L'auteur : chococaro
La course : Marathon de New-York
Date : 1/11/2020
Lieu : New York (Etats-Unis)
Affichage : 1584 vues
Distance : 42.195km
Objectif : Pas d'objectif
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Joie qu’au vide du marathon de New York succède plein de médailles !
CAROLE
Mais qu’est-ce qui a bien pu me passer par la tête ? Nous sommes le 31 octobre 2020, 8h30 du matin, je suis dans ma campagne, le brouillard masque le paysage et j’ai décidé il y a deux jours que j’allais prendre le départ du New York Marathon Virtuel, moi qui ne cours qu’en montagne…..
Retour sur image. Nous sommes en novembre 2006, je passe la ligne de mon premier marathon, à New York. Après plus de 10 ans de bénévolat à l’Hôpital des Enfants de Genève dans le service d’oncologie, j’ai décidé de créer mon association pour proposer aux enfants et aux familles des moments de rêve et d’évasion, des bulles de plaisir hors de l’hôpital et des traitements. Ce marathon de New York symbolise la création de Courir…Ensemble.
J’y ai consacré un an et demi, tout planifié dans les moindres détails, plan d’entraînement, je pars de zéro, matériel, alimentation, voyage, tout est sous contrôle. Je me suis mise une pression énorme, avec le recul je me trouve presque ridicule mais sur le moment j’étais à fonds. La course s’est bien passée avec tous les ingrédients d’une aventure humaine et physique. J’y ai ressenti l’émotion du départ, les jambes qui répondent bien, les larmes en débouchant sur la première avenue, la souffrance physique ultime, je me souviens de mes efforts pour essayer de dissocier mes jambes qui ne sont que douleur du reste de mon corps. Les derniers kilomètres seront parcourus les yeux fermés, guidée par les acclamations du public mais surtout portée par les enfants restés à l’hôpital et par ma famille. Le chrono, inférieur de 20 minutes aux prévisions les plus optimistes complète le bonheur d’avoir réussi mon pari.
Suivront encore quelques marathons mais la route m’ennuie et c’est en m’inscrivant à Sierre-Zinal, sans le moindre entraînement de dénivelé, que j’aurai une révélation : c’est là que je veux courir.
La suite, une Saintélyon pour oser dépasser la distance du marathon et quelques ultras en montagne ou dans le désert, bien loin du bitume et de la route.
Alors pourquoi un marathon virtuel, toute seule et sans entraînement ?
L’année 2020 devait marquer mon retour sur le marathon de New York, mais pas seule, avec les joëlettes, les capitaines et l’équipe de coureurs de Courir…Ensemble. Après 10 ans à emmener les enfants malades sur des semi marathons en Suisse ou en France et même sur les 10km du marathon de Chamonix, nous voulions passer le cap du marathon et quoi de plus symbolique que de retourner à New York 14 ans après ?
Le projet recueille l’enthousiasme de toute l’équipe, nous obtenons nos dossards pour les coureurs accompagnants très facilement via la même agence qu’en 2006. Cela se gâte quand je demande l’autorisation d’emmener nos joëlettes. Les américains les refusent mais ont créé depuis deux ans une catégorie « duo-team ». Un coureur qui pousse un fauteuil adapté avec un passager. Nous y inscrivons nos deux équipages et j’apprends qu’il n’y a que 8 équipes qui seront sélectionnées. Je n’en parle pas à mes coureurs, pas la peine de les inquiéter. Avec l’achat de deux fauteuils marathon, le budget enfle et je trouve dommage de n’emmener que deux capitaines.
C’est en lisant le super récit de Tom que je me souviens que la veille du marathon se déroule une course de 5km et je découvre qu’elle est ouverte aux enfants. Génial, nous emmènerons donc 4 capitaines. Depuis le début de ce projet, je me triture le cerveau pour que Jayson fasse partie du voyage. C’est ce petit bonhomme et son courage qui m’ont motivée à reprendre la course après mon accident et je sais que visiter New York est son rêve. En plus son papa Bruno court avec nous. C’est une évidence, il doit faire partie de l’équipe.
Le logo de l’aventure est créé, Ben qui a accepté d’en écrire l’histoire trouve son nom : « Un Chemin de Liberté », la plaquette est imprimée, nous sommes dans les starting blocks pour lancer la communication, tout est prêt.
Début janvier, le résultat du tirage au sort des duo teams est publié, une seule de nos équipes a son dossard. Zut mais c’est mieux que rien et je contacte de suite notre agence pour obtenir deux dossards de plus, on trouvera bien un moyen pour que notre second fauteuil puisse participer au marathon.
