Récit de la course : Ultra Trail du Mont Blanc 2005, par tritrid
L'auteur : tritrid
La course : Ultra Trail du Mont Blanc
Date : 26/8/2005
Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)
Affichage : 4763 vues
Distance : 158.1km
Matos : Dans mon sac de 10L (Quéchua) : 1L d’eau, quelques fruits secs, mes lunettes de vue (je suis archi-myope la nuit !), des gants de soie, des mitaines et la paire de bâtons qui va avec (des PETZL, très bien), un sifflet, une couverture de survie, un K-WAY (Leçon n° 5 : ne pas négliger le coupe-vent même si la météo est optimiste – corollaire : ne pas écouter la météo !!!), des chaussettes de rechange, mes deux frontales (une petite Petzl à diodes dont je ne me suis pas servie et une Zenix Black Diamond, très bon rapport performance/poids), des piles de rechange, des mouchoirs, un strap, une carte d’identité, mon portable, un peu de Nok (astuce : dans une boîtier de pellicule photo) et mon i-pod plein de zik de djeun’s pour éviter de m’endormir... Manquaient : un t-shirt de rechange à manches longues pour la nuit et un « vrai » coupe-vent, voire une polaire.
Tenue : un corsaire, un t-shirt technique à manches courtes, un bandeau pour retenir ma crinière, des guêtres (très utiles, j’avais le modèle Quéchua que je déconseille car peu respirant, contrairement au modèle Raidlight, plus cher bien entendu !), des chaussures de trail, des pieds couverts de Nok et de sparadrap... Bref un superbe accoutrement communément appelé « combinaison anti-viol », très pratique quand on court toute seule dans les bois la nuit ;-)
Objectif : Terminer
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Le récit
Novembre 2004 : Ca fait 11 mois que j’ai commencé à bosser, ça fait 11 mois que je me limite à 1 ou 2 ptits footings par semaine... Non, ce n’est plus possible ! C’est décidé, je m’inscris dans un club d’athlé, à l’Avia (Issy les Moulineaux), et je me fixe un objectif... Quel objectif ? Bah euh, chais pas moi, le semi de Paris par ex. J’ai jamais couru cette distance alors... L’entraînement débute et je prends de plus en plus goût aux sorties longues...
C’est au début de l’année 2005 que j’entends parler de cette course mythique, réputée « la plus difficile d’Europe ». 155 km, 8500 mètres de D+ : le but de la course est de faire le tour du massif du Mont-Blanc en passant par la Suisse et l’Italie, avec départ et arrivée à Chamonix, le tout en moins de 45 heures. Bref, une course difficile, dans des montagnes que je connais bien (mes parents habitent dans l’coin !) : impossible de laisser passer ça...
Bon ok, je suis un peu impulsive... Mais au départ, je me suis inscrite avec l’idée de me tester un peu, de me fixer un objectif (et quel objectif !) pour la saison, quitte à m’arrêter à Courmayeur ! Entre temps, j’avais quelque peu éprouvé ma résistance sur des « petits » ultras comme Chevreuse (56 km) et Sully (42km), un semi pour la forme, et quelques raids multi-sports. Dès que je le pouvais, je partais en WE à Combloux dans le chalet familial pour faire un max de dénivelé (qq belles courses comme le Buet, le refuge des Conscrits...). J’avais aussi encaissé du dénivelé lors d’un trek de trois semaines en autonomie au Ladakh en juillet, entre 3500 et 5100 mètres d’altitude. Finalement, je commençais à croire que Chamonix, « ça pourrait p’t-être le faire »...
