L'auteur : Hippolyte30
La course : Marathon des Burons
Date : 24/6/2007
Lieu : Nasbinals (Lozère)
Affichage : 4162 vues
Distance : 42.8km
Objectif : Terminer
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L'enfer au Paradis
" C'est encore du grand n'importe quoi ! Tu viens d'enchaîner le marathon de Paris, le semi de Nîmes, la course du viaduc de Millau, les 4000 marches du Mont-Aigual et maintenant, à 15 jours du départ, tu veux courir le Marathon des Burons sur l'Aubrac, t'es vraiment un malade. " me previent stéphane, mon petit frère marathonien, finisher l'an dernier de l'Ultra trail du Mont-Blanc. " Tu ferais mieux de te reposer ou de refaire des distances courtes plutôt que de griller tes dernières forces sur un trail. Tu fais tout à l'envers comme d'habitude " rajoute t-il en ricanant. Je sais que je le fais bien marrer le frangin. Je m'en moque. J'écoute mon feeling. Et mon inspiration me dicte de m'inscrire à la Merell Aubrac, une course nature réputée dans le pays ( un trail pour les non-initiés ) et très relevée. 1500 concurrents sont inscrits en provenance de 90 départements. En terme de participants, c'est le 3 ème trail français avec beaucoup de cadors de la discipline au départ. 1400 mètres de dénivelé, 44 km entre Nasbinals en Lozère et Laguiole en Aveyron. " C'est pas de la gnognotte " a reconnu Hippolyte mon fils de 9 ans.
Les plus belles vaches du Monde
A l'origine de mon inscription, l'envie de filmer cette classique dans le monde des trailers. Autant l'avouer de suite : je suis payé pour cela. Si je monte en Lozère avec Yannick, le cameraman de France 3, c'est d'abord pour faire un reportage. J'ai envie de défendre la course à pied à l'antenne plutôt que de diffuser encore et toujours du football. C'est le rôle du service public. Et j'ai l'intention de montrer aux telespectateurs toute la beauté de l'Aubrac à la fin juin , cette explosion de fleurs ( il y a plus de 2000 variétés repertoriées !) Le terrain de jeu est vraiment unique. Traversé par le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, l'Aubrac est un vaste plateau volcanique à cheval sur 3 départements ( Lozère, Cantal, Aveyron). Les alpages s'étendent à perte de vue à une altitude moyenne de 1200 mètres. De l'herbe, des fleurs par milliards, des beaux murs de pierres et, partout, des vaches superbes, des Aubrac .
Elles sont si belles que si j'étais taureau, je voudrais me marier avec ces femelles à la peau douce et fauve et aux beaux yeux cerclés de noir comme du ricil ! "Je n'avais plus mis les pieds ici depuis 1993 et une course de moto verte " le Trêfle Lozérien ". et je voulais y revenir pour une grande occasion. Je pense que le marathon des Burons était parfait pour revoir l'Aubrac " Voilà ce que j'ai répondu au speaker officiel quelques secondes avant de prendre le départ en première ligne.
La course de trop ?
Toujours prêt pour les bons coups, Ludovic, mon confrère et ami du Midi Libre à Mende, est aussi un inscrit de la dernière heure. " Ok, je le préviens, on va courir ensemble mais pas trop vite d'accord ? " Ludo s'empresse d'acquiescer. Cette course nous fait peur à tous les deux. C'est notre premier trail sur une telle distance. Nous ne sommes pas préparés et nous n'avons pas récupéré de notre début de saison de marathonien ! " Tu ne crois pas , Denis , que c'est la course de trop " me demande t-il avec prémonition. " Ton frère a sans doute raison ". Mais, nous avons envie de nous brûler les pieds, pour voir. Je le retrouverai le dimanche matin vers 6 h00 avant le départ. Il n'a même pas de pompes. Je lui prète une de mes paires de running un peu trop grande. C'est vous dire notre amateurisme. Je sens qu'on va le payer.
La veille, au couchant au dessus d'un petit lac, nous avons filmé une bande de joyeux concurrents venus de Sommières ( Gard). Ils font du camping sauvage et s'imprègnent à l'avance de la beauté incandescente du lieu. Guitares sèches pour réchauffer l'ambiance et salade de riz pour faire le plein de sucre lent. Simple, nature et tranquille, c'est l'esprit trail par excellence. Ils vont tout de même regretter cette nuit étoilée. Il va faire très froid sur l'Aubrac ce soir là.
