Récit de la course : La Trans'Aq 2009, par Cerium

L'auteur : Cerium

La course : La Trans'Aq

Date : 1/6/2009

Lieu : Soulac Sur Mer (Gironde)

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Distance : 230km

Objectif : Pas d'objectif

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La Trans'Aq 2009

 

La Trans Aq’

 

Vous rêvez de sable fin, de longues plages à l’infini, d’océan, de forêts profondes, d’exotisme … mais sans malaria ni turista, anacondas ou alligators, sans 30 heures d’avion ?

La Trans Aq’ est pour vous !

Course par étape, elle fait découvrir les charmes et les lieus secrets du littoral aquitain. Avec comme principale particularité de se courir en autonomie alimentaire et matériel, ce qui demande une certaine préparation en amont. Ou est-ce les prémices de la cinquantaine ? Je me retrouve à relever consciencieusement les calories sur les emballages. Il est vrai que je dois commencer à me contrôler, en à peine trente ans, j’ai quand même pris 2 kg ! C’est en tous cas un bon test oculaire…

Critère de décision: le poids et les calories ! Chaque élément est pesé, changé pour du plus léger, enlevé de la liste pour tenter de d’obtenir le confort maximum avec le poids minimum, soit 2675 gr de matériel, et  14670 kcals (2445 par jour) pour moins de 4 kg répartis dans deux sacs.

Ambiance vacances à la plage sur la presqu’île de Piqueyrot, qui accueille le premier bivouac, où chacun teste sa natte pour une sieste sous les pins ou se laisse tenter par quelques brasses dans le  lac d’Hourtin, du moins jusqu’à la pesée des sacs : 7 kg maximum autorisés pour ne pas hypothéquer ses chances de finir à cause d’une charge trop élevée et le dernier moment pour se priver d’un élément qui apparaissait indispensable jusque là! Je suis prêt à m’élancer avec 4,460 kg à compléter par 1,8lt d’eau.

La course est ouverte aux équipes de cinq, et c’est le temps du troisième de chaque étape qui est pris en compte pour le classement, histoire de répartir la pression. La notre est internationale avec un Parisien, un Breton, un Marseillais, un Belge et un Suisse, ayant tous participés à la Corsica Coast Race. Entre Bruno, chef des relations publiques et communication du team, Loïc, Didier, Dimitri  et moi-même, auto proclamé food & beverage manager, les vannes et plaisanteries fusent autant qu’avec les autres teams. Mon épouse étant surnuméraire, elle participe à la course sans compter pour l’équipe. Non, je ne l’ai pas prise pour faire mes repas et la vaisselle…

L’objectif est de rejoindre en 6 jours St Girons, au sud, au bout de la ligne droite si nette et si plate sur la carte. C’est donc en toute logique de découverte qu’on s’élance plein nord pour les 28 km et 322 m de dénivelé du jour, avec un assortiment des terrains qui nous attendent entre Piqueyrot et La Gracieuse, une maison forestière isolée, toujours au bord du Lac d’Hourtin. Un petit bout de piste cyclable pour étaler les 153 coureurs et on enchaine avec les petites sentes et les « cols » à 37m…

Heps, par là ! Mon cri ne trouble pas le groupe qui me précède et qui s’éloigne sur un chemin alors que le balisage plonge à droite dans la forêt. Ils mettent en pratique une autre particularité de cette épreuve : alors que sur toutes les autres courses, il suffit de poser le pied en dehors de la trace pour se faire traiter d’éco terroriste, ici, les coupes sont autorisées, presque encouragées, histoire de mettre un peu de piment dans le jeu. Mauvaise pioche ! Je retrouve le groupe juste derrière à la prochaine intersection. 

Voici la première plage, 4 km pour découvrir vraiment ce terrain. Marée basse, sable plutôt dur, c’est idéal pour choisir la trajectoire la plus efficace. J’observe la profondeur des traces,  foulée légère, parfait, l’entrainement sur la neige y ressemble pas mal. Remontée de la dune et changement de décor, place aux chemins sablonneux en forêt, c’est nettement plus instable que sur la plage, et ils représentent près de 85% du parcours !

