L'auteur : Zaille
La course : LyonSaintéLyon
Date : 2/12/2023
Lieu : Lyon 07 (Rhône)
Affichage : 1321 vues
Distance : 156km
Objectif : Terminer
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Tout le monde connaît la Saintélyon, je l’avais pratiqué en 2018 dans une version de 81km. Peu connaissent la LyonSaintéyon, la version aller-retour du trajet Saint-Etienne – Lyon. Une dinguerie inventée il y a quelques années par des Lyonnais. Le format se pratiquera d’abord en OFF avant d’être officiellement intégré dans les courses du Week-End SaintéLyon.
2021, l’idée à commencer à germer
J’ai moi-même découvert l’existence de la 180 (son nom à l’époque en référence au demi-tour à 180°) en 2018 quand pendant la pasta party d’avant course on a vu débarquer des gars, frontale vissée sur la tête et accueillis par des applaudissements par un public de connaisseurs. A l’époque, une telle distance était totalement inconcevable pour moi qui allait me lancer pour la première fois sur plus de 80km. A l’époque … A l’époque, oui mais l’image de ces véritables héros pour moi m’est restée jusqu’au jour où …
A partir de 2021, l’idée à commencer à germer sérieusement. 2022, après les 100km de Millau, j’ai préféré passer mon tour mais cette année l’idée s’est transformée en clic suite à un dernier message sur la page Facebook annonçant un taux de remplissage à 98% ! Voilà, maintenant c’est fait, fin des tergiversations, je viens de m’engager sur le plus gros objectif de ma carrière de coureur avec ces 2x78km, 156km, et je n’en mène pas large … Glups !
La stratégie
Un concept particulier qui a su attiser mon intérêt. Un aller de jour depuis Lyon vers Saint-Etienne, sur l’exact tracé inverse de la Saintélyon mais sans chrono, sans classement. Le but étant, dans un premier temps d’arriver. Juste arriver à Saint-Etienne avant 22h30 (en 13h30 max) pour pouvoir repartir sur la course mère à 23h30 où là le temps fera le classement parmi les inscrits sur ce format.
La stratégie sera donc de faire la première partie à l’économie mais pas trop non plus pour avoir un temps de repos permettant de se changer et manger sans stress. J’ai plusieurs fois changé d’avis dans mon tableau Excel avant de définitivement me fixer 12 heures incluant une allure de sénateur modèle Gérard Larcher et des pauses bien confortables de 15 minutes sur chacun des 3 ravitos.
Le retour, je ne sais pas trop, 10h30 serait un exploit mais 12h serait pas mal aussi. En fait, difficile de savoir comment mon corps va réagir quand il faudra faire une nuit blanche de balade après une journée de crapahutage dans la campagne sainté-lyonnaise. Mon expérience qui se rapprocherait le plus de ce type d’effort serait ces 3 jours à 70km dans les ballons alsaciens que j’ai plutôt bien supportés mais là j’avais à chaque fois une nuit de sommeil pour récupérer, une différence d’importance !!
La Halle Tony Garnier
Billets de train : check, hôtel pas cher: check, RTT : check. Départ vendredi après-midi en TGV après un petit stress suite à une annonce de grève de mes amis cheminots qui ont eu, très probablement, vent de mon projet de déplacement ferroviaire et décidé pour une fois de plus de m’empêcher d’arriver à destination #noussachons. Finalement tout se passera bien et c’est sous un ciel pluvieux que je me rends à mon hôtel déposer mes affaires avant de me rendre à la fameuse halle Tony Garnier pour chercher mon pass vers l’inconnu, le dossard ou plutôt la chasuble.
Le Tram m’emmène quasiment devant la salle où a également lieu le salon du running avec ses quelques célébrités : Casquette Verte, triple vainqueur de la LSTL mais ici juste pour la forme car de retour d’un périple de 500k ; Cécile Bertin, une ultra à la retraite en mode dédicace pour son nouveau bouquin ; Baptiste Chassagne, un habitué de la STL mais toujours encore à l’affût de sa première victoire ; Patrick Montel, le journaliste sportif, etc …
Il est 19h et il n’y a déjà plus grand monde, mon pack coureur est récupéré très vite (chasuble et chaussettes BVSPORT), je fais mon petit tour et profite d’un 50% sur les batteries de secours pour ma frontale STOOTS. Beaucoup de marques sont présentes mais j’essaie de m’extraire de ce consumérisme du runner qui a déjà des armoires pleines de maillots, shorts, chaussettes, … Une petite photo souvenir sous la mythique arche et je retourne à l’hôtel où je mange mon repas d’avant course … Un excellent döner kebab !