C’est donc pleine de bonnes résolutions que j’ai pris le départ ce vendredi 26 août à 19 heures, parmi 2000 coureurs dont l’increvable Yolande, et Charly, mon frérot converti depuis peu lui aussi (une famille de dingues j’vous dis !). Partie sous les applaudissements d’une foule en délire et les encouragements de « nos » fidèles supporters, Serge et Pat, je n’avais pas tellement de plan de course : dormir ou non ? Faire 2 ou 3 longues pauses ou m’arrêter régulièrement ? Courir ou marcher ? Une seule certitude : je vais le finir ! (Leçon n°1 : éviter les certitudes...). J’avais également collé derrière mon dossard un tableau qui me donnait mes temps de passage supposés aux différents points de contrôle, en me basant (totalement arbitrairement) sur une course en 40 heures, ainsi que les barrières horaires aux principaux ravitos (tableau Excel dispo sur le site de la course). Placée dans le premier tiers des coureurs au départ, j’évite les bousculades mais perds de vue mes deux comparses dès les premiers mètres. Je me sens au top de ma forme (ça fait 2 semaines que je n’ai pas chaussé mes baskets !), le terrain est quasi plat jusqu’aux Houches et je dois me retenir pour ne pas allonger la foulée...
Après ce petit échauffement, dopée par les encouragements de Jean-Baptiste et Valérie qui nous ont fait la surprise de rejoindre Pat et Serge aux Houches, je grimpe avec délectation les premiers mètres de dénivelé qui me mèneront jusqu’au col de Voza. Je marche désormais à allure rapide, bâtons en main, et cours dès que le terrain le permet (c’est-à-dire rarement...). Coucher de soleil magique dans la montée, tout le monde s’arrête pour contempler le ciel en feu ! Courte pause à Voza, le temps de sortir la frontale et c’est parti pour une loooongue descente nocturne. Les piles de ma frontale ont déjà pas mal servi avant l’UTMB, donc mon éclairage est un peu faiblard, ce qui est handicapant dans cette partie boisée où il fait vraiment nuit noire (leçon n°2 : partir avec des piles neuves dans sa frontale !).
J’arrive tant bien que mal aux Contamines où m’attend un nouveau fan-club (Pat, Serge, mon père et ma belle-soeur). Je m’octroie une pause un peu (trop ?) longue pour manger, changer les piles de la frontale, avant de repartir dans la nuit. Je sais que ce seront les derniers lampadaires avant un p’tit bout d’temps ! Les quelques kilomètres de plat avant Notre-Dame de la Gorge sont un peu longuets, il me tarde d’attaquer le p’tit Bonhomme ! Je cours à vitesse réduite pour m’économiser, beaucoup se sont déjà mis à marcher. La voie romaine monte raide mais ne dure pas, déjà j’entends la musique du prochain refuge où règne une ambiance de folie : je fais un effort de volonté surhumain pour refuser le verre de vin chaud que l’on me tend ;-) !
Prochaine étape : le refuge de la Balme, gros ravitaillement où je constate déjà les premiers abandons. Plus j’avance, plus je remarque qu’il est difficile pour certains de quitter le confort des ravitos. Pour l’instant, tout va bien pour moi, je repars ragaillardie par un bol de soupe (il commence à faire bien froid !). Je me retourne de temps en temps pour contempler la magnifique guirlande de frontales qui semble ne plus finir... Si l’arrivée au col du Bonhomme est plus rapide que dans mon souvenir, le chemin qui nous mène jusqu’au refuge de la croix du Bonhomme me paraît interminable (à moins d’une demi-heure du col pourtant !). La nuit, ma perception du temps et des distances est totalement faussée ! En outre, je m’attendais à une ambiance un peu plus festive au refuge, or il n’y a que deux ou trois bénévoles qui enregistrent le passage de coureurs grelottants. Tant pis, on se rattrapera aux Chapieux...