Fin mars, nous devons tous nous retrouver pour un week-end à Chamonix, je prépare les animations, j’ai hâte que tout le monde soit réuni……. Patatras…..personne n’avait prévu la suite mais nous allons devoir cohabiter avec un invité surprise pas vraiment convié à la fête, le Covid-19
Chamonix est annulé. J’accuse le coup mais je me dis que novembre c’est très loin et que d’ici-là, le Covid aura disparu…..
De toute façon, il n’est pas question de baisser les bras et d’abandonner notre projet. Durant tout le confinement je passerai trois jours par semaine avec les enfants à l’hôpital et je partagerai leur combat, leur angoisse et leur isolement total à cause des restrictions liées au Covid. Ils seront mes moteurs. Je dois réinventer ce projet, donner vie à cette équipe dont tous les membres ne se connaissent pas forcément.
Heureusement, je ne suis pas seule, et de nos réflexions, sortiront de chouettes moments de découverte et de partage. Au lieu de présentation en « vrai », chacun réalise une petite vidéo sur whats app. Nous échangeons par visio et nous gardons l’espoir de fouler les rues new-yorkaises en novembre.
L’été arrive et avec lui l’annonce officielle de l’annulation du marathon de New York. Ce n’est pas une surprise, nous nous y étions préparés. Très vite l’agence nous assure du report de nos dossards. Malheureusement, pour les duo teams, il faudra repasser par un tirage au sort mais à ce stade, c’est un détail…..
Début septembre, nous profitons d’une accalmie entre les deux vagues pour passer un week-end dans le Jura. Moment fort de partage, de discussion. Notre équipe est soudée, motivée mais réaliste sur le futur hypothétique d’un marathon à New York. Nous vivrons un vrai moment d’émotion lorsque la maman de Jayson partagera avec nous tous ce que les joëlettes et les projets Courir…Ensemble ont apporté à son fils et à toute leur famille durant les longues années de combat contre le cancer.
Nous avions prévu que le premier marathon de Courir…Ensemble se déroulerait fin octobre, et bien tant pis pour New York, nous le courrons chez nous, dans la campagne genevoise.
Je repars dans une organisation minutieuse, compatible avec les restrictions en vigueur, je passe de longues nuits de réflexion à imaginer et prévoir toutes les situations. Nous pouvons nous réunir à 50 personnes. Cela me laisse la possibilité de convier plusieurs de nos familles. Tout est organisé au millimètre, les ravitaillements personnels, la course en boucle, la sécurité à vélo etc etc.
Malheureusement, plus les jours passent, plus les mauvaises nouvelles s’accumulent et plus notre événement rétrécit. Plus d’enfants sur les joëlettes, plus de joëlette, plus de repas, plus de course, plus rien ?
C’est mal me connaître 😉
J’ai repéré depuis plusieurs semaines sur le site officiel du marathon de New York, la possibilité de courir une édition virtuelle qui permet d’obtenir, contre participation financière, la médaille de la course. Seul prérequis, être inscrit sur Strava ce qui pour moi est peut-être le plus gros souci…..
Compte tenu de l’annulation de notre voyage, tous les coureurs ne sont pas prêts physiquement pour courir un marathon mais j’ai quelques gazelles dans mon équipe et j’imagine que l’on devrait réussir à obtenir 4 médailles à offrir à nos capitaines.
Plus que la médaille en elle-même, je veux leur envoyer un signal fort. Si eux n’ont jamais eu le choix d’abandonner le combat contre la maladie, et bien nous non plus on ne va rien lâcher, nous sommes, à notre modeste niveau, solidaires de leur bataille.
Je fais le compte de mes coureurs potentiels, c’est tout bon, nous aurons au moins 4 guerriers et cela me rassure parce qu’en ce qui me concerne, j’ai complètement lâché l’entraînement depuis presque un mois, ce qui ne m’arrive jamais. Ma maman traverse un moment compliqué dans son combat contre deux cancers et je l’accompagne tous les jours pour ses traitements. Plus le temps et plus l’envie de courir.
Je n’imagine pas encore le coup de tonnerre que va déclencher l’annonce de votre président, juste deux jours avant notre marathon virtuel. Nouveau confinement en France, je suis hallucinée devant ma tv quand je comprends que la moitié de notre équipe ne pourra pas aller chercher la médaille. Comment courir un marathon en une heure à 1km de chez soi ???
Ce n’est pas possible, je fais le compte de mes coureurs helvètes, on y arrivera pas.
C’est à ce moment que je reçois un message de Ben qui part pour son entraînement du soir, nous sommes jeudi 17 heures, dans 4 heures le couvre-feu sera en place et le confinement avec.
