L'auteur : Pierrot69
La course : GutsMuths-Rennsteiglauf
Date : 8/5/2010
Lieu : Eisenach (Allemagne)
Affichage : 559 vues
Distance : 72.7km
Objectif : Pas d'objectif
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C'est en nous baladant, la veille du marathon de Berlin 2009, à l'expo « Berlin Vital » qui se déroule dans le mythique Tempelhof Airport que j'ai entendu parler pour la première fois de la RennsteigLauf. Au détour des allées se succèdent les stands de présentation de courses toutes plus prestigieuses les unes que les autres. A côté des classiques marathons Athènes, Amsterdam, Barcelonne, Paris, Rome, Tokio, ... on trouve aussi des courses plus ... « vallonnées » du style Swiss Alpin marathon, ... Tant de courses qui captivent nos regards et font rêver mais que nous ne pourront certainement pas toutes faire... Nous passons devant un stand que je remarque à peine, décoration pourtant champêtre d'une couleur verte bucolique, Olivier m'interpelle et me dit « Tiens, tu vois cette course, elle est super connue et réputée ici en Allemagne et tout coureur qui va au-delà du marathon rêve de l'avoir faite au moins une fois ». Il ne peut évidemment qu'aiguiser ma curiosité. Nous nous arrêtons, il commence à discuter avec la personne qui tient le stand et je vois alors dans les yeux brillants de celui-ci toute la passion et l'amour qu'il porte pour « sa » course. Le lendemain nous courrons le marathon, mon deuxième seulement si je ne compte pas celui de l'année dernière effectué ici-même mais blessé, nous pensons déjà à la SaintéLyon en fin d'année qui sera pour nous deux notre première tentative au delà du marathon et pourtant je sais déjà que nous ferons celle-ci...
En effet, à peine une semaine après la SaintéLyon nous ne tardons pas à nous inscrire au SuperMarathon de 72,7 km.
Malgré sa popularité, il y a assez peu d'étrangers qui y participent. Il faut dire que le site web tout en Allemand a de quoi décourager qui ne parle pas la langue de Goethe. La course en est pourtant à sa 38ème édition. C'était un des plus gros événement sportif à l'époque de la RDA et encore aujourd'hui elle reste un événement d'envergure (près de 15000 participants sur toutes les épreuves réunies) avec une dimension presque mystique pour certain coureurs qui viennent ici chaque année et arborent fièrement sur leur tee-shirt le nombre de leur participations.
Celle-ci se déroule sur le Rennsteig, un chemin de randonnée long de 168km. Ce dernier relie la Werra à la Saale en passant par les crêtes qui délimitent la frontière entre la Thuringe et la Franconie partageant ainsi l'Allemagne du Nord et du Centre et autrefois frontière entre l'Est et l'Ouest.
Je rejoins Olivier la veille à Munich d'où nous partons en train pour Eisenach , ville dominée par le château de la Wartburg. C'est dans cette ville que naquit et vécut le compositeur Jean-Sébastien Bach et où séjourna, bien avant lui, le réformateur Martin Luther. Ce fût aussi le lieu de production de la marque automobile Wartburg dont les modèles connurent un grand succès à l'Est.
Nous allons récupérer notre dossard dans une vieille bâtisse du centre ville juste à côté du départ puis nous nous rendons à pied à l'auberge de jeunesse à 2km de là. Nous aurons à les refaire dans l'autre sens le lendemain à l'aube.
Je n'ai pas le goût de refaire les 4km A/R pour aller à la pasta party organisée (j'ai déjà pas mal marché le matin en me baladant dans Munich) alors nous nous contentons du buffet froid servi à l'auberge, charcuterie et quelques légumes crus, plutôt moyen comme dernier repas mais nous en contenterons...
Une bonne nuit de sommeil et le réveil à 4h30 pour prendre cette fois-ci un petit déjeuné plus copieux. Dans la salle spécialement ouverte pour l'occasion il y a en fait beaucoup de coureurs qui ont fait le choix de cet hébergement.
