Récit de la course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous 2007, par benoitb

L'auteur : benoitb

La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous

Date : 19/10/2007

Lieu : ST PHILIPPE (Réunion)

Affichage : 3500 vues

Distance : 150.1km

Objectif : Terminer

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Si un jour vous en rêvez...

En marge de ma perpétuelle quête d’un nouveau record sur les distances « classiques » (10 km, semi, marathon), je me suis vu offrir cette année un défi d’un nouveau genre en ce qui me concerne… Puisque cette année est celle de mon trentième anniversaire, et puisque j’apprécie toujours les challenges aussi relevés soient-ils, mon extraordinaire cadeau d’anniversaire fût le suivant : le redoutable honneur de prendre le départ de la mythique « Diagonale des Fous » !!!
Le décor est ainsi planté dès le début de l’année 2007, soit bien longtemps avant l’échéance. Du coup, je n’y pense pas trop, je prépare le marathon de Paris, cela se passe bien, l’été arrive, j’y pense un peu plus mais je ne suis pas encore vraiment « dedans »… Je prépare un semi-marathon, toujours pas de dénivelé dans la préparation, j’atteins encore une fois l’objectif. Nous sommes début septembre, il reste un gros mois avant le jour J. Je suis en grande forme, mais :
- je n’ai aucune préparation spécifique à la course en montagne
- je n’ai AUCUNE expérience de la course en montagne.
Pas de panique cependant… Une semaine après mon semi-marathon, direction le Pays Basque, pour participer à l’Euskal Endurance (65 km, 3700 mètres D+). J’apprends énormément. Sur le matériel (camel bak, chaussures, …), la gestion de la course (un départ trop rapide ne se récupère jamais…), la technique de course, et notamment la technique de descente qui permet de créer des écarts importants, tout en préservant ses articulations, la gestion des ravitaillements et des pauses… Pour faire bref, disons que j’ai commis ce jour là à peu près toutes les erreurs qu’il est possible de faire. C’est une stratégie comme une autre (pas délibérée…) qui permet d’apprendre très vite. Les conséquences de la moindre erreur sur des épreuves de ce type sont tellement déterminantes que l’on n’a qu’une envie : ne pas les refaire.
Voilà, j’ai une (toute petite) expérience de la course de montagne, évidemment je commettrai encore des erreurs, mais au moins j’éviterai les plus grosses. Je multiplie les sorties faciles, je cale une dernière sortie longue (mais pas trop : 3 heures) avec tout l’équipement prévu 3 semaines avant la course… Et c’est parti.
J’arrive sur place une semaine avant l’épreuve. Première impression : on est tout de suite dedans ! Les quelques raiders qui se trouvaient dans l’avion sont reçus par Robert Chicaud himself, le Big Boss de l’épreuve nous offre le punch de l’amitié, ainsi que quelques samoussas qui avaient un petit goût de « revenez-y »… Et il nous met déjà en garde contre la difficulté de l’épreuve !
Bon, l’entraînement est terminé. Je me contenterai de quelques petites randos histoire de découvrir en douceur un aperçu des chemins réunionnais, mais rien de méchant. Je profite, je fais du tourisme, et à mesure que les jours passent, je peaufine mon plan de course. Je m’imagine que 40 heures est un objectif à ma portée, comme ça, à la louche. En fonction du classement de l’année passée, en extrapolant largement. Sauf que cette année, la distance est plus longue et le dénivelé est plus important que l’an passé… C’est pas grave, ça va passer !
Le mercredi, passage obligé au stade de la Redoute, pour récupérer les dossards. Il est probable qu’une autre organisation est possible, en effet, convoquer tout le monde à la même heure pour le retrait du paquetage provoque de façon inéluctable des embouteillages monstres ! Tant pis, cela permet de croiser des vrais raiders. Je suis un peu timide, et je regarde à quoi ressemblent ces bêtes curieuses qui se lancent dans une pareille épreuve. Moi, vous comprenez, ce n’est pas pareil, je ne voulais pas y aller, on m’a forcé… Eux, ce sont des professionnels, des montagnards aguerris, des tueurs, je vais finir tout seul 10 heures après l’avant dernier...
En fait, pas du tout. Bien sûr, ils ont tous le regard déterminé, quelques uns ont le visage émacié, mais derrière le masque, et quand on discute un peu, je me rends compte qu’ils ne sont pas plus rassurés que moi. Et en plus, en regardant de plus près, je vois des gens de tous âges, des petits bouts de femmes, et finalement je me dis que les raiders, sortis du contexte spécifique de l’épreuve, n’ont vraiment pas de signe particulier visible à l’extérieur. Tout se passe à l’intérieur, une petite flamme brûle dans le for intérieur de chacun, cette petite flamme qui leur permet d’envisager presque sereinement ce que le commun des mortels juge insensé : 150 km, 9200 mètres de D+, le tout sur des chemins jamais confortables…
Je crois comprendre l’une des raisons qui mènent l’organisation à provoquer ce joyeux embouteillage au stade de la Redoute : les média s’en donnent à cœur joie, ils ont tous les participants à disposition, ça filme par ici, ça interviewe par là, les appareils photo crépitent… Même moi j’ai droit à ma petite interview sur Radio Festival, j’ignore si j’ai eu les honneurs d’une diffusion à l’antenne.
Allez, cette fois, nous y sommes presque. La journée de jeudi est interminable. A 19 heures, je monte dans la voiture, direction Saint Philippe et le Cap Méchant, lieu du départ. J’y suis à 21 heures, un peu tôt. J’essaie de dormir, peine perdue. Du coup, je me prépare et je me dirige vers le contrôle des sacs. Encore une belle cohue. Imaginez plusieurs centaines de raiders impatients d’en découdre qui poussent contre une grille au-delà de laquelle on ne laisse passer que quelques unités toutes les 30 secondes environ… De la folie. Mon mètre 62 manque de se faire écraser, mais je résiste.
Je pénètre enfin dans le stade, le contrôle du sac est une formalité (j’ai dû le vérifier une bonne centaine de fois, manquerait plus que ça…). Et on attend le départ. Il vient finalement assez rapidement, Robert Chicaud (celui qui payait le punch une semaine plus tôt, je sais le texte est long, mais il faut suivre ;-)) lance le décompte, et comme d’habitude (il paraît), le départ est allègrement volé !