4h30. Mon cardio se met à sonner. J'ai la musique de Tryo dans la tête . " Reveil matin, 15 h, j'me reveille comme une fleur...Salut les gars bien dormi, pas de réponse tant pis... Fallait manier, manier mieux la nuit man, arrêtes l'alcool tu deviens grave etc " Parfait, j'ai bien dormi et mon collègue n'a pas ronflé. Après une bonne douche, je mange mon gatosport au chocolat. Il parait que cette substance infâme équivaut à une moitié de poulet et à 600 grammes de pâtes. J'espère qu'il n'y a pas tromperie sur la marchandise. Avec ce que je vais me mettre dans le cornet dans la matinée, je dois mettre du super carburant dans mon corps d'athlète de 62 kg.
Beau et froid
Dehors, il gèle ( altitude 1180 mètres) mais l'aube est enchantée à ce moment de l'année. A 5h15, avec la brume dans la vallée et les premières lueurs du jour, les images vont être magnifiques, pour le coup, c'est du gateau. Comme on nous l'a répété depuis tout petit, l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt ! Nasbinals, petit bourg de 500 habitants se reveille et va quadrupler sa population d'ici 7h00, heure du départ. Plusieurs dizaines de coureurs s'échauffent sans se forcer. Il fait si froid ce matin-là. Moi, je dois bosser et faire quelques interviews des favoris mais aussi de mes campeurs sommièrois. Je croise un toulousain à la moustache de gaulois. C'est son 3 ème marathon des Burons mais, déjà il n'a pas l'air au mieux. Il pense abandonner très rapidement par manque de motivation et d'entraînement. " J'ai un boulot prenant et je n'ai plus les mêmes envies de course à pied. Ce n'est pas grave si j'arrête, j'encouragerai les autres " me dit-il tristement à 5h30 du matin. Il va me filer le bourdon ce "cong" si ça continue. Je le quitte assez vite pretextant un besoin pressant. Je décide d'ailleurs d'aller me soulager une dernière fois. Et là, aux toilettes du bar central, la tête dans mes pensées j'entends " Oh, Denis ". Je reconnais de suite la tête marrante d'un mec que je n'ai jamais vu : Alexandre Delore, le fils de Michel Delore, journaliste et coureur à pied de haut niveau dans les années 70-80, vainqueur de plusieurs Saintélyon. Depuis un an, nous échangeons des récits de course à pied sur le net. Nous avons le même niveau et il m'a envoyé sa photo quelques jours avant la course. " Et bien Alexandre, c'est marrant de se retrouver là dans la files des toilettes. Mon portable ne passait pas donc je n'ai pas pu te joindre. Comment tu te sens ? " Nous prenons le temps de faire une photo devant l'église Sainte Marie de pur style roman. Dommage, je n'ai pas trop le temps de discuter, mais on va peut être se croiser sur le chemin. Je suis un peu stressé aussi par mon Camelbak tout neuf reçu en cadeau 7 jours auparavant pour la fête des Pères. Je n'ai pas pu le tester et il fuit. Avec ce froid, ce n'est pas agréable cette flotte glacée dans le bas du dos. C'est embêtant. Ce trail se dispute en autosuffisance avec un seul ravitaillement en eau au 26ème km. Sans compter que j'ai des chaussures neuves. Bah, on verra bien.
Juste avant le départ, je tombe sur Cécile Moynot, une sarthoise la favorite des bookmakers. Cette coureuse au physique délicat et aux yeux verrons, vert et marron je crois (?) vaut 2h44 sur marathon. " Alors, avec votre pedigree, vous faites peur à toutes les féminines engagées?". Elle me répond avec franchise : " Vous savez, je suis ici surtout pour m'amuser. Il y a 2 semaines, j'ai fait 3 ème aux championnats de France des 100 km et depuis je n'ai fait aucun entraînement spécifique pour le trail alors on verra, ce sera à la sensation ". Et dire que certains trouvent que j'en fait trop !
