L'auteur : Twi
La course : Trail Ubaye Salomon - 42 km
Date : 9/8/2020
Lieu : Barcelonnette (Alpes-de-Haute-Provence)
Affichage : 1441 vues
Distance : 42km
Objectif : Pas d'objectif
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Nous sommes en 2020. Si t’es pas sur les réseaux sociaux, t’existe pas.
La pire chose qu’il puisse t’arriver quand tu invites des amis à dîner, c’est pas de rater le dessert, c’est que la photo du dessert que tu mets sur Instagram soit floue.
Et si tu perds tes photos de vacances et que tu peux rien poster sur Facebook, le Code du Travail oblige bientôt ton employeur à t’accorder 15 jours de congés supplémentaires.
Dans ce contexte, inutile de dire qu’un trail dont la photo phare est celle là :
… est forcément une course ratée.
Mon récit pourrait donc s'appeler :
"Chronique d’un désastre annoncé..."
Hiver 2020
Une fois mes vacances planifiées dans ce joli coin, j’ai longtemps hésité à m’inscrire à cette course, ou plus précisément à m’inscrire sur le format 42km plutôt que 23km, eu égard à mon peu d’expérience en montagne. Chez moi en Normandie, un entraînement avec 1000m de D+, ça veut dire remonter 15 fois la même falaise de 60m. Alors s’inscrire sur une course en montagne estampillée « Elite », tu penses bien…
Bon, comme dans mon calendrier 2020, cette course vient après le Marathon des Sables (edit : ah bah non … reporté), le Circuit de la Sûre (edit : ah bah non … reporté) et l’UT4M Master (edit : ah bah non … reporté), je serai affuté comme un sabre laser … Je je clique en toute confiance, après m’être imprégné des récits enthousiastes des kikous qui m’ont précédé sur cette course.
Samedi 8 août, vers 14h, Barcelonnette.
Crise sanitaire oblige, on est prié de venir chercher son dossard la veille pour éviter la congestion le jour du départ. Si cette perspective ne m’enchantait pas au départ, elle m’a permis de venir découvrir Barcelonnette avec toute la petite famille. J’avoue ça vaut le détour cette jolie petite ville alpino-mexicano-provençale. Je pense que le vendeur de la boutique de jeux de sociétés dans la rue Manuel pourra remercier l’organisation de l’Ubaye Trail pour avoir sensiblement contribué à son chiffre d’affaires ce jour là.
Me voilà donc en train de faire la queue pour récupérer mon dossard. A 1m devant moi, un gars qui ne dit rien. A 1m derrière moi, un gars et une fille qui partagent leurs palmarès, l’un sa 4ème place actuelle au challenge des trails de Provence, l’autre sa victoire d’il y a quelques années sur le trail du Ventoux. Euh… c’est bien la file pour la course « Elite » ici ? Pas de problème, je suis à ma place.
Dimanche 9 août, Barcelonnette, rue Manuel
L’attente du départ a des airs de rentrée des classes ; pour la plupart des coureurs présents, c’est la première course avec dossards depuis le mois de mars. Malgré quelques aléas techniques qui retardent un peu le top départ, tout ce beau monde coloré attend sagement avec son masque sur le nez. Ambiance sympa sans être euphorique malgré tout : on est sur la course « Elite », on n’est pas là pour déconner.
Top, c’est parti ! malgré la frustration accumulée depuis de longs mois, j’ai rarement vu un départ aussi peu chaotique : fi des habituels coups de coude, queues de poisson et/ou autres « pardon je rejoins mon pote qui est devant ». Il faut croire que ce peloton est le seul endroit en France où on respecte les distances sociales.
Après 6km de plat, le peloton s’est étiré ; je crois que j’ai plutôt gagné des places sur cette portion, mais globalement pas trop. Enfin, j’ai trouvé mon rythme sans trop forcer, en profitant juste du fait d’être là, sous les applaudissements admiratifs des gentils promeneurs du golf.
Uvernet-Fours, km 6 - 60 D+
Le premier ravitaillement à Uvernet n’est pas pour nous, les Elites. Je ne m’arrête même pas. On attaque les choses sérieuses dès la sortie du village.
Le versant nord, les mélèzes et l’heure matinale offrent une ombre bien appréciable, profitons-en. L’ambiance dans le peloton est plutôt sympa, ça discute, ça échange des encouragements, ça déconne. Le sentier grimpe pas mal, mais je suis assez content de mon rythme qui me permet de me maintenir légèrement au dessus de l’allure de mes camarades de jeu.