Enfin, c’est parti ! Malgré l’heure tardive (départ donné à minuit), les spectateurs sont nombreux sur les premiers hectomètres. De la belle route, plate, large… Mais c’est une escroquerie ! Heureusement, nous finissons par prendre la tangente, des chemins à la pente douce au départ, mais qui s’élèvent progressivement. Cela dit je peux longtemps courir, en veillant bien à ne jamais me mettre dans le rouge. Après un premier ravitaillement, où je veille déjà à bien m’étirer, et où je m’arrête vraiment, la pente devient conforme à mes attentes. C'est-à-dire très raide. Nous montons vers le volcan, le rythme est correct, hyper régulier, quelques goulots d’étranglement, mais personne pour forcer le passage derrière. Déjà je double des concurrents peut-être partis un peu vite. Ils s’assoient sur le côté, le visage entre les mains… Et pourtant la course ne fait que commencer. Puis j’arrive sur un petit attroupement : un homme à terre, dans sa couverture de survie, on m’annonce qu’il a probablement la jambe cassée… Dur ! Et à l’endroit où nous sommes, difficile de faire passer l’info. Du coup, nous tentons le téléphone arabe, l’information part vers l’avant, nous espérons qu’elle atteigne le point de ravitaillement de Foc Foc. Je parviens à cet endroit une heure plus tard. Au moment de pointer, par pure précaution, je rappelle que le n° 709 est mal en point plus bas, mais depuis le temps, on a dû s’occuper de lui… Le pointeur, quand il m’entend, déclenche le branle-bas de combat ! Manifestement, le téléphone arabe n’a pas du tout fonctionné. Et moins de 10 minutes plus tard, alors que j’ai donné un peu plus de détails sur l’endroit approximatif où se trouve le malheureux, l’hélicoptère se fait entendre.
Je ne me suis par ailleurs pas éternisé à Foc Foc, il était un peu moins de 6h du matin, nous étions à plus de 2000 mètres d’altitude, et le froid était saisissant. Je vais parfaitement bien. Le jour se lève, les couleurs sont magnifiques, c’est génial. Nous traversons alors la Plaine des Sables, le paysage est quasi lunaire, mais nous pouvons courir, le chemin est plat ! Vraiment des moments extraordinaires. Je suis alors dans une forme extraordinaire, je vais rallier Mare à Boue en étant très facile, ma nouvelle technique de descente fait merveille (j’ai changé ma technique suite à l’Euskal, où j’ai terminé avec les quadriceps explosés, tout sur l’arrière, ce n’est pas bon : on n’avance pas, et en plus on se fait mal…), je cours quand beaucoup marchent… Et juste avant Mare à Boue, un petit coup de moins bien. Peut-être un début d’hypoglycémie, rien de bien méchant toutefois, il est l’heure justement de refaire les réserves. Déjà 8 heures de course. Et j’attaque ensuite un morceau dont je me serais bien passé : la montée vers Kervéguen, et ensuite le petit bout rajouté en raison d’un éboulement. Une montée interminable, boueuse à souhaits, il fait froid, il crachine par moment, je me sens d’un coup moins bien, tout le monde monte plus vite que moi… Le moral en prend un coup. Et puis rendu en haut, il faut redescendre vers Cilaos : 1000 mètres de D- ! Et la descente est très difficile au début, quelques échelles nous viennent en aide. Mais que je suis lent ! Finalement, nous retrouvons des sentiers (un peu) plus accueillants. Et là, après être resté dans le sillage de deux locaux qui descendaient bien, je décide de me lâcher. Je fais les 700 derniers mètres de D- à fond. Je vais aussi vite que possible, je redouble tous ceux qui m’ont dépassé dans la montée, et même un peu plus. J’ai retrouvé toutes mes facultés… Et j’arrive à Cilaos dans un état euphorique après 13 heures de course. Je n’ai mal nulle part, je me dirige quand même vers les tables des kinés pour refaire le bonhomme… Et là, je ne comprends pas. On me refoule. On me dit d’aller me laver. De quoi ? Et je baisse les yeux, et je découvre mes jambes pleines de boue. Bon, OK, ça va pour cette fois, mais je ne tolérerai pas de nouvelles incartades !
