Récit de la course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous 2009, par Sprolls

L'auteur : Sprolls

La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous

Date : 23/10/2009

Lieu : ST PHILIPPE (Réunion)

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Distance : 150.1km

Objectif : Pas d'objectif

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Comment j'ai fait le fou au Grand Raid de la Réunion 2009

Voici mon récit de cette course fascinante. J'ai également créé un blog pour raconter la course en images et en vidéos mais aussi toute ma préparation (1 an quand même !): http://benjiscrazy.over-blog.com/

 

              Le départ, le déluge…

Nous partons le jeudi en fin d’après-midi pour le Cap Méchant pour manger à 19h30 dans un restau déserté, ou presque bien qu’il soit à 2 pas du stade. Au menu, pâtes, espadon grillé et bananes. Partir tôt nous aura évité des bouchons visiblement gigantesques provoqués par l’affluence et la pluie qui se met à tomber pendant le diner. Et ce sont rapidement des trombes d’eau qui nous tombent dessus et qui ne s’arrêteront guère jusqu’au départ. Cela dit je crains bien plus la grosse chaleur que la pluie, donc je ne m’inquiète pas trop non plus, même si je préfère quand même courir au sec ! Je profite de l’abri du restau pour les derniers préparatifs (notamment la crème anti-frottement NOK sur les pieds et les chaussettes) et l’habillement pour le départ.

 

  On fait le pitre pour évacuer la pression…

  Vers 22h, nous nous rendons au départ proprement dit, sur le stade du Cap Méchant, où je dépose le sac pour 2 Bras, Oriane se chargeant d’apporter le sac pour Cilaos. Une fois rentré sur le stade, plus le droit d’en sortir ! Heureusement un chapiteau a été mis en place et ma crainte d’attendre 2h sous la pluie est balayée. J’ai même la place en arrivant aussi tôt de m’allonger complètement pendant près d'une heure, l’idéal pour patienter et achever de se reposer avec une bouteille d’eau à portée de main pour bien s’hydrater jusqu'au bout.

Une boulette quand même, j’ai gardé sur moi un T-shirt coton que je portais au restau, pas du tout prévu pour la course, que je devais laisser à Oriane. Pas moyen de la joindre, je vais devoir l’emmener avec moi (je ne vais quand même pas le jeter !!) sauf si je la vois en partant parmi les spectateurs. Mais sans point de RDV fixé, ça va être difficile car il y a une sacrée foule qui se presse à la sortie du stade pour nous encourager malgré la pluie ! En attendant le départ, j’ai l’impression de me préparer à partir pour une aventure plutôt qu’une course, sans doute un sentiment d’humilité face à ce qui m’attend.

Sous le chapiteau…

A 45’ du départ, tout le monde se met en place devant la grille de sortie du stade. Je n’ai pas trop compris ce qui a motivé ça sur le coup mais il parait que c’est parce que la pluie avait presque cessé à ce moment (le piège…) et l’effet mouton a fait le reste (pour moi en tout cas).

Les coureurs sur le stade, en masse pour le départ (photo avec effet zip-lock)

  2 options : être bien placé mais rester sous la pluie ou rester derrière pour s’abriter sous le chapiteau. Dilemme ! Vu le monde au départ (2500 coureurs !!) et le fait que je ne veux pas être trop ralenti dans l’étroit sentier du volcan (attention, j’ai des ambitions chronométriques quand même ;-) ), je prends la première option, d’autant qu’il ne fait pas froid du tout et qu’on aura tout le temps d’être mouillé par la suite ! Et puis on est tellement tassé qu’il n’y a finalement que la tête qui reçoit de l’eau, les pieds restent pour l’instant à peu près secs. A quelques minutes du départ, les favoris sont appelés en première ligne, les petits veinards ! Je ressens une montée de stress à quelques minutes du départ, on y est maintenant… Puis c’est le décompte et la meute des fous qu’on avait du mal à contenir est lâchée, toujours sous le déluge qui semble même avoir finalement encore pris du poil de la bête ! C’est un peu la cohue, on est bien tassé mais ça passe. Je cherche Oriane dans la foule sur le bord de la route (la difficulté étant qu’il y en a 2…), mon T-shirt en coton à la main et laisse pas mal de monde passer mais en vain… C’était bien la peine d’optimiser le poids du sac, va falloir le porter jusqu’à Cilaos maintenant ;-)

Le premier virage

 

            La montée au volcan, c’est pas le moment d’exploser…

  Si les 45’ sous la pluie dans le stade ne m’avaient pas véritablement mouillé sous la veste Gore-Tex, les 30 premières secondes de course sont suffisantes pour me tremper presque complètement ! Impressionnant ! Une fois le T-shirt rangé dans le sac je prends une allure de footing modérée et grapille quand même quelques places. Après 3km environ, on prend une piste reconvertie en torrent au milieu des champs de canne puis on attaque rapidement la forêt de Mare Longue, réputée très jolie et typique ; mais de nuit sous la pluie difficile d’en profiter. La pente est relativement douce et permet de rester en footing presque tout le temps. Je passe juste en mode marche (très) rapide sur les quelques passages un peu plus raides. Je grapille toujours quelques places alors que la densité des coureurs reste importante. Les coureurs sont silencieux, seuls des crapauds (qui doivent être transgéniques tant ils sont bruyants) rompent le bruit des gouttes sur la capuche à chaque passage de ravine. J’entends les SMS qui arrivent aussi régulièrement mais avec la pluie j’évite de sortir le téléphone de son sachet étanche. J’atteins le 1er ravitaillement qui marque la fin de cette route forestière après 16km et 1h35 de course où l’on nous annonce autour de la 200ème place. 1er arrêt de 3’ avec remplissage du Kmel-back, 2-3 verres de coca, bananes et quartiers d’orange. Ce sera en gros le menu à tout les ravitaillements ou presque, avec en plus, lorsqu’il y en avait, soupe de pâtes/vermicelles, voire mini sandwichs.

 

On attaque ensuite le sentier raide étroit et boueux qui monte vers le Volcan. La bonne nouvelle est que la pluie s’est arrêtée. Cette fois, pas le choix, c’est à la queue-leu-leu. J’ai en tête de ne pas chercher à doubler pour m’obliger à être en sous-régime et à garder des forces pour la suite qui va être loooongue. Mais là c’est tellement lent qu’un certain nombre de gens doublent quand même et je finis par leur emboiter le pas. En fait il y a un certain nombre de « convois » successifs dans cette montée : une personne donne le rythme à 5 à 10 coureurs qui la suivent sans chercher à dépasser. Lorsqu’on double un convoi on en rattrape un autre au bout de 5’ et ça recommence. Il faut donc trouver l’équilibre entre suivre un « convoi » trop lent et doubler sans arrêt, ce qui peut être épuisant à la longue. Du coup je suis généralement un convoi pendant 15’ à 30’ selon le rythme puis, lorsque beaucoup de gens reviennent et doublent de l’arrière, je leur emboite le pas et double aussi le convoi.