J’arrive avec un petit groupe à la première balise, pour pointer mon road book où est également spécifié l’état du sol, de S1-sol dur à S6-sable fuyant partout,  et aussi là où j’ai repéré une coupe, qui m’a l’air tellement évidente que je cherche le piège en scrutant l’état du chemin. Mes atermoiements provoquent une crise de prostate tactique chez mes concurrents, jusqu’à ce que je me décide. …Il l’a vue, on y va… Stéphane, le spécialiste de l’orientation lâche les chevaux et dirige la troupe, coupant même hors chemin. Je rajoute une définition à mon vocabulaire franco-landais : coupe rase, c'est-à-dire un terrain sans arbre, donc sans ombre, jonché de souches arrachées, de branches coupées, de profondes traces d’engins, le tout copieusement recouvert de fougères. Jetez-y un obsédé de la ligne droite entre deux points de contrôle et vous vous retrouvez dans une séance de cross fractionné et de lever de genoux. Ouf, pas vraiment le rythme prévu pour l’épreuve mais interdiction de lâcher prise pour espérer regagner la sortie! Soulagé de retrouver la rubalise et les côtes escarpées du lac. 6° place en 2h32’42’’ et le sentiment d’avoir utilisé beaucoup de dynamisme pour un gain de temps très faible. Il ne reste plus qu’a profiter de la baignoire aux dimensions  du lac, avant la soirée opéra offerte par Caroline, l’épouse de Gérard, l’organisateur. 

La Gracieuse / Le Lion,  41,5 km 480m de dénivelé au menu du jour, et un départ plutôt rapide sur les petites sentes très vallonnées. La longue colonne de coureurs se disperse dans les buissons alors que je rejoins une équipe en pause pipi, mais changement de tactique aujourd’hui, pas de coupes hasardeuses, uniquement en visuel. Ça tombe bien, j’aperçois un concurrent qui grimpe une sente de l’autre côté d’une jeune forêt encore basse, j’ose donc piquer à travers, évitant un large virage. En descendant de la butte, je croise d’autres coureurs en sens inverse, à la recherche de la balise, bizarre leur raccourci!  Une seconde courbe tronquée plus tard, et on se regroupe avec Hakim et Philippe dans de longs pare-feux sablonneux, passant de droite à gauche en permanence pour trouver les amas d’aiguilles de pins les plus épais, les monticules herbeux offrant les appuis les plus consistants, ou plutôt moins fuyants.

Le soleil brille, autant en profiter… Finit les grandes forêts de pins avec un semblant d’ombre, à nous les étendues de genets et d’arbousiers, de pins maritimes bien sûr aussi, du vert partout, et le ciel bleu au dessus. Une quinzaine de km à se suivre, se distancer, se retrouver au grès des petites dunes, à se demander si le soleil ne connait que la verticale….

Dans cette immensité végétale, vivait pauvrement de nombreux gemmeurs qui récoltaient la résine des pins, afin d’en extraire la térébenthine et de quoi fabriquer de l’encre, du savon, de la colle ou du linoléum. Les ouvriers ont disparus, reste quelques « pistes de gemmeurs » traces ou ils poussaient leurs chariots, bétonnées depuis par les Allemands pour rejoindre le « Mur de l’Atlantique », donnant un support plus conséquent à la foulée. Alors que j’en emprunte une, deux cents mètres derrières mes compagnons de course, j’aperçois un autre concurrent devant !  D’où vient-il ? Un départ canon ou une coupe réussie ? Le temps que je tourne à l’équerre sur une piste cyclable et tout le monde à disparu dans les bois… Une méchante montée chaude et sablonneuse, une sauvage traversée d’arbuste, une piste cyclable ombragée, il faut de tout pour nous amener au bord du lac de Lacanau, ou je retrouve Philippe au ravitaillement.

Reste à suivre les rives du lac, au plus près. Ce qui impose parfois un pas au dessus de l’eau en se tenant aux clôtures, de se frayer un chemin dans les ajoncs pour découvrir la trace, de se faufiler sous quelques troncs d’arbres couchés. Ou de saluer poliment les campeurs un peu surpris par notre intrusion, surtout quand j’exploite le gazon sous leur nez au lieu du sable fin de la plage. Une ultime zone de S6, -sable fuyant partout- et je pique au travers quelques résidences secondaires pour rejoindre la forêt. Philippe ayant un petit coup de mou, je me retrouve seul, face au choix d’une coupe, je me laisse tenter par la montée sablonneuse plutôt que la grande courbe, le pouce fermement pointé sur la ligne à suivre, comptant les chemins latéraux comme autant de repères. En fait de montée, c’est surtout celle du stress, que je ressens! A chaque embranchement, je jette un coup d’œil inquiet à la carte, et décide de revenir au plus tôt sur la piste. Ouf, c’est fou ce qu’un petit bout de rubalise peut faire plaisir !

