Récit de la course : Courmayeur - Champex - Chamonix 2009, par bavay

L'auteur : bavay

La course : Courmayeur - Champex - Chamonix

Date : 28/8/2009

Lieu : Courmayeur (Italie)

Affichage : 1237 vues

Distance : 97km

Objectif : Terminer

3 commentaires

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Le récit

Vendredi 28 août 9 h 45_ Courmayeur.

Cette fois, j’y suis. 8 mois pour s’entrainer et mémoriser l’épreuve. Logé depuis mercredi  à l’hôtel à Chamonix. Chamonix, d’où des dizaines de bus sont partis ce matin entre 6h30 et 8h pour acheminer les 1800 coureurs inscrits sur cette « Courmayeur Champex Chamonix ». Avec ses presque 98km et 5500 dénivelée positif, elle s’affiche comme une des épreuves phares du calendrier européen.

Pour moi, c’est un tremplin pour l’Ultra trail du Mont Blanc, la grande sœur et ses 166 km, cette course dont je rêve depuis trois ans. Aujourd’hui, le seul adversaire, c’est moi. Il faudra rester prudent dans la première moitié de la course pour terminer honorablement et sereinement.

Christine est là avec Simba. Notre chienne se met debout sur la barrière qui sépare les coureurs qui piétinent sur place et les spectateurs massés depuis prés d’une heure sous un soleil qui commence à chauffer. Je  la caresse, attendri. Elle et Christine me suivront tout au long du parcours en utilisant les bus mis à disposition par l’organisation. Mais nous savons que l’inaccessibilité de la première partie du parcours nous contraint à nous donnez rendez-vous à Champex, au 55ème kilomètre.

Les hymnes nationaux de l’Italie, de la Suisse et de la France sont tour à tour joués. Nous traverserons en effet bientôt ces trois pays sur lesquels l’immense massif du Mont Blanc s’étend.

La musique s’amplifie. Je ne le sais pas encore mais 900 km plus au nord, maman regarde ce départ sur le site internet de la course. J’entendrai son message sur mon téléphone lors de la première montée vers le refuge de Bertone.

L’émotion monte. Encore quelques minutes, puis quelques secondes et le départ est donné. Je me tourne une dernière fois vers Christine avant de m’élancer, entrainé par la masse des ultra trailleurs. Quelques centaines de mètres accomplis me font réaliser que je suis parti loin des avant postes mais cela m’arrange bien. Je vais être contraint de trottiner, de courir lentement.

« Une longue balade ». L’expression de Vincent Delebarre prononcée la veille lors d'une conférence à Chamonix, me revient. Au fond, il a raison, il faut que je conçoive cette course non comme une compétition mais comme une longue promenade à travers des paysages somptueux. Dans un premier temps, au moins, le sport doit passer en second plan. Il faut certes avancer et passer un à un les cols, rejoindre les postes de ravitaillement et de pointage mais ce qui compte c’est le plaisir de courir au milieu d’une nature dont la force vous remet d’emblée à votre place.

Les premiers kilomètres accomplis permettent de décanter le peloton d’autant que la pente est déjà forte. Sans le vouloir, je dépasse, par paquets, les coureurs partis devant moi. Après Plapincieux, place à la première difficulté de la journée, la montée vers Bertone. Courte mais raide, elle se franchit facilement car nos organismes sont frais et nos muscles gorgés de carburant. Je me place à la hauteur de deux féminines dont j’apprendrai qu’elles termineront 1ère et 2ème  de leur catégorie, 17h après le départ. On descend un peu vers le refuge. Cette première petite descente m’alerte sur  l’état de mon pied droit. Acquises il y a 10 jours, les chaussures que je porte ne sont visiblement pas encore assez souples et je ressens une gêne sous le laçage. J’ai heureusement pensé à confier à Christine une seconde paire que j’enfilerai à Champex.