 

Le rythme général de montée reste tranquille, je ne suis pas essoufflé et en profite pour consulter les nombreux SMS d’encouragements qui donnent du baume au cœur, essayer de deviner le paysage dans l’obscurité qui nous entoure et faire un petit film d’ambiance sans oser rompre le silence ambiant. Cela me permet aussi de profiter de ces instants où l’on est encore en forme et simplement heureux d’être là. La végétation passe de la jungle tropicale à une végétation plus basse d’arbuste alors que la température commence à chuter sensiblement. Après 2h d’ascension raide, la pente s’adoucit et le chemin s’élargit. J’accélère le rythme plus franchement et trottine lorsque la pente est très faible, après avoir eu un peu l’impression de « m’endormir » un peu dans cette montée. J’enfile également la micro-polaire car il fait maintenant carrément froid. Le sentier passe parfois par-dessus et suit des tunnels de basalte faits par d’anciennes coulées de lave. On est maintenant dans un univers volcanique avec buissons et scories et l’on rejoint le bord de l’Enclos, la Caldeira du Piton de la Fournaise que l’on ne distingue pas encore dans la nuit.

 

Nouveau ravitaillement de 5’ à Foc Foc. Je prends des nouvelles de la tête de course où les Réunionnais semblent être aux avant-postes. Nous devons alors suivre le bord de l’Enclos sur quelques kilomètres. C’est quasi plat et je trottine aussi souvent que possible. La masse sombre du volcan se dévoile petit à petit alors que l’aube pointe, c’est très chouette (pardon Jo, je veux dire c’est trippant). J’arrive à 5h au ravito de la route du Volcan, 1er point de chrono officiel qui donnera mes premières nouvelles à ceux qui me suivent sur Internet. C’est un peu le retour à la civilisation car on retrouve du monde, des voitures, etc… J’ai 5’ d’avance sur le temps prévu, bref je suis pile dans le rythme prévu, 144ème mais ça je l’apprendrai plus tard.

 

Un spectre au volcan…

 

            Mare-à-Boue, est-ce que ça va le faire ?

  Alors que le jour se lève à peine, je traverse la mythique Plaine des Sables puis attaque la petite montée de l’Oratoire Ste Thérèse. Petit coup de fatigue à ce moment.


Un replat dans la montée vers l’oratoire Sainte Thérèse

 

Vers la Plaine des Palmistes

  Après 35km de course seulement, je me sens moins bien et ai l’impression de subir le contrecoup de mon accélération depuis la fin de la montée raide du volcan. J’ai aussi les lombaires qui fatiguent… Pas très bon signe, je décide du coup de faire la petite montée et la longue descente qui va suivre vers Mare à Boue bien tranquillement. Je laisse passer quelques coureurs dans la montée et me contente de suivre grosso modo le rythme général dans la descente qui suit. On quitte petit à petit l’univers minéral pour traverser des pâturages à vaches ! Le contraste est saisissant en quelques kilomètres à peine, comme toujours à la Réunion où les paysages sont incroyablement variés selon les altitudes et les microclimats, de l’aridité de certains endroits de la côte ouest aux records de pluviométrie des forêts de la côte est. On a la chance (ou le malheur, c’est selon) de voir tous les sommets de l’Ile bien dégagés, ce qui n’arrive que les belles matinées en général, sont le Piton des Neiges. Je me dis alors que quand je serai tout là-bas, au refuge du Piton des Neiges (ça parait bien lointain à ce moment), j’aurais fait 62 kilomètres et qu’il m’en restera encore 85 à couvrir… Et ben on n’est pas rendu !

 

Vers la Plaine des Cafres et le Piton des Neiges

 

Après la descente, on attaque un morceau de route. Beurk, avec la fatigue en plus que je ressens à ce moment, je prends vraiment sur moi pour trottiner ici jusqu’au ravitaillement 5km plus loin. Beaucoup de monde pour nous encourager ici car on traverse la route reliant St Pierre à St Benoit via la Plaine des Cafres. Je pointe avec toujours avec quelques 5’ d’avance sur mon planning, malgré une descente prudente. J’apprendrai après course que j’ai même gagné pas mal de places dans cette section (je pointe 121ème), sans doute grâce à des arrêts moins prolongés aux ravitos (pas plus de 5’). Je m’offre un plat de pâtes à ce gros point de passage, en plus des habituels coca, bananes, oranges, ainsi qu’un petit sandwich au jambon et au saucisson à emporter pour la route et qui remplaceront avec bonheur les gels, barres et pates d’amande en stock dans le sac. Quelques étirements s’imposent également. A peu près 10’ d’arrêt en tout.

 

            Allons voir Cilaos c’est si haut…

  Me voici donc dans la longue montée vers le refuge du Piton des Neiges que je connais pour l’avoir parcouru l’an dernier lors de mon précédent voyage à la Réunion, où ce projet de course a germé. Sur ce genre de montée interminable, je trouve que c’est un avantage de savoir à quoi s’attendre car on peut facilement trouver le temps long et être surpris par les quelques redescentes qui ponctuent l’ascension, comme toujours à la Réunion. Il est tôt mais il fait déjà chaud sur cette montée. Ce sera la seule fois où une certaine chaleur se fera sentir pour moi en course. Je monte cette fois à mon rythme, sans m’emballer (ce qui ne risque a priori pas d’arriver quand il fait chaud !), doublant plus que je ne me fais moi-même dépasser. La montée dans la forêt primaire est toujours aussi agréable et plus sèche que l’an dernier, alors que ce sentier peut être un véritable champ de boue. C’est plus reposant de ne pas glisser à chaque pas !

 

Début de l’ascension vers Coteau maigre, avant le gîte du Piton des Neiges

 

Une petite inquiétude pointe néanmoins car je ressens ce que je crois être une ampoule sur un orteil. De plus les voutes plantaires semblent s’échauffer un peu, sans doute sous l’effet combiné du fait qu’ils sont toujours mouillés depuis le départ et de la dernière descente.