La tuile
Attention, le top départ, c'est pour tout de suite dans 30". Comme je suis bloqué à l'avant du peloton suite à cette interview pour la télé, je m'installe en première ligne avec tous les favoris. Juste le temps de souhaiter bonne course à Ludo et c'est parti tranquille, en petite foulée dans la Grand-Rue de Nasbinals. Dans le 1er kilomêtre, je reste avec les meilleurs. Le rythme est vraiment pépère puis, petit à petit, je me laisse glisser. La course va être longue et je sens que je ne suis pas dans un grand jour. Pire, au bout de 2 km, une douleur récurrente au tendon d'achille droit se réveille. Ca, à 42 bornes de l'arrivée, c'est la grosse tuile. Mes appuis ne seront pas assurés. Je gamberge déjà. J'ai peur à l'avance de me tordre la cheville. Ludovic est encore avec moi. Sur cette première partie roulante du chemin de Saint-Jacques de Compostelle, je le suis mais jamais sur les talons. C'est mauvais signe pour notre course d'équipe. A chaque petite montée, 5 ou 6 gars se placent entre nous deux. Ludo m'attend systématiquement. Pas besoin de trop en dire. Il voit que le vieux ( 43 ans dans 3 jours) n'est pas au mieux ! " Regardes Ludo, Tu as vu les vaches, elles regardent les coureurs. C'est magnifique cet endroit". Il me répond sans me regarder : " Ouais, admires les bien maintenant. Tout à l'heure, tu seras tellement fatigué que tu ne les verras même plus."
Après 3-4 km, le jolie Cécile Moynot me dépasse et s'envole. Dans sa foulée, la 2 ème féminine, une stéphanoise toute menue, Béatrice Fanget. Cette fille est tellement maigre qu'elle flotte dans son cuissard. Certes, pas de muscles mais un cerveau et une grosse expérience des trails pour cette spécialiste des courses en montagne. Si elle est partie beaucoup moins vite que moi, elle arrivera en revanche à Laguiole 20 minutes plus tôt ! " Ludo, je crois qu'il faut que tu fasses ta course. Je n'avance pas. J'ai super mal à un tendon et il est possible que j'abandonne à Aubrac au 8ème km. Vas-y ! Ne m'attends pas !". Quand je lui dis cela, je n'en crois pas un mot. En fait je préfère souffrir tout seul. J'ai un gros mental et je n'ai jamais bâché dans une compétition. ( bâcher : terme utilisé par les cyclistes quand ils abandonnent ). Le jeunot ( 29 ans) a l'air d'avoir de bonnes jambes. " Tu devrais suivre les filles. Elles vont te donner le bon tempo surtout la blonde au débardeur rouge ". Il insiste un peu pour la forme mais je vois bien qu'il a envie de suivre mes conseils. Très vite, il s'en va rejoindre la foulée de cet oiseau de malheur, la petite Moynot. Le lozérien va ainsi rester 1 heure les yeux fixés sur les jambes galbées de la marathonienne. Ca en motiverait plus d'un. " Je te jure, j'avais la haine quand un mec se plaçait entre elle et moi. J'ai joué des coudes pour rester derrière elle. Je crois bien que c'est ça qui m'a perdu ."
Maintenant, c'est du sérieux
Malgré la douleur, je profite du paysage. Le temps est exceptionnellement beau. Le soleil dans le dos, la visibilité est parfaite. C'est préférable car le terrain est gras avec des cailloux partout. Il faut savoir placer le pied au bon endroit pour ne pas glisser. A certains passages, cela frotte un peu entre les concurrents pour garder la bonne ligne et ne pas patauger dans une marre de boue. 2 fois de suite, je bouscule le même gars. " Excuse-moi " pas de réponse. En fait, c'est lui qui devrait s'excuser. Comme il court avec la musique, il n'entend pas les autres concurrents. Donc, je n'ai pas de regrets. il est dangereux ce mec et pas dans l'esprit trail, nature et convivialité.
