Récit de la course : Trail Verbier St Bernard - 140 km 2023, par truklimb

L'auteur : truklimb

La course : Trail Verbier St Bernard - 140 km

Date : 7/7/2023

Lieu : Verbier (Suisse)

Affichage : 1038 vues

Distance : 140km

Objectif : Terminer

15 commentaires

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La X-Alpine en 24 heures chrono

Derrière ce titre racoleur ne se cache pas une performance stratosphérique qui m’aurait permis d’intégrer le top 10. Non, c’est juste que j’aime bien mettre des titres qui donnent envie de cliquer, comme lors de mon prétendu top 50 sur la TDS, ou mon interview par un magazine de trail imaginaire.

Mais ce titre n’est pas non plus dénué de toute signification. Pour le comprendre, il faut se pencher sur le contexte qui entoure ma participation à cette X-Alpine :

  • Tout d’abord, mon entrainement : il est famélique. Je me suis blessé au tendon d’achille sur l’hivernale des Coursières début janvier, et je ne m’en suis jamais dépêtré malgré d’innombrables heures de kiné. A part mes deux courses de prépa, à savoir le trail du Môle et celui du gypaète, c’est le néant. Pire, même si je suis venu à bout de ces dernières, c’est toujours en ayant de grosses douleurs au tendon. Et pour achever le travail, c’est mon autre tendon qui a montré des signes d'inflammation ces dernières semaines, surement pas compensation.
  • Ensuite, la date de l’événement : avec un départ le vendredi 7 juillet au soir et une arrivée prévue dimanche 9 je ne sais trop quand, je passerai donc l’intégralité du 8 juillet en course. Hors il se trouve que c’est le jour de mon anniversaire, et que je trouvais rigolo de le fêter de cette manière.
  • Enfin, ma haine farouche de l’abandon : je n’ai jamais abandonné en course, et j’y mets un point d’honneur. Si l’idée d’abandonner m’est d’ordinaire extrêmement désagréable, elle est tout bonnement inenvisageable le jour de mon anniversaire. Je peux bâcher avant, mais ça serait franchement débile d’abandonner sur les deux premières heures de l’événement, ou après, mais pas le jour de souffler mes bougies.

Voici donc ma mission : ne pas rendre mon dossard pendant les 24 heures que compte le jour de mon anniversaire. C’est parti pour 24 heures où je vais devoir d'avantage miser sur mon mental que sur un physique défaillant. C’est parti, pour 24 heures chrono…

 

Il est minuit. Je me chante un petit « happy birthday to me », coup de feu de ma mission « 24 heures chrono ».

 

Auparavant, le départ de Verbier s’est bien passé, d’abord sur une route puis de larges chemins qui nous font gagner le sommet de la station et permettent d’étirer le peloton sans générer de bouchons. Quitter Verbier a d’ailleurs été un soulagement pour tout le monde, tant mes comparses et moi semblions gênés à l’écoute d’un « It’s a wonderful world » totalement dénué d’émotion au départ d’un ultra. La chanson est belle, la question n’est pas là, elle est juste complètement inadaptée au contexte. Bref, suite à cette première grimpette, nous parcourûmes un joli chemin de crête en direction du premier ravitaillement.

Pas de gâteau d’anniversaire pour fêter mes 39 ans et 1 heure au ravitaillement de Savoleyres. C’est même plutôt l’inverse, puisque les bénévoles semblent compter le nombre de cacahuètes autorisées par participant, et qu’on se marche dessus pour aller remplir nos flasques.

A 39 ans et 2 heures, je me sens tout de suite plus vieux. La preuve en est, mes tendons d’achille sont déjà chatouilleux, alors que je me trouve dans la longue descente vers Sembrancher. Quand je dis longue, je veux en fait dire interminable. Et moche aussi. C’est une piste forestière qui fait des zigs, et des zags, et encore des ziiigs, et toujours plus de zaaaaags, et dont on ne voit jamais le bout. Ah si, ça y est, c’est enfin la fin, qui nous fait déboucher sur une belle route, recouverte d’un bitume bien lisse. Qu’est-ce qu’il disait déjà le gars dans son micro au briefing d’avant course ? Ah oui, que la X-Alpine était le plus alpin des trails labélisés UTMB… Du coup elles se déroulent où exactement les autres courses UTMB ? Sur la bande d’arrêt d’urgence de l’A7 un weekend de chassé-croisé ?