Une fois enfin parvenu au gite, je profite donc du ravitaillement pour me remettre un peu de crème pour les pieds (c’est là qu’on ne regrette plus d’avoir fait si longtemps la queue à la remise des dossards pour avoir les échantillons de crème anti-frottements). J’ai la peau toute pale et toute flétrie sous l’effet de l’humidité : pas beau à voir mais ils sont toujours en état de marche. Je retire aussi une petite épine qui me causait la douleur à l’orteil, soulagé que ce ne soit pas une ampoule qui ait déjà fait son apparition. Je suis toujours sur mes temps de passage prévus, impeccable.

 

La forêt primaire de Bébour

 

 

On se rapproche doucement du Piton des Neiges

 

C’est ensuite la fameuse descente du Bloc, une des descentes dans un flanc ultra raide comme il n’en existe guère qu’à la Réunion. Marches, rochers, racines et forte pente, bref une descente technique qui sollicite bien les cuisses. Je profite du début bien raide pour me lâcher un peu et faire la descente comme je l’aime avant de temporiser un peu plus bas quand elle devient un peu moins ludique. Et surtout je commence à ressentir des douleurs abdominales, comme des crampes d’estomac ou aux intestins, qui me rappellent mon début difficile du Raid 28 cette année. Sauf que là, ces douleurs ne peuvent être mises sur le compte d’une grosse bouffe faite trop près du départ… Donc je me calme un peu pour que ça passe. Depuis le début de la descente nous sommes repassés sous les nuages. Pas trop de paysage donc, même si on aperçoit finalement Cilaos mais la chaleur se fait désormais oublier.

Cilaos depuis la descente du Bloc

 

En bas du bloc, un nouveau morceau de route à suivre, pff, toujours pas très motivé mais au moins ça descend, je peux donc courir sans trop me forcer et rejoindre le stade de Cilaos où Oriane m’attend. Je pointe en 103ème position, toujours parfaitement dans mes temps de passage. Jusqu’ici tout se passe comme prévu, c’est parfait, mis à part ces douleurs aux ventres qui reviennent par intermittence.

Un peu crispé à l’arrivée à Cilaos !

 

Le but est de ressortir comme neuf de Cilaos pour une nouvelle course, car comme le disent les gens ayant déjà participé : le Grand Raid commence véritablement après Cilaos. Pourtant il m’a semblé faire un beau gros morceau pas si facile que ça pour arriver ici mais bon… 1ère étape sur ce gros ravito : massage ! J’ai la chance de passer alors qu’il n’y a pas grand monde (pour ainsi dire personne même chez les kinés) et j’ai les ischyos, les mollets et surtout les lombaires qui tirent et semblent bien fatigués depuis le Volcan. Me voilà avec 2 kinés, un sur chaque jambe, qui me font un massage express, le pied ! Je rejoins ensuite Oriane, qui a apporté mes affaires de rechange, sur le stade.

Mon assistante de choc !

 

Mais au lieu de me changer à ce moment, je pars chercher de la nourriture. Sauf que le stand est bien plus loin : je prends une assiette de pates, une soupe et reviens sur le stade pour finalement ne pas les manger tout de suite car quand on se change, on ne peut pas faire autre chose ! Bref je cafouille un peu et perds un peu de temps. Pas bien grave, le plus important est de se remettre à neuf : je me change complètement et mets un corsaire à la place du short car on m’annonce du froid et du vent en haut du Taibit. Les poches vont me manquer pour emporter le ravito mais tant pis. Je garde un T-shirt manches courtes blanc un peu épais et les manchettes de cyclistes pour le froid. Le plus important : je change les chaussures pour ma 2ème paire de Cascadia et mets cette fois une seule paire de chaussettes Quechua de trail pour limiter l’échauffement sous la voute plantaire avec la semelle orthopédique (je prends une 2ème paire de chaussettes légères dans le sac au cas où). Evidemment j’ai remis la dose de NOK sur les pieds et les chaussettes, plus un peu de crème solaire qui ne sera en fait pas trop utile. Je refais le plein de gels (mais en fait je ne les mange plus trop) et de barres et peux enfin manger mes pâtes devenus froides entre-temps et un spasfon pour les crampes d’estomac !  Je laisse Oriane qui me rebooste à fond pour la suite et retourne vers le bâtiment avec le ravito en nourriture, refaire le plein du Kmel-back, manger encore quelques bananes et repartir enfin après pas loin de 45 minutes au lieu des 20 prévues (très optimistes même si je n’ai pas très bien géré mon arrêt).

Changé mais toujours crispé !!

 

Malgré le temps passé sur le ravito, je me rends compte que dans un départ trop précipité j’ai oublié de changer les batteries de ma frontale principale ! Et les vieilles ne tiendront certainement pas une 2ème nuit ! J’en ai une 2ème de secours mais beaucoup moins puissante, ce qui ne me permettra pas de descendre aussi vite de nuit en particulier. Coup de fil en panique à Oriane pour qu’elle me rapporte le sac. Heureusement j’arrive à la joindre et je l’attends à la sortie de Cilaos. Je peux faire l’échange et repartir soulagé mais un peu énervé de ce contre-temps bête de 10 minutes. Ça y est, je suis en retard sur mes prévisions d’une bonne demi-heure. Mais je sais que la course est encore longue.

 

            Le Taïbit fait mal…

  J’attaque quand même la descente sur la cascade de Bras Rouge à vive allure, d’autant que les jambes sont comme neuves, toutes légères sous l’effet du massage : impressionnant, même si la fatigue reviendra vite. Je rattrape Emilie Lecomte, croisée sur quelques entrainements de CO l’année dernière, et dont j’avais entendu qu’elle participait à la course. Ne connaissant pas son niveau en trail, bien que je sais qu’elle soit impressionnante en raid d’après les gens du club ayant pu courir avec elle, je suis assez surpris de la trouver aussi bien placée car je n’ai vraiment pas eu l’impression de me trainer de mon côté. Elle m’annonce qu’elle est 2ème féminine ! Impressionnant ! La 1ère est 45’ devant, je me dis alors dans ma tête que ce sera difficile et que finir sur le podium du Grand Raid de la Réunion serait déjà une superbe performance… On discute brièvement et je repars devant dans la descente à la poursuite du temps perdu à Cilaos, en lui disant peut être à plus tard. Elle me dit qu’elle ne pense pas, mais en réalité nous allons nous croiser régulièrement sur la suite.

