Récit de la course : Verdon Canyon Challenge Ultrail - 102 km 2008, par Pier30

L'auteur : Pier30

La course : Verdon Canyon Challenge Ultrail - 102 km

Date : 28/6/2008

Lieu : Aiguines (Var)

Affichage : 2999 vues

Distance : 102km

Objectif : Pas d'objectif

3 commentaires

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Le récit

Nous sommes vendredi soir, nous retirons, Jérôme et moi, nos dossards sur le site de départ, situé sur les premières hauteurs du Parc Naturel Régional du Verdon, dans le joli village d’Aiguines. Un bénévole examine nos sacs et le matériel obligatoire (2 frontales, couverture de survie, strap, poche d’eau, nourriture, sifflet, casquette). Nous emportons en plus, un t-shirt manche longue en prévision de la nuit pouvant être fraîche à plus de 1500 m et une paire de bâtons. Ces quelques formalités remplies, nous allons prendre un bain plus bas dans le magnifique lac de Sainte-Croix, bleu turquoise et d’une tiédeur inespérée pour le frileux que je suis. Nous remontons ensuite planter la tente au camping, puis nous nous défions autour d’une partie de baby-foot (match nul 4-4) et enfin rejoignons la pasta partie sur les coups de 21h, le temps pour moi de faire une figure libre dans les escaliers de la salle des fêtes et de me démettre l’épaule gauche. Ca commence fort. J’ai faillit abandonner avant même la pasta partie. Ne nous attardons pas sur celle-ci qui nous laissera comme souvenir, seul le sentiment d’un repas inachevé (qu’une assiette de pâtes…sans entrée, ni dessert) servi dans la plus grande désorganisation. Sur ce, nous nous retirons dormir car le week-end sera long.
Nous nous levons en ce samedi estival, sur les coups de 6h30. Le briefing est prévu à 8h45 et le départ à 9h30. Je prends une douche puis nous attaquons le petit déj, composé de pâtes (très original, je sais), de pain d’épice, de pain de mie au miel et de quelques galettes de riz recouvertes de chocolat. Nous accomplissons enfin notre rituel de préparation des pieds. J’y prête une attention particulière, plus encore cette fois-ci car je vais étrenner mes nouvelles Mizuno. Je me barbouille les pieds de crème anti-échauffement, place des sparadraps anti-frottement aux endroits sensibles, puis enfile mes chaussettes anti-ampoule par-dessus. Avec ça, si je rentre en moignons, je porte plainte.
Nous arrivons à 8h30 sur la ligne de départ. L’animatrice commence l’appel des 500 coureurs inscrits sur le 35 et le 102 km : « Que les présents lèvent la main ! ». Oulala !! Ca ne sent pas bon tout ça. Ca sent l’improvisation totale. Finalement, elle décida d’un commun désaccord avec un autre éminent grand ponte des procédures d’appel, de nous héler un par un. Résultat des courses, le départ déjà prévu à une heure tardive, fut lancé avec quelques minutes de retard. Pour ne pas accroître encore celui-ci, l’organisation lança un départ commun aux deux distances, pour mieux rester bloqués dans les ruelles d’Aiguines.
Bref, nous sommes partis, et c’est bien là l’essentiel. Nous attaquons nos 102 km sous un soleil de plomb (35°c à l’hombre) en direction… du Grand Margès ! Tiens donc, mon road book fourni par l’organisation début mai nous indiquait que l’on devait cheminer vers le lac. Encore du bidouillage de dernière minute. Peu importe. Nous attaquons l’ascension par ces 750 m+ en 4 km. Au Clos de la Glacière (km 3), j’accélère quelques dizaines de mètres pour doubler un groupe trop lent à mon goût. Hélas, Jérôme ne suis pas. Je me retourne plusieurs fois mais ne le vois plus. Je ne me fais pas de soucis pour lui. Je sais qu’il reviendra sur moi lorsque le diesel sera chaud. La descente du Grand Margès est l’occasion pour moi de continuer à remonter du monde. La technicité du relief en ralenti plus d’un, ce qui m’incite à couper à travers les buis pour ne pas perdre trop de temps dans la file de coureurs. J’arrive au 1er ravito (10e km) en presque 1h45 !! Je découvre à cette occasion un nouveau type de ravitaillement. L’organisation nous propose ici, non pas des bananes, des oranges, des pâtes de fruits, du chocolat ou des produits du terroir, mais du pain de mie, des Tucs, des Curlys et des lardons crus !!! Il manque plus que le Pastis et la petite ombrelle. Je remplis ma poche d’eau et repart sans solide. Après tout, je ne devrais pas en avoir besoin puisque je me suis chargé copieusement en pâtes de fruits et en fruits secs. Nous attaquons à présent la descente dans le canyon du Verdon, ce pourquoi nous sommes tous là. La descente