Je suis tellement dans le brouillard que je ne réalise pas ce qui va se passer. Ben m’a envoyé la trace de sa sortie, je peux le suivre. Ce n’est pas dans ses habitudes mais dans ma tête c’est le bazar et ce n’est que quand il dépassera les 30km que je vais réaliser ce qu’il est en train de faire…….un marathon, son chemin de liberté, après une journée de travail, dans les rues de Lyon, pour nos enfants.
Je ne quitte pas l’écran de mon téléphone des yeux, 35, 36, je pleure, pas de tristesse mais d’émotion, dans mon cœur c’est l’explosion, je repense à notre petit Noah qui nous a quitté début septembre et qui me manque cruellement, à notre équipe de coureurs qui ne lâche rien. Je fais le compte des médailles, 38, 39, il va y arriver, et moi ????? J’ai deux jambes, une motivation sans limite, une évidence, je vais aussi aller chercher une médaille, 41, 42km195. Il l’a fait. Je hurle dans mon salon et j’annonce à ma famille, qui en a vu d’autres, que samedi matin, je vais aussi courir mon marathon. Ça ne les étonne pas plus que ça……
BEN
Message whats App vers chococaro :
« 17h17 Départ.... et retour avant 21h because avant d'être confiné, on a couvre-feu »
Réponse immédiate :
« T’as presque le temps de courir un marathon 😉🤩🤩 Profite !!! »
Eh, mais elle me met au défi de faire un marathon là ou quoi ?
Je lui avais dit dans l’après-midi que j’étais prêt à faire un truc ce soir, mais vu mon boulot et le couvre-feu de 21h , qui précède le nouveau confinement, il me serait assez difficile de faire cette course pour les enfants dont on avait projeté de faire un évènement à la fois sympa, solidaire et festif, à l’image de l’association Courir…Ensemble que Carole inspire si bien.
J’avais tourné dans ma tête toutes le possibilités de me rendre en Suisse ce week-end pour tourner, même en mode à distance de sécurité sur le parcours imaginé par Carole.
L’annonce hier soir du reconfinement avait mis fin à toute hésitation. Si je veux faire mon marathon et rester dans les règles, je dois le faire ce soir, après ma journée de télétravail. L’idée m’a donc travaillé toute la journée.
Bon, je suis parti, on verra bien. J’ai éteint l’ordi il y a 5 minutes, le temps d’enfiler un short et remplir 2 flasques… je pars en laissant à Carole mon lien livetrack si jamais elle veut me suivre.
J’habite dans les hauteurs de Lyon. Le début du parcours est donc forcément en descente. J’ai le temps d’habituer mon cerveau et mes jambes et me préparer un peu à ce qui m’attend.
Oui, le marathon, pour moi, c’est un peu Rendez-vous en terre inconnue. Certes j’ai couru 2 marathons il y a 8 ans, mais depuis, rien sur route, que du trail ou quelques semi-marathons.
Mon entrainement spécifique marathon s’est limité à une sortie avant-hier sur 13 km à douzaleur.
Je pensais avoir un peu de temps pour récupérer et préparer notre fête de samedi prochain avec ce marathon fait en groupe à allure très cool, pour aller chercher les médailles pour les enfants.
Sauf qu’entre temps, notre président a décrété hier soir que notre espace vital devrait désormais se résumer à un cercle d’un km autour de notre laisse… et surtout l’expérience de poisson rouge commence ce soir, après le couvre-feu qui avait déjà enflammé les soirées de notre vie depuis 15 jours.
Laisse tomber la médaille pour les enfants, plus possible… sauf si ce soir… j’arrive à casser la voie pour changer le cours du temps.
Bon, la porte de la maison est refermée. Je suis dehors, devant le chemin de liberté qui doit me mener à ce que je suis venu chercher : une toute dérisoire médaille, mais qui n’a que trop d’importance par rapport à tout ce qu’on a vécu ces derniers temps.
Je commence à allure modérée par prendre les rues autour de chez moi. Il y a plein de voitures partout. Les gens sont pressés d’aller dévaliser les derniers rouleaux de PQ disponibles dans les magasins afin de pouvoir s’emmerder tranquilles dans leur coin les prochains jours.
Je commence à délirer sur le nombre de rouleaux de PQ qu’il faudrait dérouler pour faire 42,194 km… Mais non benman, ton cerveau ne doit pas penser à ça, tu n’es pas encore au bout du rouleau.