Arrivé au niveau du village d'Aubrac, c'est la foule dans la descente le long des murets. Je vois Sylvia, la femme de Serge Castanier avec son appareil photo. Je lui lance sans m'arrêter : " J'ai vachement mal aux tendons ". Un peu plus bas, je croise Yannick le cameraman et lui répète : " J'ai vachement mal aux tendons " . C'est comme si je voulais leur dire : ne miser pas trop sur moi, vous risquez d'être déçus et ne m'attendez pas trop tôt à l'arrivée. Bon, je prends un premier gel de sucre ( une topette pour les cyclistes) et je serre les dents car après le village commence vraiment sérieusement le trail : descentes techniques et cassantes rendues dangereuses par un sol humide, coups de cul par dizaines, traversées de ruisseaux et remontées dans la boue. Contrairement à la route où il est préférable de courir presque collé derrière un concurrent, ici, c'est tout l'inverse, question de survie. Les chemins ( ce sont des monotraces ou singles tracks en anglais !) sont tellement étroits et sinueux qu'il faut laisser une petite distance avec le gars de devant sinon c'est la chute garantie. Le pied tape contre un caillou ou une racine et badaboom. Avec mon tendon droit de plus en plus douloureux et celui de gauche qui se réveille, je me crispe de plus en plus. Ma foulée devient saccadée. C'est inquiétant. Je n'ai couru qu'une heure et il reste à la louche 30 km. D'ailleurs, dans la première grosse descente, le coureur devant moi a des problèmes d'équilibre. Par 2 fois, il manque de tomber. Il doit être skieur et aimer la glisse. " Dis, t'as trop bu ou quoi" je lui demande 2 fois en criant. Il doit être sourd. " Non, c'est mon premier trail et je ne suis pas trop à l'aise " " Tu viens d'où ?" " De Cognac " " A bon, je comprends maintenant, tu devrais arrêter l'alcool ". Pas de réaction. Manifestement, mon humour ne le fait pas rire.
Une merde
Un peu plus loin, dans un forêt boueuse piétinée par les vaches, nous sautons d'une motte à l'autre pour ne pas nous noyer dans les trous. Je suis dans une file de 5-6 gars qui avancent bien, la tête dans le guidon. Tout à coup, le premier de cordée s'écrie : " Merde, on s'est planté, il n'y a plus de peinture orange sur les arbres. On a du rater le chemin plus haut ". On n'avait pas besoin de ça mais c'est la course. En remontant, je crois voir la marque dans les herbes en contrebas. Tout le monde me suit et nous tombons sur un pauvre mec accroupi, au tee shirt orange fluo. Il recherchait ici un peu de tranquilité pour assouvir le genre de besoin qui n'attend pas. Pas démonté, il nous indique quand même le parcours : " C'est encore un peu plus haut à gauche ". Comme dans la fable du lièvre et de la tortue, nous avons du perdre une bonne trentaine de places dans l'histoire mais pas de panique, la course est encore longue.
1h30 que nous sommes partis. Je prends un 2 ème gel de sucre. Stéphane Jouvance, le meilleur trailer de la région, 3 ème du marathon l'an dernier m'a donné un bon conseil la veille" Tu prends un gel toutes les 45 minutes, sinon, tu vas te choper une hypoglycémie". Je bois aussi régulièrement l'eau sucrée de mon sac à dos. Je suis parti avec 1 litre et 1/2. Je ne risque pas d'en manquer avec tous les ruisseaux qui coulent dans le coin. " Eh, Thierry, ça va ?" C'est le photographe d'une revue de course à pied. Il réajuste un gros zoom sur son boitier. Je ne suis pas certain qu'il m'ait remis. Hier soir, au repas, il m'a demandé quels étaient mes objectifs. " Oh tu sais, c'est mon premier gros trail. Alors , si je rentre dans les 300 premiers en moins de 5 heures, je serai content ". Yannick doit être aussi dans le coin sur ce petit sentier montant vu qu'ils font équipe pour suivre la course. " Allez Denis, allez " m'encourage le confrère tout en filmant. Ca me donne un bon coup de gaz et j'en ai besoin. Nous remontons sur le plateau par une longue draille, c'est un chemin tracé depuis toujours par les bergers pour amener les bêtes à l'estive ( les alpages dans le sud). Dans une longue pente où je dois faire pitié, un gars inconnu me double et me dit : " Alors, c'est plus dur que le trail de l'Aigual ?" Lui doit en tous cas me remettre. L'Aigual, c'était l'an dernier ma première course nature sur 15 km. J'avais fini 3 ème vétéran grâce à un bon travail d'équipe avec Ludo. IL a raison, l'Aubrac, c'est plus dur !