Nonobstant, c’est finalement sur le coup de 39 ans et 3 heures que j’arrive sans broncher à Sembrancher. Encore une fois, la tente qui nous accueille est assez exigüe, mais cette fois-ci c’est encore plus compliqué car l’assistance est autorisée. Ne me lancez pas sur le sujet de l’assistance… Disons juste qu’un banc pouvant accueillir quatre ou cinq coureurs assis se transforme en un squat où seuls l’assistant et son élu peuvent séjourner, en étalant autant de bouffe et de matos de rechange que si on partait battre la campagne jusqu’à Noël…

J’occupe la 4e heure de ma 39e année d’existence à remonter la pente vers Champex.

J’y arrive exactement comme prévu sur mon roadbook, à 39 ans et 5 heures. Les tendons tirent, les adducteurs également, donc je profite de ce ravitaillement pour me faire une petite séance d’étirements, afin d’attaquer du mieux possible la seconde partie de la raide grimpette vers le refuge d’Orny. Pardon, la cabane d’Orny, on est en Suisse.

A 39 ans et 6 heures, le jour et la pluie font une apparition concomitante, alors que nous traversons une forêt dense. Les lueurs blafardes, la fin de nuit chaude et humide et la végétation luxuriante donnent à l’ensemble une ambiance tropicale. Se pose alors le dilemme ultime du trailer moderne : faut-il sortir sa veste ou non ? La loi de l’emmerdement maximum, bien connue dans le milieu, stipule que si tu prends le temps de mettre ta veste, l’ondée devrait s’arrêter dans les minutes qui viennent, mais que si tu ne daignes pas respecter les avertissements de dame nature en t’équipant convenablement, alors un déluge de grêle s’abattra sur toi. Je vois plusieurs concurrents au-dessus qui sortent leur veste, je décide de faire le contraire pour équilibrer les probabilités. Je tombe côté chance, la pluie cesse, ce qui me permet en outre de glaner quelques places pendant que mes comparses perdent du temps avec leurs séances d’habillage et déshabillage.

Je vais sur mes 39 ans et 7 heures lorsque le paysage se mue de la verdure à la rocaille. Ça y est, nous évoluons maintenant dans des pierriers, terrain raide et technique que j’apprécie, étant plutôt un randonneur à qui il arrive occasionnellement de faire un footing qu’un coureur des cimes. Même si les jambes commencent à s’alourdir et les douleurs à s’intensifier, je prends beaucoup de plaisir à rejoindre le point culminant de l’itinéraire, à presque trois mille mètres d’altitude.

C’est peu après mes 39 ans et 8 heures que j’arrive à Orny, suite à cette montée de plus de deux mille mètres de dénivelé depuis Sembrancher. Comme à chaque ravitaillement, je prends un bouillon que je sale allègrement pour compenser les pertes hydriques, mange du très bon fromage suisse puis des tonnes d’autres trucs, et m’étire encore un peu.

La 9e heure de mes 39 ans sera intégralement consacrée à la descente vers Saleinaz, d’abord dans un environnement très minéral avant de retrouver la forêt au fur et à mesure que nous regagnons la vallée. Je parcours cette descente en mode contemplatif, tant les sommets, les glaciers et les cascades qui nous dominent sont magnifiques. Comme toujours, même si le physique s’étiole inexorablement, je tâche de mesurer la chance que j’ai d’être ici et emmagasine un maximum de sentiments positifs. Je pressens que j’en aurai bien besoin plus tard dans ma mission…

Je croise plein de gens pour mes 39 ans et 10 heures, non pas qu’ils soient là pour festoyer avec moi, mais parce que nous empruntons, sur cette portion, les chemins de randonnée du tour du Mont Blanc. Beaucoup d’étrangers qui ont tous un mot d’encouragement, et quelques français dont trois vieilles qui se contentent d’un grognement en guise de réponse au « bonjour » que je leur adresse.