 

Arrivé en bas de la descente, je traverse ensuite la rivière et réussis à me mouiller une de mes « nouvelles » chaussures sèches en assurant mal le passage à gué sur les pierres. Bravo ! Voilà le début de la longue montée qui nous mènera au col du Taïbit et très vite je sens la fatigue bien présente. Je rattrape 2 coureurs mais n’ai pas l’énergie pour passer devant. Je me cale sur leur rythme et subis les quelques raidillons qui se succèdent, entrecoupés de petites descentes qui me sont désagréable car elles réveillent mes douleurs au ventre si je cours. Un gars nous double comme un avion et je gamberge un peu en me disant que j’atteins juste la mi-course et que ça va être loooong… Bref le moral n’est pas au top quand j’arrive au ravito de la route d’Ilet-à-Cordes alors que mes 2 prédécesseurs se sont faits une petite pause peu avant. Là c’est Jean-Noël qui me fait la surprise de m’accueillir. Nous avons organisé ensemble quand on était étudiant un raid multi-sport et je ne l’avais pas revu depuis des années avant que l’on se reconnaisse dans le vol aller pour la Réunion où il venait avec sa femme et leur petite pour les vacances. Evidemment nous avons alors parlé de la course à venir et je leur avais donné mon horaire de passage prévu à Cilaos. Ils m’ont raté là-bas mais ont pu venir ici et ça me fait bien plaisir de les voir m’encourager, surtout dans ce moment pas facile !

 

 

  Dur dur… (merci Jean-Noël !)

 

Au niveau chrono, j’en suis à près de 13h30 de course, j’ai quand même rattrapé 10 minutes dans la descente de Bras Rouge et je fais mon entrée dans le top 100, alors que j’étais sorti 112ème de Cilaos, et sans doute encore plus après mon arrêt lampe frontale. Je me remets en route pour le col qui est encore loin. Le temps est désormais très couvert et une fine pluie refait son apparition, mais plutôt dans le style crachin breton que pluie tropicale. Toujours plein de SMS qui saluent ma remontée au classement, surtout depuis que le jour est revenu, mes parents me disent notamment même m’avoir vu dans le col et que ça a l’air dur dur. Effectivement c’est dur et j’ai vraiment l’impression de ne pas avancer assez vite. Petite pause tisane au niveau de l’Ilet des 3 Salazes qui fait du bien dans ce temps (pourtant je ne suis pas trop tisane en principe !). Ils n’ont pas de tisane spéciale mal au ventre mais tant pis. Je rattrape Emilie qui a fait un arrêt plus rapide au ravito de la route d’Ilet à Cordes et poursuit mon effort en essayant de trouver le rythme qui me conviendra mais j’ai toujours l’impression de souffrir, comme lors du Grand Trail des Pyrénées, où j’avais réussi une bonne course mais où mes sensations de course n’avaient pas été bonnes. Bref je me prépare à 70km de souffrance à venir et le moral n’est pas au top. Malgré cela j’effectue en réalité cette montée plus rapidement que mes prévisions, comme quoi j’avais bien anticipé le fléchissement de rythme à ce niveau de la course et je gagne quelques places de coureurs en vraiment grandes difficultés. C’est avec soulagement que j’atteins le col vers 14h45 et que j’attaque la courte descente vers Marla. Pas la forme pour attaquer dans cette descente que la pluie a rendue glissante, surtout avec la crainte de voir revenir les douleurs à l’estomac: je la fais presque 2 fois plus lentement que l’an dernier pendant une rando qui se terminait à Marla et où j’avais testé le soir en T-shirt - baskets ce petit bout de parcours.

 

   Mafate, c’est ton destin…

 

Au ravito, pas mal de monde semble avoir abandonné. D’ailleurs j’ai croisé plus tôt quelques coureurs qui retournaient vers Cilaos car à partir du col du Taïbit, on pénètre dans le cirque de Mafate d’où l’on ne peut sortir qu’à pieds ! Je me pose un peu pour déguster une bonne soupe de pâtes et bien m’étirer, le corps en a besoin. Je profite de la présence de WC portables (et oui, ici, au milieu du cirque) pour une pause technique pas désagréable non plus ! La météo est plus clémente de ce côté-ci du col : plus de pluie fine désormais, des nuages avec quelques coins de ciel bleu qui permettent de profiter des paysages (même si les crêtes les plus élevées sont sous les nuages) sans souffrir de la chaleur et de ressortir l’appareil photo. Bref les conditions sont idéales et dès que je repars, je me sens beaucoup mieux que dans la précédente ascension. Je me sens frais et peux courir sans mal de ventre: c’est le début, sans que je le sache encore, de mon « état de grâce mafatais » !

En partant de Marla

 

La section suivante relie Marla au ravitaillement de 3 Roches et son impressionnante cascade dissimulée dans une faille. Le profil de la course indique une portion en descente mais je sais pour avoir étudié la carte qu’au moins 2 remontées d’environ 100m de dénivelée nous attendent. En fait il y en a même 3, comme quoi la Réunion en général et Mafate en particulier réservent toujours des surprises…

 

Quelques paysages mafatais dont la (petite) Plaine aux Sables du cirque de Mafate, en direction de 3 Roches

 

J’ai l’impression d’avancer à un meilleur rythme, je peux relancer en trottinant sans que cela me coûte physiquement ou moralement. J’essaie cependant de ne pas m’emballer et de ne pas forcer le rythme, ayant lu plusieurs récits de course racontant que les phases d’euphories et de souffrances se succèdent souvent en ultra-trail. J’avale la dernière descente vers 3 Roches (« lé jeune c'est pour ça » disent entre eux 2 réunionnais que je dépasse  ) et j’arrive au ravito avec un peu moins de 20 minutes de retard sur mon plan à 30h. Je grappille du temps malgré des arrêts plus longs que prévus aux ravitos, c’est bon signe, et je double régulièrement quelques coureurs sans jamais me faire dépasser (hors ravitaillement en tout cas).

Sur la route de Roche Plate


Un rempart mafatais

 

Je quitte ces sentiers déjà partiellement repérés l’année précédente pour me diriger vers Roche Plate. Je repars avec un militaire et un rasta plus tout jeune qui traine un vieux sac à dos et porte 2 bouteilles à la main. Le grand raid est un sacré melting pot ! J’interroge mon rastaman sur le contenu de ses bouteilles : une de jus d’orange et une boisson à base de racine médicinale pour les douleurs, mais celle-ci est bien pleine, ce qui me rassure sur son état de santé. Moi je suis toujours en forme et grimpe à bon rythme les 3 bons coups de cul de ce sentier en balcon très beau et très agréable au pied du rempart, en prenant toujours garde de ne pas me livrer pour autant. Je suis seul sur toute cette portion mais croise quelques randonneurs de temps à autre qui me disent toujours quelques mots d’encouragements ; c’est aussi très agréable de sentir la sympathie et le soutien des gens du coin pour tous les coureurs. Une petite descente nous amène à Roche Plate avec un sympathique comité d’accueil fait de mafatais et de randonneurs en escale dans l’ilet, car la nuit approche déjà. J’arrive un peu après 17h30 en 81ème position. Je ne connais pas ma place exacte en course mais je sais que je remonte grâce aux SMS reçus à l’enthousiasme débordant !