"Je vais bâcher "
J'en bave. Pas physiquement car je ne me sens pas encore fatigué, mais moralement. Mon tendon d'achille lance des signaux de détresse à chaque appui. J'ai mal et je me tords parfois la cheville. Je sors brusquement de ma torpeur :" Eh Denis !?". Ben, zut alors, j'ai rattrapé le Ludo, je ne l'avais même pas vu ! Il a l'air crevé comme au ralenti. " Qu'est-ce qui t'arrives?" " Je n'avance plus. J'ai mal partout me dit-il, le moral au plus bas. Je n'aurais jamais du venir. Je ne me suis pas assez entraîné. J'ai suivi cette fille pendant une heure et j'ai pété ( lâché en jargon cycliste)au 20 ème km. Je vais bâcher. Ne m'attends pas ". Je tente de le relancer :" Essaies de me suivre jusqu'au ravitaillement. Tu sais, moi aussi ça va mal. J'ai les tendons qui vont lâcher si ça continue. Nous sommes à combien là ? " " On vient de passer la mi-course ". Le lozérien court avec un cardiofréquencemètre perfectionné. Il peut comptabiliser les km grâce à un podomètre fixé sur sa chaussure. C'est pratique dans un trail car le kilomètrage n'est pas indiqué. On doit se débrouiller. Ludovic n'arrive pas à recoller. Quelques minutes plus tard, il fait un gros effort pour remonter à mon niveau, juste le temps de me dire " Ne m'attends pas ! j'arrête au ravito ". Une sentence qui n'appelle pas de réponse et je continue sur mon petit rythme. Je m'en vais décidé à finir cette course pour lui aussi.
Un drôle de coureur vient de me dépasser. Je le décortique de la tête aux pieds. " C'est comme pour les chats de goutière, la tête ne va pas avec la queue, il ne ressemble à rien cet OVNI." La première réaction est de me dire : " c'est quoi ce gonze". Le genre pas lavé, mal habillé, avec son bermuda long et des baskets de plage. Il n'a l'air de rien avec son mauvais foulard dans les cheveux et son tee- shirt en coton. Pourtant, qu'est ce qu'il avance le Bruno, un V2 ( plus de 50 ans) du club de Lunel. J'aime ça dans notre discipline. Tout le monde part à égalité. Ici, pas de course à l'armement. Ce n'est pas de la Formule 1 ni du vélo. Celui qui a les meilleures chaussures ne va pas nécéssairement gagner. Le vainqueur sera le meilleur, point final !
Ravito
2h30 de course. Nous arrivons au sommet de la station de ski du Bouyssou, 1400 mètres d'altitude. Le paysage est féérique. Partout, de l'herbe bien grasse et des alpages, des vaches et des fleurs, d'immenses blocs de pierres et des burons ( fermes où l'on fabrique le fromage local, le cantal). Nous sommes les maîtres du monde. Je partage ce moment inoubliable avec un moniteur de ski du lycée climatique de Font-Romeu. " Ah bon, je lui réponds. Alors on s'est peut être vus en janvier. J'ai participé là-bas aux championnats du monde de ski des journalistes et j'ai gagné !" Il me toise. Manifestement, malgré mon titre ronflant et peu significatif vu le niveau des confrères, il n'a pas l'air de me reconnaitre. Son profil est plus intéressant : il prépare l'Ultra trail du Mont-Blanc pour la fin Aoùt( 163 km et 8900 mètres de dénivelé positif). C'est un client sérieux, rablé et tout en muscles. Il casse l'ambiance. " Oui, c'est beau mais il ne faut pas être euphorique. L'arrivée est encore loin, très loin." Tout en parlant de ses projets, nous entamons ensemble la descente de la piste de ski, dernière étape avant le ravitaillement. Notre rythme pépère n'est pas assez rapide à son goût." Bon, j'y vais, j'adore les descentes. On se retrouvera en bas !" Un cabri ! Je n'avais jamais vu un gars courir aussi vite en faisant des bonds comme cela. " Il est fou ce type, mais on va le reprendre très rapidement. Il est en train de se bousiller les musles à descendre comme cela." dit un coureur dépassé " Non, je lui réponds, t'en fais pas pour lui, c'est un as, il prépare l'UTMB. Il sait ce qu'il fait " Amael terminera 78 ème, 9 minutes devant moi.
