau. Je suis bercé par les glouglous métronomiques de tout nageur de crawl. J'adore nager, j'aime l'eau. Je suis loin d'être un nageur exceptionnel, mais je suis bien dans l'eau, et rien que ça, c'est un atout formidable. La piscine de 50m, c'est génial. Je ne vois pas la distance passer, mois qui m'entraîne dans une 25m le midi à la pause déjeuner au boulot, avec un monde pas croyable, des gens qui font du dos ou de la brasse à 7 par ligne d'eau, là je me régale, c'est un boulevard.
1/2 heure de course, comme prévu, je m'arrête, cherche mon bidon là où je l'avais vu la dernière fois et là, panique. Mon bidon? Mon bidon? L'est où mon bidon? Je reste là, planté, ne sachant que faire, quand je réagis. J'entends à a gauche "here! here!". OK, Myriam était de l'autre côté du plongeoir, à gauche. Ouf, je bois un coup, et repars.
Les kilomètres filent. Je ne compte pas les longueurs, je regarde juste l'heure de temps en temps. Je sais que si je nage bien, je sors en environ 4 heures. Au bout de 2 heures, une barrière symbolique est passée : je n'ai jamais nagé aussi loin! Valérie et les filles sont venues me dire bonjour derrière le plongeoir. Ça me fait plaisir.
Deux heures trente de course, l'heure du ravitaillement. Je bois du sirop de menthe. Je mange un carré de chocolat. Je regarde derrière moi. Deux nageurs arrivent. Si je les laisse passer, je vais devoir les doubler, ça va être pénible. Alors sans finir de mâcher, je décide de repartir illico. Et pour être certain de ne pas me rater, je pousse comme un furieux sur les jambes, et c'est dans l'eau, en pleine extension que... AÏE pinaise, crampe au mollet gauche. La tuile. Mon pied reste coincé en position tendue, mon mollet me fait mal. J'ai la bouche pleine de chocolat et de bouts de noisettes à peine croqués, et deux nageurs derrière moi. Je bats des bras comme un forcené pour ne pas les ralentir, traînant une jambe gauche inerte, car je ne dois pas la bouger si je veux me décoincer. Au bout d'une trentaine de mètres qui durent une éternité, la crampe finit par s'estomper, je reprends un rythme normal. A l'avenir j'éviterai de pousser trop énergiquement sur le bord de la piscine, et je prendrai le temps de mâcher mon chocolat avant de me lancer.
Au bout de trois heures de course, je suis émerveillé par mon état de fraîcheur. J'ai soif et j'ai envie de pisser, mais je ne perçois pas vraiment, même au niveau des bras, la différence avec la première heure. Tant mieux, j'en profite.
Je sors en un temps officiel de 3h46'35". Je jurerais que je n'ai pas fait les 11,4km mais seulement 11,3km car le panneau "100m" est, d'après moi, arrivé un coup trop tôt. En même temps je ne comptais pas les longueurs, je me base juste sur un calcul fait dans l'eau après plus de 3h30 d'effort, avec en entrée les données fournies par mes accompagnatrices. Peu importe.
Sorti de l'eau, je décide de m'habiller chaudement. D'habitude sur un triathlon il suffit de partir comme une balle en vélo pour se réchauffer rapidement. Là, j'ai pas envie de faire des étincelles sur les premiers km, donc je pars en long. En plus, je ne sais pas ce que nous réserve le climat local.
J'attends d'être sur le bitume pour enfourcher mon fidèle destrier, un VTT monté avec des pneus route et un cintre (des prolongateurs) de contre la montre. Ce véhicule ne passe pas inaperçu sur les compétitions.
Je découvre donc le parcours vélo. Je prends mes repères. OK, la tente de ravitaillement, c'est bien celle-ci. Le premier demi-tour, c'est là. Le deuxième demi-tour, c'est... HO!!! Ah oui, zut, pardon, fallait tourner.
Assez vite, j'ai trop chaud. Manu aussi. Je me change. Je mange beaucoup. Et j'arrête pas d'hésiter sur mes vêtements. Un vrai défilé de mode. Ceci ne me ressemble pas, d'habitude je suis vraiment le type qui fait toute la course avec le même T-shirt. Mais là, pour X raisons, j'hésite. Je crois que j'ai peur d'avoir trop chaud et de me déshydrater en transpirant inutilement, et aussi peur d'avoir froid et de mal digérer (un classique chez moi) auquel cas je suis foutu.