se fait en plusieurs paliers, plus où moins raids. Depuis le sommet du Grand Margès, nous avons perdu 1000m-. En fond de Gorges, le Verdon est là, majestueux, serpentant avec vigueur entre les gros blocs calcaires. A la première occasion, comme pour le saluer, je m’agenouille sur l’une de ses plages de galets, enlève ma casquette et prends de son eau pour me rafraîchir la tête et les jambes. Cette rivière est à l’origine de ce paysage grandiose. Combien de millions d’années lui a-t-il fallu pour nous offrir un tel paradis ? L’humilité et le respect des lieux est ma seule réponse. La pause terminée, je me positionne à l’entrée du sentier Martel, du nom de son inventeur, père de la spéléologie française et du Parc National des Cévennes. Ce sentier est dessiné, voire même creusé dans la roche. Nous allons l’emprunter sur 3 km. 3 km où nous alternons entre saut de blocs, escalade, passages vertigineux assistés de mains courantes, passages étroits et glissants, échelles… Un vrai régal technique. Pour sortir des Gorges, nous rejoignons le sentier Vidal et ses passages encordés. A l’entame de celui-ci, et en guise de bienvenue, une stèle nous rappelle la mort en ces lieux de Monsieur Intel, sans doute trop pressé de remonté…
Très vite, je récupère un coureur du 35 km, en perte de vitesse. Il s’appelle Régis et vient de Poitou. Autant dire que la douce moiteur de ses marais devait cruellement lui manquer dans ce chaos de roches brûlantes. Je lui regonfle un peu le moral, lui demande de me suivre et surtout de ne rien lâcher. Pendant près d’une heure, nous remontons à la pelle, des âmes en peine. C’est bon pour le mental de remonter le classement. Nous rejoignons le 30e km, lieu de séparation des deux distances, au bout de 5h30 de course. Régis me dit qu’il admire les cent-bornards du jour. C’est son droit. Personnellement, je pense surtout qu’on est complètement fêlé. Au fond de moi, j’avais envie de prendre à gauche comme lui et de filer me la couler douce sur le sable du Lac de Sainte-Croix. A ce moment là, je me demande si ce n’est pas lui qui a raison. 35 km, après tout, c’est déjà pas mal. Il fait tellement chaud, c’est tellement difficile, que le plaisir de courir en montagne, n’atteint pas en ce jour, le plaisir que j’aurais à barboter entre les pédalos. En gros, la lassitude commence à gagner du terrain. Je cherche désespérément une raison de continuer. Il me remercie et finalement je pris le sentier de droite presque machinalement. Régis finit 32e/250 du 35 km. Voilà, un tournant de la course vient d’avoir lieu. Nous nous retrouvons désormais qu’entre hurluberlus, inconscients, frapadingues, masochistes. A ce moment là, je ne vois plus rien de positif. Les jambes font mal, les rayons du soleil carbonisent mes neurones un par un et en plus je me retrouve tout seul au milieu de la Pampa. Je suis au plus bas alors qu’il me reste 72 km à parcourir. Bref, que du bonheur. C’est dans ces moments, qu’il faut conserver un minimum de lucidité pour garder à l’esprit que la roue tourne très souvent et plus vite qu’on ne le croit. Je pense alors à Jérôme, quelque part derrière, sans doute très proche et m’étonne de ne pas l’avoir encore vu débarquer. Je me laisse glisser en direction du Lac en espérant que le parcours nous en approche le plus possible. Nous empruntons un bout de route afin de passer en rive droite du Verdon puis l’itinéraire nous invite à reprendre de l’altitude. Pour moi il était hors de question de remonter sans faire trempette dans le lac. Je demande alors à un touriste de passage le chemin le plus court pour rejoindre une éventuelle plage. Je m’empresse de suivre ses instructions et traverse les bronzés à grandes enjambées, en laissant tomber mon sac et mes bâtons, puis me laisse guider par mon élan retrouvé dans les eaux salvatrices de la Sainte-Croix. Amen !
