Récit de la course : Marathon d'Annecy 2016, par Tekrunner

L'auteur : Tekrunner

La course : Marathon d'Annecy

Date : 17/4/2016

Lieu : Annecy (Haute-Savoie)

Affichage : 2074 vues

Distance : 42.195km

Objectif : Pas d'objectif

9 commentaires

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Le récit

Je préviens, ce récit est long et verbeux. Mais après tout pour un premier marathon ça vaut le coup, non?

L'objectif : réaliste ou non?

Après pas loin de 20 ans de pratique de la course à pied, je me lance enfin sur la distance reine. Comme je n'ai plus sérieusement fait de course sur route depuis 2008, je n'ai que très peu de repères. Je n'y vais de toute façon pas pour me balader (le trail c'est quand même mieux pour ça), alors l'objectif initial est de s'approcher au maximum des 3h. Après les premières séances de la préparation je me vois mal tenir les fameux 4'15/km sur la distance, donc je me reporte sur 3h05. Mais vers la fin de la préparation je commence à me sentir plus à l'aise à cette allure, alors de manière un peu orgueilleuse je renseigne mon objectif dans le kivaou : "3h or bust".

En général je mets pas mal de temps à chauffer et je fais des bons finish (en trail... j'ai dans l'idée que ça ne marchera pas forcément pareil ici), donc je me dis que ma meilleure chance est de tabler sur un léger negative split. Les 10 premiers kilos vers 4'20/km, ensuite accélération à 4'15, passage au semi vers 1h31, puis accélération là où je peux pour tenter de récupérer les 2 minutes requises.

Une bonne préparation mais un avant-course pas exactement idéal

J'ai fait une préparation assez longue, démarrée 15 semaines avant l'objectif, car j'avais vraiment besoin de me réhabituer au bitume. Globalement elle s'est bien passée, les sensations ont fait un peu le yoyo mais cela me semble assez normal. Par contre douze jours avant la course, j'attrape un rhume assez méchant, grosse fatigue, un peu de fièvre, pas la joie quoi, mais je dois avoir largement le temps de me remettre. Sauf que... au début de la semaine avant la course, alors que le rhume s'en allait, mon état se remet à empirer. Je mets un peu de temps à comprendre ce qui m'arrive : ce gros rhume m'a déclenché un épisode de sinusite. Ca ne m'étais pas arrivé depuis que j'avais 12 ans (la même année que mon tout premier dossard!), et il faut que ça tombe maintenant.

La semaine avant la course est affreuse, mon état empirant progressivement, au point que je n'arrive plus à travailler ni à faire grand chose d'autre : maux de tête diffus mais permanents, forte sensation de mal-être, voix enrouée, hypersensibilité à la lumière... J'essaie tout de même de courir un peu, mais les mouvements de tête et les impacts m'occasionent des douleurs irradiant dans tout le côté gauche du visage depuis le sinus, notamment dans les dents. Sur un footing j'arrive à peu près à supporter, sur un marathon je le sens mal...

Et puis, la veille de la course, en fin d'après-midi, un petit miracle se produit. Le traitement de choc à base d'antibiotiques et d'anti-inflammatoires prescrit par mon médecin se met soudainement à fonctionner. En l'espace de quelques heures tous les symptômes disparaissent, je me sens tout bonnement revivre, c'est assez fantastique. L'avant-course aura été loin d'être idéal, mais à quelques heures du départ je me sens finalement d'attaque (et puis le Solupred est censé avoir un léger effet dopant, peut-être que ça compensera un peu?). Ouf!

Le début : tout va bien (encore heureux!)

Dimanche matin, je galère un peu pour trouver le lieu du départ (en pleine ville, sans aucun panneau indicatif). Heureusement j'avais pris suffisamment de marge pour pouvoir tout de même me préparer correctement. Un mot pour dire qu'à part ces petites difficultés de navigation, la course est très bien ficelée. Retrait des dossards efficace, ravitaillements avec nombreux bénévoles au moins tous les 5km, le plus souvent tous les 2 ou 3 (sauf, bizarrement, dans un passage après le 21e où, sauf erreur de ma part, il n'y a rien pendant 6 ou 7 km... attention à ne pas se laisser surprendre à cet endroit). Les spectateurs sont bien présents et nous encouragent comme il est maintenant de coutume par notre prénom. L'ambiance n'est pas tout à fait aussi festive que sur un Grenoble - Vizille, mais ça paraît normal, un marathon ça se prend difficilement à la légère.