 11h30 refuge de Bertone – km12- altitude 1989 m –position 122. Quelques verres de boisson énergétique avalés à la hâte et c’est reparti. La montée vers la Tête de la Tronche commence. Ça monte raide avant de s’adoucir un peu. Coup de téléphone de Christine. Tout se passe bien ; elle est déjà de retour à Chamonix. Pour moi aussi, tout se passe bien. Je suis toujours dans l’esprit « balade ». La descente qui suit est en revanche beaucoup trop technique pour me laisser aller. Il faut rester concentré et prudent quitte à me laisser dépasser par plusieurs coureurs plus habiles que moi. Cette difficulté ne dure pas. Nous avons bientôt à faire à une assez longue et confortable descente en pente douce vers la vallée. Je cours tout en ayant l’impression de récupérer. Il faut monter un peu ensuite pour gagner le refuge Bonatti.

12h58 – Refuge Bonatti- altitude 2020- km 22position 106. L’accueil à l’occasion d’une halte est primordial. J’apprécie toujours ces bénévoles qui sourient, encouragent voire assistent les concurrents. Mais encore une fois, pas le temps de m’attarder. Je bois abondamment eau gazeuse et coca et m’élance vers Arnuva. Une femme court vite devant moi.  En fait, elle accompagne un coureur, sans doute son mari ou compagnon. Ils courent assez vite tous les deux et je les laisse filer. Moi-même je réalise que ma vitesse est trop élevée pour tenir à ce rythme encore longtemps. C’est pourquoi je ralentis volontairement.

13h40 – Arnuva – altitude 1769 – km 27 – position 97. Il y a beaucoup de monde. Des gens qui encouragent, m’appellent par mon prénom. Ça fait plaisir. Je dis merci, merci, merci et affiche un sourire sincère. Je m’arrête 5 minutes pour manger un peu.

Ma forme est éblouissante. Ça tombe bien car la difficulté qui s’annonce est très rude. 4 km de montée et prés de 800 mètres de dénivelée jusqu’au col du Grand Ferret. J’avance tellement vite que j’ai l’impression de laisser sur place ceux que je dépasse. Tel n’est pourtant pas mon objectif, au contraire. Je crains de subir un retour de bâton fâcheux. Mais quel plaisir de grimper ainsi !

14h38 – Grand Col ferret – altitude 2537 – km 31- position 70

Mon GPS affiche presque 2 km de plus que prévu. Pourquoi ? je n’en sais rien. Toujours est-il que j’évalue à 1h 10 le temps qu’il me faudra pour atteindre le prochain Ravitallement à la Fouly. Il sera le bienvenu car j’ai déjà soif et ma réserve en eau n’a pas été faite complètement. Erreur non fatale mais je m’en veux tout de même d’avoir négligé le remplissage des gourdes.

L’année dernière, lors de l’utmb, la descente du Grand Col Ferret avait marqué le début de l’enfer. Et c’est à la Fouly que j’avais dû renoncer après 18h de course. Cette fois, avec 70 km en moins au compteur, j’ai des ailes. Même le chemin en corniche qui de La Peule rejoint péniblement La Fouly me paraît facile. Il y pourtant moult descentes techniques qui freinent l’allure et pourraient commencer à faire mal aux quadriceps.

15h 40 – La Fouly – altitude 1593 –km 41- position 65

Voilà un marathon d’accompli. C’est en fait bien plus qu’un marathon façon « parcours billard » étudiés pour battre les records de vitesse. Ici, les presque 42 km courus depuis Courmayeur s’apparentent au parcours du combattant. Mais c’est ainsi que nous aimons la course. Je suis trempé de sueur et  doit résister à l’envie de me changer. 6 minutes pour boire, me restaurer, parler un peu avec un bénévole et c’est reparti. L’année dernière, papa et moi avions marché sur cette section pour tester un peu ma capacité à continuer ou pas. Cette fois, je galope gaiement sous les bois avec un torrent en bruit de fond. Nous descendons vers l’un des points le plus bas du parcours (1055 m) et mon allure, stabilisée autour de 10 km/h, me paraît correcte. Je vois se dérouler devant moi un paysage idyllique de prairies tondues et de très coquets chalets au cœur d’une vallée encadrée par de majestueux sommets de granit. Peu avant la montée vers Champex, mon corps donne l’alerte : la fatigue arrive. Après 50 km de course, je ressens pour la première fois une sensation désagréable qu’il faut gérer. La pente s’inverse. nous montons et paradoxalement cela me rassure ; le ravitaillement de Champex où christine et simba doivent m’attendre est proche. Je me laisse dépasser par quelques coureurs visiblement très en forme. Tant mieux pour eux. Et pourtant, ce sont ces mêmes coureurs que je dépasserai dans la montée de Bovines.