Je décide de faire des "grosses" pauses ravitaillement à 12h00, 16h00, 20h00, 24h00, etc. Ces cycles de 4h correspondent à peu près à une alimentation "4 repas par jour" pour une journée "normale". Une assiette de saucisson purée me fait le plus grand bien.
Je multiplie les pauses pipi, du coup je commence à penser que je bois trop. Cela me tracasse de m'arrêter autant, entre les pauses vêtement, bouffe, pipi-caca, mon "rythme" de 20 minutes au tour (environ 25km/h) dérive tout le temps.
Les autres français ne cessent de me doubler. Ils ont toujours un mot sympa pour moi. Et les autres aussi me doublent. En fait, tout le monde me double, j'ai vraiment l'impression d'être le plus lent. D'ailleurs ce n'est peut-être pas totalement une impression car sur ce parcours vélo, parti à la 17ème place, je descendrai à la 27ème.
L'après-midi avance, et nous nous faisons copieusement rincer par des averses. Niveau vêtements, je suis hyper limite. Depuis plusieurs années, je ne fais jamais de vélo sous la pluie, ou alors pas longtemps. S'il pleut, je préfère courir. Du coup, mon équipement s'en ressent. Le truc étanche en plastique transparent qu'on met par-dessus le maillot : je l'ai pas. Je suis coincé entre l'envie de mettre ma veste "la plus étanche" tout de suite et risquer qu'elle soit trempée pour la suite, ou bien prendre l'eau maintenant, et la réserver pour plus tard. Au moment où j'écris ce compte-rendu, je ne me rappelle plus vraiment ce que j'ai choisi. Ce qui est certain c'est qu'il a suffisamment plu pour que tout soit mouillé, ou au moins humide, et que j'ai amèrement regretté de n'avoir pas été plus prévoyant. En contrepartie, je n'ai jamais eu vraiment trop froid, j'ai roulé mouillé, mais tiède. S'il avait plu toute la nuit, ç'aurait peut-être été différent...
La nuit, parlons-en. Elle tombe. Et ça continue à rouler. Ça roule toujours plein gaz. C'est ça je crois qui est très impressionnant dans un triple-ironman, ça va vite, ça peut même aller très vite. A plus de 200km de course, 300km pour certains, le rythme ne mollit pas, ou à peine. Si vous prenez le départ d'un 24h pédestre populaire avec départ le matin, vous constaterez que la nuit, les coureurs lèvent un peu le pied. Ici, j'ai pas l'impression que les autres concurrents aient choisi l'option tricot.
Petit incident au niveau de mon éclairage. J'avais prévu de piquer l'éclairage du vélo que Valérie utilise pour aller au boulot et l'utiliser le temps de la course. Manque de pot, quelqu'un l'a piqué avant moi. Non seulement l'éclairage, mais aussi le vélo. Tout ça s'est passé quelques jours avant la course. Du coup je n'y ai plus pensé, mais au départ de chez moi, la veille du grand paquetage, je n'avais pas d'éclairage avant de vélo digne de ce nom. Dans l'urgence, j'avais imaginé de simplement accrocher ma Petzl Zipka sur mon cintre, et hop, magnifique solution à 0€. Problème : une de mes accompagnatrices explique qu'il faut une lampe sur le vélo ET une frontale. J'en doute, surtout quand je vois les autres coureurs, ils ne sont pas rares ceux qui n'ont qu'une loupiotte. Pas grave, j'ai pas envie de parlementer. Qu'on m'amène ma caisse à outils, et qu'ça saute! Ni une ni deux, je fixe avec un collier et du scotch une "spare lamp" que j'avais emmené au cas où, et mets la frontale sur ma tête. Puis sur mon bras.
Ce petit incident résume bien l'état d'esprit dans lequel j'ai abordé la course. J'ai prévu le minimum, j'ai assuré les points importants (j'avais par exemple deux lampes car si jamais la principale tombait en panne et que je n'en avais pas de rechange, je filais direct vers l'abandon), et improvisé sur le reste en fonction de ce qui me tombait dessus.