C’est le moment de signaler (pour éviter toute ambiguïté) le comportement et le dévouement extraordinaires (et je pèse mes mots) de tous les bénévoles. Toujours le sourire, toujours prêts à rendre service, toujours un mot d’encouragement, toujours ils minimisent leur travail pour valoriser notre performance, toujours ils anticipent nos demandes… Je leur ai dit plusieurs fois sur le parcours, et je le répète ici encore : MERCI à vous. L’épreuve ne serait pas tout à fait ce qu’elle est sans ses bénévoles. C’est l’âme de l’épreuve, c’est ce qui nous permet d’aller toujours un peu plus loin dans l’effort. Voilà c’est dit, et s’il faut le répéter, je le répéterai.
Bref, une fois propre, je me fais chouchouter, je change mes vêtements, mes chaussures, je mange, et je repars sous les encouragements bon enfant des spectateurs qui s’émerveillent de me voir sourir après tant de kilomètres. C’est vrai que j’ai la banane, et c’est lié autant à mon état physique qu’à une formidable impression de me sentir bien dans la course. Le soutien moral des autres concurrents, des bénévoles et des spectateurs, tout cela ajouté au temps superbe : je souris sans pouvoir m’arrêter.
Et on enchaîne rapidement sur une nouvelle montée : le Taïbit, en deux temps. La première partie est traîtresse. En fait, la montée est relativement abrupte, je sais à quelle altitude cela se termine, je surveille donc l’altimètre du coin de l’œil, je me dis que j’y suis presque quand nous redescendons. Cela se produit une fois, deux fois, quatre fois au total. Le moral en prend un coup. J’avais l’impression que cela ne finirait jamais. Je signale cette impression au pointage à mi-montée du Taïbit : les bénévoles me disent que c’est la particularité des chemins réunionnais… Ils montent et descendent sans arrêt. Super ! Allez, j’embraye sur la suite de la montée du Taïbit. Plus dure, mais plus régulière, et au moins on ne redescend pas ce que l’on vient de monter. Finalement, je réalise une belle montée, je conserve ma place. La nuit arrive, il est 18 heures et je pointe à Marla. Je demande s’il est possible de dormir, on m’indique une tente, et le bénévole me demande à quelle heure je souhaite être réveillé. Je m’octroie une heure de repos. Le bénévole sera hyper ponctuel, merci à lui. Mais je n’ai pas fermé l’œil. Les percussions n’ont jamais arrêté, l’animation était trop présente, et moi je n’étais sans doute pas assez fatigué… Je repars après une heure de pause, mais pas vraiment reposé.
Et là débute la deuxième nuit, et sans doute le passage le plus difficile pour moi. Nous descendons vers Trois Roches puis vers Roche Plate, des passages techniques où je commence à sentir les premiers effets d’une lucidité qui fout le camp. Il fait nuit noire, certains passages sont périlleux (sentier au bord de la paroi en dévers vers le vide, merci les mains courantes…), mais le spectacle est superbe, nous voyons en face de nous les frontales des concurrents qui nous précèdent et qui sont dans la montée vers la Nouvelle. Avant de m’engager dans cette montée, j’aurai le plaisir de rater ma traversée de la rivière des Galets, et mon pied gauche ira goûter la fraîcheur de l’eau à cet endroit… Et la montée, interminable. Heureusement que j’avais mon altimètre qui m’a permis de toujours savoir où j’en étais, mais là encore, quelques descentes venaient tuer le travail de montée effectué juste avant. J’arrive à la Nouvelle au bout de 25 heures de course. Le vainqueur est déjà arrivé au bout depuis une heure et demie… Là encore le froid est tellement vif que je repars sans attendre.