Remplacez les shorts et guêtres par des robes à volant et vous avez une arrivée digne d’ «Oak Alley» sur la longue piste de gemmeur qui plonge droit sous la voute de pins. Une 2° place et 4h00’02’’  de paysages variés, de plaisir et de chaleur  avant de trouver un collègue pour actionner la pompe à main antique qui sert de douche pendant qu’on se couche dessous. Stéphane, l’orienteur qui avait dépassé tout le monde par le travers, s’est perdu par la suite et finit quelques minutes derrière, ce qui fait que c’est toujours une surprise de découvrir son classement à l’arrivée.

Grosse frayeur pour Dimitri, qui se retrouve passablement vaseux suite à une hyponatrémie –un manque de sel- qui provoque également une belle déshydratation. Apport excessif d’eau pure et pas assez de sel, il faut manger et attendre que ça s’équilibre…Quelques heures de doutes et d’inquiétudes pas trop agréables à passer.

Je réalise que si j’ai tout l’après midi pour me reposer, les derniers passent plus du double du temps sur les pistes, et qu’en plus d’être  privés de sieste jambes surélevées ou de ballade à la plage avec bain de jambes dans l’océan, ils ont aussi beaucoup moins de temps de récupération, alors qu’ils en ont le plus besoin. Heureusement que le campement formé d’une grande boucle de tentes regroupées par trois autour d’un réchaud permet de réconforter les plus usés ou blessés, avant de relâcher tout le monde dans la nature, direction le Cap Ferret, 57,3 km plus loin.

Je m’élance à mon rythme, laissant ceux qui veulent disparaitre pour couper ou les habitués du départ trop rapide se flinguer dans la ruée. Tout naturellement Philippe me rejoint pour la traditionnelle partie de slalom d’un côté à l’autre de la piste à la recherche du moins mou. En fait de mou, c’est plutôt les mouches plates qui s’activent ce matin ! Plaie des chevaux, elles mordent douloureusement et restent insensibles aux claques!  Il faut les pincer fermement ou les rouler sous la main pour s’en débarrasser. Sachant que je suis un mets très apprécié de ce genre de bestiole, j’ai peaufiné ma riposte et investi 91 précieux grammes dans un flacon de répulsif : effet garanti, elles se posent mais ne mordent pas, j’ai tout loisir de m’occuper d’elles.

Comme tous les 15 km, synonyme de ravitaillement, on refait consciencieusement les pleins, pendant que Thierry se joint à nous, son coéquipier n’étant pas au mieux. Une  superbe piste de gemmeurs tire sa ligne droite sous les grands pins, youpi, je lance la locomotive, les wagons s’alignent sagement derrière, le sol dur, ça change la vie ! Bon, ça ne dure pas, et puisqu’on est venu pour courir sur le sable, profitons en pour le tester de tous les côtés dans une chorégraphie très élaborée, avec comme scène les passages frôlant les arbousiers, ajoncs, clématites ou chênes bas. Quelques réflexions concernant les coupes nous mets d’accord, on évite les tracés risqués, surtout que les pare-feux nord-sud sont les plus difficiles. Une ligne électrique perdue en pleine forêt sera l’unique fil rouge pour sauter un virage.

Je distingue une autre utilité au sac avant, non seulement profitable pour équilibrer le poids et disposer de boisson et nourriture, il permet de se crocher les pieds dans les branches enfouies et de se vautrer sans planter tout de suite la tête dans le sol… évidemment, j’ai les bras panés au sable, que je découvre blanc en surface et noir en dessous, peut-être la conséquence d’anciens incendies.