 

 

Encore quelques étirements au ravito avant de repartir. Certains sont mal en point comme ce coureur qui rend son « quatre heure » en repartant du ravito… De mauvaise augure avant d’attaquer la très raide remontée de la Roche Ancrée qui va suivre ! Car il est clair que la capacité à s’alimenter est primordiale sur des courses aussi longues. Au début, il s’agit juste de penser à s’alimenter mais à ce stade c’est plutôt de supporter de s’alimenter qui devient important. On est facilement barbouillé à trop courir et manger en même temps (ou presque) et il faut trouver le bon équilibre et les aliments qui passent bien. Ça se joue pendant la préparation mais il faut aussi savoir s’adapter en course en fonction des réactions du corps le jour J. Depuis Marla mon estomac se fait complètement oublier, ce qui a un effet non négligeable sur mon moral. La plupart du temps de la course, cependant, j’ai quand même senti une légère gêne au niveau de la digestion mais qui n’affectait pas le rythme de course et j’ai toujours pu manger sans problème mon menu banane-orange-soupe de pâtes-coca. En revanche j’ai laissé tomber les gels en cours de route, leur prise ne m’apportant pas vraiment de gain d’énergie ressenti, voire plutôt une légère indisposition dans les minutes qui suivaient…

 

L’objectif en repartant de Roche Plate est de faire la grosse descente vers le pied de la Roche Ancrée de jour pour profiter d’une meilleure visibilité. Pas de chance la descente commence par… une bonne remontée au-dessus du vieux cimetière qui offre d’ailleurs une belle vision sur le mur qui  nous attend.

   

La Roche Ancrée

 

La descente est un long escalier avec des marches format escalator et, bien sûr, quelques coups de cul. Avant la toute dernière partie descendante je m’arrête pour crémer à nouveau mes pieds qui ont bien chauffé et sortir la frontale dans l’obscurité qui grandit.

Ravins et ravines de la descente de Roche Plate

 

En tout cas l’objectif est rempli, la nuit va coïncider avec le début de la montée. Me voici donc face au morceau de choix de Mafate, 450 à 500m de dénivelée à un pourcentage extrêmement élevé ! Avec le début de la nuit, j’ai quelques difficultés à trouver la position horizontale tant cette paroi est redressée, étrange sensation ! Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas la fatigue qui accompagne cette 2ème nuit et l’inconnu qu’elle représente pour moi qui font leur effet, mais non, comme le prouvera la suite puisque je ne ressentirai aucune envie de dormir jusqu’à l’arrivée. Même à allure très réduite à ce stade de la course, les quadris sont en feu ! Les traditionnelles marches sont même bétonnées par endroits tant le sentier est raide. Je parviens au sommet en ayant gagné quelques places, toujours bon signe, et enchaine difficilement avec la descente qui continue à tirer dans les quadriceps ! Le ravitaillement de Grand Place les Bas arrive pour mon plus grand bonheur avec une bonne session d’étirements des cuisses pour se remettre. Il est 19h40 et je suis quasiment revenu sur les bases de mes temps pour faire 30h. Cependant je veux rester prudent car la portion qui vient jusqu’à Aurère est longue avec une succession de longs raidillons entre 100 et 350m de dénivelée.

 

Je repars seul dans la nuit mafataise sur la première ascension de cette portion, perdu dans la montagne réunionnaise pendant une petite heure, une expérience très agréable, sans bruit, si ce n’est encore quelques crapauds qui eux ne passent pas inaperçus. J’adore ! Je voulais écouter de la musique dans ces moments là mais finalement je n’y pense même pas tant j’apprécie cette ambiance et savoure ces instants. Toujours sur un rythme assez soutenu, je finis par rattraper quelques concurrents entre Ilet-à-Bourse et Ilet-à-Malheur. Chaque passage dans ces ilets isolés nous donne un peu d’animation dans la nuit: de la musique venant d’une ou deux cases et de nouveaux encouragements par les quelques personnes se trouvant près du sentier. J’ai l’impression d’avancer vraiment plus vite que tous les coureurs que je rattrape, tant et si bien que je commence à me demander si je ne m’enflamme pas un peu ! Il reste 40km, la grosse remontée de Dos d’Ane et la longue descente vers St-Denis et le stade de la Redoute et j’ai peur de trop en faire, emporté par ma forme du moment et les SMS d’encouragements sur ma remontée au classement qui l’accompagne. Du coup je temporise un peu derrière 2 coureurs pour la dernière redescente depuis Ilet à Malheur et la remontée sur Aurère. Là, l’ambiance est vraiment au top avec musique, nombreux spectateurs et encouragements et un ravito agréable où je peux m’asseoir pour déguster 2 soupes de pâtes. Je m’apprête à repartir quand je vois surgir Emilie qui arrive au ravito. Avec la bonne portion que je viens de faire depuis Marla où je n’ai fait que doubler, je ne m’attendais honnêtement pas à la revoir ici ! Je suis super content de constater qu’elle aussi a la patate et l’encourage à poursuivre ainsi tandis que je reprends la route vers la fin de Mafate.

 

            2 Bras en l’air, je sens que ça va le faire…

  J’aborde donc avec un moral au top la descente vers 2 Bras, au fond de la vallée, au bord de la rivière des Galets, qui marque la sortie du cirque et le début de la dernière grosse difficulté : la remontée vers les crêtes au-dessus de Dos D’Ane, soit pas loin de 1500m de dénivelée positive ! Je me fais bien plaisir dans cette belle descente, toujours sur mon nuage, mais ne ménageant désormais plus ma monture et mes cannes car je suis désormais certain, sauf accident, que je vais non seulement pouvoir finir mais aussi faire mieux que 30h car mon plan de progression prévoit que je fléchisse dans ces dernière portions alors que je suis en plein possession de mes moyens physiques et mentaux ! Et pas l’ombre d’une envie de dormir ! Je ne regarde d’ailleurs plus la montre ni mes temps de passage prévus depuis Grand Place, confiant. Je me paye même le luxe de prévoir de me faire masser à nouveau les 2 jambes à 2 Bras, mais les quadris cette fois qui ont chauffé à la Roche Ancrée, afin de terminer dans les meilleures conditions. C’est à ce moment là de la course, bien plus qu’en franchissant la ligne, dans cette descente et au début de l’ascension vers Dos d’Ane que j’ai ressenti la plus grande satisfaction, c’est-à-dire le sentiment d’avoir réussi mon objectif et surtout de me faire plaisir à déambuler à travers ces sentiers réunionnais terribles mais magnifiques. Cela peut paraître prématuré ou présomptueux de la fin de course mais c’est vraiment comme cela que je l’ai ressenti.

