Récit de la course : Trail des Aiguilles Rouges 2018, par Sanderine

L'auteur : Sanderine

La course : Trail des Aiguilles Rouges

Date : 30/9/2018

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

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Distance : 50km

Objectif : Terminer

9 commentaires

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Trail des Aiguilles Rouges 2018

Après la MH60 en juillet 2018 … voici donc le récit de ce TAR en septembre 2018 !

Je dois commencer ce récit par la très longue préparation de cette course. J’ai comme l’impression que ce partage va être très long … mais je l’écris pour ne pas oublier, re-comprendre et apprendre …

La préparation

Eté 2018 : après la satisfaction d’avoir bouclé la MH60 en ce début d’été (avant-avant-dernière du classement, pour me situer dans l’affutage !), me voici bien embêtée avec une tendinite douloureuse qui s’était déclenchée à Tré-la-tête jusqu’à l’arrivée. L’écriture du récit de la course et vos commentaires avaient été un grand moment aussi pour moi. Faisant toujours partie des derniers, voilà que je me retrouvais à répondre à des commentaires forts sympathiques qui m’ont donné … de la confiance. Merci encore ! Sauf que voilà … 4 semaines de repos plus tard avec des tentatives pas folichonnes de courir (toujours mal après des petites sorties malgré le repos, les huiles essentielles, etc.), je cherche encore fin juillet une solution à ce problème.

J’ai toujours dans la ligne de mire ce TAR qui représente pour moi le parcours rêvé dans un décor de rêve (si j’ai la chance qu’il fasse beau) ; je suis déjà allée sur tous les sentiers, en randonnée ou en course, sauf la partie Index - Planpraz (en passant par le col de la Glière et le col du lac Cornu) et la montée du Prarion en partant de Servoz (cela m’intrigue cet itinéraire, jamais emprunté!). Tout m’attire dans ce trail : les sentiers que j’adore et que je connais, le Brévent, le massif des Aiguilles Rouges, le Prarion, le lac de Pormenaz, la Chorde, les chalets de Pormenaz (dans le désordre), faire pour la première fois de ma vie un départ de Chamonix, partir à 4 h du matin avec une frontale, voir le Mont Blanc, tout simplement, depuis ce magnifique belvédère. Mais comment vais-je faire pour être prête le jour J si j’arrive à peine à faire un peu de dénivelé sans avoir mal aux genoux ? La douleur finit bien par partir avec des séances de kiné mais je ne m’entraîne pas beaucoup : c’est donc cela, la solution, arrêter de courir pour de bon ?

Avec mon mari, nous décidons de nous lancer dans une révolution alimentaire qui, soi-disant, réduit les inflammations, et pourrait peut-être répondre aux problèmes rencontrés : finir une course sans blessure pour moi et sans problèmes gastriques pour lui. Nous avions tenté il y a deux ans le LCHF (Low Carb High Fat), c'est-à-dire un régime très riche en graisses et très pauvre en glucides. Lui veut ré-essayer pour la Swisspeaks 90 début septembre et moi pour être prête le jour du TAR à finir sans blessure (… si j’arrive à la finir). L’idée de rentrer en cétose et permettre au corps de puiser dans ses graisses pour créer son énergie me paraît indiscutablement intéressante. Cela serait aussi un moyen de me débarrasser de kilos superflus.

Il y a deux ans, nous avions déjà éprouvé ce régime auquel mon mari avait trouvé des bénéfices certains (courir longtemps sans manger, réussir des courses longues). Pour moi, cela avait été un peu plus difficile, le premier but étant alors de perdre du poids mais j’avais abandonné le soir où j’avais voulu faire un pain « low carb » qui ressemblait plus à un champignon moisi qu’à autre chose. La famille avait été horrifiée de ce désastre culinaire. Trop dur, trop compliqué, trop contraignant.

J’avais clos ce chapitre. Ce n’est pas forcément un changement alimentaire facile à faire. Mais depuis ce premier essai, j’avais changé considérablement de choses dans mon alimentation, à savoir le moins de sucres possibles (petit déjeuner salé par exemple).

Après avoir mûrement réfléchi et glané des informations sur Internet, ce 1 août, c’est le début de ce régime strict : plus de pain, de féculents, de fruits, de légumineuses, bref tout ce qui contient du sucre : je veux rentrer en cétose et voir ce que cela donne et si c’est vrai qu’on évite les tendinites, les inflammations. Cela sera comme vivre une véritable expérience scientifique.

Je passe les détails car je pourrai en écrire une tartine ( !) mais un mois après, le premier résultat, c’est d’abord 3.5 kg en moins sur la balance en mangeant très gras, charcuterie en veux-tu en-voilà, crème très entière, huile d’olive dans laquelle baignent les légumes, plaques de beurre à gogo, amandes et noisettes, quantité d’aubergines en un mois supérieure à celle ingurgitée dans ma vie entière. Prendre du temps pour trouver par exemple du psyllium pour les recettes glanées sur internet (je finirai même par acheter le grand livre de l’alimentation cétogène). Petite remarque pour le LCHF « perte de poids » : il faut quand même bien gérer son apport en protéines, sinon on ne maigrit pas.

Retour donc aux fourneaux en fanfare (à défaut de courir), exit tous les plats préparés, transformés, les sauces toutes prêtes, etc. car tous contiennent du sucre. Le sucre, mon nouvel ennemi, ma cible à enrayer… pour ne pas avoir de tendinite parce que j’ai trop couru. Je l’écris comme je le pense à ce moment là, on verra la suite :)

Normalement, on ne doit pas faire trop d’efforts dans les premières semaines d’adaptation. J’essaie quand même : qu’est-ce-que c’est dur ! Le cœur qui bat très vite, de manière irrégulière, je suis tout de suite essoufflée, obligée de m’arrêter en montée, très souvent … bref, c’est un peu compliqué de rentrer en cétose et de produire des efforts physiques « intenses » avec ce nouveau mode de chaîne énergétique. Je m’accroche quand même. Le fait de perdre du poids est appréciable mais ce n’est pas ce que je recherche en priorité. J’essaie de trouver le juste équilibre mais c’est bien long à venir !

Puis arrive un jour où je pars m’entraîner et là, miracle : l’énergie est là, je pourrais courir pendant des heures, je ne ressens aucune faim, aucune douleur ; bref, c’est cela que je cherche !

Je mets bien 4 semaines à m’adapter. Cela nous amène début septembre. J’ai fait juste avant la reconnaissance du TAR de la partie Servoz – Les Houches en passant par le Prarion dans un bon état d’énergie et sans manger (ça, c’est très pratique !) mais j’ai quand même eu à la fin une bonne vieille douleur au genou dans la descente. On m’aurait menti ?