Mes esprits retrouvés, me voilà prêt pour remettre le couvert. Je reprends la course et attaque la montée du Galetas. Je tombe très vite sur un bivouac improvisé par des coureurs en quête de répit. On échange nos impressions de la journée puis je repars car je suis encore très loin du sommet et encore plus de l’arrivée. Je grimpe en compagnie d’un collègue madrilène. Il me raconte en castillan que son objectif est d’arrivée avant le début de la finale du Championnat d’Europe de football opposant l’Espagne à l’Allemagne. Nous rejoignons, à l’entrée de la forêt domaniale du Montdenier, deux autres trailers avec qui nous nous arrêtons un instant dans un goulet formant dans l’atmosphère, une agréable dépression rafraîchissante. Nous faisons retomber la température de notre corps puis repartons en direction du col de l’âne. Nous sommes alors au 38e km. Le moment pour moi de vivre un nouveau coup de barre. Plus dur que le précédent encore. Je suis victime d’une insolation. Un mal de crâne carabiné qui me cloue au milieu de nul part à 1100 m d’altitude. Je ne parviens plus à marché droit. Ca devient dangereux car je n’ai plus la lucidité suffisante pour placer mes pieds au bon endroit. Je décide alors de trouver un peu d’hombre sous un arbre pour me reposer le temps qu’il faudra. 10 minutes plus tard, qui vois-je sortir du bois ? Non pas le loup, mais Jérôme, frais comme un gardon. Tout à l’opposé de moi. J’essaye alors de repartir avec lui mais très vite, trop vite, je lâche. A « Plein voir », je m’arrête de nouveau. Là, je ne vois plus comment je pourrais finir. L’hypothèse de l’abandon résonne dans ma tête de plus en plus fort. Je m’assois sur une pierre, prends ma tête entre les mains et espère avoir assez de forces pour rejoindre le prochain ravitaillement pour pouvoir rendre mon dossard. A ce moment arrive Manu, alias « Rapace 74 », le Kikouroù de Haute-Savoie. Solidaire dans ma peine, il se pose à mes côtés et me donne un substitut d’aspirine. Il me raconte alors ce qui le fait courir. Aujourd’hui, il court pour son amie, renversée et tuée par un camion peu de temps avant, dont la photo trône sur le dessus de son sac. Il me clame son amour pour sa femme qui l’attend à chaque ravitaillement pour lui regonfler le moral. J’essaye alors de repartir avec lui à l’occasion d’un replat. Mais une fois de plus je ne suis pas. Manu disparaît à l’horizon et me laisse dont mes doutes. Je songe alors à appeler Corinne afin de la remercier de m’avoir refiler son invitation. Pas de bol, ça ne capte pas. Impossible de recevoir le moindre soutien d’une voix connue. J’ai vraiment la tête dans le seau. A la sortie d’un DFCI, je m’assois de nouveau sur un tas de pierres. Petit à petit, mon mal de tête disparaît, je retrouve un peu de lucidité et d’énergie. Soudainement, déboula un trailer dont l’allure me plue immédiatement. J’avais l’impression de me voir avancer. C’était l’occasion pour moi de me relancer dans la course. Je pris sa trace à l’entame de la descente dans le ravin de Grinhan. Il ne descend pas avec aisance ce qui me permet de ne pas trop puiser. Très vite nous rejoignons le ravitaillement du 40e km. Bizarrement, je ne songe plus à l’abandon. Le Pierre nouveau est arrivé. Merci Manu !! Je refais le plein du camelback et attaque le sentier du Bastidon à mi-hauteur des Gorges du Verdon. J’en profite pour faire connaissance avec ce trailer qui m’a permis de me relancer sur un bon rythme. Il s’appelle David, il a 32 ans et exerce le métier de pompier à Nantes. Nous avançons comme un seul homme sous un soleil couchant donnant une teinte rosée au canyon. Le spectacle est merveilleux. La chaleur commence à s’apaiser et les sensations reviennent. Je savais que le plus dur serait de résister jusqu’à la nuit, porteuse de températures plus adaptées à l’effort. A 21h30 nous allumons nos frontales et arrivons au chalet de la Maline (km 48 sur les coups de 23 h où nous attend soupe chaude et pâtes. La surprise fut grande de retrouver ici Jérôme. Nous avons dû faire très fort en ce début de nuit pour revenir sur lui. Nous nous réjouissons à l’idée de finir ensemble. Jérôme quitte le chalet avec 10 minutes d’avance sur David et moi mais nous le rejoignons en fond de Gorges du Verdon. Nous traversons la rivière, non pas à guet comme prévu, mais sur une passerelle fermée par la Préfecture pour des raisons d’insécurité. Encore une belle improvisation de l’organisation. Bref, nous sommes en fond de Gorges et l’objectif est maintenant de rejoindre Aiguines (km 75) avant 5h du matin au risque d’être arrêté par la barrière horaire. Nous allons donc affronter de nouveau le Grand Margès, mais dans l’autre sens. Jérôme n’est pas au mieux. Nous réduisons l’allure pour qu’il reste au contact. Il semble souffrir terriblement des pieds. Malgré tout nous avançons dans l’obscurité, que perce difficilement nos lampes en recherche de rubalises. Celles-ci ne sont pas réfléchissantes ce qui complique notre avancée. Nous peinons à atteindre le sommet du Grand Margès (1577 m) mais l’atteignons sur les coups de 3h du matin. Là, Jérôme s’assois et nous annonce, à David et moi, qu’il va panser ses plais puis