Comme prévu, le temps, qui était au beau la veille, est de nouveau bouché après une semaine très humide. Nous ne devrions pas trop voir le soleil aujourd'hui. Il fait environ 7°C ce qui est raisonnable, du coup je décide de ne pas trop me couvrir, juste un Helly Hansen et un T-shirt technique mais je prends malgré tout des gants et un bonnet au cas où (quelle bonne idée!). Pas de sac à dos vu le nombre de ravitaillements mais je prends tout de même un porte-bidons pour pouvoir boire à ma guise.
5h15 nous nous rendons au départ en marchant nos 2km. La pression monte un peu et la peur d'un abandon ou d'un souci quelconque est un peu présente mais je suis plutôt excité de participer à cet évènement. Arrivés sur la place principale d'Eisenach il y a là environ les 2000 participants au supermarathon qui en terminent avec leurs préparatifs. Nous bouclons nos sacs à dos et les confions au camion qui les ramènera à l'arrivée.
Un peu impressionné par l'évènement nous restons en retrait derrière et ne songeons pas vraiment à nous positionner au milieu de ce peloton qui doit pourtant être notre potentiel. Nous prendrons donc le départ de l'arrière. Un peu avant 6h, l'hélicoptère qui filme le départ vole au-dessus de nos têtes, la voix du speaker se fait plus solennelle, la musique plus impressionnante et à 6h pile voilà enfin la libération !
Nous traversons la place puis passons sous l'arche de départ et nous voilà partis pour une belle ballade ! Nous parcourons la rue principale sous les encouragements des spectateurs nombreux. A peine 800 m pour sortir de la ville puis commence la première montée.
Un spectateur facétieux a placé là un panneau pour nous rappeler ce qui nous attend maintenant...
C'est assez simple, la première partie est en fait une montée régulière de 25km qui doit nous emmener au premier point haut de la course (Inselberg - 916m) soit environ 700m de D+. Nous partons tranquille et montons à notre rythme. Partis de l'arrière nous n'arrêtons pas de doubler et profitons ainsi de tous les coureurs qui ont revêtu un déguisement ou se distinguent par une caractéristique tel ce coureur pieds nus par exemple ! Mazette, je ne sais pas si il est arrivé au bout mais il a du sacrément se geler les pieds car plus nous montons et plus la température chute et dans certain fossés sur les hauteurs il y avait encore un peu de neige..Un peu plus loin, ce sont deux coureurs reliés par une corde de 3 ou 4 mètres à laquelle ils ont accroché leurs très nombreux dossards ! L'ambiance est excellente, nous discutons pas mal avec Olivier (en Français) ce qui nous vaut de nous faire remarquer. Devant nous un coureur avec un buff « bleu-blanc- rouge » sur la tête, je le rattrape et lui demande si il est Français, mais non, il est Dominicain et habite en Allemagne. C'est sa 4ème participation mais la première fois sur le grand parcours.
7ème kilomètre, nous arrivons au premier ravitaillement. J'ai encore un peu d'eau dans mes bidons mais je m'arrête pour en prendre un peu. « Mineral Wasser » ou « Coca », j'opte pour l'eau et... arghh, eau gazeuse ! Evidemment j'aurais dû m'en douter, l'eau ici ne sera que gazeuse ! Bon, après tout, tout le monde est au même régime alors on va s'adapter.
Nous continuons notre petit bonhomme de chemin toujours en doublant pas mal. Cette fois-ci un coureur devant nous qui nous entend parler en Français nous interpelle. 66 ans, il habite en Lorraine près de la frontière et en est à sa 4ème participation. Nous discutons un long moment malgré la montée. Il nous explique les techniques de Chi Kong dont il est un fervent adepte pour se relaxer et respirer au mieux dans les descentes. Après plusieurs km, nous nous séparons en nous souhaitant bonne chance. Il terminera en un peu moins de 10h - Bravo !
Bon, avec tout ça la montée passe relativement vite malgré mon manque d'entrainement certain pour l'exercice. Par manque de temps ou d'envie je n'ai pas pris la voiture pour aller faire suffisamment de sorties vallonnées. Je sais que je vais le payer mais je compte sur ma bonne endurance du moment pour compenser. A l'approche du sommet il commence à faire vraiment frisquet et je plains ceux qui sont partis avec seulement un simple tee-shirt. A tel point que nous sortons les bonnets et finalement ils sont les bienvenus. Une légère brise souffle sur les crêtes et il faut rester bien actif pour ne pas prendre froid.