On nous avait promis 4 cols, voilà le premier franchi, à 1800m d’altitude. Evidemment après le col de Baume Longe, ça redescend. Si j’ai bien compris, c’est un peu le principe du col (quand je vous disais que la montagne, c’est pas mon élément : on part de loin).
Changement radical de paysage en basculant sur l’adret, avec une végétation beaucoup plus clairsemée et sèche, le chemin surplombe les gorges du Bachelard, c’est sauvage à souhait (nonobstant la route qui passe quand même en contrebas). Je vais arrêter là la leçon de géographie car je ne me suis jamais aventuré aussi au sud dans les Alpes, donc je ne connais plus aucun des sommets qui nous entourent. Ce qui est certain, c’est que c’est splendide.
De toute façon, en tant qu’Elite, je ne suis pas là pour regarder le paysage. Plus prosaïquement, comme on est en descente, si je ne me concentre pas, je trébuche sur un caillou et je finis dans le ravin.
Le Villard d’Abas, 15km - 1800D+
Enfin, le ravito du Villard d’Abbas, où je ne suis pas mécontent de refaire le plein d’eau. De toute façon il n’y a rien d’autre. Pour le solide, c’était prévu, COVID oblige ; pour le liquide, il semble que des plus Elite que moi soient passés avant. Pas grave, j’adore l’eau plate. Je peste sur mon choix irréfléchi d’un camel bag légèrement trop petit pour mon sac, qui nécessite manipulations et vidage de sac sur le talus.
La circulation sur la route n’est pas neutralisée et un motard fait preuve de son agacement à grands renforts d’accélérations aussi bruyantes que dangereuses. Allez,y’a pas l’ambiance, on décolle. La barrière horaire était à 2h30, j’ai 19 minutes d’avance, on est large.
Le début de la montée nous fait traverser le « jardin des fleurs » -visiblement une institution de cette course- et je profite (déjà) de la douche mise à disposition pour me rafraîchir un peu.
L’ambiance est toujours bien sympa dans le peloton, même si on on transpire un peu sous les effets conjugués de la montée et de l’astre solaire. Le chemin nous amène au joli hameau de Cloche, puis au col du même nom (donc le col de Cloche, suivez, enfin !) … et de deux.
On est à 2000m d’altitude, et on rejoint les coureurs du 23km, ce qui amène un peu de sang neuf dans le peloton. Cette portion est plutôt plate, une monotrace courable dans les sous-bois, bien agréable après les bons raidillons qu’on vient d’avaler.
Bien qu’ils ne soient pas élite, je consens à échanger quelques mots avec certains coureurs du 23km, qui sont sympa quand même. J’avoue n’être pas capable de les distinguer à leur dossard, mais on voit bien qu’ils sont plus frais que moi. Une concurrente trébuche derrière moi « pardon, j’ai failli vous tomber dans les bras » … « Je ne demandais pas mieux » n’est plus une réponse acceptable, je me contente donc d’un truc du genre « ça va, tu ne t’es pas fait mal ». Elle va bien.
Pied du Lan, 22km - 1500 D+
Le troisième ravitaillement marque l’inéluctable séparation avec les coureuses tombées du ciel du 23km, et le début de la mythique montée du Chapeau du Gendarme. Avant cela, j’improvise à nouveau un combat homérique avec mon camel bag, qui ne daigne ni se remplir, encore moins réintégrer le sac. Si tant est que cette formule « ni … encore moins » est française, mais au point où on en est, on va pas chipoter sur des détails de grammaire.
La barrière horaire était à 4h30, j’ai presque une heure d’avance. Tranquille.
La course repart d’abord dans les sous bois, puis rapidement à découvert. Ça grimpe sec, on crève de chaud, l’air se fait rare, on transpire, on en chie, c’est génial, tout ce qui fait la beauté du trail. En contrebas, la vue sur la vallée de l’Ubaye et derrière les Alpes cottiennes sont de toute beauté. C’est trop beau, je m’arrête pour prendre une photo (mais non, je suis pas essoufflé).
Mine de rien, ça ne se voyait pas sur la partie commune avec le 23km, mais je suis maintenant plus souvent doublé que doubleur. Heureusement que quelques coureurs ont l’amabilité de cracher leurs poumons ou de gerber leurs gels hyper-glucidiques (bien fait, puisqu’on vous le dit que c’est dégueu ces trucs : mangez local), histoire que je puisse regagner quelques places.