Je suis gâté pour mes 39 ans et 11 heures, puisque le ravito de La Fouly m’offre un cadeau aussi réjouissant qu’inattendu : une assistante se fait virer d’un banc par une bénévole ! Honnêtement, sur le coup, même moi j’ai trouvé que c’était abusé envers l'assistante car les places assises étaient légion. Mais si ça pouvait faire jurisprudence pour tous les ravitos de toutes les courses, le monde du trail ne s’en porterait pas plus mal… J’ai la bienséance de m’assoir quelques instants sur le banc qui m’a été proposé, puis repars de la Fouly avec Alice, une franco-suisse avec qui nous entamons la discussion et la montée vers le col de Fenêtre, avant d’être rejoints par Grégoire, un solide gaillard d’un bon mètre quatre-vingt-dix avec un bob vissé sur la tête. Tous les trois devisons tranquillement, ça fait du bien de sortir de sa bulle et le temps passe plus vite ainsi.

A 39 ans et 12 heures, il est temps de faire un point à l’hémistiche de ma mission : certes, la fatigue se fait sentir, les douleurs sont bel et bien présentes, mais je reste confiant quant à ma capacité de faire un non-abandon le jour de mon anniversaire. La situation parait toujours sous contrôle.

Alors que nous approchons du lac de Fenêtre et des 39 ans et 13 heures, Alice se fait décrocher dans les pentes les plus abruptes, suivie de Grégoire quelques instants plus tard. Je longe le lac, et alors que j’attaque les trois cent derniers mètres de dénivelé sous le col, je connais une défaillance terrible. Je suis littéralement scotché au chemin, incapable d’avancer. Est-ce une hypoglycémie, un coup de chaud depuis que les nuages matinaux se sont dissipés, ou juste l’accumulation de la fatigue qui se fait sentir ? Peut-être un mélange des trois ; toujours est-il que j’ai toutes les peines du monde à basculer dans la courte descente qui s’ensuit.

J’arrive au creux de cette descente à 39 ans et 14 heures et me lance tant bien que mal dans la ridicule remontée vers le grand saint Bernard. Un couple d’amis qui vivent vers Verbier me font la surprise de venir m’encourager. Je m’accorde donc une première longue pause ; après plus de soixante-dix kilomètres, je suis content de pouvoir m’assoir un bon moment et de me perdre en palabres, sur la course mais aussi d’autres sujets, qui me permettent de faire un break mental.

 

La sagesse venant avec l’âge, c’est au passage de mes 39 ans et 15 heures que j’estime qu’il est temps de repartir. Le col des Chevaux est vite franchi, et démarrent alors les 1100 mètres négatif jusqu’à la base vie de Bourg Saint Pierre.

L’heure est déjà bien avancée puisqu’il est 39 ans et 16 heures, mais le soleil cogne toujours autant. Je prends garde à l’insolation en mouillant ma casquette dès que je croise un ruisseau ; en revanche, je n’ai pas de crème solaire et je vois que j’ai bien cramé sur les bras et les cuisses. Voilà, c'est tout, autant dire qu'il ne se passe pas grand-chose. Je me contente de descendre à mon rythme...

Je vais être encore moins loquace pour mes 39 ans et 17 heures, dont je n’ai absolument aucun souvenir. Un peu comme un blackout, à l'image de ceux que j’ai pu faire en fêtant d’autres anniversaires, plus jeune, mais pour d’autres raisons… Ah si, je crois m’être fait doublé par Grégoire, ce qui m’a étonné car je l’avais vu repartir du ravito avant moi, mais il m’apprendra qu’il avait loupé une bifurcation en sortant du grand saint Bernard.

Mes 39 ans et 18 heures, en revanche, je m’en souviens. C’est la fin de la descente, et comme à chaque transition d’une vallée à l’autre, c’est interminable. Il faudrait sans cesse relancer, courir, remettre du rythme en marche rapide dans ces micro bosses qui te sapent le moral, mais je n’y arrive plus. Je trouve plein de raisons, plus ou moins bonnes, pour décrocher mon dossard à la base vie, avec entre autres :

  • La plus rationnelle : je suis archi cuit, mes tendons me martyrisent, et concrètement, je ne vois pas comment je pourrais aller au bout de cette mission. Et de la course, n’en parlons pas…
  • La plus narcissique : 90 kilomètres, ça fait déjà une sortie fort reluisante sur Strava. Malgré l’abandon, je devrais tout de même récolter une flopée de pouces levés et plusieurs commentaires positifs. Surtout qu’avec mon non-entrainement depuis le début de la saison, personne ne pourra me reprocher de jeter l’éponge ici. Mon égo n’en ressortira que peu écorné.
  • La plus matérialiste : c’est pratique de s’arrêter ici, il y a mon sac avec mes affaires de rechange, je pourrais être propre et sec en attendant la navette retour, et puis j’aurais tout mon attirail avec moi donc pas besoin de remonter à Verbier demain, ni de payer 6 euros (heu non, 6 francs suisses, on est toujours chez les helvètes) pour prendre le téléphérique.
  • La plus stupide : si je m’arrête maintenant, je peux rentrer chez moi dès ce soir et voir l’étape du tour de France de demain. L’arrivée au Puy de Dôme est prometteuse, ça serait ballot de louper ça à cause d'un trail à la con !