 

Trêve d’envolées lyriques, j’ai quand même une course à finir et une fois rejoint la rivière des Galets, il nous faut suivre sa berge sur quelques kilomètres. Sur ces berges, je rattrape alors à ma grande surprise la 1ère féminine, la réunionnaise Christine Bénard, qui envie la puissance de ma lampe frontale. Emilie est donc désormais toute proche de la 1ère place ! J’arrive enfin un peu avant 23h au ravitaillement de 2 Bras (plage), monté de toute pièce par des militaires. Effectivement c’est carré, sac récupéré tout de suite à l’entrée, kinés et podos puis stand nourriture sous tentes. Je me rends comme prévu chez les kinés où je suis à nouveau le seul client et me fait masser, un kiné par jambe. J’assiste de ma table de massage au passage de Christine qui soulève les foules et l’ambiance dans le camp ravito puis, moins de 10 minutes plus tard, à celui d’Emilie à qui je crie que la première est juste devant ! Mon massage terminé, je procède à la remise à neuf de mes pieds : crème NOK et nouvelle paire de chaussettes. En revanche j’ai prévu de garder mes chaussures, ça tombe bien elles sont à peu près sèches. Je reprends quelques barres pour la route et vais manger mon assiette de pâtes tandis qu’un bénévole me récupère le sac d’assistance. On s’occupe bien de nous ! Je ne traîne pas sur ce ravitaillement et m’organise mieux qu’à Cilaos mais je mets encore 23’ au ravito au lieu des 15’ prévues, le (faible) prix à payer pour un bon massage.

 

            On ne freine pas à Dos d’Ane…

  Je repars de 2 Bras avec à nouveau cette sensation de jambes légères qui suit le massage et très motivé pour rattraper Emilie dans la montée et peut-être l’accompagner un peu vers une victoire qui parait désormais accessible ! Je grimpe ce début d’ascension tambour battant et dois d’ailleurs un peu me calmer car j’oublie les kilomètres que j’ai déjà dans les jambes. Cette montée jusqu’à l’église de Dos d’Ane est réputée longue et difficile aux jambes et au moral car se succèdent des parties très raides, voire vertigineuses, et de longues portions où l’on ne monte guère, voire on redescend (comme toujours à la diagonale des fous vous me direz et vous aurez raison !). Et bien elle passe comme une lettre à la poste en ce qui me concerne, aucune once de lassitude, je suis juste bien et j’ai l’impression que ça pourrait durer encore longtemps sans que je faiblisse ! Je regrette presque de ne pas pouvoir faire la montée de la Roche Ecrite, prévue initialement, avec cette forme. Aux 2/3 de la montée je rejoins Emilie. Je l’encourage et on discute un peu de la fin du parcours que j’ai partiellement repérée. Je lui redis que la 1ère est toute proche mais elle le sait bien et a l’air bien motivée à prendre la tête de la course. D’ailleurs à peine quelques minutes plus tard, nous dépassons Christine, arrêtée sur le bord du chemin avec un ami et qui semble dans le dur et dit bravo à Emilie à son passage, comme un renoncement me semble-t-il.

 

Là, ça doit faire du bien au moral, on poursuit au même train mais je sens que la motivation remonte encore d’un cran chez Emilie. Je la distance légèrement sur la fin de la montée jusqu’au ravito de l’église où la radio et pas mal de spectateurs attendent le passage de Christine « qui ne devrait plus tarder ». Je me dis qu’ils vont être déçus, d’autant que les 5 premières places de la course masculine ont déjà été prises par des « métros »… Voilà qui va faire un drame ici où le Grand Raid est l’évènement annuel et où les créoles ont à cœur de bien figurer (au point que la rivalité métros/créoles est un peu trop exacerbés par les journaux ou la radio et a créé quelques polémiques l’an passé). Je repars en marchant du ravitaillement avec un groupe de 3 raideurs pour traverser Dos d’Ane que l’on remonte jusqu’au stade. Et devinez qui nous rattrape après quelques minutes : Emilie qui trottine dans cette partie bitumée, certes, mais qui monte quand même ! Je fais l’effort de lui embrayer le pas, pff, elle en veut, mais elle a raison, Christine n’est pas loin et il faut faire le trou. On fait un arrêt éclair au ravito du stade pour repartir vers le Piton Fougères.

 

J’avais repéré en balade avec Oriane le début de la montée, raide mais courte vers la Roche Vert Bouteille. Suit ensuite une partie en crête, vertigineuse à ce qu’on raconte mais de nuit, il est difficile d’apprécier le vide environnant. La prudence s’impose néanmoins ! Pour le paysage, j’ai pu en profiter quelques jours plus tôt, c’était d’ailleurs l’une des raisons du repérage car la vue sur le cirque de Mafate est sublime du haut de ce rempart (Cap Noir).

Les crêtes du cirque de Mafate depuis le Cap Noir, quelques jours avant la course

 

Nous poursuivons la partie en crête qui n’en finit plus de monter, je sens qu’Emilie a hâte d’en finir et de redescendre. On reprend un ou deux coureurs par ci par là, enfin on dépasse le Piton Fougères sans vraiment s’en rendre compte et on redescend légèrement pour attaquer le dernier sommet, le Piton Batard, après 100m de montée en escalier. J’immortalise le début de la fin !


Suit cependant un chemin de crête où l’on va continuer à monter/descendre pendant 2/3 kilomètres. Je me sens toujours aussi bien et prends un peu d’avance sur Emilie en vue du ravito pour avoir le temps de m’alimenter, de remplir le Kmel-back (le mien n’est pas bien adapté à mon sac, ce qui me prend quelques minutes à chaque fois) et de bien m’étirer car elle s’arrêtera à peine. Je rejoins un coureur réunionnais prénommé Léonce, qui a fait le yo-yo avec nous depuis le stade de Dos d’Ane, dans la descente sur le kiosque d’Affouches où se trouve le fameux ravitaillement. On y retrouve 4-5 coureurs. Emilie arrive rapidement et on repart aussi sec avec Léonce avec nous.