Je retrouve donc le parc de la Garde et la voie Verte, qui habituellement me servent de parcours pour mon vélotaf quotidien. Depuis qu’une gentille dame de la sécu m’a déclaré « cas contact », mon parcours de vélotaf est devenu beaucoup plus simple ces derniers temps, puisqu’il va de mon lit à mon bureau qui est juste derrière la cloison. Des fois, j’ai même le temps le matin de foncer au ravito au fond du couloir, et commencer ma première visio en finissant ma dernière tartine.
Je ne vais pas en faire des tartines, mais cette expérience forcée du télétravail en continu remet en cause plein de notions dans nos vies : le rapport aux autres, l’importance d’être présent physiquement, la substitution du réel par le virtuel. Facialement ; nous avons démontré que dans le type de boulot de « bureautier » que j’occupe, le virtuel peut remplacer le réel avec parfois même davantage d’efficacité, puisque le temps de trajet disparu peut générer du temps de travail en plus…
Il me faut un exutoire réel à cette situation de malaise virtuel.
Repenser au combat des enfants de l’hôpital de Genève contre ce cancer qui leur enlève petit à petit toutes les parcelles de vie réelle qu’ils ont en eux me fait relativiser mon virtuel combat.
J’arrive à Vaise. J’ai pu accélérer dans la descente pour me caler sur un rythme de douzaleur que je compte bien tenir le plus longtemps possible. Je passe au kilomètre 12 en une heure et 24 secondes.
L’avantage du marathon par rapport au trail, c’est que les prévisions de temps sont assez simples. Tu te cales sur ton rythme, et surtout tu essaies de ne pas bouger une oreille pour faire linéairement ton voyage intérieur.
Le mien se poursuit le long des quais de Saône. Le coucher de soleil depuis l’île Barbe est superbe. La nuit s’installe sur un ciel rose comme la couleur du T-Shirt que revêtent les coureurs quand ils courent contre le tropisme du cancer. J’envoie rapidement la photo à Carole pour lui donner quelques nouvelles. Si je suis là, en pleine introspection, c’est quand même grâce à elle.
Je n’ai pas vraiment préparé un itinéraire précis. Je sais que ce qu’il y a de plus plat à Lyon, ce sont les quais. Ils sont variés et nombreux entre Rhône et Saône. Pour rejoindre efficacement les 2 fleuves sans montée ni voiture, il y a un tunnel sous la croix rousse dit « tunnel mode doux » dans lequel les kikoureurs à sa création ont rapidement mis en place un trophée du plus rapide.
La délivrance est-elle au bout du tunnel ? Probablement pas, mais ce petit moment se fait au chaud, avec de la lumière, alors que la nuit s’est gentiment installée.
Déjà ma tête dort quand je franchis la porte du parc de la Tête d’Or. Je ne suis pas un inconditionnel de ce spot à joggers lyonnais, mais il faut reconnaitre que c’est pratique d’y courir en rythme en trouvant un lièvre.
Je suis parti pour faire juste un tour du parc puis aller plus loin vers la Feyssine, dans des contrées lointaines que je ne connais pas bien. En fait je ferai 4 tours de parc en tout.
En effet, après environ un demi-tour, je croise Bernard, alias Zeze. J’en suis à 19 km.
Je ne le sais pas encore, mais il va devenir un saint, Bernard. Je le croise donc avec juste un bonjour, n’étant pas sûr de l’avoir bien reconnu. Il me rattrape en me disant pas si vite. Cool, on peut discuter un peu. Je lui explique alors que je suis en plein marathon virtuel au profit d’enfants bien réels.
Il passe immédiatement en mode pacer, ce qui est nettement mieux que le partenaire virtuel que j’aurais pu brancher sur ma montre pour me donner le rythme. Zeze me donne plein de conseils, on discute un peu (enfin, surtout lui, car moi je suis un peu limite). Bernard est en phase de reprise après un 24heures sur circuit. Je ne mesure pas très bien la difficulté d’un tel exercice, tellement cela est loin de ce que j’aime : les grands espaces et la diversité quand je cours…
En bouclant ces tours de parc, je me vois en, hamster grignotant petit à petit les fils qui me retiennent à une vie de semi-liberté depuis quelque temps.
Zeze a un sacré rythme. J’ai passé le semi depuis un bon moment. Nous prenons les chemins les moins bitumés du parc, avec quelques variantes autour du lac. Je ne fais pas gaffe dans le noir, ce qui provoque une belle extension du genou dans une flaque. J’avais oublié que sur marathon, tout petit incident anodin peut avoir des conséquences pour la suite.
Après 12 km de pacing à retarder l’inéluctable, je quitte Bernard au pied du mur des 30 km.