C’est vraiment pas gagné mon TAR avec ses 4 000 m de dénivelé si au bout de 1 000 m de dénivelé, j’ai déjà mal au genou ! Mon mari suivant le même régime est dans un meilleur état d’énergie, mais je continue car c’est motivant d’être à deux dans cette aventure. La Swisspeaks s’approchant pour lui, je pense l’accompagner à Finhaut pour son départ et en profiter pour faire un long entrainement en l’attendant. Et en regardant son parcours, je vois qu’il y a un 45 km et un 35 km depuis Le Bouveret. Et si je testais ce régime LCHF sur une course ? N’étant pas très à l’aise dans mes rares sorties car beaucoup trop essoufflée, je penche pour le 35 km. Je m’inscris donc pour la course qui se tient le 8 septembre, sans aucune reconnaissance, c’est donc une première ! Cela sera 3 semaines avant le TAR, je veux juste voir si j’arrive à courir et si la tendinite est un vieux souvenir après 2 500 m de dénivelé.

La Swisspeaks 35 arrive : le départ est un long faux-plat montant et là, débute pendant 3 longues heures, un véritable cauchemar : zéro énergie ! Je me maudis d’avoir tenté ce régime car je n’ai strictement aucune force. Il faut dire que j’ai déjeuné à 5 h et que le départ a eu lieu à 9 h30 mais … je suis censée puiser dans mes graisses, non ? J’ai juste bu du café sur la ligne de départ (que je regretterais ensuite car j’en ai eu la nausée au bout d’une heure ou deux). La première vraie montée est un calvaire, je me fais doubler par des hordes de coureurs (c’est une image qui ne reflète peut-être pas la réalité mais vraiment mon ressenti à ce moment-là), je suis littéralement scotchée au sol, mes pieds pèsent trois tonnes, j’entends même à un moment un bruit de talkie-walkie ; dans ma tête, talkie-walkie = serre-files ! Naaannn ! Pas eux ! Déjà ! En fait, ils n’étaient pas là, je me suis retournée, il n’y avait personne mais on peut se rendre compte que ce n’était pas la grosse joie dans ce début de course. Mais qu’est-ce-que j’ai fait de mon énergie avec ce régime ? Comment je vais faire pour le TAR ?

Arrive le premier ravito à Novel et là, fidèle à mon habitude, je bois du coca. Beaucoup de gobelets car il commence à faire un peu chaud. Je mange aussi du cake marbré et des abricots secs. Je repars en me demandant très honnêtement si je vais arriver à faire les 2 500 m de dénivelé : cela me semble tout simplement impossible vu l’état initial et les 3 heures de galère que je viens de passer. Je pense au TAR et je me dis que je suis plutôt mal barrée. RIP le TAR … Quel moral à ce moment là ! Pourtant il fait super beau, la journée s’annonce géniale mais pas moyen, c’est la catastrophe ! J’ai tout gâché… pourquoi je me suis lancée là dedans ?

Quand, soudain, un quart d’heure plus tard (c’était tellement soudain que j’en ai regardé ma montre), comme par magie, tout revient : les jambes, l’énergie, le mental et je commence alors une autre ascension, une autre course.

Il n’y a rien à dire, j’ai quand même eu besoin de sucre le jour de la course ! Il a fait son effet tout de suite ! C’est la première course que je fais sans aucune reconnaissance alors difficile de bien gérer l’effort, j’ai vaguement le parcours en tête mais sans plus (c’est, en gros, une grosse montée et une grosse descente). J’ai juste vu sur Internet qu’en haut du Grammont, il y avait une grande croix. J’en repère juste une à ce moment là, une pas très loin, je me dis, OK, c’est cool, je peux le faire … pour me rendre compte qu’en fait, il y a plein de sommets alentours avec une croix ! Je suis un peu perdue. En fait, c’est quand même long 35 km, faut s’accrocher un peu quand même …

Quand je commence à doubler une ou deux personnes en montée, je me dis que c’est peut être jouable. En tout cas, ce parcours n’est pas du tout anodin, je suis surprise ensuite par quelques tracés droits dans la pente (on peut presque mettre les mains, il y a des cordes, c’est donc « technique »), je l’avais complètement sous-estimé ce parcours (qui devait être un test et un gros échauffement, en attendant mon mari au Bouveret) : bien fait pour moi, pour qui je me prends ?

A un moment, déboule une énorme pierre à 3 m de la concurrente juste devant, j’ai crié pour l’avertir (je pense que c’était dans le lieu « Tombeau des Allemands », il porte bien son nom celui-là !). Bon, et bien la sortie test LCHF va se transformer en petit défi ! Je n’avais pas forcément préparé cette course, car vraiment inscrite au dernier moment : cela joue quand même beaucoup. Cela renforce ma conviction que pour moi, je dois avoir envie d’une course et de bien la préparer sinon, c’est quand même un peu déstabilisant, de tout découvrir le jour J.

Je passerai ensuite une très belle journée car la vue sur le lac Léman en haut du Grammont était tout simplement spectaculaire, les bénévoles sont tous très souriants et sympathiques, les ravitos très bien fournis et bien présentés (sauf plus trop d’eau à Lovenex, un peu moyen), je ne suis pas avant-avant-dernière ;) et je descends relativement « bien » en courant, c'est-à-dire sans tendinite. Le petit miracle commence t’il enfin? Ceci n’étant pas un récit de la Swisspeaks 35, il faut que j’abrège : je finis à 17 h 46 pour un départ à 9 h 30, c'est-à-dire à 1 h 44 de la barrière horaire. Avant d’écrire ce récit, je n’avais pas du tout fait le calcul mais c’est plutôt bon signe ! Cela change des 10 minuscules minutes d’avance que j’avais sur la MH60. Je suis 215ème sur 272. C’est le classement que j’ai eu le 12 septembre, soit 4 jours après la course.

Mais en regardant de nouveau les résultats sur le site en écrivant ce récit (début octobre), en fait, cela a changé ( !), je suis 210ème sur 262. C’est rigolo, ça, un classement qui bouge au fil des jours... C’est vrai que cela a été assez bizarre de ne pas avoir les résultats rapidement mais bon … j’ai compris les problèmes d’organisation.

Juste pour terminer sur la Swisspeaks, j’ai pu profiter des douches chaudes du camping et du très bon repas après course dans un bel emplacement, c’était quand même une super journée sous un soleil radieux. Merci aux bénévoles et aux organisateurs pour cela et bravo à tous les finishers de toutes les courses car j’ai bien lu que c’était du costaud ! J’ai été bien contente car pour une fois, à l’arrivée, ce n’était pas l’ambiance : « Dans 5 minutes, on va fermer ! » Surtout, je n’ai eu aucun mal au genou. Cela, c’est très intéressant … Conclusion : il faudra donc quand même manger du sucre pour le départ du TAR et je compte bien prendre du coca et du gâteau marbré juste avant le départ, comme lors de ce premier ravito à Novel et qui a complètement changé la donne ensuite.