Advienne que pourra
Réveil 6h30, la nuit n’a pas été sereine un peu à la faute d’un quartier plutôt « animé » et un peu la faute au week-end qui s’annonce … Quand même ! Il va faire froid mais je choisis malgré tout un short pour le confort mais un long Odlo dans le sac par sécurité avec quelques compotes et barres diverses. Je me repose souvent sur la qualité des ravitos mais là je sais qu’il y aura quand même un tronçon de 25km en autonomie où il faudra bien que j’aie mes propres munitions.
J’arrive à la halle un peu après 8h00, il y a du monde, nous sommes 400, tous équipé de la fameuse chasuble jaune, celle des Aller-Retour, les timbrés quoi ! Je dépose mon sac de voyage à la consigne ainsi qu’un sac de change que je pourrai retrouver à St-Etienne. Je profite du petit ravito pour boire un thé, je n’ai mangé qu’une banane ce matin, la charge lipidique de mon repas du soir me tiendra bien compagnie encore quelques km.
La star du jour Casquette Verte arrive, en vrai fanboy je vais chercher mon selfie en me présentant comme Bonnet Orange (ma coiffure du jour, absolument pas technique mais bien douillette). Je me place tout à la fin de l’aire de départ, juste avant les serre-fils. Un peu de musique et c’est parti, il est 9h00 du matin, advienne que pourra maintenant …
Beaucoup de bitume
Direction Soucieu-En-Jarrest, km18, 1er ravito. Beaucoup de bitume, quelques chemins, rien de compliqué, rien de très sexy. Après 1km, on est déjà à l’arrêt par la faute d’un escalier qui passe sous la nationale. Pas de stress, je suis sensé faire du 8:23/km selon mon planning, autant dire que je vais devoir sacrément tirer le frein à main pour respecter cette relative lenteur sensée m’économiser.
Chaponost, km13, là où se situera le dernier ravito du retour. Ce matin il est encore fermé. Le temps est maussade, quelques fins flocons volent de manière anarchique. On dirait que la neige veut tomber mais hésite à nous épargner. J’espère l’éclaircie annoncée et peut-être avoir cette fameuse vue sur les Alpes et le Mont-Blanc depuis les hauteurs de la mi-parcours.
Malgré la température probablement négative, ou pas loin, le port du short ne me pose pas de problème même à la vitesse réduite que je m’inflige. Je suis aux alentours de 8:00, un peu plus rapide que prévu malgré les portions marchées systématiques au moindre faux-plat montant. Je profite du rythme de promenade pour sonder les objectifs de quelques coureurs et ceux dans mon entourage sont en général dans les mêmes créneaux que moi, on est bon dans le timing, cool.
Ça caille
1Er ravito, il est 11h30, l’heure de l’apéro, je mange des cacahuètes et me concocte un sandwich saucisson/emmental dans un morceau de baguette, le tout arrosé de bière … mais non !!! Du Coke, on va quand même attendre Lyon pour la prochaine binouze. Je m’assoie un peu pour déguster mon mets tout en surveillant ma montre. J’avais prévu 15 mais finalement repars au bout de 10 minutes.
Je vais mettre quelques temps à me réchauffer, l’arrêt gastronomique m’a quelque peu refroidi. A priori ça va monter dans pas longtemps mais pour l’instant on est juste très exposé au vent et je ne me réchauffe pas beaucoup. Je recroqueville mes doigts dans les gants, ça caille, pourquoi j’ai mis ces gants fins ?? Et en plus je n’ai toujours pas mis ma veste !
Le parcours n’est pas balisé dans ce sens donc il est fortement conseillé d’avoir la trace sur son GPS car même si avec le fléchage de la STL on peut deviner le chemin à suivre, il y a moyen de … Et, effectivement, j’entends crier, siffler à mon attention, je me suis engagé sur un mauvais chemin, merde alors ! En plus on commence à être dans des zones beaucoup moins habités. Quelques hameaux çà et là, quelques villages au loin signalés par un clocher. On prend de la hauteur, tout doucement et je commence à kiffer le voyage.