Quelques passages bien raides où les mains ne sont pas de trop, le dernier petit mur avec la corde et la belle vue où attend le photographe (on en a déjà parlé de la photo je crois), et voilà le sommet du chapeau du Gendarme, ou presque.
Chapeau du Gendarme, 24,5km - 2130 D+
Nous sommes à 2625m d’altitude, la course est partie depuis 4h39. On m’avait promis des bouquetins, il y a surtout des touristes (qui ont le mérite tout de même d’être montés jusque là et de nous encourager, on peut donc les remercier). Je m’offre une petite pause « paysage à 360° », avant d’attaquer la redescente.
On passe donc de l’autre côté du chapeau pour redescendre dans les alpages du plateau du Gyp, descente d’abord assez raide et rocheuse (je me garderais bien d’employer le terme « technique » tant l’appréciation empirique de ce qualificatif peu être subjective parmi les lecteurs putatifs du présent récit), puis plus douce dans les alpages. C’est doux mais j’en ai plein les pattes et j’ai chaud. Le plus dur est fait, on avance.
Sur le papier, c’est presque plat pour atteindre le col du Gyp (2300m), mais à ce stade de la course, ça picote un peu quand même. Arrivé là haut, un bénévole monté en 4x4 annonce le ravito dans 6km. Dans mes calculs, il n’y en avait que 4 je suis désespéré (je découvrirai par la suite que c’est moi qui avais raison - ça tombe bien, j’adore ça avoir raison). Mon camel bag commence à glouglouter, j’en viens à regretter -comme bon nombre de mes camarades de jeu apparemment- qu’il n’y ait pas possibilité de refaire de l’eau ici.
La descente vers Barcelonnette peut commencer en alternance entre des pistes caillouteuses assez casse-patte et de belles traversées d’alpages verts à souhait. Cette descente continue à être synonyme pour moi de redescentada, tant je me fais manger par tous les coureurs qui déboulent derrière moi. Je n’arrive pas à accrocher durablement un lièvre et me laisse distancer encore et encore. Allez, si je finis en moins de 8h, je serai content de moi.
La Rente - 32km - 2300 D+
C’est presque à sec que je parviens à ce dernier ravito, sous les encouragements sympathiques des estivants de Super-Sauze, content d’avoir fait mentir le bénévole du col du Gyp. Nouveau bras de fer avec le camel bag, puis on repart en mode « plus vite parti, plus vite arrivé ». J’ai 1h15 d’avance sur la barrière horaire. Montée au pied des pistes de ski, puis dans les rues de la station (sans doute la partie la moins sympa du parcours, mais on va pas jouer les difficiles), où un gentil passant qui propose de nous arroser me surprend en plein coup de fil à ma chérie. L’occasion est trop belle, je range mon téléphone pour me laisser asperger.
La descente continue, et la redescentada aussi : « tiens, celui qui me double, c’est lui qui crachait ses poumons dans le final du chapeau du gendarme », « tiens, celle qui me double, c’est elle qui voulait pas me laisser passer dans la descente de Baume Longe », « tiens, celui qui me double c’est lui qui a les mêmes pompes que moi », « tiens, celui qui me double c’est lui dont j’avais admiré le t-shirt sympa dans la montée après Uvernet », « tiens, celle qui me double c’est celle dont les jolies f…oulées m’avaient hypnotisé sur la digue de l’Ubaye ». Pfff, il est vraiment temps que j’arrive.
Enfin, le stade est en vue, synonyme d’entrée dans les faubourgs de Barcelonnette. Je suis bientôt accueilli par un concert tonitruant de « allez le Bouk ! ». Merci, c’est gentil, mais c’est pas moi. J’en déduis que l’objet d’une telle dévotion ne doit être pas loin derrière. Je traverse la grand’route avec l’aide du policier municipal masqué, une ligne droite au milieu des fameuses villas où je profite de l’arrosage d’un jardin, virage à gauche et voilà l’arrivée.
Arrivée à Barcelonnette - 41km - 2356 D+
L’arrivée est en vue à quelques mètres. Je sens le souffle de mes poursuivants, je n’ai pas le courage de me battre et à vrai dire je m’en fous (d’aucuns diront que je manque de combativité, j’aimerais bien vous y voir moi) et je vois donc deux casquettes dont une rouge au design bien connu me doubler à quelques mètres de la ligne.