Mon mari s’arrêtera malheureusement à Torgon et j’irai le chercher en début de soirée pour des problèmes gastriques qu’il croyait enfin résoudre en adoptant le régime LCHF. Quand il a vomi de la bile, il a stoppé. Il a, à ce moment, abandonné le LCHF strict car celui-ci n’avait pas rempli son rôle.  Mais était-il suffisamment "adapté" pour un effort si violent et intense qu’est la Swisspeaks 90 ?

De mon côté, j’ai voulu pendant ce mois de septembre continuer le LCHF car la bonne nouvelle, c’est que je venais de faire 2 500 m de dénivelé sans tendinite naissante, rien de chez rien : OK pour continuer à bannir le sucre le plus possible si c’est pour obtenir de pareils résultats. Let’s go again !

Durant ce mois de septembre, je m’entraîne un peu plus (mais tout est relatif) car tout est moins difficile et je ne suis plus essoufflée, je finis ma préparation par un petit tour vers le signal Forbes, vers le Montenvers où tous les signaux sont au vert : je trottine parfois même en montée, une première pour moi ! Nous sommes à 10 jours de la course. Je suis confiante. A partir de cette dernière sortie, c’est repos total et sieste si possible en début d’après midi.

Le TAR 2018

J’ai bien lu vos commentaires et vos récits sur le TAR et notamment sur les fameuses barrières horaires. Autant le dire tout de suite, elles me font peur. Surtout la première. D’autant plus que j’ai terminé la MH60 juste avec 10 petites minutes d’avance et que j’avais pu passer aux Contamines in extremis car les BH avaient été rallongées.

Je sais que je suis très juste mais j’ai une grosse envie de participer à cette course et de la terminer. La préparation mentale sauce maison a commencé il y a de cela quelques semaines. Les montées et les descentes, toujours pareil, faire et refaire dans sa tête et imaginer le parcours. La Flégère – l’Index – Planpraz – Col du Brévent – Pont d’Arlevé – Moëde – La Chorde – Pormenaz – Servoz – Le Prarion : l’arrivée. Déjà se dire que c’est la dernière montée qui sera la plus dure. Se dire qu’il faut tenter. Que j’ai de la chance d’habiter à côté et de participer. Mais plus les jours approchent, plus je stresse. Et si tout ce que j’avais fait depuis le 1 août ne serve à rien ? Car finalement, je ne me suis pas beaucoup entraînée avec tout ça. Ce stress, j’ai dû apprendre à le faire taire car ce n’est pas comme cela que je vais finir. Rester positif. On verra bien.

Veille de la course

Accompagnée de ma famille, je monte chercher mon dossard dans l’après midi. Très bien organisé. Il y a l’arche de départ devant l’église de Chamonix. Soleil radieux. C’est magnifique. J’y suis ! Au moins, j’ai un T-shirt ! Pendant que mes enfants profitent de la fête foraine, je lève les yeux et je vois Planpraz, un peu plus bas à droite, La Floria, bien à droite La Flégère et j’« imagine » le tour qu’il faudra faire depuis la Flégère en remontant vers le lac Blanc, avant de bifurquer pour l’Index et continuer par les deux cols que je ne connais pas. Pourquoi je n’ai pas fait la reconnaissance du col de la Glière et du lac Cornu ? Parce que les deux sentiers de La Flégère vers le lac Blanc ont été fermés, je pense à cause du décès du pauvre randonneur qui s’est fait prendre par une pierre sur ce chemin si fréquenté. Du coup, cela m’avait un peu refroidi. Je ressasse le parcours dans ma tête mais surtout, l’horloge s’invite : il faut boucler cela en 4 h 30. Est-ce que je vais en être capable ? En fait, sur place, c’est énorme cette première section, c’est autre chose que de regarder « Trace de Trail » confortablement installée à son bureau ! En 4 h 30 ! Pour la majorité, c’est risible, mais pour moi … pas du tout !

Les BH sont très serrées pour des gens comme moi, à la limite. Mais je dois le tenter. Je décide donc de découper la course en sections marquées par les BH. Je crois que je n’ai jamais autant prononcé ce mot de ma vie que durant ce week-end et même encore aujourd’hui en rédigeant ce récit ! J’avancerai BH par BH. Je commence à me rendre compte aussi qu’il n’y aura pas de temps mort, pas de moments plus tranquille. La course doit être bouclée en 14 h, c’est écrit dans le règlement !

Le soir, mon mari me conseille quand même de manger des pommes de terre, j’en mange deux, c’est super bon les féculents quand même ! Ma sœur m’envoie un texto d’encouragement en me disant d’aller me coucher, il est 20h30 et bien, je suis son conseil (Merci) et j’arrive à dormir 3 cycles environ de sommeil.

La course

Réveil à 2 h 20. Celui-là aussi, je l’attends depuis un moment ! Réveil rapide, je suis tout de suite debout, la question immédiate est : est-ce que je vais être capable de le faire ? C’est fou quand même, après coup, en l’écrivant, c’est vraiment vouloir répondre à cette question qui vous pousse à partir en pleine nuit aller courir ! Je fais un petit déjeuner moins gras que d’habitude (mais tout de même œuf – fromage), un petit café (faut quand même pas pousser !) et je pars à 3 h 05 exactement. Il fait frais mais pas si froid. J’ai quand même mis un bonnet et prévu des gants pour le début (je suis assez frileuse). Je me gare au parking des Planards, je vois des coureurs rejoindre le départ, j’en vois qui courent déjà (toujours scotchée mais ils ont sans doute raison) et dans la voiture, je bois du coca et mange du cake marbré. Je me fais un petit Novel ! Je me demande quand même si boire du coca aussi tôt ne va pas me nuire, mais je ne peux pas partir comme lors de la Swisspeaks : sinon, Planpraz en 4 h 30, c’est mort.

C’est quand même quelque chose de se retrouver Place du Triangle de l’Amitié un peu avant 4 h du matin à Chamonix, à quelques mètres d’une arche de départ. En fait, c’est génial. Je reçois un texto. A cette heure ! Ma sœur ! J’en pleure presque. C’est trop fort. Les coureurs et coureuses semblent concentré(e)s, dans leur bulle : ça rigole pas des masses.

Non mais c’est bien moi sur la ligne de départ ? La dernière fois, c’était moi qui avais amené mon mari en pleine nuit à Chamonix pour qu’il prenne le départ du TAR. J’avais même fait une photo dans la cuisine avec l’horloge du four qui indiquait 3 : 00 du matin. Pour se souvenir : mais comment fait-il pour se lever en pleine nuit pour aller courir plus de 50 km à Cham ? C’est bien moi, ici, parmi toutes ces personnes sur-entraînées, qui étais allée faire la reconnaissance du 10 km de Chamonix car il y avait 300 ou 400 m de dénivelé et que j’avais peur de ne pas y arriver ?