Gros passage galère ensuite, je suis en pilotage automatique quand je traverse la plaine des Tamarins, j’essaie de m’accrocher à deux concurrents, mais le moindre passage technique les fait s’éloigner de moi tellement je ne comprends plus rien à ce qui m’arrive… Il est temps de dormir peut-être ? Et cela monte encore et encore, je dors debout… Je fini par rejoindre un concurrent mal en point qui s’aide d’un bâton pour progresser. Il sait déjà qu’il n’ira pas au bout et doit pourtant rejoindre un point de ravitaillement pour être pris en charge. Je décide de l’accompagner, pour le coup il va à mon rythme ! Je lui ouvre la route, je l’aide partout où c’est nécessaire. Cela tombe d’autant mieux qu’une petite tendinite commence à m’enquiquiner au niveau du genou droit. Nous atteignons tant bien que mal le kiosque du sentier Scout, où l’on nous annonce qu’il n’est pas possible de dormir, alors que nous avions décidé de nous poser là. Il faut continuer encore un peu dans des chemins pas très techniques mais encore une fois très gras. Et finalement, nous arrivons en bas du sentier Scout, il est 4 heures du matin, mon compagnon de ces quelques dizaines de minutes rend son dossard, et moi je me couche. Je décide de dormir 3 heures étant donné mon état de fatigue avancé. Je règle le téléphone portable pour qu’il me réveille au moment voulu. 50 minutes plus tard, le froid, les bruits alentours et l’agitation ambiante m’arrachent au sommeil. Je fais un rapide point, je me sens reposé, jamais je ne réussirai à me rendormir dans ces conditions, je dois repartir au plus vite. Je demande aux pointeurs combien de personnes sont passées ici, histoire de savoir combien de places ont été perdues au cours de cette sieste : je suis 377ème. Inespéré. Je suis désormais certain de finir dans les 400 premiers, alors que je ne visais au mieux qu’une place de 500ème.
Miracle, la tendinite au genou droit a disparu, je suis d’attaque pour la descente vers la Plaque puis Aurère. Tout va pour le mieux, il fait grand jour, et j’attaque le dernier tiers de la distance. Moral au top. Au cours de cette descente, je croise Christophe (www.chjou2.com) qui remonte… Il est blessé et la mort dans l’âme il a sagement décidé de renoncer. Seulement, il faut rejoindre le point de ravitaillement, on lui a indiqué qu’il ne pourrait pas être pris en charge en bas… Dur d’abandonner sur le Grand Raid. Je repenserai plus tard à cette situation, et cela m’aidera à finir. Je suis malheureux pour lui, il s’était tellement investi dans sa préparation… Mais il reviendra, et il réussira, c’est certain. Je pense qu’il avait nettement mieux préparé son épreuve que moi, la course est injuste…
Je reprends ma course, j’arrive à Aurère, en plein cœur du cirque de Mafate, le temps est beau, le paysage est magnifique, je vais bien. Parfait. Dans la foulée, je rejoins le dernier gros poste de ravitaillement à Deux Bras. Il est 9 heures, cela fait 33 heures que je crapahute. Je me pose sur une chaise, je retire ma chaussette gauche, j’ai l’impression qu’un petit caillou s’est infiltré. Pas une réelle douleur, mais une gêne permanente. Un médecin s’approche de moi, et regarde mon pied… Il ne s’agit pas d’un caillou, mais plutôt de la conséquence d’un pied qui a été à l’eau quelques heures plus tôt, la peau sous le pied a fait des plis, et la gêne ressentie est liée à un début de crevasse… Pas grave, mais assez impressionnant ! Je suis expédié illico sur la table des podologues, qui vont s’occuper de moi. J’avais prévu de m’arrêter 20 minutes, c’est plus d’une heure que je vais passer ici ! Mais cela valait la peine. La podologue qui s’est occupé de moi a très bien fait son boulot, je repars avec un pied tout neuf, l’une de ses collègues ira jusqu’à me donner ses chaussettes pour être tout à fait certaine que je repartirai les pieds bien au sec (elle voulait s’assurer que le Breton que je suis irait au bout grâce à une Bretonne d’origine qu’elle est… Qu’elle soit ici encore remerciée !).