Mon "team" fait un boulot du tonnerre. Je veux une soupe, j'ai une soupe. Chaude. De la purée? De la purée. J'ai tout sur commande, c'est terrible, il suffit que je le demande à un tour, je l'ai au suivant. C'est vrai, je m'arrête souvent pour divers trucs logistiques pas indispensables (je perdrai un temps fou à me décider concernant ma tenue pour la nuit) mais j'ai un ravitaillement de qualité et un accueil chaleureux, ce qui ne se compte pas en minutes "tout de suite", mais constitue, je pense un bon investissement pour la suite.
Minuit passe.
Je commence à fatiguer. Une heure du matin. Je sens que je suis moins vigilant, d'ailleurs peu après je vais, pour la seconde fois, "oublier" de faire demi-tour après les stands. Pourtant c'était pas la première fois que je passais par là. Mon rythme décline, j'avance plus. Je ne suis pas fatigué physiquement, mais j'ai sommeil, sommeil, je suis las, j'ai envie de me coucher dans un bon matelas molletonné, au chaud.
Deux heures du matin. Normalement j'ai encore deux heures à tirer avant mon prochain "grand gueuleton" au stand, celui de 4h. Aux alentours de 3h du matin, je réfléchis et me dis qu'après tout, mon objectif, c'est de finir. Si je veux finir, il ne faut pas que je m'épuise au début de la course. Hors nous n'en sommes qu'au début. A peine à la moitié. Et je suis épuisé. Pas physiquement, mais ma tête n'en peux plus, mon cerveau veut son temps de repos. La mort dans l'âme, je décide de faire ce que je n'ai jamais fait en course : dormir. Je m'arrête au stand et expose la situation. Je m'apprête à me coucher sur l'herbe, par terre, je suis cuit. Elles me font remarquer qu'il y a un lit. Ah. Oui, en effet, c'est mieux. Je me couche sur le lit, en répétant N fois qu'il faut impérativement me réveiller dans 15 minutes, quoi qu'il arrive. J'ai décidé d'investir dans un petit quart d'heure de repos. J'espère que ça va me requinquer. J'essaye de me laisser aller. J'entends les vélos rouler. Que c'est bon d'être là à ne plus rien en avoir à foutre de toutes ces histoires de course, de chrono, j'ai décidé de cramer mon quart d'heure, maintenant c'est dit, autant en profiter. Au bout d'un temps je me réveille en sursaut et me dit instantanément "c'est fichu, elles m'ont laissé dormir trop longtemps!". Je regarde ma montre : 10 minutes seulement. Je poursuis ma descente dans le sommeil, et juste au moment où là, c'était bon, j'allais dormir... "Christian, wake up." Je bondis hors du lit, surprend un peu les filles, reconnaissons-le, bois un café, et reprends mon vélo.
Tadaaaaa!!!
Ca a marché, j'ai une pêche du tonnerre, j'ai envie de faire la fête, les jambes tournent toutes seules, je chante dans ma tête, je suis heureux d'être là, de faire du triathlon, d'avoir déjà fait plus de 300km, tout baigne.
Combien de temps ça va durer, je ne sais pas. Mais si je tiens jusqu'au lever du jour, c'est quasi gagné.
Le jour se lève, et je suis toujours en selle. Pour le coup je n'ai plus l'impression d'être le plus lent. J'ai enfin la sensation d'être dans le rythme. Sensation légèrement aidée par le fait que les premiers sont déjà partis courir.
Cerise sur le gâteau, la pluie se remet à tomber en milieu de matinée, histoire qu'on n'oublie pas ce que ça fait de rouler trempé.
A quelques tours de la fin de parcours, je vois un attroupement de concurrents sur ma droite : l'accident bête, quelqu'un (il a du s'endormir et sortir de la route) s'est payé une barrière en bois. Le vélo est H.S., le bonhomme un peu sonné. Si j'ai bien compris, il est reparti ensuite avec le vélo d'un autre. Cet épisode me fait penser que j'ai bien fait de faire mon dodo express d'un quart d'heure.