17h34 Champex – altitude 1480 – km 55 – position 60.

Des cloches qui sonnent, des groupes de spectateurs enthousiastes qui clament leur joie d’encourager les coureurs ; c’est l’odeur d’un ravitaillement de fin de journée offert dans une ravissante station de montagne. Christine et simba sont bien là. La chienne donne des signes de nervosité. Elle aboie, me saute dessus et s’affole sous les applaudissements. Christine est heureuse de me voir. Elle me tend le papier sur lequel sont inscrits mes temps et positions. Nous convenons que pour l’instant, tout se passe bien ; qu’il faut maintenant bien gérer la deuxième partie et ses trois grosses difficultés. Christine me tend des vêtements secs que j’enfile avec bonheur. J’ai encore la capacité de manger et ne refuse pas une soupe avec vermicelles.

Je repars sans mal et profite de quelques kilomètres faciles avant la montée vers Bovine, première des trois dernières ascensions.  Pour l’avoir gravie, il y a deux ans je sais qu’elle est difficile. Ces énormes blocs de moraines gênent la progression. Et voici qu’entrent en jeu les conditions météorologiques.  Si depuis Courmayeur, nous bénéficions d’un temps ensoleillé, doux et calme, ici, les nuages noient les sommets et la température chute.  Bienvenue à Bovines ! m’annonce l’officiel de la course qui depuis sa tente plantée au milieu du chemin, scanne ma puce électronique. J’effectue une descente correcte. Après 65 km de course, je ne ressens aucune trace de courbature.

20h14 Trient – altitude 1300 – km 70- position 52

On sent la fin de course. C’est l’avant dernier ravitaillement et je ne ferai que passer brièvement après deux verres de coca avalés. Je repars lentement, conscient que la course se joue ici. A 28 km de l’arrivée, rien n’est écrit. Mes parents me téléphonent. Avec Eva, ma nièce, ils m’ont suivi sur le site et sont tous les deux ravis et enthousiastes. Ils ne cachent pas leur optimisme sur l’issue de ma course. Pourtant je leur dit que je suis limite, que la moindre erreur est fatale et qu’il faut rester prudent. Une défaillance en effet peut nous obliger à abandonner. La montée vers Catogne (les Tseppes) est raide bien qu’assez courte (moins de 3km) mais à ce stade de la course, elle fait mal. Je monte calmement ; un coureur me dépasse. Nous discutons ; évaluons le temps qu’il nous reste : 5h ? au moins car la nuit est là. Elle va nous obliger à ralentir surtout dans les descentes. Je m’arrête à l’abri pour accrocher ma « frontale ». La météo ne s’arrange pas. Le vent se renforce et glace nos vêtements humides. La descente est pénible, trop longue et ce brouillard qui enveloppe tout et nous empêche de voir à plus de 2 mètres. On est souvent obligés de marcher lentement de peur de heurter un obstacle. Le chemin n’est d’ailleurs pas tranquille, encombré de rochers et de pierres ; il est étroit puis s’élargit sous la forêt. Je dois rester hyper concentré et ça me fatigue nerveusement. Mais j’ai franchi les 80 km en 12h 15 sur le GPS qui indique 82 km à Vallorcine.

22h18- Vallorcine, altitude 1260 m -km 80- position 50 

Mon corps me dirait bien d’arrêter, d'aller me rhabiller et d’aller me coucher. Mais je n’y prête aucune attention et le laisse gémir. Christine est là. Je lui confie que  je suis fatigué. Je m’oblige à rester debout, les bras tendus et posés sur une table de ravitaillement. Un bénévole m’aide gentiment à remplir mes gourdes. 6 minutes de repos seulement. Cette fois, il faut un certain courage pour se relancer dans la nuit noire et le froid et aborder la dernière grosse difficulté.