 

            La Redoute, quand tu nous tiens…

  La portion qui suit se passe sur une route forestière en légère descente. Je n’aime pas du tout et me force à courir avec déplaisir car je sens mes jambes, mes genoux et mon dos qui souffrent, me rappelant à nouveau le chemin déjà parcouru. Je dois m’arrêter à intervalles réguliers pour m’étirer un peu ou juste marcher et me relâcher. Leonce est comme moi. Emilie en revanche continue à courir non-stop, une vraie machine ! Tant bien que mal, cette portion finit et nous prenons un sentier qui remonte un peu. Une fois en haut, à moins de 10km de l’arrivée, je sais qu’une descente technique commence (repérée le 1er jour à la Réunion) et je préviens Emilie, à qui je sais que la victoire ne peut plus échapper vu le rythme maintenu, que je vais faire la descente à fond pour donner ce qu’il me reste d’énergie, et garder mes bonnes vieilles habitudes de trail où mes qualités de descendeur me permettent toujours de beaux finishs. Je lui rappelle le profil de la suite (encore des bosses mais combien ??) et me lance.

 

C’est parti pour 10km effrénés ! Oubliées les douleurs de la route forestière, je donne tout ! Une fois la 1ère petite descente avalée, j’attaque la série de « bosses » qui nous emmène au Colorado (de la Réunion). Et il y en a un paquet ! Je ne m’attendais pas à en voir autant et j’espère qu’elles ne vont pas trop plomber le moral d’Emilie qui m’interrogeait plus tôt sur ce qui nous attendait. Je relance en courant aussi souvent que possible et rattrape petit à petit les quelques coureurs vus au kiosque d’Affouches, mais les batteries de la frontale s’épuisent. Comme je n’ai plus qu’une faible puissance d’éclairage disponible, je sors la 2ème frontale de secours en plus pour assurer un très bon éclairage et limiter les risques de se tordre la cheville. Et je relance encore jusqu’au dernier ravito au Colorado. Un petit coup de fil réveil pour prévenir Oriane que j’arrive bientôt et m’y voici. Là, arrêt express, un verre et un quartier d’orange, trop peu car je ne prends plus le temps de m’alimenter en course…

 

J’ai lu dans le journal le jour du départ que 2 itinéraires allaient être balisés pour cette descente finale : le GR classiquement utilisé et un sentier « plus rapide mais difficile » balisé en blanc. Evidemment le choix est vite fait pour un descendeur comme moi et lorsque la bifurcation se présente, je n’hésite pas et prends le sentier « rapide ». Je pense que c’est en fait un mauvais choix, car bien que n’ayant pas reconnu complètement le GR, ce-denier me parait plus court a posteriori. Le sentier que je prends est extrêmement mauvais et irrégulier, rien à voir avec tous ceux, pourtant difficiles, empruntés jusque là. Pire, il remonte parfois et n’est pas du tout direct vers la Redoute… Soit c’est la fatigue qui a faussé ma perception, soit il est effectivement plus long et surtout très dangereux pour ceux qui passeront là avec encore moins de lucidité (même si la mienne ne devait pas être au top à ce moment !)… Je descends vite et pourtant je ne mettrai guère moins de temps que prévu sur mon planning, ce qui me fait penser que le GR était plus rapide. Bref, rien de grave mais la conséquence est que je commence pour la 1ère fois à trouver le temps long et à vouloir très fort voir l’arrivée à la Redoute !

 

Admis à l’asile !

  Je double encore 2 coureurs qui terminent ensemble sur le bas de la descente puis rejoins quelques minutes plus tard la route de la Montagne qui surplombe le stade. Enfin ! J’y suis ! Je descends le dernier raidillon, passe sous le pont et rejoins la route qui mène à l’entrée du stade. Oriane et Claire m’y attendent. Il parait que j’ai l’air tout perdu, sans doute parce que je ne pensais pas les voir ici ! Je rentre en courant sur le stade et sort l’appareil pour immortaliser l’arrivée. Le stade est un peu désert, il est 4h35 du matin, mais j’ai droit à une petite danse et des djumbés pour m’accueillir. C’est fait !!!


Lé content, lé arrivé

 

Je termine en 28h36 à une incroyable 26ème place ! J’ai chaud comme jamais sur la course à cause de ces derniers kilomètres à fond où je n’ai même pas pris le temps d’enlever ma veste ! Je suis heureux d’être là mais étrangement sans plus d’émotions que cela, alors que je m’attendais à recevoir une « claque » en arrivant sur le stade. Comme expliqué plus haut, j’ai déjà profité de la satisfaction d’avoir réussi ma course quelques heures plus tôt aux alentours de 2 Bras. La suite était, je pense, naturelle et attendue dans ma tête et franchir la ligne d’arrivée ne m’a donc pas vraiment apporté d’émotion particulière. Mais les félicitations d’Oriane et Claire, ainsi que les derniers SMS reçus sont là pour me rappeler ce que je viens de réussir et me faire prendre conscience de la chance que j’ai d’avoir pu connaître un aussi bon déroulement de course !

Bien fatigué quand même !

 

La ligne d’arrivée (24h après)

 

Cependant au bout de quelques minutes, je commence à me sentir moins bien, avec mal au ventre, envie de vomir... Keskispasse ? Le 2ème effet KissCool de la Diagonale des Fous ? C’est une hypoglycémie / baisse de tension qui pointe le bout de son nez. Mon finish effréné m’a vidé et je n’ai pas mangé pour remplacer mes réserves très entamées par plus de 130km de course. Oups ! En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire je suis pâle comme un cachet d’aspirine et mes assistantes de choc m’allonge sur un lit sous la tente des secours et me forcent à avaler quelques petites choses alors que je n’ai envie de rien manger du tout… Dommage, j’en rate l’arrivée victorieuse d’Emilie que j’irai féliciter seulement quelques minutes plus tard.

Emilie, la winneuse

 

Il me faut une bonne heure de sommeil/repos pour commencer à me sentir mieux, ainsi qu’une mini-part de cari poulet.


Comatage d'arrivée

 

En repartant du stade, on croise Yann-Pierrick et Sarah du GO78, en vacances sur place qui viennent me féliciter avant de partir en rando, sympa ! Ils ont suivi mon parcours et celui d’Emilie par amie interposée et ont vécu cela à fond semble-t-il. Sarah m’a trouvé « vert » à cette occasion, je vous laisse juger  :


 

Mouais, c’est pas la grande forme effectivement…

 

Retour à la montagne où je passe l’essentiel de la journée à dormir et manger, normal quoi ! Je suis la progression de Sylvie sur Internet et fais sonner le réveil pour l’accueillir 24h après mon arrivée sur la ligne, c’est l’avantage d’être à peine à 10 minutes du stade ! Contente d’en finir, elle n’a néanmoins pas trop apprécié l’omniprésence des marches sur les chemins du parcours…  Elle termine quand même 10ème V2 femme en 52h30 environ et sans dormir du tout !