Ma motivation vacille et la réussite de ma mission ne tient qu’à un fil. Ce fil, ou plutôt ces fils, ce seront les spaghettis à la sauce tomate dont je vais gloutonner une énorme plâtrée. Un bon repas, c’est ce dont j’avais besoin. Je me change, retrouve Grégoire et Alice, et même étonnement Cheville de miel et Chirov, qui vont poursuivre leur route en mode randonnée. A ce moment de la course, personnellement, c’est le seul mode qu’il me reste.

Pour ma part, je vais partiellement roupiller la 19e heure de ma 39e année dans la salle de repos mise à disposition des coureurs éreintés. Cette coupure, si elle ne permet pas de récupérer physiquement, offre néanmoins la possibilité de débrancher le cerveau pendant un moment. C’est donc partiellement ragaillardi que je laisse derrière moi la base vie et mes velléités d’abandon.

La remise en route pour mes 39 ans et 20 heures est quelque peu chaotique, et je ne parviens pas à retrouver une allure décente en montée. Heureusement, je sais que ma mission s’achève dans quatre heures, ce qui parait largement jouable. En plus, je retrouve Grégoire et un autre gars avec qui nous pouvons à nouveau parler. Pendant un moment, je pense sombrer dans la folie ou les hallucinations, car il faut une bonne trentaine de minutes à mon esprit embrumé pour comprendre que le deuxième larron, aussi improbable que cela puisse paraitre, s’appelle aussi Grégoire ! D’une manière générale, on sent que les échanges se font moins vifs et guillerets qu’il y a quelque temps, voire même que nos propos sont d’une cohérence franchement douteuse. Mais peu importe, ça détourne les pensées de la douleur et c’est tout ce qui compte.

A 39 ans et 21 heures, nous apercevons au loin la cabane Mille. J’invite immédiatement mes deux Grégoires à ne pas s’enjailler à l’excès : avant de rejoindre le col de Mille puis sa cabane, il y a des nombreux méandres et autres ressauts sournois, et le cheminement est bien plus sinueux qu’il n’y parait. En parallèle, c’est à ce moment-là que le miracle de l’ultra-trail se produit : j’ai le « flow » ! Cette sensation d’avoir retrouvé mes jambes de 38 ans, de pouvoir dérouler facilement sur le plat et en descente, voire même de trottiner en montée ! Je garde la tête froide, l’expérience m’ayant enseignée que le flow est parfois soupe au lait, et qu’il peut s’évaporer aussi vite qu’il a pris possession de votre vieille carcasse bringuebalante. Je profite de ce moment, sans m’emballer mais en semant tout de même mes compagnons, et franchis les multiples petits collets puis la mini descente vers la cabane alors que la nuit nous absorbe.

J’ai déjà 39 ans et 22 heures passées quand je pénètre dans la cabane de Mille. Je n’ai plus qu’à glander ici pendant deux heures en buvant des bouillons de pâtes puis annoncer mon abandon, et ma mission sera couronnée de succès. Mais patatras, mon plan génial est promptement balayé par un point du règlement : il n’est pas autorisé d’abandonner sur ce ravito sauf problème médical ! En effet, aucune navette ne peut venir jusqu’ici, donc le seul rapatriement possible est l’hélicoptère. J’hésite une seconde en croisant le regard du responsable de camp, mais je sens que mon histoire de 39 ans et 24 heures ne sera pas assez convaincante pour mobiliser un engin de secours, fut-ce-t-il à mes frais comme c’est l’usage en Suisse.

Me voilà donc forcé de repartir dans la descente en direction de la cabane Brunet. Par chance, j’ai toujours le flow sacré en moi pour mes 39 ans et 23 heures. Cette section se passe donc sans encombre. Comme souvent sur la X-Alpine, au pied des descentes on ne trouve pas des montées, mais du radada, des trucs rébarbatifs à gravir puis à désescalader, de longs détours qui n’en finissent jamais, des pistes jeepables inintéressantes… Mais la barre symbolique des cent kilomètres est franchie, et cette cabane tant attendue est enfin là.