La neige
La neige commence timidement à se faire voir autour de nous. On avance par petits groupes en mode blablarun. Je rencontre Arthur, l’inventeur de l’aller-retour. Il court avec sa fille et m’apprend plein de choses sur l’historique et l’esprit de la course. Je ne suis pas avare en questions, je parle à une figure historique de la course à pied, je ne sais pas s’il en a conscience, je ne pense pas, une personne tout en simplicité et humilité, des rencontres comme je les aime.
Km30, St-Genoux, Le ravito pour le retour est en train de s’installer à grand renfort de bénévoles. Incroyable travail, on n’imagine pas l’ampleur de la tâche pour un tel évènement ! Je reconnais l’enfilade de WC chimique que j’avais retrouvé avec bonheur il y a 5ans après 50km sur la STL 😊 Je salue quelques anonymes en leur disant « à tout à l’heure ».
La lente prise d’altitude vers le point culminant du tracé, Le Signal, s’accompagne avec une neige de plus en plus présente. 2-3km de montées dans les bois, à la marche, je n‘ai plus froid à la grâce du dénivelé mais aussi des arbres qui nous protègent du vent systématiquement glacial. Cette difficulté passe bien surtout qu’en-haut la blancheur immaculée du paysage est une formidable récompense.
Féérique
Quelques trouées dans les nuages permettent au soleil de nous réchauffer un peu et nous offre un paysage hivernal de toute beauté. Je croise des promeneurs et leur fait part de mon plaisir à visiter leur région. 2,3,4, 10cm de neige, il faut parfois même lever un peu les genoux mais quel bonheur. Plus loin des enfants font de la luge, plaisirs simples avant que le soleil rende visite à l’autre hémisphère.
On passe dans des tunnels de conifères blancs rendant ce passage définitivement féérique avant de descendre vers Sainte-Catherine et le ravito. Je déroule tranquillement, j’ai presque 20 minutes d’avance sur le programme. Pas grave, je vais prendre mon temps sous la tente pour donner des nouvelles, bien m’alimenter et mettre ma veste. 43km de fait, plus de 6 heures de course, je n’ai pas vu le temps passer.
Entre chien et loup
En partant de Sainte -Catherine, un ami m’a mis un petit stress via SMS en m’informant qu’il ne trouvait pas mon passage à Soucieu sur le livetrail. J’en parle au bénévole à côté du capteur de puces et après vérification, tout est OK, ouf … Je sais que ma famille me suit et je ne voudrais pas qu’ils se fassent un film. Allez, c’est reparti et ça re-caille, bordel que j’ai froid, même avec la veste.
Ca monte, je vais me réchauffer très vite, prochain ravito dans 15km. Moins de dénivelé au menu, une succession de montée et descente dans un paysage champêtre enneigé. Bizarrement, malgré cette couche blanche, je n’ai absolument aucun problème aux pieds. Pas froid, pas de frottement, pas de sensation d’humidité. Tant mieux, c’est parfait comme ça.
Il commence à faire sombre, je ne sors pas encore la frontale, le terrain n’étant pas très technique, la visibilité parfaite n’est pas nécessaire et j’aime cette ambiance entre chien et loup. Les petits villages au loin ne se devine plus que par une ombre ou quelques lampadaires allumés. Les températures vont encore baisser mais une fois en mouvement ce ne sera plus un problème, on verra bien après le prochain ravito.
Une bonne avance
St-Christo-En-Jarez, dernier arrêt. J’ai toujours une bonne avance sur mon objectif des 12 heures. Je prends une fois de plus mon temps. Plus de 8h de course et tout va bien. J’ai bien un genou qui couine de temps à autre mais ça fait quelques semaines (depuis la course de la Montée du Wintersberg) que les tendons périphériques à ma rotule droite se manifestent mais je fais la sourde oreille. Pour l’instant le message manque de clarté, on verra bien mais pas aujourd’hui (et ni demain, c’est moi le patron).