Le faux plat montant vers le col des Montets est agaçant car il me paraît bien long. Je renonce à courir. Je marche, certes vite, mais cela repose mon organisme. Je traverse la route et la silhouette des parois rocheuses du massif des aiguilles rouges se dressent devant moi. Pour évaluer la hauteur, je perçois les petites lumières des frontales qui dansent tout là haut. Courage ! toujours du mal à avancer. Les trois quarts de litre de coca avalés à Vallorcine ne semblent visiblement pas faire leur effet car j’avance comme un diesel. La montée est longue ; on n’en voit pas la fin. Un replat nous fait espérer mais il n’en est rien, ça grimpe encore et encore. Le brouillard et le froid ne gênent pas trop mais la descente est une autre histoire. Alors que je commence à retrouver des forces, impossible d’avancer rapidement à travers ce chaos de blocs rocheux. On ne peut rien anticiper. Il n’y a guère de sentier mais seulement les banderoles fluo qui nous montrent la voie. Il faut renoncer à courir et marcher prudemment. Tout cela ralentit la progression des coureurs alors que précisément on voudrait en finir.  On est plongés dans le noir et le brouillard lorsque soudain, une petite musique annonce le prochain ravitaillement de la Flégère. J’y monte et me sens à nouveau en forme. Cette fois c’est gagné !

Deux verres, quelques étirements et me voilà parti à fond vers Chamonix. Mal m’en a pris, je chute sur un magnifique pierrier. Il faut se remettre debout, le genou et les paumes de mains égratignés. Encore une petite montée, puis je pense me perdre, m’arrête, ne vois plus de banderole. Un coureur me dépasse, je le suis.  Tout cela me fait perdre quelques minutes et cela m’agace. J’ai envie d’en finir.

Je plonge maintenant vers la vallée et je fonce, déjouant les obstacles d’un chemin encombré de pierres et de racines. Je double plusieurs coureurs et distingue de mieux en mieux les lumières de Chamonix. Quel plaisir ! surtout qu’au moment où je foule le macadam de la ville, c’est « we are the champions » de Queen que j’entends depuis le lecteur MP3 que j’ai branché sur mes oreilles. Christine est là au bord de l’Arve. Elle me donne la laisse de Simba qui joyeuse m’accompagne jusque l’arrivée. Je suis euphorique, je cours les deux dernières minutes à plus de 14km/h avant que le tapis bleu ne se présente entre l’arche de l’arrivée et moi.

1h44, Chamonix, altitude 1055 m, km 98, position 43

Je trottine, cette fois, savourant ces derniers moments et tendant ma paire de bâton vers le ciel en signe de victoire. J’ai gagné le droit d’être heureux un instant. On me félicite, on me tend un thé et une veste rouge « ultra trail du Mont Blanc » en guise de cadeau. 15h 44 après, me voilà donc parvenu au bout. Christine a couru elle aussi très vite, pour me rejoindre à temps ; je l’invite à s’approcher. Je la sens fière de moi. Nous nous enlaçons. Elle me suggère de me couvrir pour ne pas prendre froid. Il faut récupérer et se réchauffer. L’hôtel n’est pas loin. J’aurai cette nuit le droit de dormir et de rêver au défi accompli pour le simple plaisir de pouvoir dire : je l’ai fait, merci à tous.

3 commentaires

Commentaire de Bleau78 posté le 08-09-2009 à 20:28:00

Super course bravo.
Bonne récup.
Marco

Commentaire de mokujin13 posté le 04-10-2009 à 17:01:00

merci à toi surtout pour ton récit et bravo pour la course

Commentaire de ChrisTof posté le 13-08-2010 à 11:43:00

Bravo pour ta course...pardon, ta "promenade"...et merci pour ce magnifique récit qui, je l'espère, me permettra d'aller au bout de l'édition 2010.
En tout cas, il m'aura déjà permis de me plonger dans les méandres du parcours et de me préparer psychologiquement à une fin de parcours rendue difficile par la fatigue, les conditions climatiques et l'obscurité.

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