Et je m’attaque alors à une nouvelle difficulté, la montée de Dos d’Âne. Encore une belle difficulté. Je n’avance à rien, mais vraiment à rien de rien. Et pourtant presque personne ne me rattrape. Le raideur moyen au bout de 35 heures d’effort n’avance plus très vite… En plus, je suis exposé au soleil pendant presque toute l’ascension… Il fait une chaleur insupportable. Finalement j’en viens à bout, la deuxième partie étant finalement plus accessible que le début. Je vois l’église, je pointe, je m’arrête pensant à tort être au stade (alors qu’il était impossible de croire que je me trouvais dans un stade, mais j’essayais de m’en convaincre quand même). Il faut encore marcher un peu pour l’atteindre, ce stade. Mais la route n’était pas trop difficile, je traversais le village, bien sûr cela grimpait, mais c’était une jolie route que j’empruntais, et non pas un chemin caillouteux…
Cela sent l’arrivée, beaucoup de monde au stade, il reste 20 km, l’ascension du Piton Bâtard, et après on déroule. Je m’enquiers auprès d’une bénévole du temps qu’il faut prévoir pour arriver en haut du dernier sommet de la course. Je m’attends à quelque chose comme deux heures, c’est en tout cas ce que me dit à peu près mon plan de route. Elle me répond : « un quart d’heure ». Devant mon visage interloqué, elle poursuit : « oui, mais moi je fais ce chemin tous les dimanches, vous comprenez, c’est facile pour moi… Vous, vous allez mettre peut être une demie heure… ». Mouais, je n’y ai pas cru une seconde. Je pense qu’il y a eu une légère incompréhension avec la dame… Bref, je pointe (encore une fois), et moins de 30 secondes plus tard, mon portable sonne : il s’agit d’un copain qui me suit en live depuis la métropole, et qui me félicite d’en être arrivé là ! Eh bien on peut dire que ça, c’est du live ! En plus, ça réchauffe le cœur, ça redonne un peu de fraîcheur de sentir soutenu. Je repars gonflé à bloc pour ce « quart d’heure » de grimpette.
Tu parles d’un quart d’heure. Ca monte comme jamais, je suis lent, mais j’ai compris que les autres ne vont pas plus vite que moi. La tendinite de la nuit revient, pas méchante au début. J’arrive à ce que je crois être le sommet, j’entame la descente… heureux d’en avoir presque fini, et finalement cela remonte. Et j’ai maintenant vraiment mal avec cette tendinite. Et mon releveur du pied droit se met également à grogner. Je continue, cela n’en finit plus de monter et de descendre, et la douleur devient insupportable. Je me prends à hurler de douleur dans les petites descentes, et à pleurer de désespoir devant ce passage qui n’en finit pas. Je m’arrête sur le côté. Je prend mon téléphone, et je préviens que je vais abandonner. Je ne peux plus faire un pas, la douleur est insoutenable, c’est trop con, si près de l’arrivée… Mes larmes doivent s’entendre dans ma voix, les copains comprennent que je suis dans le dur. Et puis je me souviens de Christophe croisé dans la descente vers Aurère. Je me rappelle que lui aussi en bavait, non pas pour finir, mais seulement pour rejoindre un point où il pourrait rendre son dossard. Et je me dis que de toutes façons, là où je suis, on ne