Je regarde de temps en temps le compteur kilométrique de mon vélo (par défaut je ne lui fait pas afficher la distance, seulement l'heure, car la distance c'est trop déprimant) et constate que les "540" se rapprochent.
Je ne suis pas fâché d'en finir, enfin, je vais pouvoir rejoindre les copains et courir avec eux!
Transition tranquille, je ne me précipite pas. Je fais un ajustement de dernière minute sur ma tenue, et mise sur un cuissard qui me tiendra les jambes au chaud.
Les premiers tours sont, et cela me surprend, très faciles. Pas mal aux jambes, rien, du velour. Je pourrais "allumer" à 13km/h si je le désirais. Enfin, c'est mon impression. Je me garde de faire cet essai. Y'en a qu'ont essayé, ils ont eu des problèmes. En ultra, faut pas essayer de jouer la comète. Ça paye pas.
Assez rapidement, je décline. Le parcours est agréable et varié, il faut le reconnaître. Mais tout de même, je fatigue. Au moment où pour la deuxième fois de la course je peux me dire "plus que 100km", une grande lassitude m'envahit.
Cynthia m'accompagne en vélo. L'avantage d'avoir pris un VTT, c'est que je peux sans arrière pensée le prêter à mon "team". D'autres prendront le relai, parfois en vélo, parfois à pied, mais c'est Cynthia que je verrai le plus souvent je crois. Les filles ont déplacé le stand, et désormais il est juste sur la place principale, à 20 mètres de la ligne d'arrivée.
Le couple Conraux/Jolly carbure efficacement, ils sont fatigués mais c'est logique, ils ont tellement de tours d'avance sur moi... Guy Rossi avance lentement, mais sûrement, et Fabrice Lucas a abandonné, sur blessure.
En discutant un peu avec Manu, j'arrive à la conclusion qu'il ne faut surtout pas que je me mette à marcher.
Alors j'invente un petit "rythme", un cycle, qui me permet de tenir le coup. A chaque fois que je passe devant la ligne d'arrivée, je m'autorise à marcher, et m'arrête quelques secondes pour me ravitailler. Du coup je peux "tenir" mes tours de 10 minutes en courant, car je sais qu'au bout des 10 minutes, un petit repos m'attends. Et toutes les 4 heures, ou tous les marathons, une plus grosse pause. Par "grosse" pause, j'entends 2 ou 3 minutes. A cela s'ajoutent des pauses logistiques car je commence à avoir des problèmes de digestion, heureusement qu'il y a des toilettes juste sur le bord du parcours. A ce titre, je me permets une petite parenthèse, à Lensahn, en Allemagne, dans les toilettes collectives, le PQ n'est pas cet espèce de truc beigeasse, mono-feuille, pas absorbant pour deux ronds, désagréable, voire douloureux, qu'on trouve en France. Non, c'est du vrai PQ bien doux, épais, confortable. Dans l'état où je suis, c'est appréciable.
Vous l'aurez compris, je n'arrête pas de m'arrêter. En même temps sur le parcours je suis intraitable, je cours tout le tour, y compris la "côte" (un vague coup de cul). Mais courir ainsi, 10 minutes de rang, c'est très dur. J'ai vraiment du mal. J'en peux plus, en plus avec ce bide à moitié retourné, j'appréhende la suite. Le temps nous fait des farces. Un coup il fait chaud. Un coup nous prenons une rincée mémorable. J'en ai vraiment ma claque. Valérie me transmet les SMS des copains UFOs. J'essaye de positiver et de me dire "génial les copains m'encouragent" mais j'y arrive à peine. Je songe qu'il me reste vraisemblablement 10 ou 12 heures encore...
OK, c'est décidé, je vais faire une nouvelle pause dodo. Un quart d'heure, à nouveau. Je m'affale dans ma tente et demande à Cynthia de me réveiller 15 minutes plus tard. Je lui laisse ma montre. Affalé comme je suis dans la tente, avec les pieds dehors, je suis à l'envers et donc la tête en bas. Le sang me monte à la tête. Je boudine une fringue quelconque sous ma nuque pour me surélever et me laisse aller. Je lâche complètement l'affaire, c'est comme si j'abandonnais, c'est fini.