Je passe la ligne après 7h48 de course, l’objectif est atteint (c’est tout l’interêt de fixer l’objectif pendant la course, il est plus facile à atteindre). Je découvrirai plus tard que je suis le 470ème à passer cette ligne. Je suis finalement assez content de moi, surtout eu égard à mon acclimatation plus que limitée et à la chaleur, et à la montagne. Les premiers ont mis moins de deux fois moins de temps que moi pour boucler le parcours ; ça doit être ça des Elites, en fait.
Fourbu, je me jette sur le déjeuner heureusement végétarien offert à l’arrivée. J’ai toujours un pincement au coeur à refuser les toasts au pâté lors du ravito d’arrivée, mais je ne sais jamais si je suis plus désolé pour le bénévole ou pour le cochon. Quoi qu’il en soit, je dévore mes lentilles, mon oeuf dur et mes carottes râpées.
J’envisage non loin de là un petit groupe de finishers attablés sur la pelouse (enfin, c'est une image), parmi lesquels je reconnais mes 2 prédécesseurs sur la ligne d’arrivée. Comme nous avons une casquette rouge en commun, j’en profite pour aller échanger quelques mots avec Julien, Rodolphe et Rodolphe. J’ai bien fait de leur parler, il sont vachement plus sympas que ce qu’ils paraissent quand il vous doublent à 10m de la ligne d’arrivée.
Puis retour en voiture à Serre-Ponçon où le lac se chargera d'évacuer toute cette chaleur ...
En résumé, un beau trail avec des de vrais morceaux de montagne dedans. Des paysages magnifiques, une bonne ambiance, des belles grimpettes, quasiment que des single-tracks après Uvernet, un balisage nickel oui presque … tout ce qu’on aime. Donc je le recommande (très) chaudement.
PS : Oubliez pas de regarder le photographe en arrivant en haut !
12 commentaires
Commentaire de TomTrailRunner posté le 19-08-2020 à 17:06:10
Des paysages hypnotiques quoi !
bravo pour ton abnégation (haut?) normande :)
Commentaire de Twi posté le 21-08-2020 à 08:24:57
Merci !
Eh oui, courir sous hypnose est le meilleur moyen de surpasser ses douleurs ...
Commentaire de BOUK honte-du-sport posté le 19-08-2020 à 18:53:18
Il est GENIAL ton récit Twi !!! Quel talent !!!
J'ai revécu ma course, euh, mon petit chemin de croix, qu'il va me falloir raconter du coup !
A l'année prochaine ô nouvel amoureux de l'Ubaye :)
Commentaire de Twi posté le 21-08-2020 à 07:56:17
Je ne manquerai pas le plaisir de t'y recroiser si les vacances m'amènent à nouveau dans le coin.
Commentaire de bubulle posté le 19-08-2020 à 19:43:15
Partager sa première course post-COVID avec le Bouk himself ( et apparemment Namtar aussi), quel honneur. Et ce résultat magnifique montre d'ailleurs que ta prépa, entamée en octobre dernier dans les bosquets de Nostre Majesté, et tout axée sur cet objectif ultime, était bien parfaitement adaptée.
Commentaire de Twi posté le 21-08-2020 à 08:00:40
Que nenni : l'objectif ultime de l'année c'est le TRM le 27 septembre.
Commentaire de bipbip73 posté le 19-08-2020 à 21:54:25
Excellent récit. C'est vrai qu'elle claque ta photo souvenir.
Commentaire de Twi posté le 21-08-2020 à 07:57:56
Merci. Pour la photo, toute la subtilité consiste à bien tourner la tête pour que le pseudo Kikourou soit bien visible quand même ...
Commentaire de Noruas posté le 20-08-2020 à 09:03:15
Merci pour ton récit!
Content d'avoir échangé avec toi en fin de course.
Je vais me motiver pour faire un récit également.
Noruas / Rodolphe
Commentaire de Twi posté le 21-08-2020 à 08:25:55
Ravi aussi d'avoir fait ta connaissance.
On attend le récit avec impatience ...
Commentaire de loiseau posté le 20-08-2020 à 17:20:18
Pas sympas, le Bouk et Namtar, de te fumeZ 10 mètres avant la ligne d'arrivée !!!
Très sympa ton récit, par contre...
Commentaire de Twi posté le 21-08-2020 à 08:28:19
C'est le jeu ma pauv' Lucette.
S'ils ne m'avaient pas doublé, je les aurais peut-être jamais rencontrés (mis à part le discret comité d'accueil de l'arrivée à Barcelo, qui me laissait deviner que le Bouk était dans la place).
Par contre, c'est la dernière fois que je me laisse faire ...
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