Sylvie aussi a survécu !

 

Le dimanche c’est le départ pour l’Ile Maurice et ses plages, pour une récupération aux petits oignons ! Je rate la cérémonie des récompenses mais ce n’est pas grave : 26ème, je suis le 1er non récompensé, ça m’évite les regrets 

 

Pas la peine de beaucoup réfléchir pour faire le bilan de la course:  la satisfaction de voir qu’un an de préparation a payé, que j’ai pu faire cette course dans d’excellentes dispositions physiques, sans pépins de genoux ou aux chevilles (hormis une petite tendinite au tendon d’Achille droit à l’arrivée), une de mes grandes craintes initiales, sans gêne digestive majeure malgré une alerte vers Cilaos et mon hypo d’arrivée (juste pour montrer que j’en avais quand même bavé  ), sans coup de sommeil dans la 2ème nuit blanche et sans « souffrances » physiques, c’est-à-dire au-delà d’une fatigue normale pour un tel effort (ça ne veut pas dire que ça a été facile !), à partir de Marla et jusqu’à l’arrivée. Je remplis largement mon objectif chronométré et j’ai même eu l’impression de participer un peu à la victoire d’Emilie chez les femmes ! Les encouragements en course ont été un vrai moteur avant et pendant la course. Toutes les félicitations d’après course reçues de vive voix, par téléphone, par mail ou par SMS m’ont aussi fait réaliser la belle course que j’ai faite et m’ont mis sur un petit nuage toute la semaine qui a suivi ! Merci à tous !!! Et bien sûr un énorme merci à Claire et Gilbert, qui m’ont si généreusement accueillis et ont été adorables avant et après la course, et enfin à Oriane, qui a fait mon assistante de choc sur la course, qui m’a aidé pour la préparation des affaires, qui m’a coaché comme elle sait si bien le faire, encouragé et surtout qui a supporté mon année d’entrainement et de courses pour en arriver là   !

 

Mes temps de passage :

 


Point de passage Heure de passage Temps de course Km Cumulés Altitude Classement Classement SH
Saint Philippe - Cap Méchant 23/10 00:00 0h00mn00s 0km 17m    
Le Volcan-Plaine des Sables 23/10 05:00 5h00mn29s 30km 2320m 144ème 70ème
Mare à Boue 23/10 07:19 7h19mn17s 50km 1594m 121ème 61ème
Gîte du Piton des Neiges 23/10 10:07 10h07mn45s 62km 2484m 111ème 60ème
Cilaos Entrée 23/10 11:21 11h21mn52s 69km 1224m 103ème 56ème
Cilaos Sortie 23/10 12:04 12h04mn05s 69km 1224m 112ème 54ème
Pied du Taïbit 23/10 13:24 13h24mn11s 76km 1260m 99ème 52ème
Marla 23/10 15:10 15h10mn02s 82km 1580m 89ème 46ème
Trois Roches 23/10 16:28 16h28mn40s 89km 1220m 82ème 44ème
Roche Plate 23/10 17:34 17h34mn27s 95km 1110m 81ème 43ème
Grand Place 23/10 19:37 19h37mn52s 103km 540m 67ème 35ème
Aurère 23/10 21:39 21h39mn30s 112km 750m 53ème 29ème
Deux Bras Entrée 23/10 22:49 22h49mn19s 121km 255m 44ème 26ème
Deux bras sortie 23/10 23:12 23h12mn11s 121km 255m 48ème 27ème
Dos d'Ane Stade 24/10 01:00 25h00mn44s 128km 1064m 38ème 23ème
Le Colorado 24/10 03:52 27h52mn07s 142km 680m 28ème 18ème
Redoute Ligne d'arrivée 24/10 04:36 28h36mn06s 147km 53m 26ème 17ème

 

 

Good job, guys !

 

Good-bye Saint-Denis…

 

Me voilà admis chez les fous : le Grand Raid de la Réunion, j’y ai survécu !

 

8 commentaires

Commentaire de fab84 posté le 09-11-2009 à 21:35:00

super recit et grosse perf bravo !!!

Commentaire de akunamatata posté le 09-11-2009 à 22:24:00

Bravo Sprolls, t'as pris un (des) super()s pied(s) ;-)

Commentaire de maï74 posté le 10-11-2009 à 09:54:00

Un ultra vécu avec autant de plaisir, notamment le dernier tiers, et un super classement/chrono, ça fait trop envie ! Suis preneuse de ton plan de prépa !
Bravo à toi, et merci pour ce récit détaillé, instructif et très bien écrit... Bonne récup

Commentaire de Oliv'BCA posté le 10-11-2009 à 11:15:00

La grande classe! Super gestion de course et beau récit bien illustré.
Bravo!

Commentaire de Papy posté le 10-11-2009 à 15:47:00

Bravo !

Super bien planifié et réfléchi, j'ai eu l'impression de rajeunir de 20 ans en te lisant, à l'époque ou je finissais aussi avec les premières féminines.
Les distances n'étaient pas les mêmes mais la rationnalité de la conduite de course similaire.

Je me suis aussi retrouvé dans les expression de "souffrance" en début de course ou, à peine au tiers, l'on se demande comment l'on va finir.

Il apparaissait clairement, vu ton niveau de réflexion, qu'accident mis à part, tu remplirais ton contrat. Ta fraicheur et ta lucidité m'avait grandement impressionné au Mercantour.

Tu as fait mieux que prévu, dégustes bien et reste un peu sur ton nuage.

Il sera temps d'en redescendre pour se fixer de nouveaux objectifs !

L'Papy_clap_clap

Commentaire de laulau posté le 10-11-2009 à 21:29:00

Enorme ta perf ! vraiment bravo !

Commentaire de Ben64 posté le 11-11-2009 à 13:21:00

J'en reste bouche bée... Dis comme ça, ça parait (presque) facile. Franchement, un immense bravo pour ta course et merci pour le récit très agréable à lire.

Bonne récup!

Commentaire de JLW posté le 16-11-2009 à 23:25:00

Bravo à toi. Une course comme celle là et surtout des impressions comme tu en as eu j'en rêve.
Je me rappelle ta rencontre à la Madonne la veille du Mercantour et ta superbe perf le lendemain. je vois que tu as continue sur ta lancée pour une année 2009 exceptionnelle.

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