pourra pas venir me chercher. Il faudra que je marche quoi qu’il arrive. J’ai quitté les copains au téléphone en perdition complète, et le seul objectif que je me donne est de rejoindre le kiosque d’Affouches. Le chemin n’en finit pas de monter sur cette crête, je crois que je ne verrais jamais le sommet du Piton Bâtard. Je reprends la marche, ma jambe semble m’offrir un léger répit, et miracle : je tombe sur le kiosque d’Affouches, alors que je pensais que j’en étais encore loin. J’en profite pour me faire strapper ce satané genou droit, je supplie pour que l’on me donne n’importe quoi, même un placebo, j’ai trop mal, on me propose deux pilules anti-douleurs. Et je repars. La route est belle, la pente est douce, j’arrive à prendre une belle allure. Il ne reste que 13 kilomètres !!! Et là, les textos affluent. Plus tard, j’apprendrai que les copains ont lancé le plan d’urgence, et ont rameuté les troupes pour que je reçoive le plus de messages de soutien possible. L’émotion est trop forte, quand je vois ces dizaines de textos qui tombent sur le portable, je suis touché au plus profond de moi-même. Des larmes silencieuses coulent sur ma joue. Je n’ai plus le droit d’arrêter. J’arrive au dernier point de contrôle, à Colorado. Le petit drapeau Breton accroché à mon sac remporte encore un franc succès. On fait jouer la Paimpolaise à l’accordéon en mon honneur, et on me donne rendez-vous à l’arrivée. Le copain qui m’avait déjà appelé à Dos d’Âne me rappelle à ce moment là, et me dit que c’est bon…
Alors j’y vais. Je marche, j’ai toujours aussi mal, mais j’y pense à peine. Et la descente finale commence. Dieu qu’elle fût longue, combien m’ont doublé durant ces 5 derniers kilomètres ? Je ne saurai le dire. Chaque rocher était une épreuve, chaque mètre parcouru était une petite victoire. Et puis je vois le pont en dessous duquel nous passons pour rejoindre la route qui nous mène au stade de la Redoute. J’y arrive, quelques spectateurs m’encouragent de toutes leurs forces, je lis dans leur regard un immense respect, la fierté monte en moi. Il reste 300 mètres, et c’est du pur bonheur. J’appelle les copains pour les prévenir de l’imminence de mon arrivée. Il ne me reste qu’à traverser la route, et tout chavire d’un seul coup. Je pleure toutes les larmes de mon corps, j’ai trop mal, c’est trop dur, c’est trop long, je suis trop fatigué, c’est trop de bonheur, je l’ai trop voulu, c’est TROP.
Je rentre dans le stade dans un état pathétique, les glandes lacrymales fonctionnant à plein régime, les copains me font la fête comme c’est pas possible, c’est grand. Je franchis la ligne, on me passe la médaille autour du cou, je récupère mon t-shirt de finisher, c’est FINI !!!
Avant la course, j’avais dit que dès la ligne d’arrivée passée, il me faudrait une bonne bière, une dodo à la pression m’est servie quasi instantanément, je suis le roi, tout le monde se met à mon service, pourvu que je ne me réveille pas c’est génial…
Je profite à fond de ces quelques minutes qui resteront gravées à tout jamais dans ma tête, et je reprends le dessus petit à petit. Et les larmes s’estompent, laissant place à un immense sentiment de plénitude. Je mettrai plusieurs jours à remarcher correctement, je perdrai plusieurs ongles aux orteils, mais tout cela n’est rien. J’ai réussi, et cela est plein de sens après une telle aventure.
Si un jour vous en rêvez, n’hésitez pas une seconde. Les sacrifices (financiers, familiaux, …) nécessaires à l’accomplissement de ce rêve sont récompensés au centuple au bout. Mais si vous le faites, préparez vous sérieusement, cette épreuve est impitoyable, les 40% d’abandons cette année sont là pour en témoigner.