Enfin le ravitaillement. Bon comme prévu, il n'y a rien à bouffer. Comme dit le bénévole " Eau plate, eau gazeuze et au fond des gobelets pour remplir vos Camelbak". Je prends mon temps, à peu près 2 minutes pour faire le plein. C'est un bon moment. Thierry le photographe en profite pour me mitrailler. J'essaie de ne pas regarder l'objectif. Je ne parle pas plus avec Yannick. Je ne veux pas qu'il me filme. Il ya 1500 autres concurrents à suivre. Tiens, je croise le regard du Toulousain rencontré ce matin à 5h15. Comme prévu, il est passé du côté des spectateurs. Il est déjà changé et me salut en opinant du chef.
Plein les yeux, plein le cul
Après ce doux moment, il faut repartir par une sorte de marais vaseux. A cet endroit, impossible de garder les baskets au sec. La boue rentre partout, on s'enfonce parfois sur 30 cms et je manque de perdre la chaussure droite sur un mauvais appui. J'ai tellement mal au tendon que l'eau froide a un effet anesthésiant. Du coup, par moment, je trempe carrement le talon dans l'eau. Cela me soulage quelques secondes. Après un beau monotrace dans la forêt, voici le plus bel endroit de la course. L'Aubrac à perte de vue. Avec un peu d'imagination, on croirait voir courir dans les collines, Laura et Marie, les filles de Charles Ingals. Ce plateau béni des Dieux a vraiment un côté " La petite maison dans la prairie ". Mais ce n'est qu'un mirage car je suis en train de traverser un sale moment. " Cette course, c'est l'enfer au paradis ". Je me répète plusieurs fois cette phrase en tentant d'admirer le paysage. Mais c'est dur de regarder les ruminants dans les pâturages. Sur ce chemin ouvert et parfois absent qui serpente dans les alpages, il faut déjouer tous les pièges de la nature. Des trous, des pierres, des racines, de la boue. Au loin, je vois la file des trailers devant et derrière moi sur des km. Un gars s'arrête pour uriner : " Ben dis donc, toi, t'as trouver l'endroit idéal pour pisser. Tu profites ". Ca le fait rire mais je crois surtout qu'il est crevé. Le soleil tape de plus en plus. C'est l'un des moments les plus durs de ma course. Cette traversée est interminable. " Bon, on en est à combien maintenant ? 30, 32 km" . Avec ma foulée de plus en plus raide, je trouve le temps long. Mais le parcours est toujours aussi beau. A un moment, nous traversons un champ de petites fleurs violettes. Nous rebondissons sur les clochettes. Il y en a des milliards. C'est merveilleux comme sensation. Je pense alors à ma femme et à ma petite fille " Ah, si je pouvais leur ramener un beau bouquet de fleurs des champs ".
Maintenant, retour à l'ombre dans la forêt. Le parcours n'est pas dur en soi mais il devient cassant, éreintant. Il y a beaucoup de relances entre les arbres et, parfois, vu le dénivelé, nous marchons comme des zombies. Le sentier est plus fort que nous. Après tant d'heures passées à courir, tout devient dangereux. " Merde, tu t'es fait mal". Un coureur vient de glisser devant moi, la tête la première sur un rocher. Il se relève, hagard, le regard fiévreux et le bout du nez ensanglanté. " Ca va, ça va, merci " répond-il pendant qu'on le relève avec un autre type. Tout cela me fait réfléchir :" putain, je n'en peux plus. Il n'en finit pas de monter ce monotrace et puis, j'ai des cailloux dans les chaussures , il faut que je m'arrête !" Voilà, je m'assied sur une butte et je défais mes godasses, puis j'enlève mes chaussettes boueuses. Je n'en ai plus rien à faire du classement. De toute façon, avec tous les gars qui m'ont dépassé depuis quelques km, je dois être 500ème . J'ai aussi la tête qui tourne. J'ai peut être sauté un gel de sucre. Je ne suis pas bien du tout.