La dernière heure de ma mission ressemble à s’y méprendre à la 19e, puisque je m’accorde une seconde sieste à la cabane Brunet. J’y croise encore Cheville de miel et Chirov, qui ont également profité des lieux pour s’assoupir un moment. Mais comme la dernière fois que nous nous sommes vus, j’arrive et eux repartent. Ma mission s’achève donc ici sur un succès, j’ai tenu mes 24 heures chrono, et peux donc fièrement abandonner non pas le jour de mon anniversaire, mais le jour d’après. Sauf que… Après un moment de réflexion laborieux et improductif, je me convaincs que bien qu’il fut un peu émoussé, j’avais encore du flow en arrivant. Et puis j’ai fait une sieste pour m’armer de courage avant d’affronter les deux monstres puis le juge de paix de cette X-Alpine. J’en arrive à la conclusion idiote que ça n’aurait aucun sens de jeter l’éponge maintenant ! Ni une ni deux, je repars.

Et là, c’est le drame ! Le flow a disparu, ce vil petit scélérat est très probablement resté roulé en boule bien au chaud sous la couette dans la cabane, ce qui était surement la meilleure des décisions. Je sens bien qu’à l’aube de mes 39 ans et 1 jour, je ne suis plus le même homme et que la vieillerie a d’ores et déjà fait son office. Je suis fracassé, frigorifié, je n’ai plus rien dans les jambes dès les premiers hectomètres, mais c’est surtout mes tendons et même toute ma jambe gauche qui me font bien comprendre que trop, c’est trop. Pour donner une idée de mon ressenti à ceux qui ont déjà eu la chance de subir un syndrome de l’essuie-glace, là c’est pareil, mais au lieu d’être sur le côté du genou, c’est une douleur qui me lance du haut de la hanche jusqu’au talon, à chaque pas. Et à l’inverse du TFL, ça me fait mal aussi bien en montée qu’en descente, enfin seulement quand c’est raide. Ce qui est assez malvenu, puisque je dois maintenant arpenter les soi-disant monstres :

  • Le col des Avouillons : presque six cent mètres positifs, sur une sente raide et dans des pierriers avec de grandes marches. Résultat : j’ai mal à chaque pas.
  • La descente sur la passerelle suspendue de Panossière : trois cent mètres négatifs, sur un chemin raide et plein de gravillons qui ne demandent qu’à rouler et glisser sous mes chaussures. Résultat : j’ai très mal à chaque pas.
  • La montée à la cabane de Panossière : trois cent mètres positifs à gravir sur la moraine très raide qui borde l’ancien glacier, et qui est en sus balayée par un vent glacial. Résultat : j’ai atrocement mal à chaque pas, et en plus j’ai froid.

Alors en toute franchise, ces deux cols, ok ils sont durs, ok j’en ai bavé, mais pas de quoi les présenter comme ceux-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom. J'imagine que c’est surtout que pour la plupart des coureurs, ils interviennent la deuxième nuit quand on est au bout du rouleau, mais pas de quoi en faire des caisses comme on peut le lire dans différents récits de course.

Les deux bénévoles qui se trouvent là-haut sont adorables. Je me pose sur un banc juste à côté du poêle, et eux s’affairent à remplir mes flasques et m’apporter à manger. A nouveau, impossible d’abandonner ici, soit disant qu’aucun bus ne peut rouler sur un glacier. En conséquence, je vais devoir me coltiner les mille six cent mètres de descente jusqu’à Lourtier. Je demande si, à tout hasard, ils n’auraient pas du paracétamol ou une aspirine, un shoot de morphine ou même un rail de coke, mais non, ils n’ont rien de tout cela, comme par hasard.