Mon rythme, très régulier jusque-là (semi en 1h46), commence lentement à décliner. Je connais un peu cette sensation de ne plus pouvoir relancer suffisamment, et être content de faire un kilomètre dans un temps qui quelques heures auparavant nous aurait paru beaucoup trop lent…
Il est là le combat du marathon : un combat contre le déclin physique inéluctable matérialisé par un chronomètre qui ne s’arrête jamais de tourner, alors que nous aimerions justement arrêter de tourner.
Derniers conseils de mon saint Bernard avant que je ne parte en tonneaux : lève les pieds, garde la tête droite. Je lève effectivement le pied, mais pour de bon cette fois. L’autre ne suit pas, c’est bien dans la tête que ce n’est plus droit. Je suis le Rhône pour repasser par la presque-île et la place Bellecour. C’est là que d’habitude la (grande) roue tourne. Km 34. Un petit coucou à la statue équestre de Louis XIV. J’ai un corps plutôt à la Louis XVI, sauf que ce sont les jambes qui sont coupées. Mon genou commence à me faire souffrir.
Je passe devant la cathédrale Saint Jean Baptiste. Tiens encore un qui a fini la tête coupée me dis-je en dodelinant de la tête pour m’assurer que tout est là.
J’avance encore au rythme supersonique de 6’ au kilo.
Dans quelques instants, la route va s’élever pour rejoindre Fourvière par la montée du Chemin Neuf, la mal nommée. Je cherche bien un chemin neuf dans ma tête. Mais je ne trouve que de la montée avec une furieuse envie de m’arrêter, de marcher et profiter un peu de la vue qui s’élève sur le Vieux Lyon illuminé à mes pieds.
Là se pose la question existentielle que tout coureur s’est un jour posée : qu’est-ce que je fous là ?
Et c’est dans ces moments qu’il faut se remémorer le courage des enfants qui supportent au quotidien la maladie, et pour lesquels tu es allé chercher cette médaille qui leur apportera peut-être un peu de réconfort dans leur vie si difficile.
J’arrive à St Just. Je fais au plus juste pour rentrer chez moi sans ajouter de D+ : exit les théâtres romains ou la basilique de Fourvière et son esplanade, si prisés en temps ordinaire par les coureurs urbains. J’ai plutôt l’impression de rentrer du turbin. Je tente de remettre en marche les turbines en passant devant le haut de la Ficelle.
Oui, à Lyon nous avons 2 ficelles. Ce sont ainsi que sont surnommés les funiculaires qui rejoignent le Vieux Lyon aux hauteurs de Fourvière. Je suis usé jusqu’à la corde, je me raccroche donc à l’idée que cette ficelle m’aidera à redonner vie aux deux baguettes qui me servent de moyen de locomotion.
J’avais quitté le parc et Zeze sans savoir exactement combien de kilomètre il me faudrait pour revenir chez moi et finir mon marathon sans avoir besoin de m’arrêter avant d’être arrivé à la maison. Je suis super ricrac pour le couvre-feu et le confinement qui s’annonce à 21h, youpiii. Si je ne veux pas déborder, je n’ai le choix que de courir jusqu’au bout et passer les 42 km dans ma rue.
Sauf que je sais maintenant que je suis à moins de 3 km de la maison, et je ne suis qu’au kilomètre 37. Va donc falloir faire des tours ou des détours. Me vient alors l’idée lumineuse d’aller tourner dans le parc de la mairie du 5ème arrondissement. Je n’avais encore jamais eu l’occasion d’en faire le tour à pieds, alors que je le traverse tous les jours à vélo.
1er tour, ah oui, c’est pas très long, 330 m exactement. Donc si je veux viser juste, il faudrait faire environ 8 tours. C’est lugubre dans le parc. Il n’y a personne, pas de lumière, et je fais le hamster en pleine nuit. Quand je vais sortir de cette cour de prison, je serai un fugitif dans la nuit, car il va être 21h dans quelques instants. Vraiment chouette cette année 2020 qui nous aura proposé plein de recettes de confinement et de privations en tout genre. Et je vais encore me plaindre, ça ne va pas augmenter ma vitesse. Donc, hop, je remets le cerveau à l’hôpital de Genève, et les douleurs s’effacent devant une sérénité qui revient au fur et à mesure que je comprends que je vais le finir ce marathon. Dernier petit détour pour m’assurer que les 42 y sont bien. La montre va même me donner un peu plus. La délivrance est là.
Il est 21h et quelques minutes, j’ai mis un peu plus de 3h50 pour boucler ce marathon. La fin a été horrible, mais je peux enfin me confiner pour quelques semaines avec le sentiment du devoir accompli.
J’arrive à la maison. Je me pose dans le canapé comme si de rien n’était.