Midi bien sonné, prenons un virage à gauche face au soleil, et attaquons par plus de 30° à l’ombre, mais sans ombre, les 4,5 km de ligne droite sablonneuse agrémentée de grosses bosses bien molles, pare-feu sans répit, succession rythmée de dunes, sous une chaleur étouffante. L’effort est conséquent, même si le poids du sac, le terrain fuyant, la température élevée fait tomber la vitesse à moins de dix km/h. Chacun à tour de rôle lève un peu le pied, reprend du poil de la bête, peine et relance selon ses affinités avec la pente montante ou descendante. Philippe finit par prendre un peu d’avance, et je profite d’enfin parvenir à un petit bout de piste cyclable pour repasser Thierry, en guettant avec inquiétude du côté de mes gourdes. Un coup d’œil à la carte m’apprend qu’il faut encore franchir une grosse colline à la trace poétiquement qualifiée de S5,-sable mou-  avant de joindre le ravitaillement. Enfin, ça fait psssscht quand ça tombe dans le gosier !!!  Il s’est fait désiré, celui là ! D’ailleurs, l’organisation aura la bonne initiative de rajouter de l’eau au point de contrôle précédent. La piste cyclable suivante permet de se réhydrater soigneusement avant de traverser la dune côtière en me tractant des bras à la barrière qui protège les oyats du piétinement.

Reste 6 km de plage, le vent un peu plus frais de l’océan me revigore, le lieu, particulier pour moi, m’amuse, la tête stupéfaite  des baigneurs et autres nudistes qui découvrent notre harnachement m’amuse, le jeu avec les vagues pour trouver le sol le plus ferme m’amuse, bref, je m’amuse comme un gamin à la plage. La dune du Pilat s’agrandit peu à peu derrière les bunkers, Philippe se fait de moins en moins petit, zut alors, 6’ de repris sur 6 km, il m’en  manque moins de deux pour le rejoindre. Je doute que mon idée de prolongation aurai eu beaucoup de succès auprès de mes petits camarades de course… en tous cas pas parmi les 17 abandons du jour ! Une hécatombe sévère certainement due à la chaleur et à une réhydratation insuffisante la veille. Notre équipe perd aussi un membre, Loïc qui souffrait déjà d’un genou doit renoncer, l’instabilité des appuis n’aidant pas. Il soufrait déjà la veille mais a préféré prendre le départ pour éviter de démoraliser Dimitri, qui, aujourd’hui, a sagement fait une course prudente après sa pénible et dangereuse mésaventure de la veille.

Une deuxième place au bout de ces 5h57 plutôt éprouvantes, et la surprise de me retrouver en tête du classement général, suite à un gros coup de mou de Hakim, alors que ma femme s’installe tranquillement au sommet du classement féminin grâce à son rythme régulier, ce qui lui vaudra souvent la compagnie intéressée de coureurs en quête de la bonne cadence.

Le Cap Ferret, un lieu magique et privilégié pour récupérer. Sable fin au bord de l’océan, face à la dune du Pilat, y’a pas mal de stars du showbiz qui aimeraient planter sa villa par là. Pour faire people, je m’offre un cocktail dinatoire dans ma tente avec vue imprenable sur l’océan : Ma stratégie alimentaire repose sur un muesli et lait en poudre au petit déjeuner, un peu de maltodextrine, boisson isotoniques et gel en course, une boisson de récupération chocolatée dès l’arrivée franchie, puis soupe de tomate et purée instantanée comme collation, noix de cajou, gaufres ou palet bretons, et café macchiato en friandise. Une bonne soupe de pâtes chinoises ou plutôt Coréennes,  le soir, complète mes réserves. Je m’évite par la même occasion le bizutage rituel de la Trans’Aq  qui consiste à ingurgiter avec plus ou moins d’appétit, matin, midi et soir, des portions de lyophilisés. Un sanglier sans doute attiré par le fumet des quenelles de riz  au chili Stroganoff de légumes en mousse au chocolat vient même quémander sa pitance sur la plage !

Nous retrouvons aussi le 2° sac, avec la réserve de vivres, donc je complète le festin du « jour de repos » avec mon menu « ethnique », pain de seigle et viande séchée, je n’ai pas osé la fondue, pour ne pas monopoliser le réchaud….Une bombe énergétique sous la forme d’un paquet de pop corn salés m’occupe au grignotage durant l’après midi, entre deux discutions avec les nombreux coureurs qui profitent du soleil, jambes en l’air contre les pieux brise-vagues.