Miracle sur l'Aubrac
Et là, miracle. " Oh Denis, ça fait 3h15 que j'essaie de te rattraper." Voici Stéphane Borne de mon club de Vergéze. On devait se voir avant la course mais comme le portable ne passait pas, je l'avais complètement oublié ! "Je t'ai entendu tout à l'heure au micro du speaker, je savais que tu étais là mais je suis parti dans les derniers." Stéphane est un spécialiste du trail. Un bon gars solide, robuste au visage volontaire. Il est très musclé et a préparé cette course avec sérieux . " Stéphane, ça me fait vraiment plaisir de te voir mais je suis naze. J'ai un putain de mal aux tendons. Ne m'attends pas, je suis un boulet ." Toutefois, le temps de me rechausser, je lui emboite le pas. Je sais par expérience qu'il n'y a rien de mieux qu'un copain pour tenir à la fin d'une course. Il navigue toujours 10 à 20 mètres devant mais c'est mon point de mire, ma bouée. " Allez philou, viens philou" 2 frangins habitant Laguiole me dépassent : " elle est à combien l'arrivée ?" Le grand frère me répond : " A peu près à 8 km mais avant, il faut se taper la montée de la piste noire ". Je lève la tête. Devant moi, un mur ! Et beaucoup de monde pour nous encourager. Tiens voilà encore le Toulousain. " Salut. Et alors ? " Plus haut, Stéphane a déjà attaqué la montée impossible. Cette pente ne m'effrait pas. Au contraire, avec mon tendon, je préfère marcher que courir. Du coup je le dépasse ainsi que d'autres concurrents. En haut, une femme sympa me donne un coup de Perrier. Je lui dit :" Vous savez je suis du club de Vergèze, la source Vergèze, vous ne connaissez pas dans le Gard ? C'est là-bas que l'on fait le Perrier !"
Stéphane me reprend très vite dans la descente vers Laguiole. Nous sommes 6-7 coureurs ensemble, tous assez mal en point. Avec notre état de fatigue, c'est maintenant que cela devient dangeureux. " Denis, c'est magnifique. Tu sais qu'on peut finir en moins de 4h30. J'aurais signé pour un tel temps " me dit-il. Moi aussi ! Mon collègue, toujours prévenant me fait alors passer un sachet gluant de gros sel mélangé avec des fruits secs. C'est censé nous booster. Je manque de le vomir mais finalement ça me relance. Cela aura malheureusement l'effet inverse sur mon compagnon. Il finira au radar les derniers km, l'estomac en vrac. Du coup, je suis bien embetté. " Qu'est ce que je fais maintenant ? Vu sa défaillance, si je l'attends, je vais rater la barre des 4h30. J'espère qu'il ne va pas m'en vouloir !" et je fonce vers l'arrivée.
Drôle de Moynot
A 5 km du but, je rattrape, Mlle Moynot claudiquant comme si elle était tombée de son nid. " Oh Cécile tu me remets, je suis le journaliste de la télé !" Elle me regarde lentement et me sourit comme si de rien n'était. " Oui, je t'ai reconnu. J'ai explosé au 30 ème m'apprend-t-elle. J'ai des problèmes ligamentaires un peu partout. Je ne peux pas aller plus vite " Je lui dis alors " C'est dingue vous les filles. Vous n'en rajoutez jamais. Tu me dis que tu es morte et je te vois toujours aussi souriante, le visage presque reposé . Tu m'épates ". Mais je ne l'attend pas après ce qu'elle a fait subir à mon copain Ludo, pas de pitié ! Du coup, je me sens de mieux en mieux. Ca sent l'écurie à plein nez et le chemin descendant est de plus en plus roulant. Alors que je dépasse pas mal de gars, un fusée m'interpelle " Allez France 3. Plus que 3 bornes " . C'est un gars de la Canourgue. Il finira 1er Lozérien en 4h22. Je déroule et je me retourne une dernière fois. Stéphane a disparu. Maintenant, j'entends distinctement là-bas, au loin, la sono à l'arrivée. " Yes !" A 300 mètres de la ligne, je tape un sprint avec un audois chevelu, comme cela, pour le fun. L'arrivée est magnifique avec le