Mon épouse me demande si j’ai bien couru. Je ne l’avais pas vue avant de partir. Je lui dis que je l’ai fait. Elle me demande quoi ? Ben le marathon pour la médaille des enfants.
Ah, hein, t’as fait ça ce soir ?
Bon, elle va vite comprendre que je ne bluffe pas. Je lui demande un peu à boire, je suis incapable de me lever, à peine capable de tenir mon verre…en PLS pendant 20 minutes sur le canapé.
Quelle drôle d’aventure ! j’aurai totalement improvisé ce marathon en off. Je suis heureux d’y être arrivé, d’avoir fait un temps raisonnable, mais surtout d’avoir pu rechercher loin dans ma tête ces images de ceux pour qui je le faisais.
Je vois les images de Elodie, de Jayson, de Raphaël qu’on aurait dû accompagner dans ces merveilleuses joëlettes qui permettent tant de partage et de fous rires.
Je pense à ce magnifique week-end que nous avons passé dans le Jura Suisse avec toute l’équipe du projet New-York, à l’investissement incroyable de Carole et toute sa famille dans cette cause auprès des enfants malades et leurs familles pour leur apporter un peu de bonheur.
Je pense à ces moments très émouvants au cimetière de Noville, au bout du lac, il y a quelques semaines pour dire adieu à Noah, parti trop vite au pays des petits anges.
Je pense à Carole. Je sais qu’elle me suit, car mon téléphone a crépité, je sais grâce à ma montre qu’elle a envoyé des messages d’encouragement pendant ma course. Je remonte le fil et vois tout le soutien dont j’ai bénéficié. C’est ça la magie de Courir… Ensemble, même si aujourd’hui j’ai couru confiné et seul.
Je sais aussi que ce que j’ai fait donnera du courage aux autres pour à leur tour réussir à faire ce marathon chacun de son côté. Fred nous avait donné la voie en début de semaine, je suis le 2ème, et il y en aura encore d’autres. Mais je ne sais pas encore que Carole à son tour va se lancer dans ce défi, seule.
Chaque jeune aura sa médaille. Ce sont nos capitaines ad hoc pour nous procurer des moments de partage où on se sent utiles. Je suis fier de faire partie de cette belle équipe.
CAROLE
Il reste deux nuits qui ne seront pas vraiment reposantes. Très vite, le côté technique est mis en place. Le parcours restera celui que j’avais tracé lorsque nous avions encore l’espoir d’emmener nos joëlettes. Je ferai 7 boucles de 6km, le terrain est plat, majoritairement du bitume. Un arrêt ravito tous les 6km dans le coffre de ma voiture.
En même temps que moi, d’autres coureurs relèveront le défi. Xavier dans le Jura, notre gazelle qui claquera un temps supersonique, Anthony qui fera de son marathon une aventure familiale avec ses trois enfants, Fred a participé au marathon officiel sur le circuit du Castelet il y a une semaine, Vincent courra en terre vaudoise et Moïse dans le Mandement.
Si vous avez suivi et bien compté, je les ai mes 4 médailles, je n’aurai donc pas besoin de courir. Oui …mais non…. Noah m’a montré l’exemple durant les 6 ans de son combat. Qu’est-ce qu’il rirait de me voir trembler de froid toute seule dans le brouillard de ce matin d’octobre. Il me sortirait une phrase pleine d’humour et me décrocherait un dab d’encouragement. Pour lui, pour les autres, je ne veux pas rester au bord de la route, je veux courir, je la veux moi aussi cette médaille. Une revanche sur le Covid ? Peut-être ? Une revanche sur les séquelles de mon accident ? Certainement.
En ce samedi matin, si tout le monde boucle son marathon, nous aurons 7 médailles. De quoi mettre des étoiles dans les yeux des enfants et des ados.
Mais pour le moment, pas de calcul, il faut y aller.
8h30, je suis frigorifiée, dans ma voiture, mais qu’est-ce que je fais là ? Heureusement la magie de whats app fonctionne. Nos capitaines, nos familles, les coureurs, tout le monde communique et ça me donne la pêche.
C’est parti ! Très vite je me réfugie dans ma bulle, je ris du grand écart entre le marathon de 2006 où tout était planifié et celui de 2020 totalement à l’arrache.
Je suis partie sur un rythme super lent, j’ai pris du poids et ma course est tassée, sans légèreté mais étonnamment, je ne me pose pas la question de savoir si je vais terminer. C’est une évidence et quand on me connaît, déjà ça c’est un miracle.