Les deux premières heures de descente sont une véritable géhenne. Je fais presque tout à cloche-pied, et même le jour qui éclot ne m’apporte aucun réconfort. Je me remémore le principe des 80-20, ou loi de Pareto, qui théorise que 20% de nos efforts génèrent 80% de nos résultats. Adapter à mon cas, les maigres 20% de temps que j’ai pu consacrer à mon entrainement m’ont permis de parcourir 80% de cette X-Alpine. Malheureusement, le corolaire est que pour obtenir les 20% de résultats manquants, il faut déployer les 80% d’efforts supplémentaires. Ces 80%, ce sont toutes ces heures que j’ai passées chez le kiné ou à faire des footings de cinq kilomètres au lieu d’organiser des vraies sorties en montagne. Dans ces conditions, c’est imparable, je vais abandonner à Lourtier. Comble d’infamie, on en rigolait avec une copine la veille en se disant que c’était impossible de bâcher ici. Une fois à Lourtier, tu finis en rampant s’il faut mais tu ne peux pas quitter la course si proche du but.

Au pied de la descente, il y a évidemment plusieurs kilomètres en faux-plat avant de gagner le ravito. Et paradoxalement, c’est une de ces sections que j’ai tant détestées plus tôt dans la course qui va me voir renaitre : si je peux à peine marcher quand la trace est pentue, je parviens à trottiner sans aucune douleur quand l’itinéraire se montre sensiblement plat. Mon état d’esprit passe de la lose totale à la volonté d’être finisher à tout prix. Non, cette course ne sera pas mon premier DNF. J’envoie un message à ma pote vivant dans le coin pour lui demander si elle peut m’apporter deux grammes de paracétamol, mais évidemment à six heure du matin elle n’est pas réveillée.

Au total, il m’aura donc fallu trois heures depuis la cabane de Panossière, mais j’arrive enfin au ravitaillement. Je tombe directement sur une infirmière à qui je demande n’importe quoi pour masquer la douleur et terminer cette foutue course. Elle n’a que du paracétamol à me proposer ; je gobe directement le cachet qu’elle me tend, sans même vérifier ce que c’est. Si ça se trouve, c’est une dose de 125 mg pour enfant ou même un laxatif pour jument, je m’en fous, je prends. J’engloutis aussi deux assiettes de risotto avec du parmesan, et je repars sans trop trainer. Si je m’attarde, j’ai peur de changer d’avis ; à l’inverse, je sais que si je reprends la route, jamais je ne m’autoriserai à faire demi-tour. Les premières pentes me confirment que le médicament avalé plus tôt n’a absolument aucun effet sur le physique. C’était donc bien un laxatif pour jument. Mais sa plus-value est ailleurs : il a permis au mental de reprendre le dessus, d’une certaine manière c’est encore plus précieux. Le fameux « mur de Lachaux » se dresse désormais entre moi et la ligne d’arrivée. Mille deux cent mètres sur un sentier aussi raide que peu technique. Evidemment, chaque pas est un calvaire, mais je sais maintenant que je vais aller au bout. Deux heures et demie à serrer les dents plus tard, me voilà au dernier point de contrôle, à la Chaux.

La descente finale sur Verbier est pénible, sur des sentiers glissants ou bardés de racines. La dernière partie se fait plus roulante et je me remets à trottiner comme je peux, tout en me faisant doubler par les avions du parcours 20 kilomètres. Même si les mecs jouent la gagne, la plupart ont un mot sympa à mon encontre. Cela ajoute encore à l’émotion qui me gagne quand j’entends le speaker et que je retrouve les rues de la station, où j’arrive à dérouler une foulée que j’imagine fluide jusqu’à l’arche tant espérée.

J’ai 39 ans, 1 jour, 11 heures, 11 minutes et 8 secondes quand je franchis la ligne d’arrivée. Mission largement, et miraculeusement, accomplie.

 

Pour conclure, je ne peux que revenir sur une phrase lue sur Kikourou (de Spir peut-être ?), que je me suis inlassablement répétée comme un mantra pendant des heures : « On peut finir la X-Alpine ».

Merci Kikourou ; c’est vrai, j’ai pu finir la X-Alpine…

15 commentaires

Commentaire de bubulle posté le 17-07-2023 à 08:41:37

Ce n'est pas mon anniversaire, samedi prochain, mais je me demande si je ne vais pas tricher et prétendre être né un 22 juillet pour adopter ta technique pour éviter un bâchage de plus vu que d'autres ne cessent de me répéter qu'on peut finir l'UTB.

Donc, sur le coup de 21 heures, quand la perspective de quitter La Gittaz et partir dans une improbable pampa beaufortaine pou rune nuit loin de tout sera un moment délicat à surmonter pendant qu'Aquanaut sera juste à côté au volant de sa jolie camionnette....je pense que le mantra sera "pense à l'anniv de truklimb"....