tapis rouge et beaucoup de fleurs. je lève les bras pour les photographes. Ludovic m'attend juste après la banderolle pour me féliciter. Je finis 114 ème et 30 ème V1 en 4h25'03" soit exactement 59'47", derrière le vainqueur, dans la même heure donc qu'un breton dur au mal nommé David Pasquio. Un pur celui là. A l'arrivée, il dira " Je m'en fous de l'argent. J'ai gagné un couteau Laguiole et je suis content. J'ai traversé un pays magnifique. Voilà, je suis, heureux. j'ai eu beaucoup d'émotion à l'arrivée, j'ai pleuré. C'est pour cela que je cours, pas après les cachets dans les petites courses de village, je m'en fous de ça". Les poireaux derrière recoivent une plaque en métal de finisher qui sent bon la peinture. C'est le genre de récompense remise aux éléveurs de bétail lors des concours agricoles. C'est une bonne idée. L'émotion est forte. " Franchement, Denis, tu m'impressionnes, me dit Ludo. Tu as un de ces mental toi !" " Ouais, ouais, je lui réponds, mais là, j'ai eu tellement mal aux tendons, que franchement, j'ai du mal à apprécier. je ne sais pas comment j'ai fait pour arriver jusque là. J'ai pensé abandonner plusieurs fois. " Et je me mets à sangloter comme un enfant, comme le vainqueur à l'issue de sa course. Je suis heureux. Chacun à notre niveau, nous vivons de grands moments parfois incompris par ceux qui ne font pas de compétition. Puis le speaker m'interpelle : " Alors, comment ça s'est passé ?" " Et bien, pour tout vous dire, ça a été l'enfer au paradis " et je m'allonge sur le goudron. J'ai des crampes aux 2 jambes. Il était temps d'arriver. Stéphane est bientôt là en 4h26'41". Bravo ! De même qu'Alexandre en 4h35. Serge est,en revanche, dans une autre galère. 6h23 mais classé dans les 1000 premiers. Le dernier finira en 8h07 à 1202ème place .
Après l'effort, le réconfort et aligot pour tout le monde. Je croiserai le meilleur régional, Emmanuel Gault, d'Uzes, 8 ème en 3h36. il m'a répété plusieurs fois cette phrase qui résonne dans mon cerveau malade d'aventure : " Tu verras. Maintenant que tu as fini ton premier trail, tu ne vas plus pouvoir retourner faire des marathons sur la route . Mec, t'es piqué ! " 2 jours plus tard, je m'inscrivais à la mecque des courses : les Templiers. 67 km, 3000 de dénivelé. Mais, ça, c'est une autre histoire.
Hippolyte 30
3 commentaires
Commentaire de titifb posté le 29-06-2007 à 07:36:00
Bravo Denis pour cet excellent CR bien digne du journaliste sportivo-humoriste que tu es !!! Tes récits sont des romans tellement imagés qu'on a pas besoin de photos pour voir (ou imaginer) ce que tu décris avant talent ! Merci...
Commentaire de gdraid posté le 30-06-2007 à 19:27:00
Merci Hippolyte30 pour ce reportage de qualité.
L'Aubrac dans toute sa beauté, nous ravit au fil de tes lignes.
Ta souffrance est palpable, kilomètre après kilomètre, mais tu ne "bâches" jamais, comme tu dis, qui plus est, tu termines en seigneur, dans un temps de champion, comme tu le dis aussi, fièrement, à moins d'une heure du premier.
Bravo au coureur, bravo à l'homme.
Tes qualités humaines, se passent largement de l'étiquette de journaliste...
J'ai lu avec beaucoup de plaisir, ton mini-roman.
JC
Commentaire de NoNo l'esc@rgot posté le 01-07-2007 à 16:38:00
Tiens un récit d'Hippolyte30 ? Connais pô...
J'voulais juste jeter un oeil, pour voir de quoi ça
parlait. Je n'ai pas pu lâcher le morceau, j'aime
quand un récit me tient comme ça ! J'aime !
Merci pour ce magnifique reportage et la bonne dose
d'émotion du début à la fin, et les titres accrocheurs.
On sent à chaque pas le journaliste embusqué derrière le trailer !
Au plaisir de te relire.
L'escargot_du_Revermont...
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