Première boucle, l’arrivée au ravito est réfléchie depuis plusieurs kilomètres, je ne veux pas perdre de temps. Je me réchauffe avec du thé, croque une barre et c’est reparti. Après quelques mètres, magnifique surprise, ma fille Morgane est là, en tenue, elle m’accompagne sur deux tours. Pour elle, son record de distance et de temps de course. Elle a souvent été présente sur mes arrivées ou mes assistances mais c’est la première fois qu’elle court avec moi sur un objectif et c’est un immense bonheur de maman que je vis avec elle à mes côtés. Nous reparlons de cette inoubliable Saintélyon 2019, de son assistance, seule sur les routes et sous la pluie pour m’apporter des vêtements secs. De notre arrivée à Lyon, une victoire pour moi bien au-delà du sport mais ça, si vous m’avez lue, vous le savez.
Nous papotons sur la deuxième boucle mais dès le milieu de la troisième, les rôles s’inversent, Morgane entre dans le dur, c’est à moi de la motiver et de l’aider. Elle terminera la troisième boucle et nous sommes rejointes par mon fils sur sa moto. Mes deux enfants solidaires de mon effort solitaire, c’est un bonheur immense.
Trois boucles, même pas encore à la moitié. Les jambes tiennent à part un mollet qui donne des signes de crampes. Pourtant je bois et je m’alimente correctement. Je suis d’ailleurs étonnée de n’avoir aucun souci de digestion. Ça fait très longtemps que cela ne m’était pas arrivée. Je comprends que, contrairement à une course avec dossard, je suis étrangement détendue. Il faut vraiment que je travaille ce point avant mon prochain ultra.
Allez, c’est reparti, je suis à nouveau seule, le brouillard ne se lève pas, je suis mouillée et l’humidité me glace les os. Je rentre à nouveau dans ma bulle et je passe la mi-course.
Fin de la quatrième boucle, j’ai de plus en plus mal aux jambes et j’ai besoin du réconfort de mon équipe après celui de ma famille. Mon téléphone déborde de messages. Que c’est bon, je commence la lecture en repartant sur la quatrième boucle mais une chute évitée de justesse me fait comprendre qu’il faut rester concentrée.
Je lis que Vincent, Anthony et Moïse courent en même temps que moi. Je ne peux pas l’expliquer mais de savoir que nous sommes plusieurs dans le même effort, en même temps, ça me donne une énergie décuplée.
Je vois que Jayson, Elodie, Paulo, ma Chocolateam, les parents de Noah, et d’autres sont avec moi, autant de raisons de ne rien lâcher même si je comprends que la suite va se compliquer.
La cinquième boucle sera terrible. Je décide de tourner dans l’autre sens et je perds mes repères. Pour la première fois je me dis que je terminerai en marchant. Ne me demandez pas pourquoi, je me suis mise dans la tête que je devais courir les 42.195km. Je ne sais pas si on peut parler vraiment de course, je pense que j’irai plus vite si je marchais mais c’est encore une de mes idées fixes.
La fin de la cinquième ressemble à un chemin non pas de liberté mais de croix. J’ai mal partout. Allez encore quelques messages pour me motiver. Les autres coureurs ont terminé, il ne reste plus que moi, encore 12km !!!!
Sixième boucle, je repars dans le sens du départ, et comme par enchantement, les sensations s’améliorent. Je suis complètement dans ma bulle, je revis des moments forts partagés avec les enfants de Courir…Ensemble lors de nos voyages. J’arrive à entendre mon Noah, à ressentir sa présence réconfortante.
Septième boucle, je change de tenue, le brouillard est toujours dense mais pour le dernier tour, je revêts le t-shirt de la Chocolateam. Ils ne se doutent pas du soutien qu’ils m’apportent depuis un an. Combien de fois je suis passée par des moments de découragement et c’est ce lien que nous partageons, à distance, qui m’a redonné l’énergie de continuer.
Je reste concentrée, il reste quand même 6 kilomètres, ce n’est pas rien, pas question de laisser les émotions prendre le dessus pour le moment. Sentiment étrange, je suis presque nostalgique d’arriver à la fin.
Derniers 500m, mon fils et ma fille sont revenus pour vivre cette ligne d’arrivée virtuelle avec moi. Je suis rivée sur mon Garmin, 42km, 42,195 ……je peux m’arrêter. Encore un stress à gérer, que mon parcours soit bien enregistré sur ma montre. Une fois fait, je peux laisser les larmes monter et essayer de reproduire cette photo devenue un symbole, les bras levés.
Il me faudra du temps, depuis plusieurs heures, mon bras et mon épaule sont très douloureux. Mes nerfs endommagés n’apprécient pas le froid et l’humidité, ils ont été gâtés et la répétition des secousses sur le béton n’ont pas arrangé les choses. Je me conditionne, je crie mais j y arrive, les deux bras montent, je l’ai ma photo.