Avant cela, une descente terrible m’attend : je commence à avoir vraiment froid et la gadoue ne me facilite pas la tâche dans cette partie du parcours déjà technique de jour en plein soleil ! Je ralentis beaucoup mon rythme et me fais doubler par pas mal de coureurs. J’essaye en vain d’en « accrocher » quelques uns, ou d’entamer la discussion, mais je me heurte à un véritable mur de silence (entrecoupé parfois d’un « Splash... », « et meeeerde ») ! Moralement, c’est dur...Tout le monde se concentre sur ses pieds. On ne voit pas les visages, juste des lampes aveuglantes... Enfin, j’aperçois les lumières de la ville : ça me donne un petit coup de boost, même s’il faudra encore descendre une bonne demi-heure avant d’atteindre le ravitaillement salvateur. Il est trois heures du matin, et je suis étonnée de voir qu’il y a encore des gens debout pour nous encourager ! Serge et Pat sont là également, fidèles au poste : ça fait du bien de se faire dorloter un peu. Je m’arrête longtemps, cédant même à la tentation d’un bon massage, car la descente m’a bien cassé les genoux. Du coup, je me refroidis vraiment et, au moment de repartir, je suis au bord de l’hypothermie. Pat-l’ange-gardien me sauve la vie en me refilant un t-shirt sec et plus chaud, et je repars sur de bonnes bases... (leçon n°3 : ne pas sous-estimer l’importance des vêtements). Il me tarde maintenant de grimper : ras-le-bol de descendre !
Après quelques kilomètres de route, on attaque enfin la montée du Col de la Seigne. Mes mollets commencent à se plaindre un peu (« hé oh, on viendrait pas de se taper déjà 2800 mètres de D+??? »), et je me fais encore doubler par des grappes de coureurs. Désespérée par le silence des concurrents, je me suis résignée à brancher mon i-pod et la musique me redonne un peu de punch ! La montée est interminable, le col me paraît toujours aussi loin. Heureusement, le jour commence à poindre et ça, ça change tout ! Au col, quelques bénévoles nous encouragent haut et fort. La vue est superbe et la descente est un vrai bonheur après cette ascension... bonheur juste assombri par une petite douleur qui me gêne près du tibia. Je soupçonne l’arrivée d’une tendinite et ralentis encore l’allure (oui oui, c’est possible !). Je commence à boiter au refuge Elisabetta et je me résigne à la marche... Je tente de boire plus d’eau, mais c’est difficile de prendre de longues gorgées dans le camel quand on est perpétuellement essoufflée (leçon n°4 : trouver un système pour boire plus d’eau), je regrette un peu la gourde à l’ancienne !
Avant l’arête du Mont Favre, une longue portion de plat m’achève le moral : résignée à la marche, je me fais doubler par plein de monde et je me sens aussi rapide qu’une tortue des montagnes... Après le Mont-Favre (une montée sévère mais assez rapide), je me traîne lamentablement jusqu’au refuge du col Chécrouit tenu par un Italien incroyable qui nous accueille à grands renforts de bon sauciflard et d’excellent fromage ! En voilà un qui sait parler aux femmes... Après une rude descente, je pénètre enfin dans les rues de Courmayeur où un public nombreux encourage les coureurs sous le soleil. Je ne vois rien, n’entends rien, toute entière concentrée sur cette p... de douleur qui va certainement avoir raison de ma volonté de boucler le tour. C’est la première fois que ma certitude de finir est remise en cause et ça fait mal ! J’aperçois une Pat hystérique, et j’éclate en sanglots dans ses bras, sous le regard incrédule d’une poignée d’Italiens... Je ne sais pas si c’est la douleur, la fatigue ou le découragement, ou bien un peu des trois, mais ça fait du bien de se défouler ! Pat, très pro, a déjà pris les choses en main : un coup de fil à Philippe pour un diagnostic par téléphone, un anti-inflammatoire piqué à Serge et le moral est regonflé à bloc. Je m’arrête vraiment longtemps, pour manger, me laver, changer de vêtements et me faire mettre un strap bien serré autour de la cheville. Je repars juste avant la barrière horaire, après avoir appris avec tristesse que Yo devra déposer les armes car elle n’arrivera pas avant 13h à Courmayeur. J’en profite pour passer un savon à tous ceux qui abandonnent là sans autre raison que la lassitude : dire qu’il y en a qui sont blessés, ou tout simplement plus lents, et qui vont devoir arrêter contraints et forcés !!! Grrrr...