La météo semble bien meilleure que les prévisions changeantes durant la semaine : ni chaleur, ni grosses averses de pluie (même si ça se met à tomber de plus en fort au fil de la matinée), un souffle de vent de côté au bord du lac, mais rien de méchant.

Une fois le départ donné, j'essaie de me caler à l'allure cible, sans me laisser entrainer ni trop gêner. Premier kilomètre en 4'18 à la montre, alors que j'ai l'impression d'être en footing, comme quoi la préparation ça doit quand même bien aider. Bon, je me doute bien que ça ne sera pas aussi facile tout le long.

Je me dis que le drapeau 3h part bien vite, car il s'éloigne assez rapidement de moi alors que je tourne entre 4'15 et 4'20. Mais je finis par me rendre compte qu'il y a de plus en plus d'écart entre le kilométrage de ma montre et celui de l'organisation (250m de différence après 10km quand même). Bizarrement un double-passage (le parcours est un aller-retour le long du lac) dans un tunnel piéton recalera mon GPS, qui indiquera bien 42,2km à la fin. Mais pour le moment, mon allure doit bien être sous-estimée de 5" par kilomètre. Au 10e km j'accélère donc à 4'10 à la montre, ce qui doit faire à peu près 4'15 en réel.

La mi-course : tout va moins bien

Les signes avant-coureurs de la fatigue apparaissent au 17e km. Oh ce n'est pas grand chose, une raideur à peine sensible des jambes, mais je sens bien que ça arrive trop tôt, que ça ne le fera pas pour les 3h. Je continue tout de même sur ma lancée, je ne vais quand même pas abandonner si facilement. Au km 18,5 je croise la tête de course qui est sur le retour. Y a pas à dire, c'est impressionant (mais je suis plutôt content de ne pas m'être fait "rattraper" plus tôt!). Je passe comme prévu en 1h31 au semi, mais cette fois je suis sûr que le negative split est hors de question. Je me lance quand même dans un petit baroud d'honneur tant que ça va encore, j'accélère à 4'10 (réel) sur quelques kilomètres.

La sentence tombe vers le 25e. Là ça ne va plus, continuer à la même allure serait clairement  suicidaire. Je n'ai aucune envie d'exploser complètement, l'arrivée est encore loin et se traîner tout ce temps serait vraiment terrible. Je ralentis donc progressivement, jusqu'à ce que je sente que l'allure redevienne soutenable. Je me fixe sur 4'30/km, et je calcule très approximativement que les 3h05 sont jouables si je tiens ça jusqu'au bout, cela devient donc mon nouvel objectif.

Mais au 27e, nouvelle alerte. D'un coup mon estomac se met à protester, et je me retrouve avec une bonne sensation de nausée. Je ne pense pas être trop déshydraté vu la température peu élevée, et j'avais validé ma stratégie d'hydratation sur d'autres course auparavant (environ tous les 5km quelques gorgées de ma boisson énergétique dosée 3 fois + un gobelet d'eau d'un ravitaillement). Cela laisse une explication possible : le Solupred et les antibiotiques c'est un peu une saloperie pour l'estomac, surtout pris à jeûn comme ce matin-là. On repassera pour l'effet dopant... Je n'ai plus aucune envie d'absorber quoi que ce soit, mais je sais aussi que je ne tiendrai pas jusqu'au bout sans boire. Pas le choix, il faut continuer à s'hydrater, même si j'ai vraiment peur de devoir me vider soudainement sur le bas-côté. Pour ne rien arranger les jambes commencent à faire franchement mal. Je m'accroche tant bien que mal, mais l'allure baisse inexorablement, dans les 4'40 / 4'45.