Sur la ligne de départ, je dis merci à mon mari de m’avoir fait découvrir ce sport, quand en 2007, il est parti faire sa CCC, son premier trail en montagne, avec son sac-à-dos de ski et son T-shirt en coton, qu’il avait super bien terminé car il s’était vraiment bien entraîné. Je l’ai vu se préparer. J’ai appris en l’observant. Je l’attendais déjà à Chamonix ici même en pleine nuit dans les rues désertes, après l’avoir vu à Champex et à Trient pendant la journée/nuit ; j’avais trouvé cela génial d’être accompagnatrice, j’avais adoré l’ambiance et voir les visages de ces hommes et ces femmes en plein effort ou retrouvant leurs proches. C’est qu’il devait déjà bien avoir un intérêt pour ce sport qui n’attendait qu’à prendre forme. Faire le premier pas et s’inscrire à une course. Essayer. Il me dit souvent « Mais qu’est-ce-qui t’en empêche ? » …

Autant dire que ce départ est fort pour moi car toute ma progression depuis ce fameux 10 km de Chamonix remonte en surface. Ludovic Collet est au départ, c’est comme si je prenais le départ de l’UTMB ! C’est énorme ! Il rend hommage à Tom qui apparaît sur l’affiche de cette édition, qui est malheureusement décédé à un si jeune âge. Nous allumons tous nos frontales et on s’agenouille pour se relever lentement, rangée après rangée. U2 en musique, je suis impatiente, et c’est parti. Je suis dans les derniers donc ça bouchonne au début et ensuite, je pars, je cours, cela part très vite bien loin devant et dès le premier sentier qui va nous mener à La Flégère, je sens que je suis dans un bon jour, j’avance, j’ai les jambes, le moral, le mental, je suis trop contente : enfin, j’y suis !

Je suis tellement heureuse de ne pas retrouver les désagréables sensations de la Swisspeaks que j’ai même une appréhension de voir tout ce bel équilibre voler en éclat. Mais non, ça a l’air de tenir. La Floria, plusieurs coureurs s’arrêtent et enlèvent une couche, je ne m’arrête pas, je suis partie en T-shirt et veste imperméable, par contre j’ai vite enlevé mes gants. J’ai le bonnet et la frontale. Il y a des bouchons évidemment mais cela ne me dérange pas le moins du monde. Je ne suis pas là pour faire un temps (la bonne blague), je suis là pour profiter et terminer. Je ne suis pas la dernière. Je cours enfin cette course. A un moment, le passage d’un petit ruisseau fait ralentir tout le groupe et quelqu’un s’impatiente en râlant un peu. Un autre lui répond : « T’avais qu’à partir dans les premiers ! » : ça me fait rigoler. Faut se détendre, il reste 50 km !

On emprunte le sentier des gardes qui nous mène jusqu’au large chemin 4x4 jusqu’à la Flégère. A un moment, je crois deviner le bâtiment de la Flégère mais je consulte mon altimètre, ce n’est pas encore là. Bien pratique de se repérer avec l’altitude, j’aime bien ça. Je regarde ma montre quand j’arrive à La Flégère pour essayer de faire des estimations de temps mais honnêtement, je ne m’en souviens pas. Par contre, la nouveauté sur cette course, c’est que je vais apprendre à regarder correctement l’HEURE EXACTE.

Grand moment à La Flégère et je crois même avoir dit tout haut « Waouh ! » en y arrivant. Le serpent lumineux qui monte vers la droite en pleine nuit est tout simplement incroyable, magique. C’est la première fois que je vois cela en réalité. Je l’avais bien vu dans certaines vidéos mais là, en réel, c’est saisissant comme spectacle. Si je dois finir la course à Planpraz, au moins j’aurais vu cela ainsi que le lever du soleil sur les montagnes. Elle est pas belle la vie ? Il y a une lumière très forte qui brille beaucoup plus haut, c’est sans doute le sommet de l’Index mais je n’y suis pas encore. Je bois régulièrement pour prévenir les inflammations ; plus tard dans la course, je me rendrais compte que deux flasques ne suffisent pas, je n’avais plus d’eau pour la montée du col de la Glière après l’Index. Je crois qu’à ce moment là, je mange un bout de cake marbré, car on commence quand même la course par pas mal de dénivelé (presque 1 400 m jusqu’à l’Index). Cela passe très bien. C’est bon le sucre !

Personne ou presque ne parle. Cela me convient très bien. Vraiment, c’est un bon début de course, je suis optimiste et réaliste en même temps. Certes, je me fais doubler mais quelques coups d’œil réguliers en arrière m’indiquent que je ne suis pas dernière. Pas de serre-files, je dois y croire. Sur ce sentier donc qui était fermé, je verrais juste un tracto-pelle, ils sont peut être en train de le réaménager. Je pense à la rando que j’avais faite au lac Blanc avec mes deux filles quand la dernière avait 5 ans. Nous étions montées en télécabine à La Flégère et poursuivi jusqu’au lac Blanc, c’était une belle journée.

Enfin, on arrive avant le lac Blanc pour prendre le sentier à gauche. Je regarde les panneaux à la lumière de ma frontale. J’aime bien ces panneaux, je les trouve super bien faits, c’est la direction à prendre, le temps à mettre, c’est par là que je vais… Les couleurs sont en train de changer tout doucement, tout là-bas au loin. J’y suis ! La frontale à un moment clignote, je l’avais mis en pleine puissance, elle rétrograde toute seule son intensité, j’aurais peut être pas dû la mettre aussi fort mais elle tient encore. Il faut dire que c’est la deuxième fois que je l’utilise en course. En haut de l’Index, je suis pointée à 06 : 55, j’essaie de calculer mais en fait, je ne sais pas ce que j’essaie de calculer, j’y arrive pas les calculs en course, je me dis « J’ai une heure et demi pour Planpraz, c’est bien parti, on y va !».

Le jour se lève : ça tombe bien, je n’ai plus de frontale ! On redescend un peu pour ensuite découvrir la prochaine montée vers le col de la Glière. Ah ouais, quand même, rappelle-toi, tu es sur le trail des Aiguilles Rouges et pas en train de regarder Trace de Trail, il n’est pas tout à fait là, ce col ! Mais c’est très beau, le Mont-Blanc à ma gauche commence à être bien visible, j’ai bien aimé cette partie inconnue. Avant d’arriver au col de la Glière, il y a une montée régulière, assez raide me semble-t’il, mais j’ai l’impression que ce n’est pas trop dur. En levant la tête, je vois tous les coureurs qui m’indiquent le chemin à prendre, c’est pratique : je n’ai pas trop regardé les balises à certains endroits, surtout en début de course.