Dernier tronçon, 19km pour St-Etienne et la grosse pause. Un bon ratio en faveur du D- vont me permettre de dérouler un peu mais pour l’instant et une fois de plus j’ai super froid. Au retour, je ne vais pas m’attarder aussi longtemps dans les ravitos même si c’est salvateur sur le moment, les premiers km qui suivent sont tellement affreux.
Le verglas
Je me fais surprendre par une plaque de verglas sur le bitume ou une fine couche d’eau s’est solidifiée. Je manque de peu la chute et me sauve en m’accrochant à mon voisin qui, heureusement, avait les baskets bien ancrés. A présent nous nous méfions de ce revêtement du diable, dès que le macadam nous paraît trop foncé, on passe de côté dans l’herbe si possible.
Au loin les lumières de la ville donnent un coup de boost à mon petit groupe qui avance sereinement dans la pénombre à la lumière des frontales. Soudain, un chemin bien encombré en pierres m’informe, avec violence, que le verglas n’est pas l’apanage des voies mazoutées. Mon pied droit fuit vers l’arrière de manière totalement inattendue et c’est avec genou et tibia que j’amorti mon atterrissage. Evidemment, c’est le genou récalcitrant qui en prend une (bien fait pour lui), j’espère juste que ça ne pas amplifier mon problème.
On arrive
A présent, notre avance se fait d’autant plus prudemment. Souvent, une trace parallèle est créée dans les herbes hautes ou dans un champ. Ça ne me fait pas plaisir mais c’est l’instinct de survie. Il nous reste plus grand-chose à torcher et théoriquement plus on va approcher de la ville moins on sera confronté à ce type de problème.
Il est temps que ça se termine. On tourne dans les faubourgs, les quartiers, les lotissements, rien d’intéressant. Là je veux juste arriver, tourner la page et passer à la suite. Des panonceaux Lyonsaintélyon apparaissent et on sait qu’on en a plus pour longtemps. On retrouve quelques gens au bord des routes qui nous applaudissent et des voitures qui nous klaxonnent.
Au loin l’arche de départ mais je sais que l’arrivée pour nous est à l’intérieur de la salle de Sainté. Droite, gauche, un couloir … Et on arrive ! 11h27 pour 76km, il est 20h30, j’ai donc 3 heures de quasi-repos, à moi de gérer ça intelligemment.
Cour des miracles
Je traverse cette immense salle où des coureurs sont couchés dans tous les sens espérant se reposer encore un peu. Dans ces conditions, j’ai un doute. La couleur jaune de notre chasuble nous stigmatise. Certains nous félicitent, d’autres se renseignent auprès de nous sur l’état du terrain, j’ai l’impression qu’on ne laisse personne indifférent. Je me reconnais un peu en eux en 2018 et j’avoue j’ai une certaine fierté d’appartenir à cette équipe des jaunes.
Un espace nous est réservé avec ravito, masseur et repas. Je récupère mon sac et me fraye un chemin entre les gens déjà couché sur des matelas, une véritable cour des miracles, il manque clairement de la place. Je me trouve 50cm de banc de brasserie pour m’en faire mon espace vestiaire. Je change le haut pour des affaires sèches et revêts mon gros suite à capuche, j’en avais rêvé de celui-là.
Massage
Des pâtes ou des lentilles, on a les choix. Evidemment, à défaut de pizza, je choisis les pâtes mais la sauce tomate est tellement épicée que j’ai du mal à terminer. Je me descends 2+3 verres de Coke et tente l’espace massage même si en arrivant j’avais l’impression que c’était bien blindé. Finalement, il n’y aura que 25 minutes d’attente et en plus j’ai une chaise, quel luxe ! J’en profite pour étendre mes jambes et papoter avec mon voisin, un fou (un qui a fait la diagonale), qui avait trop froid et qui ne fera pas le retour. Je me rends compte qu’il faisait froid pour tout le monde aujourd’hui.
Le massage me fait du bien d’autant plus que j’ai demandé à la gentille kiné d’insister un peu sur mon punk de genou droit. Il est 22h30 et je me permets de retourner sur ma luxueuse chaise pour mettre ma tenue définitive et notamment mon collant long, on arrête les conneries en short maintenant. Mon téléphone et ma frontale ont également été rechargés en partie via mon powerbank. Je remplis mes flasques même si vers la fin je n’ai pas pu les utiliser pour cause de tétine gelée.