La fin : tout repose sur le mental

Au 32e kilomètre se produit le 2e petit miracle de ce weekend. Au ravitaillement je me trompe et prends un gobelet d'Overtims plutôt que de l'eau. Ce truc a un goût assez dégueulasse et ce n'est certainement pas le moment d'innover, mais je ne vais pas m'amuser à faire demi-tour donc je bois quand même. Et là, quelques minutes plus tard, la nausée s'estompe. Coincidence? Ou y a-t-il vraiment un truc là-dedans qui me calme l'estomac? Je décide en tout cas de laisser tomber ma propre boisson et de passer sur l'Overstims. La nausée réapparaîtra après l'arrivée, mais pendant le reste de la course mon système digestif me fichera la paix. Heureusement, heureusement qu'il n'y a pas eu de chaleur, si ces nausées s'étaient superposées à de la déshydratation je n'aurais pas donné cher de ma peau...

Tout cela me donne un petit coup de boost, j'arrive à réaccélérer vers 4'20 pour tenter de reprendre le temps perdu. Bien entendu cela ne dure pas très longtemps, les jambes deviennent vraiment trop douloureuses. La barrière psychologique des 10 km restants étant passée, je peux concentrer toute mon énergie mentale et physique pour m'accrocher à cette bouée des 4'30. Je ne cours plus à allure régulière, j'alterne entre relances sur quelques centaines de mètres et phases plus lentes pour récupérer. Ce n'est pas une méthode très orthodoxe, mais je me dis qu'avec le trail j'ai bien plus l'habitude de varier les allures, et ça a l'air de marcher plutôt bien.

Avec toutes ces histoires et cette lutte acharnée je m'attendais à perdre pas mal de places, pourtant il n'en est rien. Bien sûr quelques-uns me passent à vive allure, très certainement sur le chemin de ce fameux negative split. Mais d'autres explosent complètement et s'arrêtent au bord de la route. La plupart baisse simplement de régime, et je les rattrape inexorablement. Passé en 294e position au semi, je finirai 218e.

Les kilomètres semblent de plus en plus longs, les jambes crient leur douleur de plus en plus fort. Je m'applique à les pousser au maximum de ce que je sens être possible sans déclencher de crampe. Je n'en ai jamais eu en course jusqu'à présent, mais sur cet effort de fou rien ne semble impossible. 37e, 38e, pas facile de faire du calcul mental dans ces conditions, mais les 3h05 me semblent encore possibles. Il faut juste que je reste autour de cette allure magique de 4'30/km. 40e, on se dit qu'une fois-là, on doit forcément pouvoir finir au mental. Sauf qu'en fait ça n'a rien d'évident lorsqu'on tient justement au mental depuis plus de 10km. 41e, cette fois ça y est, je sais que ça va le faire pour 3h05, je me dis "allez, t'es sur le point de finir ton premier marathon, profite!". Mon expression se change en un mélange entre sourire et rictus de douleur, ça devait être un peu bizarre à voir.

42e, dernière ligne droite, j'ai beaucoup de mal à m'aligner sur le tapis rouge d'arrivée... et c'est fini, 3h05'26" au chrono officiel, ça doit faire pas loin de 3h05 tout pile au chrono puce. Ca n'était pas mon objectif idéal, mais je suis tout même super content, je suis allé chercher vraiment tout ce que j'avais pour tenir, je ne vois pas comment j'aurais pu faire mieux. Premier semi en 1'31, deuxième en 1'34, ce n'est quand même pas une gestion catastrophique.

Je suis d'ailleurs dans un état franchement lamentable, j'ai déjà fini des trails épuisé, mais jamais en ayant aussi mal. Bien sûr il y a les jambes qui ne sont plus que douleur - le kilomètre pour rejoindre la voiture sera fait pas à pas, en marchant comme un vieillard. Mais il y a aussi un bras quasi figé dans la position de course, impossible de tirer sur le muscle pendant quelques heures après l'arrivée. Les nausées qui refont leur apparition, et m'empêcheront de manger jusqu'en fin de journée. Un têton bien écorché, une autre première pour moi. Et un gros orteil qui me fait tellement mal lorsque j'appuie dessus que je crains une petite fracture de fatigue. En fait probablement une espèce de sub-luxation, une fois à la maison mon tic de remuer les doigts de pied lorsque je suis assis le fera craquer plusieurs fois, et la douleur disparaitra fort heureusement.