A un moment, un coureur s’est assis sur le sentier pour reprendre son souffle. Il semble déjà marqué et bien fatigué. Je lui demande si ça va. Il me répond « Non, de toute façon, c’est déjà dur pour tout le monde » en soufflant assez fort. Là, ma réponse reste dans ma tête « Ben non, écoute, pour moi, étonnamment, ça va encore pas trop mal, je sais que cela ne va pas durer, je le sais mais pour l’instant, j’en profite ! Et puis, tu sais, il y a la dernière montée au Prarion, celle-là, je l’ai dans la tête, il faut se ménager … bref, ça va ! » - pas sympa de lui dire cela alors que sûrement plus tard, dans une heure ou 6 ou 10 ??? (on ne sait jamais), je serai comme lui, alors j’acquiesce en lui disant « Allez, courage ! ». C’est un clin d’œil, hein ;)

Il y a un bénévole pour vérifier si dans la dernière partie, où on peut se tenir à une main courante, personne ne tombe. Au sommet, une bénévole m’indique que le prochain kilomètre est « technique » et qu’ensuite, c’est la descente sur Planpraz. OK. Technique, je vois, on y est, on est sur le trail des Aiguilles Rouges ! Un petit bouchon se forme entre les deux cols ; un coureur n’ose pas mettre le pied sur les pierres penchées et utilise même ses bâtons pour progresser sur ce terrain donc « technique », de manière assez précautionneuse et relativement lente pour certains qui, s’impatientent, tentent de doubler (mais ce n’est pas trop possible), râlent un peu. Ils n’avaient qu’à aller plus vite, désolée. Ils sont là parce qu’ils sont là à cette heure précise (CQFD), fallait bosser le fractionné et partir en tête de course, vous seriez déjà en train de voir les Houches du Prarion ;) La personne en question n’est plus toute jeune ; moi, je suis admirative. J’aimerai bien, à son âge, passer un si joli dimanche dans un endroit aussi beau.

Je commence cependant à regarder la montre. L’heure tourne ! Déjà le regard penché sur l’HEURE EXACTE. Joli lac sur la droite pendant cette traversée ; de toute façon, je ne vais pas l’écrire à chaque fois mais les paysages sont vraiment grandioses sur ce trail, à droite, à gauche, en bas, en haut, à partir de n’importe quel point de vue ! Chance terrible avec le temps, il est vrai. Comment ça serait en plein brouillard ou même avec de la neige ? On a la chance avec le temps alors interdiction de râler :)

J’entame alors la descente sur Planpraz mais - comme dit précédemment - Planpraz : ce n’est pas tout à fait là. J’aime bien les descentes quand tout va bien au genou, celle-ci est la première véritable, je me lance donc : l’heure tourne ! Tout va bien mais je me rends bien compte qu’il va falloir courir tout le long de la course car les BH sont vraiment les juges de paix. J’arrive à Planpraz à 08 : 19. Premier objectif atteint mais je n’ai que 11 minutes d’avance sur la BH. Le ravito est sympa et il y a de la musique.

Je me ravitaille rapidement de coca, prend de l’eau, mange du cake marbré (décidemment), du saucisson et de la soupe aux vermicelles et là, qui je vois arriver ? Ou plutôt, j’entends une bénévole dire, presque sous le charme et ravie : « Ah, les serre-files arrivent ». Ils ont l’air en méga super forme olympique, très affûtés, prêts à en découdre, absolument souriants et ravis d'être là, bref en pleine forme pour traquer les derniers coureurs. Bon et bien, c’est l’heure pour moi de partir et d’attaquer la montée au col du Brévent. Je la connais bien celle-là, l’énergie est toujours présente, j’ai même un appel de ma belle-mère mais j’attaque la montée et ne peux donc pas trop parler. J’aurais ensuite des messages de ma sœur, belle-sœur, mes parents et d’amis qui me soutiennent ; je ne répondrais jamais à leur SMS d’encouragement car je n’en aurais jamais le temps, désolée. En fait c’est une véritable course pour moi car le rythme est vraiment soutenu. Vous aviez tous raison. Je me suis juste arrêtée dans cette montée pour enlever ma veste imperméable, ranger la frontale et le bonnet, mettre ma casquette et mes lunettes de soleil.

Arrivée au col, on bascule vers le Pont d’Arlevé. C’est une longue descente, le soleil n’y est pas encore, c’est parfois glissant mais je connais le chemin. Par contre, je l’avais fait en sens inverse, ce n’est pas tout à fait la même chose. En face, assez loin, on voit les chalets de Moëde. Les distances sont quand même conséquentes. Il y a moins de coureurs sur cette section, c’est plus clairsemé ! Je me fais doubler dans cette descente.

Arrivée au Pont, pas de pointage, je pensais qu’il y en avait un mais il est un peu plus haut dans la remontée vers Moëde, au soleil. Je suis pointée à 10 : 10, en 590ème position. Je crois que je remange à ce moment là pour attaquer la montée. J’ai un peu moins de jus, on dirait quand même... Le sentier est agréable mais je pense que je commence à marquer l’effort.

Les chalets de Moëde sont jolis sur la carte mais assez longs à atteindre finalement dans la réalité. Pour atteindre le prochain ravito aux Ayères, on emprunte le chemin 4x4 qui redescend. A Moëde, il y a un bassin à l’extérieur dans lequel je me rafraîchis. « Faudra pas trop traîner » qu’il disait mon mari, euh … il a encore raison ! Les Ayères à 11 h 30, ce n’est pas encore tout à fait là … Je cours ! Jamais autant couru dans une course… Dans la dernière descente, je croise une amie et sa belle-sœur que je connais, c’est une très grande joie de les rencontrer. On s’embrasse. Comme nous ne sommes pas loin du ravito, elles m’accompagnent et me font mon assistance. C’est trop génial, ça. J’y arrive à 11 : 18, c'est-à-dire juste 12 minutes avant la BH. Gloups. Je mange toujours la même chose : du cake marbré, des abricots, du saucisson. L’une remplit mes flasques, porte mes bâtons pendant que je mange ; la seconde m’aide à enlever mon collant par-dessus mes baskets. C’est sûr qu’elles m’ont bien aidé à aller plus vite à ce ravitaillement. Merci encore !

Je pars en buvant mon coca dans mon gobelet. La Chorde m’attend. Superbe perspectiveSauf que tout de suite, dans le début de cette remontée vers Pormenaz, je sens que cela va être dur. Ah, ah … je faisais bien la maligne avec le coureur sous le col de la Glière, c’est mon tour maintenant ! Un coureur me demande combien de kilomètres il y a jusqu’au sommet. Euh … aucune idée ! Regarde plutôt le dénivelé, on s’en fout des kilomètres ! Un autre me demande à combien de kilomètres de course je suis sur ma montre car lui, il a déjà plus de 2 kilomètres au compteur. Euh … désolée, ma montre, c’est un altimètre qui ne compte pas les kilomètres. Pourquoi ai-je l’impression que cette histoire de kilomètres est importante pour bon nombre de coureurs ? Pour moi, seul le dénivelé m’importe.