On rentre à la maison !
Le speaker annonce le départ dans 30 minutes. Je traîne encore un peu, pas trop envie de retourner dans le froid mais bon … Au moins les jaunes ont le privilège de pouvoir partir avec le 1er sas, juste après les élites, on aura donc moins d’attente avec un départ à 23h30. C’est un peu le bordel pour trouver sa place, on est parqué comme des bœufs à côté du parking des bus.
On a droit à un spectacle de drones qui, bien que caché en partie par un arbre pour ma part, était plutôt bien foutu mais bon, j’ai froid, j’aimerai bien qu’on y aille. Le speaker fait monter la sauce, allumage des frontales pour tout le monde, un peu de U2 et Goooo, on rentre à la maison !!! Enfin presque.
Un truc sur le bide
J’avoue, j’ai l’espoir de revenir plus vite que je suis arrivé, je surveille donc ma montre dès le début. Je cours à 6:30 en montée, mouais … En plus je sens que l’effort fourni me pèse même si les jambes ne râlent pas trop, c’est plus une fatigue généralisée, une envie de dormir en fait ! Bah oui, minuit, ce n’est pas une heure pour courir et encore moins pour un vieux 😉
Très vite, je révise mon objectif même si je dépasse beaucoup de jaunes, 12 heures serait satisfaisant. J’en parle à un membre de ma nouvelle communauté et il arrive à me rassurer sur la faisabilité de la chose. Le problème c’est que je ne me sens pas super bien, j’ai un truc sur le bide. On commence à me dépasser mais c’est surtout les coureurs de relais qui passent comme des fusées. Je prends bien soin, quand c’est possible, de garder ma droite pour ne pas les gêner.
Attention ça glisse
Le premier ravito est à 19km, c’est loin et au bout de quelques km je me prends déjà une compote. Les STL, les dossards blancs, commencent à faire connaissance avec le verglas et j’assiste aux premières chutes des plus téméraires. « Attention ça glisse » … Sans blague !! Ca sera vraiment LA phrase du jour ou plutôt de la nuit mais le pire reste à venir …
Saint-Christo-En-Jarez, enfin. Le moral n’est pas bon, je ne suis pas bien. Avant de m’alimenter, je fonce sur un WC qui est déjà dans un état … Je passe les détails. Après 2-3 verres de Coke, ça va mieux même carrément mieux mais j’ai froid. Je commence à connaître le cycle courir-chaud-ravito-froid-courir-chaud donc pas d’inquiétude. Direction Sainte-Catherine dans 14km, je me trouve un breton pour discuter de tout et de rien, les km passent mais la glace sur les chemins est de plus en plus présente.
Gros coup de mou
Je ne reconnais plus les sentiers enneigés de l’aller, il n’y a plus que du verglas et la moindre descente est devenu un parcours du combattant. C’est réellement fatigant. De temps en temps, un dossard blanc me dépasse et me félicite : « Bravo », « Incroyable les jaunes », « Allez les jaunes », … Très bel esprit qui me fait du bien même si parfois j’ai du mal à répondre ou juste à dire « Merci ». J’ai de nouveau un gros coup de mou. Je ne pense qu’au prochain ravito où je voudrais m’assoir un peu, juste 2 minutes.
2ème ravito, la fameuse Sainte-Catherine, il reste 44km et c’est ici que la course commence selon les anciens. OK je veux bien, moi je veux juste qu’elle se termine au plus vite, c’est tout. Je cherche un endroit pour m’assoir, rien et pense même m’assoir partir mais tout est gelé. Le speaker annonce 9°C … sous zéro … Comment j’ai froid, c’est horrible. Je trouve finalement une tente avec des bancs et me repose en buvant un breuvage chaud, je ne sais même pas ce que c’est mais c’est chaud.