Cynthia me tapote la cheville. Je me lève, et repars. Je me sens beaucoup mieux. Incroyable, c'est dommage que cette technique me bouffe 20 minutes, car c'est vraiment redoutable. Je suis à nouveau dans le rythme. Un tour en courant, ravito, la ligne d'arrivée en marchant, et on recommence.
J'ai bon espoir de faire une performance correcte, car je vois autour de moi que beaucoup de coureurs marchent. A ce rythme là il va leur falloir des heures et des heures pour aller au bout.
Le premier (un martien, il est habillé en vert) est arrivé. Pascal et Manu aussi. La nuit est tombée à nouveau.
Au moment où il ne me reste "plus qu'un marathon", je suis euphorique. Je me surprend à danser à l'abord de la ligne d'arrivée (y'a de la musique). Je fais ainsi quelques tours particulièrement agréables où je me dis que je vais finir comme une balle, plein gaz, faire un finish de feu et boucler mon dernier marathon en moins de 5h30, arriver à rentrer sous les 45h.
On pouvait s'y attendre, l'euphorie ne dure pas. Certes j'ai fais 3*3800m en nageant + 3*180km en vélo + 2*42,2km en càp et il ne me reste donc qu'un neuvième des épreuves à terminer. Un marathon, pfff, j'en mange quatre au petit déjeuner. Sauf que ce marathon là n'avance pas. Il me reste 20 tours. C'est marrant, 20 tours, c'est 26km. Ca veut dire que j'en ai fait 100km. Ah non alors c'est trop injuste, j'ai nagé, j'ai pédalé tout le jour, toute la nuit, et j'ai couru 100km, et c'est toujours pas fini. Quelle galère... Le blues me reprend, le moral part en sucette, j'en peux plus, je sens que je craque de partout.
A deux heures du but (je compte en tranches de 10 minutes et pas en km, les km, à pied comme en vélo, c'est trop déprimant, je préfère compter le temps) je sens que mon rythme au tour décroit dangereusement. Je trotine, mais trop lentement, ça ne ressemble plus à rien, je m'épuise. Je tente une ultime "micro-pause dodo". Cette fois je mets le curseur à 10 minutes. Je n'ai que deux heures pour rentabiliser l'opération.
Je me réveille. Cette fois-ci la magie marche un peu moins bien, mes jambes sont dures (sans rire!) et j'ai froid. Néanmoins je repars sur un bon rythme, et j'ai la tête qui pense "vas-y mon kiki, montre leur de quel bois tu te chauffes!", ce qui est autrement positif que le vilain noir que je broyais au tour précédent.
Plusieurs coureurs sont arrivés maintenant, dont certains qui semblaient mal en point, que j'avais doublés à l'occasion. Donc potentiellement, n'importe lequel d'entre eux pourrait en être à son dernier tour. Après ma pause, je me mets à revoir Guy Rossi, que j'avais perdu de vue, car on devait avoir à peu près le même rythme au tour. Mon regain de forme (qui m'a coûté, en tout, 15 bonnes minutes), me permet de le redoubler quelques fois car lui abat ses tours en 14 minutes, quand j'en mets 11.
La question que je me pose donc c'est de savoir qui va, le prochain, effectuer son tour en sens inverse avec son drapeau national à la main. Devinez qui? Mmm? Guy Rossi! Quel sacré lascard ce Guy ;) Dire que Saïd m'avait conté une anecdote de 24h qui se terminait par "Guy Rossi fini 300 mètres devant moi", et voila que le Guy en question, il entame son dernier tour en sens inverse là, juste sous mon nez, alors que moi j'attaque l'avant dernier.
J'ai pas pensé à demander aux filles, avant ma pause revigorante, si jamais, par hasard, y'avait pas quelqu'un devant ou derrière dans le classement, pas trop loin. La perspective d'aller croquer Guy tout cru aurait peut-être été suffisamment motivante, après tout mon problème était surtout dans la tête, pas dans les jambes. A voir. En tous cas ma petite expérience montre qu'après coup, quand on refait la course au bistrot, on se dit "ah la la, si seulement j'avais forcé un peu", en oubliant que sur le terrain, au moment difficile, on était tout simplement à fond.