Quand on est un peu moins bien et qu’on fait moins la maligne (voir plus haut), cela s’embrouille un peu dans la tête. Je l’ai faite plusieurs fois cette montée de la Chorde mais je n’ai plus mes repères de temps, d’altitude, car je me sens un peu fatiguée. Je ne sais plus à quelle altitude se situe Pormenaz par exemple. Je tente bien de regarder le profil imprimé sur le dossard mais il faut regarder les ordonnées du graphique pour lire l’altitude : c’est beaucoup trop complexe à réaliser à cet instant et c’est écrit vraiment trop petit.

Dans les échelles de la Chorde, je croise une sympathique famille en randonnée qui a décidé de redescendre par là le jour où il y a une course qui y passe : ils ont bien choisi leur jour, dis donc ! Le père de famille, débonnaire et rigolard, me lance « Vous vous êtes trompés de direction, c’est dans l’autre sens» en rigolant ! Ravi de sa blague, il m’observe monter les échelles. Moi, je ris moyennement. C’est d’un drôle ! C’est là où on voit qu’on est fatigué ! Je lui réponds quand même un peu sournoisement « C’est marrant de faire la descente dans ce sens », sous-entendu : mais quelle idée de descendre par la Chorde un jour de course … Lui : « Et oui, nous, on fait dans l’originalité et on recherchait des champignons par là aussi ». Je suppose qu’il rigolait mais je n’en suis pas si sûre. Moi : « Vous auriez dû plutôt aller sous le Prarion, il y en a plein ! ». Et en plus, c’est vrai parce que j’en ai découvert lors de ma reconnaissance (mais qu’est-ce qui me prend à lui filer mes coins à champignons ? Réponse : manque de lucidité). Lui : « Vous, vous y allez, après, au Prarion, regardez : c’est tout là-bas ! » dit-il en tendant son bras pour me montrer. Oui, je sais, MERCI.

J’appelle après mon mari. Juste comme ça. J’ai ma fille au téléphone qui décroche, cela me fait du bien de l’entendre car je ne suis pas très bien. Je veux savoir s’ils vont venir à Servoz. Et bien, oui, ils se préparent à partir. Déjà ??? Il me demande si je suis aux Chalets de Pormenaz. Euh, non, pas vraiment, pas encore, je n’ai pas passée le lac de Pormenaz (dans quelques jours probablement), suis-je donc autant à la bourre ? Ce coup de téléphone me fait du bien malgré tout. Je repars. Faut donc pas traîner. CQFD.

Enfin, j’arrive au lac de Pormenaz, toujours aussi magnifique. C’est comme une carte postale. Sauf que je suis sur le Trail des Aiguilles Rouges et qu’il ne faut pas traîner, garde-le bien dans la tête ! La traversée jusqu’aux chalets se fera seule ; j’ai bien vu un petit groupe partir au loin, j’aimerai bien être avec eux, j’essaie de les rattraper mais je n’y arrive pas. Pourtant, j’essaie d’accélérer mais je n’y arrive pas (c'est pas moi qui devrait faire du fractionné, là ?). Je suis pointée aux chalets de Pormenaz à 13 : 01. Re-gloups.

Je demande au pointeur : « Vous pensez que c’est jouable pour Servoz à 14 h 10 ? ». Lui : « Oui, mais faut pas marcher car ça passera pas, faut bien trottiner dans la descente ! ». OK, faut pas traîner … Tout le monde me dit donc la même chose: tout le monde est donc bien cohérent dans cette course, c’est bien, bonne coordination des avis ! Je l’ai déjà faite cette descente lors du p’tit TAR qui passait cette année par là ; elle est assez longue dans mon souvenir. La montre, le temps, l’horloge, la BH, c’est quand même stressant. Je m’engage dans la descente. A un moment, on tourne légèrement à gauche mais je ne vois plus de balises. Je suis sûre à 99% que c’est par là mais je sens bien que je n’ai plus tout à fait mes repères. Des coureurs arrivent derrière moi (je ne suis pas la dernière, yes !), je leur demande s’ils ont bien vu les balises. Oui, c’est bien par là ! Ce qui est drôle, c’est qu’à ce moment-là, si j’avais dû remonter ne serait-ce que de 100 m, je ne l’aurais pas très bien vécu alors qu’en réalité, ce n’est rien.

J’essaie d’accélérer dans la descente mais je ne sais pas du tout ce que cela donne, je ne sais plus si je vais vite, moyennement vite, doucement, trop lentement. Le temps défile. Encore un coureur qui me demande combien de kilomètres avant le prochain ravito. Je n’en suis pas informée, cher Monsieur. J’arrive enfin vers Servoz, une bénévole me fait traverser la route et m’indique « Allez, encore environ 1 kilomètre ! » toute contente de me donner cette super bonne nouvelle. Sur le coup, cela me paraît énorme. Mais au détour d’un virage, toute ma petite famille m’attend, c’est trop beau, bon, c’est génial. Je cours à 2 à l’heure, ma fille aînée me dit que le ravito est vers l’église. Mais elle est où déjà cette église ? Quel stress !

J’arrive enfin au ravito de Servoz. Le pointeur m’annonce « J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle ». Dans ma tête, c’est tout de suite : c’est quoi la mauvaise ? Lui : « La bonne, c’est qu’il est 14 : 07 donc vous passez la barrière horaire de 3 minutes ; la mauvaise, c’est qu’à 14 : 10, vous devez en être sortie ». OK. Merci. OK. Enregistré. Thanks dude.

J’agis ensuite le plus vite possible (enfin, j’essaie) mais j’ai déjà ce refrain lancinant en tête : seulement à 3 petites minutes de la BH. Ouuuch. « Faudra pas trop traîner » qu’y disait ! Tu m’étonnes Elton ! Je remplis les flasques. Les bénévoles me rappellent toutes les nano-secondes qu’il faut que je sois partie à 14 : 10. Je fais quand même mon plein de flasques car la dernière montée m’attend et pas des moindres. La gentillette, douce et agréable montée du Prarion.