En sortant de la zone, les bus pour les abandons … Non, pas question, mon abandon aux 100km de Metz est encore un traumatisme. Hors de question de rentrer chez moi une nouvelle fois sans être allé au bout. Moi qui enseigne à mes enfants de toujours respecter sa parole, ses engagements, je ne peux pas, je ne dois pas faillir une nouvelle fois. Il suffit d’avancer, c’est de l’ultra, c’est dur, il y des hauts, il y a des bas, c’est normal. Une fois Le Signal passé, les conditions devraient changer. Alors j’y vais, en marchant, tête baissée mais j’y vais …
Le calvaire continue
Le speaker annonce le prochain ravito, St-Genoux, dans 7km. Je suis étonné car sur mon petit topo que j’ai emmené avec moi, j’avais noté 14km (c’est juste le double !!). Ok, je me suis probablement trompé, tant mieux, je préfère çà. Il n’y aura que du liquide mais un potage ou un thé dans 7km, je suis preneur.
Le calvaire continue, voire s’amplifie, pour tout le monde, je parle du verglas. Le nombre de gens que je vois tomber lourdement de tout leur poids juste devant moi me tétanise. Sans arrêt, même avec les meilleures précautions, mes chaussures fuient les appuis. Je me sens constamment en danger mais nous sommes tous logés à la même enseigne à part peut-être quelques-uns qui sont équipés en pointes.
L’anarchie
Km 7, 8, 9 … Toujours pas de ravito et donc c’est bien ce que j’avais noté qui était juste. Le point positif c’est qu’on se rapproche d’autant de l’avant-dernier ravito. Entre-temps j’ai fait 2 lourdes chutes, une sur la hanche gauche, l’autre sur la hanche droite. C’était assez douloureux, on m’a même aidé à me relever mais tout fonctionne encore. Je n’ai qu’une hâte c’est de passer ces km de glaces !
On arrive tant bien que mal au point haut, pas de vue magnifique cette fois-ci mis à part le fameux serpent de lumière des 7000 frontales de la course. Maintenant il va falloir descendre. La montée n’était que l’antichambre de l’enfer que l’on va vivre. Des chutes par dizaines, des itinéraires bis à travers la forêt à s’agripper aux arbres ou des clôtures défoncées pour pouvoir emprunter un champ de poudreuse. L’anarchie s’est installée jusqu’à descendre certain tronçon sur les fesses, où est la course à pied là ? Je suis un peu écœuré et répète à qui veut l’entendre que si l’aller avait été de cet acabit, je n’aurai pas fait le retour !
Twist
Enfin le ravito, au bout de 13km et un panneau annonçant l’arrivée dans 30km. Là je ne sais pas ce qui se passe, mon cerveau fait un twist. Mon mental refait le plein à 100%, je suis content, je discute, je plaisante, avale un potage et part en courant sans me poser de question. Je me rends compte que je ne ressens aucune fatigue et commence à dépasser ceux à la marche et plus loin même des STL qui courent.
Mais qu’est qui m’arrive ? Je ne peux pas déjà lâcher les chevaux, il reste 30km et probablement 4 heures de course. Je sens bien que je suis essoufflé mais je me sens tellement bien. Je sais qu’il y a des phases d’euphorie temporaire en ultra mais j’ai envie d’en profiter après ces kilomètres de frustration dans la glace. Quand un coureur me dépasse, j’embraye systématiquement et essaye de l’accrocher le plus longtemps possible (parfois ce n’est pas très long, faut pas déconner non plus !). Dans les descentes, même plutôt techniques, je fonce à tombeau ouvert. Le prochain ravito n’est qu’à 10km de St-Genoux, je décide de rallier ce point le plus vite possible tant que ça va et en plus le jour se lève avec au loin une vue sur Lyon … What else !
Avant-dernier ravito
L’un ou l’autre passage calme quand même un peu mes ardeurs, il y a des chemins aux pierres mouillées tout aussi glissantes que le verglas. Quand il y a de la boue, je passe directement dans le bourbier sans aucun scrupule alors que la plupart de coureur essaient de le contourner. Je suis déchaîné. Dès que je vois un dossard jaune au loin, j’accélère pour le dépasser. Parfois, J’arrive même à me mettre dans les pas d’un dossard blanc logiquement plus en forme que moi.