C’est au tour des hors bords de faire la course pour nous emmener de l’autre côté du bassin d’Arcachon, ou j’attends le départ en changeant la bande que j’ai mis en prévention sous la plante des pieds. J’arrache le tape avec ma délicatesse habituelle…et hop, un bout de peau se fait la malle, c’est malin, ça ! Enfin, c’est l’occasion d’utiliser le mini tube de désinfectant, pose d’une nouvelle bande et je n’y touche plus jusqu’à la fin !

20h30, honneur aux dames, aux avants postes pour le départ devant un public de familles et d’amis qui profite de la facilité d’accès à la plage des Abatilles pour dispenser quelques encouragements avant de foncer nous voir jouer dans le bac à sable de la dune du Pilat. C’est à ce moment que je découvre qu’il n’y a pas que la vo2max qui compte….une séance de home cinéma avec pop corn et bière eut été fort instructive en vue de la gestion de l’alimentation ! Car en fait, la bombe énergétique, c’est dans l’estomac qu’elle explose ! Ouille, pas bien du tout, je n’ai pas digéré, et l’eau abondamment absorbée durant l’attente n’arrange rien….je ne parviens plus à respirer profondément, et le diaphragme devient douloureux. Heureusement, les jambes vont bien, mais je souffle fort court en remontant la plage bien ferme. La douzaine de km de gymkhana rapide qui suit à travers ronces et hautes herbes, troncs abattus et sentes étroites est désagréablement ponctuée de remontées acides, jusqu'à ce nous buttions contre un mur de sable : La fameuse dune, que nous attaquons bien entendu par le secteur le plus raide et évidemment sans escalier.  Tiens, les premiers ne sont pas bien loin, à peine 15m plus haut, je ne les croyais pas si proches… enfin, pas loin en distance, mais en minutes, c’est autre chose, à chaque enjambée, on ne monte que de quelques misérables centimètres, il en faut des pas pour gravir 115 m ! Mais ça vaut la peine de griffer le sol avec les mains pour admirer plus vite le soleil se couchant entre les nuages, le banc d’Arguin à droite, la forêt à perte de vue à gauche. J’apprécie beaucoup de courir dans des lieux particuliers, et là, je suis gâté, 2,7 km ondulés évidemment bien mous toujours en compagnie de Philippe, avec qui j’ai le temps de discuter de 100 km, de 24 heures, des banalités quotidiennes somme toute….

Le temps de sortir la frontale au ravitaillement et on plonge à vive allure entre les campings dans la forêt. Assez fabuleux de ligner dans les bois noirs, avec les hautes fougères comme garde fou. Au moins, on ne pense pas trop à chercher les coupes, sauf bien sur Stéphane qui finira par buter contre un immense mur végétal et retrouvera le parcours en sens inverse après une grande boucle imprévue, ce qui n’entamera pas sa bonne humeur…  «L’orientation, c’est comme le poker, faut être joueur !»

Séquence faune en Aquitaine, avec la découverte d’un couple de shadocks qui balance machinalement leur bec en gémissant dans un décor de Far West, en fait des puits de pétrole en activité au cœur de la forêt…Y’a pas que du caviar en Aquitaine.

La poésie de la nuit ne m’empêche pas de m’étaler une nouvelle fois dans un chemin sablonneux. Le temps de me relever, Philippe a pris 20m. Je suis conscient  que si je ne rejoins pas rapidement mon lièvre, je ne vais pas tenir seul ce rythme, mais l’estomac toujours douloureux, je choisi la version confort et ralenti un peu ma course. Au ravitaillement, Laurent  m’averti  qu’il m’attend en route, ok j’arrive, sauf que pendant que je trifouille dans mon sac ventral,  je fini encore une fois la tête dans le sable, poche ouverte. Malin ça, le temps d’un contrôle matériel, il a disparu dans les bois, ce qui n’est pas trop difficile en ces lieux, surtout qu’on se glisse par une petite sente tortueuse entre les buissons pour passer une colline. Retour sur une route gravillonnée, à la recherche des balises à pointer sur l’espèce de bouillie de papier déchirée et froissée qui fut mon road book. J’ai beau balayer avec inquiétude tous les recoins du faisceau de ma frontale, rien, sauf le long caillebotis annonçant la plage finale. Mais alors, quelle plage ! On doit la remonter plein nord, je prends donc de biais pour rejoindre les flots et la bande de sable dur qui devrai aller avec,  300 m et toujours pas la moindre crête de vague, je fini par pointer comme repère un phare rouge au loin et trace droit dessus en guettant la lampe du baliseur pour repasser les dunes menant à la Teste-de-Buch. 4h17’23, une 5° place pour les 39,2 km et 686 m de bosses et un peu dépité d’avoir loupé les balises… jusqu’a ce que j’ apprenne que nous sommes passés trop vite, ils n’ont pas eu le temps de les placer!