Km 25,5 voilà enfin le point haut, ce n'est pas trop tôt ! Dans la tête cela fait du bien. Je sais que maintenant il va falloir être patient et avancer. On enchaine tout d'abord sur une bonne descente, quelques escaliers au départ puis ça roule. J'hésite à me retenir et faire travailler les cuisses ou laisser aller quitte à taper un peu. Olivier semble décidé pour la deuxième solution, je suis ! En bas de la descente nouveau ravitaillement, je suis déjà passé à un mélange Coca/Eau Gazeuse qui a déjà bien fait marrer ceux qui me suivaient quand mon bidon a fait Pshittttt avec un geyser dans mon dos, mais cette fois-ci je me laisse tenter par une bouillie de céréales tiède et sucrée. Ça ressemble étrangement à une recette donnée ici sur le forum et ma foi cela passe vraiment bien. Je me demande quand même si mon estomac va bien encaisser toutes ces nouveautés mais pour l'instant c'est impec.
A partir de maintenant nous allons avoir de bonnes portions de plat et des successions de petites bosses plus ou moins longues. Et toujours cette forêt à perte de vue, le silence d'un endroit loin de tout, les nuances de couleurs, les odeurs renforcées par l'humidité ambiante, je savoure le fait d'être là.
Au 35ème km pourtant, j'ai un bon coup de mou, pas de crampes ou de douleurs particulières, non, juste un coup de moins bien. Je sais qu'il faut faire le dos rond et patienter, que cela ne va pas durer. C'est ce que je fais et finalement notre rythme baisse à peine, sauf qu'il aurait plutôt dû s'élever grâce au relief moins accidenté. Tant pis, l'écart avec mon partenaire virtuel reste à peu près stable. Nous sommes en retard d'environ 1,5km mais je l'avais calibré pour un temps de 8h ce qui, je le savais, était un peu optimiste. La distance marathon est bouclée en 4h46', le coup de moins bien commence à passer et peu à peu les jambes reviennent. Nous savons qu'après le km 62 il n'y aura quasiment plus que de la descente pour rejoindre l'arrivée. Dans ma tête je découpe la portion qui nous sépare de ce point en deux, jusqu'au 53 d'abord. Avancer, ne pas trop réfléchir à la distance qu'il reste à parcourir et nous voilà repartis sur notre rythme de sénateur. Ces kilomètres vont me paraître longs. Je repense alors aux conseils de la technique Chi Kong reçus un peu plus tôt, respiration, posture, pensée positive. Si j'avais plus de temps il faudrait que je m'intéresse de plus près à ces enseignements... Et voilà le ravito du km 54 avec un tapis de chronométrage. Tiens, cette fois-ci la bouillie est beaucoup plus liquide et parfumée aux myrtilles. Le goût et l'aspect sont un peu « space » mais ça passe bien même si je me demande au bout de combien de temps mon estomac va se rendre compte de ce que je lui fais ingurgiter surtout qu'il n'est pas trop possible d'éviter de boire de l'eau glacée vue la température...
Allez, maintenant il y a 8 km où l'on remonte et ensuite ce sera la délivrance. Je sais que nous arriverons au bout, cela ne fait plus aucun doute. Il faut juste ne pas trop trainer. Les jambes répondent toujours même si la fatigue accumulée commence à bien se faire sentir.
Dans cette portion, nous jouons au yoyo avec un concurrent qui s'est fait tatouer sur le mollet le logo de la « Trans Gaule ». Il y a des aventures qui marquent une vie... Son rythme est implacable, il me donne l'impression d'un rouleau compresseur qui avance quel que soit le profil du terrain ou la fatigue du bonhomme. Je me dis qu'il fait peut-être là son jogging dominical... Sensation de petitesse par rapport ces ultra coureurs.
La dernière montée est de nouveau bien raide et il faut lutter intérieurement pour se convaincre que celle-ci n'est pas si longue. La sensation de délivrance en atteignant le point haut est grande. Il n'y a plus maintenant qu'à dérouler. 10 gros km de descente bien régulière avec une bosse au milieu. Volontairement, on redonne un peu de rythme, aux sensations seulement car en vitesse cela doit passer inaperçu. 3km successifs à 10,5-11 km/h la machine à vapeur fume et siffle prête à exploser mais vraiment j'adore ces moments où la tête doit dominer le corps et s'obstiner.