5 commentaires

Commentaire de 3fred5 posté le 03-11-2008 à 16:51:00

j'ai laché ma ptite larme en lisant ton récit sensible moi ?!!! vous rigolez, chui un vrai dur !!
:o)
j'ai vraiment envie de faire un truc comme cela un jour ! mais c'est vraiment une montagne pour le moment !
bravo

Commentaire de peky posté le 03-11-2008 à 17:47:00

super récit, trés émouvant, le ressenti est vraiment bien décri. Je connais d'autres personnes qui l'ont fait dont la 1ère V2 et vraiment c'est une super épreuve.

Bravo

Commentaire de Juanma posté le 26-10-2015 à 15:39:48

Je viens de tomber sur ton récit quelques années après. On vit l'épreuve à travers toi. Bravo pour cette course de fous!

Commentaire de benoitb posté le 03-11-2015 à 21:04:22

Merci pour ce commentaire tardif ;-) Depuis, j'ai recouru une autre fois cette épreuve (en 2012), c'était encore mieux !

Commentaire de PhilippeG-641 posté le 04-11-2015 à 11:55:17

Très beau récit Benoit et bravo d'avoir si bien réussi avec si peu de "bagages" au départ !
Chapeau.
Je te rejoins sur ce rêve et sa réalisation, faut pas hésiter, que de bons souvenirs après même si pendant on peut souffrir, l'ultra c'est un peu ça...

J'y étais en 2007 avec toi et ce n'était que mon 2e grand trail mais je ressens tout ce que tu as écris, les émotions, les difficultés mais la grande joie qui emporte tout finalement !

Encore bravo: il fallait y arriver ;-)

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