C’est rigolo comme les éléments ensuite s’enchaînent et s’imbriquent : les nuages arrivent de partout, à l’extérieur et dans ma tête. En réalité, ils ont bien annoncé de la pluie pour 16 h donc les nuages se pointent pour être à l’heure (bravo les gars !) et dans ma tête, j’ai une fraction de seconde l’idée « Mais … mon mari et mes enfants ont la voiture, je pourrais m’arrêter là finalement, c’est déjà pas mal d’arriver à Servoz, non ? Combien ça fait de kilomètres ? Ah ben, maintenant je parle comme eux … en kilomètres ! 40 ? Ouais, c’est pas mal, ça va être un peu chaud la BH du Delevret, suis pas en si grande forme que cela, c’est encore long la montée du Prarion, etc.». Préparation mentale, entre en piste ! Je m’étais dis que j’arrêterais uniquement si j’avais très mal au genou ou si je ne passais pas une BH. Je dois respecter ce qui était prévu. La prochaine BH étant à 17 : 20 au Delevret, je dois attendre cette HEURE EXACTE pour connaître la fin de cette histoire.

Mon mari et mes filles m’accompagnent un petit bout, je marche avec eux car de toute façon, je ne pourrais pas courir. Ils me soutiennent et je me recharge. En les quittant, je me demande où est-ce que je les retrouverais ? Car à supposer que j’arrive au Delevret à 17 : 20 et que je passe in extremis, je ne mettrais jamais 40 minutes pour relier l’arrivée. Mais n’allons pas si loin, on avait dit BH par BH donc l’objectif, c’est le Delevret.

D’avoir fait la reconnaissance m’aide énormément : au moins, je sais tout de suite que c’est assez raide au début, sur le milieu et vers la fin. Je m’auto-félicite ! Honnêtement, c’est quand même difficile ici. Je m’arrête plusieurs fois en montée. Mais je dois continuer. Je ne vais pas m’arrêter là au milieu des bois, qu’est-ce que je ferais de toute façon ? Ramasser des champignons ? Le père de famille a dû déjà tous me les piquer ! Le temps se noircit, les nuages et le mauvais temps préparent tranquillement leur BH de 16 h : leur objectif est d’arriver pile poil au dessus du Prarion.

Au détour d’un virage, je croise deux coureurs assis, un homme et une femme. La femme parle au téléphone et dit qu’elle arrête ici, qu’elle est quand même contente de ce qu’elle a fait et demande à ce qu’on lui prépare du champagne. Je souris franchement. Quelle excellente idée une coupe de champagne, bien plus subtil que d’aller se casser le dos à ramasser des champignons ! On engage la conversation. Je sens que j’ai besoin de parler. Ils doivent avoir accès à Livetrail car elle me dit que son temps estimé au Delevret dépasse largement la BH. Mais mon mari m’a dit qu’ils m’avaient annoncé à 13 h et quelques aux Ayères : ça ne tient pas. Je lui explique mais elle souhaite arrêter. L’homme à côté semble hésiter, il regarde le bracelet en perles de bois de sa fille qu’il a pris pour la course, m’expliquant qu’elle sera déçue mais il pense arrêter aussi. Il m’émeut avec son petit bracelet aux perles de toutes les couleurs. Je leur dis que c’est génial ce qu’ils ont fait jusqu’à présent. Et c’est vrai !

A ce moment là, nous sommes rejoints par deux autres coureurs, qui m’annoncent être les derniers, que les serre-files ne sont pas loin (ils leur ont demandé de ne pas être trop près d’eux). Ils souhaitent quand même terminer la boucle, tant pis pour le classement. Bon, là, ça sent un peu la fin quand même, non ? Préparation mentale, reviens ! Il faut que je retourne à mon plan initial : être arrêtée ou non au Delevret.

Je continue. C’est dur. Le couple qui souhaite terminer repart bien vite, il faut que je remobilise mon énergie et mon mental mais … je n’arrive pas à les suivre (mais combien d'heures je me suis entraînée au total cet été ?). Grand moment de solitude. Je suis seule dans les sous-bois ; l’obscurité commence.

Quand soudain, apparaissent, en-dessous du col de la Forclaz, les deux serre-files derrière moi. La rencontre attendue depuis le début de la journée ! J’allais appeler mon mari à ce moment-là, je voulais avoir son avis sur la situation. Du coup, je leur demande s’ils pensent que c’est jouable la BH au Delevret (sensation de déjà-vu plus tôt dans la journée…). « Oui », me répondent-ils mais il faut y aller ! OK ! Faut pas trop traîner ! Coordination des avis vraiment nickel.

Ils ont été très sympas dans la montée, ils ont été bienveillants, souriants, ils papotaient de leur côté et parfois avec moi. Mais, ça y est, je suis officiellement la dernière du TAR. La pluie s’invite à 15 : 50 précisément (bravo les gars : 10 minutes d’avance !). Col de la Forclaz, je sais ce qu’il reste à monter, je regarde très souvent l’HEURE EXACTE. La montée au Prarion, finalement, je n’en ai pas beaucoup de souvenirs ; il pleut vraiment, plus frais, j’ai dû remettre ma veste mais je suis toujours en short, il pleut de travers, oh, quel signe ! Beaucoup de vent également vers le sommet, un peu de grésil mais à ce moment là, il faut juste continuer.

Arrivée au Prarion dans une ambiance lugubre (il est où le panorama de d’habitude ?), un des serre-files m’encourage « Allez, là, maintenant, il faut courir ! » et part devant moi. C’est génial de sa part. Allez ! Je cours, je cours, je cours ; je fais quand même attention de ne pas glisser avec la pluie. Je rattrape le couple qui s’est arrêté manger un bout. Le serre-file les invite à nous suivre : allez, on peut y arriver ! On continue donc tous ensemble. Je l’ai tellement voulu cette course, j’y pense depuis si longtemps ! A un moment, il a un appel sur son talkie-walkie, il indique que nous devrions arriver bientôt au Delevret, que nous sommes 3 coureurs. Delevret, on arrive ! Attends-nous !

Mais à un moment, je regarde ma montre, et ce, pour la dernière fois de la journée car l’HEURE EXACTE est 17 : 20 … et je ne suis pas au Delevret : je suis en haut de la télécabine du Prarion.

C’est bon, là, c’est fini. Il y a comme un soulagement, c’est assez bizarre. Soulagement car je pense que j’étais fatiguée de me battre avec la montre. Un commissaire de course nous attend et nous demande de nous arrêter ici car la BH vient de passer. Nous étions entre 5 et 10 minutes du Delevret. Sur une course de 14 heures. C’est dur mais c’est comme ça. Oui, je suis déçue, c’est sûr, mais étonnamment pas tant que ça … J’ai été très juste dès le début de la course, cela me semble la suite logique de tous ces enchaînements de la journée, je pense que j’ai fais ce que j’ai pu ... avec l'entraînement que j'avais.