Sur ces entrefaits donc, je croise Guy en sens inverse, puis croise à mon tour tous les autres coureurs. On se serre la main, ils me félicitent, je leur souhaite bon courage, et je file vers l'arrivée. Quatre de mes coéquipières m'accompagnent. J'avoue que je ne suis pas très tendre avec elles et que je leur fait un peu cracher leurs poumons, j'ai vraiment envie de rentrer sous les 46h, c'est de la coquetterie, je sais, mais c'est comme ça.
Il est bientôt 5h du matin, le jour se lève, je suis arrivé.
Jusqu'au bout, mon team assure comme pas permis, et mes tongues sont là juste sur la ligne d'arrivée, qui m'attendent. Je ne sais pas trop ce que j'aurai fait sans elles. Le scenario n'aurait ouvertement pas été le même.
Je garderai finalement un très bon souvenir de cette course. Le souvenir de tous ces coureurs particulièrement tenaces et sympathiques. Le dernier arrivé qui finit à 5 minutes du temps limite, Manu qui, pour une raison inconnue, est réveillé à 2 ou 4 heures du matin la deuxième nuit et m'encourage alors que j'entre dans la 4ème dimension. Le quatrième, un Hongrois, toujours le sourire, qui fait un finish à pied épatant. Tous ces stands illuminés la nuit, grouillant de vie le jour, qui ravitaillent, encouragent les coureurs. Cette première nuit de folie à rouler dans la campagne, en espérant que le ciel reste clément. Le public qui m'appelle "allez papa!", faisant référence à mes filles, qui n'ont pas ménagé leurs encouragements. Ma fille Lise qui, pendant mon sommeil, après la course, m'a fait un dessin et écrit "papa, fais une bonne course!".
Ma saison 2009 est terminée, je ferai peut-être une ou deux "coursettes" pour ne pas perdre la forme, mais rien de significatif. Après un truc pareil, pour relancer la machine, il faut un objectif maousse, un truc qui ressemble à quelque chose. Je n'en dirai pas plus, non pas parce que je n'ai pas d'idée, mais parce que je ne sais pas encore laquelle choisir.
PS: tiens, au passage, j'ai oublié de mettre un lien vers le nouveau site du Tri91, le club de triathlon auquel je suis licencié.
PPS: OK, maintenant ce n'est plus un secret, l'année prochaine, je tente le déca, ça va chauffer!
7 commentaires
Commentaire de Mustang posté le 08-12-2009 à 17:13:00
eh bee!!!quel truc de ouf!!! il en faut un sacré mental et une belle condition physique pour faire ça!!
Bravo!
Commentaire de ufoot posté le 08-12-2009 à 17:19:00
Coucou Mustang,
Bah, faut juste pas trop se poser de questions, et s'accrocher un p'tit peu ;)
A+
ufoot.
Commentaire de La Tortue posté le 08-12-2009 à 22:15:00
chapeau et respect !
en 2011, je pense tenter un double, mais un triple, ça me parait pas jouable !
quand au déca, à part le soir après diner, j'y toucherais jamais ;-)))
encore BRAVO !
Commentaire de bigpeuf posté le 08-12-2009 à 23:26:00
enorme ce format !
Merci pour ce recit d'ultra triathlon; vivement le DECA (un peu fou non ?)
A+
le BIG
Commentaire de LtBlueb posté le 08-12-2009 à 23:50:00
Chapeau Christian . D'un certain coté ca donne sacrément envie, de l'autre coté on se dit que c'est réservé au martien ce truc : il ne te manque que le maillot vert !!! Respect !
Commentaire de ufoot posté le 09-12-2009 à 07:38:00
Meuh non le déca c'est pas pour les martiens. Ce qui est vraiment déraisonnable, c'est le DOUBLE déca. Ça commence par 76 bornes de natation, je vous laisse calculer la suite. Y'en aura un en 2010... Mais j'y vais pas je suis petit joueur. Je me contente du "X10", la taille en dessous ;)
Commentaire de pifpof posté le 09-12-2009 à 18:25:00
Bravo!!! Et dire qu'on me prend pour un dingue quand je prépare un IM. Respect! Il faut un sacré mental et une bonne connaissance de soi. J'allais dire de ses limites mais tu sembles pas en avoir...
Sportivement
Pifpof
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