L’arrêt de l’effort est compliqué mais la satisfaction du défi relevé et le bonheur d’avoir apporté une médaille supplémentaire à l’équipe valait bien quelques courbatures.
Plus d’un mois ont passés depuis cette journée d’octobre, le bilan de l’aventure est plus que positif. Nous attendons nos 7 médailles et nous réfléchirons ensemble à leur distribution mais au-delà de cette récompense symbolique, cet effort solitaire m’a apporté bien plus qu’une médaille.
J’ai été touchée et très émue de la solidarité et de l’engagement de toute mon équipe. Ceux qui ont couru bien sûr mais des autres aussi qui nous ont encouragé et porté à distance.
Je ne pensais pas que l’on pouvait se sentir à tel point portée par une équipe moi qui m’entraîne et qui cours toujours seule. Ça a été une vraie découverte.
Le bilan physique a été moins positif je dois bien l’admettre. Si du côté des jambes tout s’est bien passé, je ne peux pas en dire autant de mon dos et de mon bras gauche. Sans doute que la sagesse aurait été d’éviter ce type d’effort et même si j’en paye le prix encore aujourd’hui, je ne regrette absolument rien. Comme me l’a dit ma kiné, si tu avais été sage après ton accident, ton bras ne bougerait pas d’un centimètre aujourd’hui….
Nous avons, ensemble, écrit un nouveau chapitre de notre Chemin de Liberté. Quel en sera la suite ? Bien malin celle ou celui qui pourra répondre mais ce qui est certain c’est que tant que la vie me donnera la santé je me battrais pour tous ces enfants de courage alors MERCI à toutes celles et ceux qui ont permis à la magie d’opérer une fois encore.
Merci à nos familles, à notre Chocolateam, à la fabuleuse famille Courir...Ensemble et à Kikouroù de permettre des rencontres qui rendent la vie plus belle !
Rendez-vous très bientôt pour de nouvelles aventures !
13 commentaires
Commentaire de L'Dingo posté le 01-01-2021 à 16:31:20
Ce que j'aime dans les récits c'est qu'il m'emmène où je ne pensais pas aller en cliquant sur le titre.
Et là, une double aventure, impromptue, qui vous cueille comme un double crochet droite puis gauche !
2 façons de vivre son marathon, Benoit en puisant dans son effort, Carole en repoussant ses limites, mais 2 reussites au final.
Dernier point, le marathon de jeux de mots de Benman est bien fourni et même s'il y n y en a pas 42, le compte est bon. :-)
Commentaire de Arclusaz posté le 01-01-2021 à 22:26:38
Alors là...........
merci, merci.
Commentaire de TomTrailRunner posté le 04-01-2021 à 18:17:51
oui toussa toussa :)
Commentaire de philkikou posté le 01-01-2021 à 22:27:14
Bravo pour votre énergie, volonté à fédérer, aider les enfants dans leur combat ! Vous avez inventé une nouvelle discipline : la marathon à obstacles ! Et malgré ces nombreux problèmes vous êtes allés au bout !!!
Commentaire de galette_saucisse posté le 02-01-2021 à 12:45:02
Superbe! Bravo à vous tous
Commentaire de Mazouth posté le 02-01-2021 à 13:36:35
Bravo ! Vous l'avez fait ! La Force est puissante en vous ;)
Commentaire de philtraverses posté le 02-01-2021 à 17:42:37
Bravo. Belle leçon d'humanité et de résilience.
Commentaire de Arcelle posté le 02-01-2021 à 19:28:17
Très belle double histoire, merci pour le partage !
Commentaire de bubulle posté le 04-01-2021 à 18:01:37
Hé bé. J'en suis bouche bée. Si j'avais su.....
Merci à tous les deux de faire des trucs pareils (à Lyon pour Benoît en plus !)
Commentaire de truklimb posté le 03-01-2021 à 23:40:32
Quel superbe duo vous faites Chococaro et Benman ! Merci 1000 fois pour ce que vous faites et pour votre façon de nous le partager...
Commentaire de Spir posté le 04-01-2021 à 23:18:53
Et ben, voilà une magnifique "Christmas Carole" ;) Merci pour ce très beau récit. Les enfants sont entre de bonnes mains !
Commentaire de BouBou27 posté le 05-01-2021 à 09:43:03
Très belle histoire, à raconter à ses petits enfants ;)
Commentaire de marat 3h00 ? posté le 06-01-2021 à 18:11:34
Qu'est ce qu'on se sent petit devant vous et vos exploits ! Vos motivations vous emmènent sur des chemins de liberté et de partage impressionnants. Bravoure aussi bien que bravo
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