Si ça marche, je m'inscris à la X-Alpine, puisqu'il paraît qu'on peut la finir, j'ai lu ça dans le récit d'un quasi-quadragénaire

Commentaire de truklimb posté le 17-07-2023 à 10:47:14

En cherchant bien dans ton historique, je suis sûr que tu dois pouvoir trouver un truc à fêter le 22 juillet pour suivre la même stratégie que moi. Et faire comme moi au final : boucler la course !

Commentaire de chirov posté le 17-07-2023 à 10:23:07

Bravo Xavier et merci pour ce CR, malgré le serrage de dents depuis Brunet, t'arrives quasiment en même temps que nous (bon faut dire qu'on a descendu à la vitesse d'un groupe de touriste du 3ème âge). Au plaisir de te recroiser sur les sentiers !

Commentaire de truklimb posté le 17-07-2023 à 10:45:48

Merci chirov, on arrive en même temps mais pas dans le même état !!
Bon courage pour le TOR, ça va être fabuleux comme expérience ! :)

Commentaire de Aquanaut posté le 17-07-2023 à 11:40:08

En plus, à La Gittaz, je mettrai le chauffage dans le bus et j'aurai des thermos de bouillon, café, etc...

Commentaire de JuCB posté le 17-07-2023 à 16:04:07

Très classe ton récit, Xavier !
Merci pour ce joli moment de lecture qui nous replonge dans ce parcours. Je partage très largement ton avis sur ces transitions qui sont plus complexes que les parties alpines.

Bravo pour ta ténacité, bonne récup et soigne toi bien !

Commentaire de truklimb posté le 17-07-2023 à 17:15:35

Merci Ju, et surtout bravo pour ta perf' de dingue ! Amuse toi bien lors de ta (très) longue balade dans quelques semaines...

Commentaire de Benman posté le 18-07-2023 à 23:30:12

Le laxatif pour jument ne se trouve pas sous les sabots d'un cheval, mais visiblement doit permettre de faire d'un potomane un cheval de course. Mais tu es un (La)chauxman.
Ton âge jurassique parque cette performance dans les exploits du jour, et ce récit dans les meilleurs vols de nuit.
Mais faire une X-Alpine sans ailes, c'est un peu du v(i)ol

Commentaire de truklimb posté le 19-07-2023 à 17:50:39

Merci Ben ! Ca fait beaucoup de jeux de mots en un seul commentaire, mais je pense que (pour une fois) je les ai tous ! ;)

Commentaire de jazz posté le 19-07-2023 à 19:22:46

Bravo xavier ; quelle téna_citée à feu et à sang pour finir cette course.

Commentaire de truklimb posté le 21-07-2023 à 09:42:14

Merci Jazz, j'espère que de ton côté tu as bien profité de la X-Traversée. C'est marrant, on se retrouve systématiquement quand je fais des courses en Suisse !

Commentaire de Mazouth posté le 21-07-2023 à 09:00:05

Bravo !! Une autre grande citation que tu as bien illustrée : "La douleur n'est qu'une information". En espérant qu'elle devienne bientôt qu'un vieux souvenir et que tu récupères bien de cet EXPLOIT majuscule.
Mais se forcer à endurer toute cette souffrance juste parce que tu es trop radin pour te payer un tour en hélico, vraiment c'est n'importe quoi ! Bon en même temps te faire payer un survol des Alpes en hélico de nuit c'est un peu de l'arnaque, finalement tu as eu raison ^^

Commentaire de truklimb posté le 21-07-2023 à 09:43:47

Merci Sylvain, là la douleur était plus une inflammation qu'une information...
Pour le tour en hélico, Jazz avait été plus malin que moi à l'UTMR il y a 2 ans, lui avait réussi à faire son baptème de l'air en plein jour ! ;)

Commentaire de Dahus69 posté le 08-09-2023 à 19:14:25

Salut Xavier, sympa ton CR et bravo, cela me replonge dans mes souvenirs de ma X Alpine 2019, mais c'était plus court à l'époque et pas entièrement le même parcours...

Commentaire de truklimb posté le 12-09-2023 à 09:19:23

Salut Paul et merci pour le commentaire ; ravi de voir que tu traines encore un peu sur Kikourou ! ;)

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