rentrer à Aiguines à son rythme et sans doute stopper son aventure au km 75. Je suis déçu de ne pas pouvoir finir à ses côtés cette aventure, mais c’est la dure loi de l’Ultra. J’avale ma peine et attaque la descente technique vers Aiguines. Nous l’atteignons à 4h, soit une heure avant la dernière barrière horaire. Ici, nous ne pouvons plus être arrêté par l’organisation. Seul un mental défaillant pourra nous faire renoncer. Nous nous apprêtions à partir pour la dernière boucle de 27 km quand soudain déboula Jérôme comme une furie. « Je veux en finir avec cette course » clama-t-il à travers l’obscurité. Il a du faire une descente incroyable. Ses pansements lui on redonné une seconde jeunesse. Nous quittons Aiguines tous les trois en espérant rejoindre au plus vite Bauduen où doit nous être servi un plat de pâtes devant nous permettre de finir dans de bonnes conditions. Nous arrivons au bord du lac de Sainte-Croix au petit jour. Nous pouvons ranger la frontale et remettre la saharienne. Nous sommes alors huit à entamer ensemble le tour de la presqu’île. David papote avec un autre trailer et nous distance petit à petit. Nous le retrouverons à l’arrivée. Il finira 10 minutes devant nous. Jérôme et moi repartons pour 400 m+ puis 400 m-. Cette bosse n’était pas prévue dans le roadbook. Nous avons l’impression que l’organisation nous fait passer par là uniquement parce que c’est difficile et qu’il fallait faire du kilomètre. Il n’y a aucune logique de parcours et aucun panorama sur le lac. Cette boucle est sans intérêt et vient conclure en fadeur un trail si merveilleux jusqu’à présent. Le balisage commence à devenir sérieusement nuisible. Il est placé autour des sentiers qu’il ne faut pas emprunter et absent dans la bonne direction. Nous arrivons tout de même à Bauduen mais là, aucun plat de pâtes. Juste des Curlys et des Tucs comme tout au long du parcours. Les membres de l’organisation nous expliquent qu’ils ont changé d’avis. Lamentable. Le sentiment qui me traverse alors, et celui d’une organisation profitant d’un filon touristique et cherchant à faire le moins d’effort possible pour le bien être des coureurs.
Nous repartons sous la chaleur revenue et remontons une dernière fois vers Aiguines. Jérôme souffre toujours autant des pieds. Personnellement, la fatigue m’envahit. Sacrées endorphines. Si je marche, je m’endors. Je dois courir le plus souvent possible tout en marquant des pauses pour ne pas distancer Jérôme et récupérer. Nous sommes proche du but mais nous ne le voyons pas. En revanche, nous voyons en fin de parcours, une profusion de balisage. Les mauvais chemins sont barrés par de grandes bandes de plusieurs mètres. Les rubalises se suivent tous les 3 mètres. On se croirait sur un chantier géant de la DDE .
Enfin… voici Aiguines et son château. Nous traversons une dernière fois la route principale en échappant de peu à une voiture (personne en effet pour nous protéger dans ce virage !!). Nous sommes désormais en vue de l’arrivée. Je sers Jérôme dans mes bras, le félicite pour ce réel exploit et nous franchissons la ligne d’arrivée main dans la main après 25h de course. Nous finissons 50e/253. Contrairement au Tour du Beaufortain où les derniers finishers ont été accueillis comme des vainqueurs, ici personne. Pas de public, pas d’officiel. Pas plus de T-shirt « finisher ». No comment. Quel contraste entre la solidarité des coureurs et la froideur de l’organisation. Nous quittons rapidement les lieux avec une nouvelle victoire sur nous même, mais aussi avec des doutes sur notre futur d’ultratrailer, sur l’utilité d’une telle souffrance, mais aussi avec la conviction que nous sommes plus que jamais, près à affronter le Mont-Blanc. Maintenant, place à la récupération du côté de Sommières.

3 commentaires

Commentaire de rapace74 posté le 03-07-2008 à 11:23:00

salut pierre

si j'ais pu t'aider un petit peu ,tu m'en vois entierement ravi
bravo pour ta course ,ton recit et ta perseverence
au plaisir de te revoir et de discuter un peu plus longuement

manu

Commentaire de DidierC posté le 03-07-2008 à 19:53:00

Mais décidément, il est partout, ce Manu!
Félicitations pour ta course.

Commentaire de gdraid posté le 05-07-2008 à 17:28:00

A te lire Pier30, il ne manquait à la course, aucun obstacle, l'organisation semblant en être un de taille, du départ à l'arrivée !

Respect pour ta performance, dans de telles conditions,
et bravo pour ton mental de champion .
JC


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