A la sortie de Courmayeur, la pluie commence à tomber mais j’attaque le petit raidillon avec d’autant plus d’entrain que je me suis enfin trouvé une bande de coureurs très sympas qui ont eu pitié de l’estropiée réduite au silence forcé... Deux coureuses (dont une triathlète qui a fait la Réunion en 30h !) sont tout aussi enthousiastes que moi à l’idée de papoter un peu pour faire passer le temps. Pfiou, c’est vrai qu’on avale le dénivelé plus facilement comme ça et je parviens même à les convaincre que l’on franchira ensemble la ligne d’arrivée... Nous atteignons le refuge Bertone en une heure vingt! Malgré tout, la douleur revient insidieusement et j’ai de nouveau du mal à marcher. Notre sympathique balade se transforme rapidement en supplice et au refuge Bonatti, je sais que je vais devoir abandonner. Mes bâtons télescopiques se transforment en béquilles et, comme pour mieux me convaincre, la pluie tombe de plus en plus fort et le terrain devient très boueux. Après une descente très éprouvante jusqu’à Anurva, je dépose piteusement les armes. Autour de moi, la défaite se lit sur tous les visages : la barrière horaire n’est pas loin et surtout, la perspective de la descente du grand col Ferret dans la boue ne réjouit personne. Un grand nombre de coureurs – dont mes sympathiques acolytes – abandonne à Anurva. On est samedi, il est 18 heures et je rends mon dossard...Je suis loin des larmes de Courmayeur : à ce moment là, je ne ressens qu’une profonde colère, comme un enfant a qui on aurait piqué le jouet... J’ai envie de taper du (bon) pied et de bouder... Heureusement, Patricia est là pour calmer la gamine qui n’a besoin que d’une chose finalement : un gros dodo ! Car si je n’ai à aucun moment éprouvé l’envie de dormir pendant ces 23h de course (dopée à l’adrénaline), dès que je me suis posée dans la voiture, mes paupières sont devenues lourdes, mais lourdes... J’apprends en même temps que le frérot, blessé, va s’arrêter à Champex, à « seulement » un marathon de l’arrivée...
Le lendemain, avec Pat, Yo et Serge, nous nous rendons à Chamonix pour acclamer les derniers arrivants et j’ai les larmes aux yeux (les gonzesses, j’vous jure !). Ma colère est passée et je suis ravie d’avoir pu participer à cette aventure ultra-extraordinaire ! Ma première pensée quand je me suis arrêtée à Anurva ? « Vivement 2006 ! »
5 commentaires
Commentaire de joy posté le 25-11-2005 à 16:52:00
GROS BISOU ET ENCORE BRAVO!!!
UN FIDELE SUPPORTER
Commentaire de valetdepique posté le 16-12-2005 à 18:33:00
Merci pour ton récit, je comprends ton abandon mais je pense que tu as apprécié ce que tu as quand même parcouru et c'est là le plus important. Est-ce le but ou le moyen d'arriver qui importe ? 2006 est aussi une belle année...
A+
Commentaire de Runfredo posté le 04-01-2006 à 09:35:00
Astrid, je m'inscrits sur Kikourou et je découvre que tu as posté ton article UTMB 2005. Je peux de garantir qu'on fera tout pour aller au bout cette année avec la bande de givrés de l'avia.
Fred F
Commentaire de bruno82 posté le 22-01-2006 à 01:55:00
merci pour le commentaire (et aussi pr celui de la saintélyon), ça donne bien envie (et ça fait bien peur aussi ;)
Commentaire de akunamatata posté le 08-08-2009 à 12:10:00
c'est marrant je me revois pas mal dans ton recit poignant
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