Quelques réflexions conclusives

Il faut quand même être un peu atteint pour endurer de telles souffrances et se mettre volontairement dans cet état. Courir à s'en démettre une articulation, c'est un peu n'importe quoi. D'un côté je suis assez fier d'avoir réussi à m'accrocher de cette manière, d'avoir pu aller aussi loin dans l'effort (a priori sans m'être réellement blessé). Mais je n'ai aucune envie de recommencer non plus. Un marathon à fond c'est vraiment, vraiment dur, et ça favorise nettement le fait d'aller bien au-delà du raisonnable. C'est bien différent du trail, en tout cas de la façon dont je le pratique, où le chrono est secondaire, les allures variées, et où il n'y a pas d'hésitation à ralentir franchement en cas de coup de moins bien. On peut bien sûr s'épuiser en trail, mais se faire mal comme ça, ça ne m'est jamais arrivé.

De toute façon la marche pour le pallier supérieur, le Graal des 3h, me semble bien trop haute. Sans cette saloperie de sinusite j'aurais peut-être fait 1, en rêvant un peu 2 minutes de mieux, mais sans plus. Depuis le temps que je pratique ma seule possibilité pour progresser encore serait d'augmenter nettement le volume d'entrainement, et je crois que j'ai déjà atteint mon maximum pendant cette préparation (presque 6h de course à pied et 2h de vélo par semaine).

Bref, je n'ai aucun regret, je suis très heureux d'avoir enfin couru un marathon, dans un temps quand même pas moche du tout. Mais il est bien peu probable que je me relance un jour dans une telle aventure!

9 commentaires

Commentaire de Phénix posté le 18-04-2016 à 07:38:01

Bravo Yann et un grand merci pour ton récit précis et réaliste. Tu peux être fier de l'exploit que tu as réalisé ! Surtout pour un premier marathon ! Tu es un véritable champion ! Tu arriveras sûrement à passer sous la barre des heures dans un avenir proche.

Commentaire de Phénix posté le 18-04-2016 à 07:39:10

3 heures... of course...

Commentaire de Caracole posté le 18-04-2016 à 09:00:12

Impressionnant. Quand on pense à ceux qui courent à ces allures-là, on n'imagine pas qu'ils puissent en baver autant. Bravo à toi, c'est toujours plus beau quand ça fait mal! Au MDP, j'ai fait 1h50 de plus que toi.... pour les Templiers, ça devrait le faire en deux jours, qu'est ce t'en penses?

Commentaire de Tekrunner posté le 18-04-2016 à 13:47:29

Ah pour l'ultra ce n'est pas à moi qu'il faut demander. Je m'arrête à 50km, ce n'est pas parce qu'on sait courir relativement vite qu'on est capable de gambader pendant 12, 15, 20 heures de suite... Sinon oui, on ne souffre pas forcément de la même façon, parce qu'un effort de 3h et un de 5h ce n'est pas la même chose, mais du moment qu'on se donne à fond on va sûrement tous en baver au moins un peu.

Commentaire de Eddy_87 posté le 18-04-2016 à 13:41:24

Bravo pour ta course et pour ton mental !
Pour un premier marathon il me semble normal de ne pas atteindre ses objectifs :) La prochaine fois ça passera sans problème ;)
Bonne récup' !

Commentaire de BOUK honte-du-sport posté le 18-04-2016 à 13:52:47

Aaaaaaaah il est venu ce récit de Tekrunner !
3h05 un chrono qui fait rêver !!! Bravo à toi, la prépa en valait la peine finalement !

C'est finalement à se demander si le bitume et le trail ne sont pas deux sports différents !

Commentaire de AKADOC posté le 18-04-2016 à 22:50:19

Bravo pour ta course et pour ton récit. j’espère que tu seras remis pour dimanche...

Commentaire de Mathias posté le 24-04-2016 à 09:36:29

"il est bien peu probable que je me relance un jour dans une telle aventure"

Ah ah ah ! On y croit ;-)

Je pense qu'une bonne sinusite ça peut faire perdre bien plus que 1 ou 2 minutes... la barre des 3h est à ta portée, fonce !

Commentaire de smetairie posté le 25-04-2017 à 12:55:19

Bravo pour ce recit et cette description vivante, que beaucoup connaissent.

Je fait le marathon cette année , dans une semaine, je vais tenter le 3h20, mon record officieux est 3h00 (pas enregistré car hors compétition), officiel c'est 3h38 mais sans trop forcer.

A bientot peut etre
stephane

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