Car finalement, je suis très contente d’être arrivée au Prarion ; j’aurais été extrêmement déçue d’arrêter à Servoz ; j’ai fait le dénivelé positif de la course, il ne restait « que » la descente aux Houches. De toute façon, je n’aurai pas pu courir plus vite sur la fin, je pense que j’ai tout donné, pas de regrets à avoir, pas assez entraînée aussi, il faut bien le reconnaître. La difficulté de la Chorde a dû bien m’entamer et pourtant, ce ne sont que quelques centaines de dénivelé. Cette course est magnifique mais il faut avoir le niveau ; je savais que c’était très limite pour moi, j’ai quand même voulu tenter. Cela n’est pas passé.

Un 4 x 4 arrive très rapidement pour nous redescendre aux Houches, à l’arrivée. Quelle organisation, cette course, chapeau ! Je n’ai même pas le temps de mettre mon collant ou quoi que ce soit que je suis déjà en route … pour l’aire d’arrivée. Je ne serais pas classée, pas finisher. Ben … tant pis. J’ai fait ma course à moi. J’ai passé une journée exceptionnelle. J’ai vu des paysages grandioses. J’ai fait mon voyage intérieur intense. Et c’est bien cela que je recherchais même si je suis dans le tableau des abandons.

Transbahutée de toute part dans ce 4 x 4 qui me ramène à l’aire d’arrivée, avec le chauffeur, la pointeuse du Delevret et le couple avec qui j’ai terminé, tous très sympathiques, j’avertis mon mari que je vais bien arriver mais … en 4 x 4 … J’envoie un message à ma famille pour les informer. Et puis, c’est tout, c’est comme ça, je dois bien l’accepter. Une fois sur place, je ne m’éternise pas, cela me fait un pincement au cœur de voir les derniers arriver.

J’ai compris aussi que si on passait le Delevret, on pouvait aussi arriver après 18 h, ils attendent les derniers, ils ne les arrêtent pas sur la ligne après 18 h (ce qui est très bien comme système). J’aurais dû mieux regarder le tableau des arrivées de l’année dernière, le dernier était arrivé à 18 h 15. Car je me suis souvent dit que même si j’arrivais à 17 : 20 au Delevret, je ne pourrais pas mettre que 40 minutes pour descendre aux Houches ; c’est ma seule interrogation, est ce que cela a changé quelque chose ? J’étais un peu fatiguée de ce stress contre la montre en attaquant la dernière montée, peut être que cela a joué.  

Je suis heureuse d’avoir fait ce si beau voyage. J’ai écrit quand même ce récit de course même si je n’ai pas terminé, pour clore cette formidable aventure. Il y a plein de choses à apprendre encore. Je n’ai pas fini blessée au genou comme la dernière fois, pratiquement eu aucune courbature les jours suivants ; les efforts consentis depuis le 1 août en valaient donc largement la peine. Je n’étais pas assez entraînée pour une course aussi exigeante aussi.

Merci à toute ma famille, mes amis, Kikourou et ses récits, tous les bénévoles et les acteurs de cette course de tous les superlatifs. Sa réputation n’est pas usurpée.

Avant d’arriver au Prarion, je me suis dit que cette course était vraiment trop difficile pour moi et que c’était définitivement hors de portée – RIP le TAR- ; le lendemain, je ne pensais déjà pas tout à fait la même chose … c’est fascinant ces retournements de situation.

Cet automne, j’irai avant la neige courir ces 4 derniers kilomètres. Ainsi, la boucle sera bouclée.

9 commentaires

Commentaire de Jean-Phi posté le 05-10-2018 à 15:10:24

Joli CR qui relate bien tout ce que tu as traversé. Je retiens cette phrase qui résume bien le tout et ce pourquoi nous courons :
"J’ai fait ma course à moi. J’ai passé une journée exceptionnelle. J’ai vu des paysages grandioses. J’ai fait mon voyage intérieur intense. Et c’est bien cela que je recherchais même si je suis dans le tableau des abandons."

Commentaire de Papakipik posté le 05-10-2018 à 16:16:32

Super CR, merci pour ce partage. Cette course est finalement un mini mixte entre MH60 (pour le massif et les 2 KV) et l’EB (pour le côté tapi de cailloux interminable) et finir sous la pluie dans l’utime montée est une sacrée preuve de gros mental. Le retard accumulé ne se rattrapant que rarement, tu as fait une belle course, la prochaine tentative sera la bonne sans aucun doute !!

Commentaire de Arclusaz posté le 05-10-2018 à 17:17:10

quel suspens ! en plus on a le CR de deux courses pour le prix d'un. Toujours aussi fan de tes cr dont la précision ne gâche pas l'émotion. Je ne doute pas que tu te trouveras d'autres défis en 2019 car visiblement tu aimes ça ! bravo vraiment bravo.

Commentaire de philtraverses posté le 05-10-2018 à 19:42:57

joli récit plein d'émotion et néanmoins précis, très bien écrit, qui nous rappelle les fondamentaux: plaisir avant tout et profiter de tout ce dont on peut profiter. de quoi me faire regretter de n'avoir pas participé à cette course où je m'étais pourtant inscrit.

Commentaire de NRT421 posté le 06-10-2018 à 19:26:17

Pas mieux que mes camarades. Sincère, simple, agréable à lire : merci. Et en sus très intéressant pour moi qui connaît bien le TAR et me tatouille d'aller sur la MH sur un malentendu ...

Commentaire de Sanderine posté le 07-10-2018 à 15:51:27

Merci pour vos mots après la lecture de ce récit. Il est 100 fois trop long mais je voulais bien me souvenir de tous les détails, de ... comment j'avais fait.
Je suis encore toute surprise d'être lue, ne participant pas du tout au forum. MERCI MERCI à vous et de vos commentaires bienveillants.
Papakipik, tu écris que le retard que l'on prend ne se rattrape très rarement : c'est tout à fait ça :) :)
Merci.

Commentaire de SlowTrailer posté le 07-10-2018 à 18:09:26

Avec les salutations du pointeur de Servoz.
Déçu pour toi que tu n'aies pas pu aller au bout...
Les BH sont souvent un crève-coeur pour les bénévoles qui doivent les appliquer sur le terrain.

Commentaire de Sanderine posté le 07-10-2018 à 20:18:00

Merci de ton message ! C'est chouette ! J'espère que tu ne m'en veux pas du ton un peu décalé avec lequel j'ai relaté ce passage à Servoz. Merci énormément à toi et à tous les bénévoles de cette superbe course. Mais il faut se rendre à l'évidence : je n'étais pas assez entraînée ! Etre à 3 minutes d'une BH, c'est pas normal :) :) :) Et enfin, c'est tout à fait normal d'appliquer à la minute près, sinon cela serait sans fin ! Et au moins, on sait à quoi s'attendre.

Commentaire de Shoto posté le 16-11-2018 à 18:56:54

chouette récit très vivant d une traileuse qui sait apprécier l essentiel de la vie et des courses... la place de finisher n étant finalement parfois que secondaire.

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