Une boisson de récupération, un brin de toilette et zou, comme les vieux, tisane à la valériane et au dodo. Une recette qui me permettra une bonne nuit malgré les couches tard qui se succéderont jusqu’à 5 heures du matin. Autant dire que tous le monde n’a pas la tête des grands jours à la diane de 7 h. Surtout Bruno, mais lui, c’est plutôt la plante des pieds, avec de superbes ampoules, certes très pratique pour courir de nuit ;-))  mais qui lui brulent douloureusement. Il a le moral aussi torpillé que ses heures de sommeil, il me va falloir tenter la psychologie !

Pas trop du style « on est des guerriers, serre les dents … », je tente la « compassion-raison-solution ». « Ouai, c’est pas très beau, mais laisse la podologue te soigner, ensuite l’étape démarre sur la plage, tu tente gentiment de trottiner en changeant tes appuis et si ça ne vas pas, tu t’arrête au premier poste ». Je ne suis pas très convaincant, mais la podologue ayant  la bonne idée d’acquiescer,  il n’ose pas contredire la gentille demoiselle qui le transforme en momie.

Le chemin de la 5° étape est barré par un immense camp militaire, où c’eut été certainement fort amusant d’organiser une infiltration tactique, surtout pour travailler la vo2max au milieu du champ de tir des blindés…mais c’est l’autre option qui est choisie, à savoir 1 heure d’autocar pour nous emmener à Mimizan plage, départ des 23,6 km conduisant à St Julien en Born.  Il ne me faut pas longtemps pour comprendre que ce ne va pas être ma journée… à peine parti, Hakim doit se muer en nounou pour boucler les sangles de mon sac, ce que j’avais omis de faire, accaparé par diverses discutions. Inquiet pour le climat, que Gérard avait annoncé comme pouvant être rude, à la vue des nuages sombres, du vent marin et de mon t-shirt mouillé de la veille, j’ai gardé ma veste, qui s’avère rapidement inutile et se mue en étuve. Vraiment idiot, je ne courrai pas ainsi équipé en montagne. J’eu dû me méfier quand il m’affirmait que le lac étais froid alors que je m’y baignais…  on n’est pas des chochottes ! Ma casserole, que je range habituellement soigneusement au dessus de la veste, dépasse sous le rembourrage du sac et frotte désagréablement le dos. Décidemment pas bien concentré ce matin ! Enfin évidemment mon diaphragme est toujours douloureux, m’empêchant de respirer pleinement et même de me boire sous peine de blocage. Donc pas trop de bonne humeur quand j’arrive au ravitaillement après quelques grosses dunes molles et des chemins plutôt fermes. Remballage du matériel, rééquilibrage du tout, je laisse la bouteille sur place sans même l’ouvrir, et replonge  dans la forêt en ignorant la seule coupe véritablement intéressante. Grand moment de solitude dans tous les sens du terme, personne aux alentours, et inutile de chercher une oreille compatissante pour me plaindre d’avoir trop mangé sur la Trans’Aq, je risque au mieux de recevoir des regards éberlués, au pire de me faire mordre par un affamé!