Km 67, cette fois-ci c'est Olivier qui coince un peu. Il me fait l'excuse de la pause pipi Je trottine doucement dans la descente en l'attendant. Bigre, faut vraiment que je l'attende j'ai pris 200m d'avance. Il me rejoint enfin mais il a les traits du visage marqué. Je l'invite à me suivre mais dans la tête il a décroché, il veut terminer en roue libre. Je reste un peu avec lui mais il me pousse à y aller. Plus tôt dans la course je ne l'aurais pas fait mais là plus de risque qu'il abandonne. Encore une fois nous nous sommes soutenus mutuellement et avons vécu cette aventure ensemble. Je laisse les jambes dérouler, reprendre du rythme et puis c'est reparti pour ces derniers km au train. Je veux me finir, me laisser griser par ces sensations unique. 12km/h parfois 13 à ce moment là c'est jubilatoire. Oui mais il va falloir que cette fichue ligne d'arrivée se montre parce que je ne tiendrais pas longtemps à ce rythme là. Et en effet, la descente terminée il faut continuer sur un bout de plat. 100, 200, 500m, c'en est trop, j'ai trop donné dans ces derniers km. Je sais qu'il ne faut pas mais je me mets à marcher... à 800 m de la ligne que je ne vois toujours pas. Depuis plusieurs km on entend pourtant bien la musique et le speaker. Quelques concurrents que j'avais doublé me reprennent, les spectateurs m'encouragent et me voilà reparti. Enfin la ligne, je ne peux pas m'empêcher de tout donner et d'en repasser un ou deux.
Il me faudra bien quelques minutes après la ligne et plusieurs coca et bananes pour reprendre un peu de forces. Je retourne vers l'aire d'arrivée et voilà Olivier qui arrive finalement tout sourire.
On savoure, le soleil vient enfin de faire son apparition, l'ambiance est fantastique. Le reste est digne d'une organisation à l'Allemande, la tente douches immense avec de l'eau bien chaude, la bière et le repas réparateur, une queue pour le Tee-Shirt Finisher, une autre pour le diplôme mais tout ça sans attente. Nous prenons notre temps, mais finalement nous nous décidons pour repartir à la gare pour ne pas arriver à point d'heure à Munich. On fait quand même quelques provisions pour le voyage
Après une bonne nuit de sommeil, nous passons la matinée tranquillement puis partons pour un brunch chez des amis qui devait avoir lieu au Biergarten mais le temps médiocre de la semaine a fait que la maîtresse de maison a préféré l'organiser chez elle. Pas de chance, c'est grand soleil aujourd'hui ! Pas grave, les caisses de bières, les saucisses et bretzels sont bien là. Il y a des plaisirs simples qui se laissent copieusement savourer...
A regret je salut tout le monde pour rejoindre l'aéroport. Après ce formidable week-end sans anicroche, je ne me doute pas un instant que finalement l'ultra trail va en fait avoir lieu maintenant... Mon avion est à 15h20 mais depuis 15h l'espace aérien est bouclé pour cause de volcan Islandais
Après l'incrédulité tant le ciel bleu est limpide au dessus de nos têtes je repars fissa en direction de la gare centrale pour rentrer en train. Dans Munich, c'est la fête partout. Les supporters du Bayern exultent après la victoire de leur équipe dans le championnat Allemand et fêtent celle-ci avec ferveur. A la gare c'est d'ailleurs un peu la pagaille, pour ne pas dire la foire
La seule solution qu'on me propose est un départ à 18h et pas moins de 4 changements pour une arrivée à 8h le lendemain matin à Lyon. Je n'ai guère d'autres choix de toute façon et me voilà donc parti pour une belle nuit blanche passée dans les trains. Mais dans mon état de plénitude il en fallait bien plus pour gâcher mon plaisir !
2 commentaires
Commentaire de Mustang posté le 26-05-2010 à 23:15:00
Merci pour cette découverte!! un récit passionnant!
Commentaire de CROCS-MAN posté le 27-05-2010 à 20:27:00
Bravo et merci pour cesuper récit.
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