Les chemins forestiers étant  propices à une petite introspection philosophique, je me triture  les méninges sur le lien entre la fixation d’objectif et la performance. Je suis venu sur cette course pour passer un moment sympa avec des amis, pour découvrir la région, un format de course en autonomie différent et bien sûr, pour m’amuser agréablement en faisant du sport. Le fait de me retrouver placé au classement implique de me défoncer pour conserver le résultat, même durant les moments un peu plus durs. Je réalise que n’ayant pas adopté cet objectif, je ne suis pas vraiment prêt à cela et que je n’arrive pas réellement à forcer face aux douleurs. Encore un élément à digérer, déjà que celui que j’ai dans l’estomac me chahute…

Un concurrent qui semble bien connaitre les lieux déboule en trombe, me souffle qu’il reste deux km, bon, allez hop, c’est le moment de me sortir de ma torpeur confortable,  voilà un objectif, les jambes tournent bien, je me règle en mode apnée et lui emboite la foulée dans une sente entourée de hautes fougères.  Quand on veut, on peut. Je me demande pourquoi j’ai trainé jusqu’à maintenant ? Une 12° place qui me met quatrième au classement général.

La végétation a bien changé depuis le Cap Ferret, fini le sable partout, ici c’est le règne de la fougère, débordante de vitalité, recouvrant tous les sous bois. Ambiance tropicale en période de mousson, surtout avec la pluie qui crachote périodiquement. Ce qui ne manque pas de provoquer quelques difficultés logistiques pour ranger les sacs dans les tentes en même temps que les trois locataires et met à rude épreuve les capacités de rusticité de certains. Mieux vaut s’entourer de compagnons sveltes, ordonnés et méticuleux pour rester serein, ou courir en couple, ce qui donne droit à une tente pour deux, et comme elle est plus vaste que celle que j’utilise en rando, ça suscite des avis divergents sur la rigueur des vacances. Dormant pour la première fois dans un véritable camping, nous bénéficions même de luxueuses douches chaudes, on va finir par s’embourgeoiser sérieusement sur cette Trans’Aq !

Conciliabule d’équipe le soir : en 2° position depuis la deuxième étape avec une avance confortable depuis la longue, les suivants se rapprochent dangereusement, il va falloir que le troisième de l’équipe se mette la pression pour assurer puisque c’est sur lui que se prend le temps. Quant à Bruno, ses pieds tous neufs lui ont permis de réaliser sa meilleure performance et n’en revient pas d’avoir pu courir sans douleur grâce à ces quelques soins.

Après la nuit la plus fraiche de la semaine, rassemblement général dans le seul lieu sec, le couvert des douches, pour un ultime départ retardé en raison d’un orage particulièrement violent. Logiquement, un gros troupeau composé de la tête de la course habituelle, et de tous ceux qui veulent grappiller quelques places, profite de la fraicheur de la pluie et du sac minimaliste pour s’élancer à bloc, pressé de rallier St Girons Plage à 27,1 petits km. Assez marrant de découvrir de nouvelles têtes quelque peu inquiètes dans ce peloton. Mot d’ordre du jour, dynamisme et bonne humeur, ça commence à sentir l’écurie…

Ces pistes de gemmeurs bétonnées qui louvoient mollement entre les pins me conviennent bien, jusqu’au moment ou je pense à me ravitailler. Aussitôt une gorgée de boisson avalée, mon diaphragme me rappelle qu’il n’as pas du tout apprécié le coup du pop corn et me le fait savoir douloureusement. Analyse de la situation, c’est simple et pas grave, pour gagner une place je ne peux que compter sur une défaillance du trio de tête, ce qui m’a l’air peu probable, et mon poursuivant le plus proche est à 50’, je décide donc de gentiment lever le pied et gérer mes sensations. Quelques uns commencent déjà à lâcher prise pendant que je me laisse glisser à l’arrière, suivant sans coller. Tient, voilà Stéphane et un Espagnol, auteurs d’un départ canon, qui déboulent latéralement d’un pare feu particulièrement ramolli par les engins de débardage, sûr de se retrouver en tête grâce au tout droit effectué, ben non, en géométrie Aquitaine, la ligne droite n’est pas toujours la plus rapide pour joindre deux points…

Puisque je n’ai pas d’autre chose à faire, je me plonge dans un petit bilan interne, jolie course, intéressant de gérer son alimentation, son paquetage, ambiance sympa, bonnes rigolades, beaux paysages surprenant d’exotisme, terrains variés à découvrir, balisage parfait, balisage ? balisaaaage ! Pourquoi ce chemin latéral n’est pas balisé ? Et ils sont où, les autres concurrents ? 200 m de visibilité et personne à l’horizon ! Je fonce jusqu’au virage, tout en connaissant la réponse… L’embouchure de la rivière et l’océan devant moi, plus de doute, je me suis planté. Reste plus qu’a faire ce par quoi j’aurai du commencer, étudier le road book et rechercher le chemin, mais au moins j’ai un point de repère valable, parce que reconnaitre un arbre dans la forêt… En retournant sur mes pas, c’est fou le nombre de traces que je découvre et que j’ai ignoré, perdu dans mes pensées. Ouf, enfin un bout de rubalise à une intersection évidente, heureusement que je passe avant le débaliseur…relance féroce car j’ai de la peine à estimer le temps perdu et crains d’avoir grillé mon avance. Je dépasse bientôt des concurrents attardés et surtout effrayés, oups, faut que je signale ma présence à l’avance, ils n’ont pas trop l’habitude qu’un énergumène déboule pareillement dans leur dos !

Superbe chemin sous la voûte des arbres, c’eut été dommage de ne pas y passer, pourtant je ne reste pas à rêvasser, je rejoins le gruppetto - les coureurs qui restent ensemble pour s’entraider-  près d’une balise, m’immisce au plus près, piétine fébrilement en attendant la pince, sous leur regard étonné, car pour eux c’est le meilleur moment pour récupérer, discuter. La perforatrice n’as pas le temps de retomber au bout du fil que je suis déjà à trois mètres, sur ce coup, Lucky Luke m’aurais loupé…La pluie a cessé, laissant un sable ferme, propice au dynamisme. Je remonte en force, saluant au passage mes coéquipiers, mon épouse plutôt surprise, juste le temps de lâcher un «m’suisperdu» et de disparaitre. Le tout quasiment sans me ravitailler, je commence à me sentir à la peine. Les coureurs que je rejoins maintenant m’étant plus familiers, je me dis que l’écart avec les premiers ne doit plus être trop important, car on a beau vivre une semaine ensemble, difficile de connaitre tout le monde, on ne repère en définitive que les voisins des tentes proches et les coureurs qui arrivent à peu près dans la même tranche horaire.  Une dernière pataugée dans le sable mou pour franchir la dune, et il ne me reste plus qu’à remonter l’ultime plage, cette fois ci sans pression, mais avec la pensée que ça a été une superbe semaine, riche en bons moments et en parties de rigolade. Passage sous l’arche pour clôturer cette belle escapade et profiter du buffet en regardant  les arrivées suivantes, marquées souvent par quelques remontées d’émotions. En 2h39, j’ai réussi à limiter les dégâts, ne perdant que 10 minutes sur Laurent. Tout un art que de se mettre la pression pour des prunes…

Philippe gagne l’épreuve en 21h05, j’obtiens évidemment la médaille en chocolat pour la 4° place en 21h52, Ruth mon épouse remporte 4 étapes ainsi que le classement féminin en 28h30, faut dire qu’elle a un bon coach !  Et la 118° et dernière concurrente classée aura profité durant 39h52 des paysages, du sable, des plages, du soleil, des ajoncs, pins et autres fougères.

Malgré un tir groupé de l’équipe suivant, nous conservons la deuxième place et donc une excuse supplémentaire de faire la fête lors de la remise des prix et des fameux cutiots, les pots à résine utilisés par les gemmeurs. A voir l’énergie dégagée par certains concurrents lorsque l’orchestre à décidé de nous faire digérer l’excellent buffet et le foie gras de Laurent sur des rythmes qui parlent au sang des Espagnols, vite rejoints par beaucoup d’autres, je me demande s’il ne manque pas une étape à cette Trans’ Aq ?

Enfin, j’ai découvert mes limites sur cette épreuve : une semaine sans un morceau de bon chocolat, c’est DUR !

Pierre-André

3 commentaires

Commentaire de lulu posté le 20-12-2009 à 23:49:00

BRAVO àtoi..!
j'ai cru m'y revoir.. La perf en moins bien-sûr !

Commentaire de rabe posté le 09-01-2010 à 21:10:00

bravo pierre-andré.
chouette recit qui m'as rappeler certains souvenir de cette transaq.
ps :je suis le 3eme laron de la 7eme compagnie..
le final c'est jouer de peu

Commentaire de akunamatata posté le 26-01-2011 à 07:34:00

Bravo Cerium,
merci pour ton recit ca donne carrement envie d'y aller pour la derniere edition cette annee!

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