Soucieu-En-Jarrest, avant-dernier ravito, je sens que j’ai un peu abusé mais suis tellement satisfait de ce final. Je prends mon temps, m’assoie, bois, mange. Encore 10km pour le prochain ravito, Chaponost, celui qui était fermé à l’aller. Une petite dizaine de minutes suffiront pour me re-re-refaire la cerise. Je repars avec un autre jaune et on s’occupe en discutant, le profil est bien descendant mais je commence à rentrer dans le dur même si le moral est bon.
Je vais le faire
A deux, on a encore remonté 3-4 jaunes avant Chaponost. Je ressens cependant le besoin de m’assoir à nouveau, je sais que je vais faire moins de 12 heures, c’est devenu une certitude et donc no stress. Je sais que je vais le faire, que je vais le boucler le chantier, ce truc de dingue ! Si je peux terminer avec l’art et la manière c’est d’autant plus génial et puis un classement pas trop dégueu sera carrément la cerise. Quand je pense à tous ces moments de doute, ces heures dans le froid, dans le découragement et là … Il fait beau, partout, au-dessus de moi, dans ma tête, je vais le faire, je vais le faire !!!
En sortant du ravito, je fais signe à mon nouveau binôme pour qu’il me rejoigne, ce qu’il va faire, on a à peu de chose le même rythme, il est peut-être même un peu plus rapide encore. On marche le temps de rejoindre la route et soudain une voix féminine nous demande de nous pousser, elle est 5ème féminine et part à la chasse de la 4ème. C’est Maud, je la connais, elle a déjà gagné quelques ultras, je suis étonné d’être à son niveau. Je fais signe à mon comparse et on la suit. Le début d’un jeu de l’élastique.
Nouveau regain
On a décidé de marcher dans les dernières montées avec le sentiment de l’effort accompli mais Maud trottine. On la rattrape à nouveau dans les descentes où je commence à retrouver un nouveau regain de forme. Je crois que c’est le plaisir grisant des descentes dans la caillasse qui me fait cet effet. En la rejoignant, je discute avec elle, elle me montre une coureuse plus loin qu’elle identifie comme sa concurrente directe.
Je lui propose d’être son lièvre mais elle n’arrive finalement pas à m’accrocher. Je continue malgré tout jusqu’à l’autre fille qui est en fait un dossard blanc et donc pas la bonne personne. J’attends Maud pour passer l’info puis décide finalement de faire mon chemin, mon binôme d’avant ayant également levé le pied.
Sur une autre planète
Il reste 5km et je revois des dossards jaunes au loin, j’accélère, plus question de s’économiser, si les jambes vont, tout va. J’en dépasse qui marchent, d’autres qui courent, je remontre au moins 5-6 jaunes sur ces derniers km. Je m’offre même le luxe de discuter ou plaisanter avec d’autres coureurs, je suis sur une autre planète. Tellement heureux que la fatigue et la douleur n’existent plus.
Plus que 3km, le passage des 150 marches que je descends une à une en courant. Au loin encore un jaune, puis un autre, je commence à être sérieusement essoufflé, je lève le pied et évidemment l’un des deux derniers l’a mal pris, c’est de bonne guerre. Il me propose de le suivre mais il est vraiment trop rapide pour moi, maintenant c’est le cardio qui est dans le rouge.
Sprint
Les encouragements sont là : « Aller les jaunes », « Bravo les aller-retour », … Je suis tout sourire et remercie tous ces anonymes. Dernier virage, le tapis bleu, la halle, l’arche au loin et là un petit jeune en dossard jaune sprinte. Oui c’est débile de sprinter pour un classement tellement anecdotique mais là je joue, je m’amuse et lance mes dernières forces en cassant sur la ligne d’arrivée tel un sprinteur de 100m pour finalement battre ce petit insolent LOL.
11h17 !! Je me jette de côté pour m’assoir et récupérer de cette ultime violence. Tellement content d’avoir tenu bon et finalement sur les 10h30 souhaité, 11h17 dans les conditions qu’on a connues, je suis content, très content. 67ème sur 229 finishers (171 abandons !!!). Médaille autour du coup, je récupère mon plus beau maillot de finisher. Ravito, photo finish, douche, pâtes et … bières, enfin !!!
4 commentaires
Commentaire de TomTrailRunner posté le 06-12-2023 à 11:07:28
Merci de ton récit qui me permet de revivre ma propre LSTSL (11h11) : bonne récup :)
Commentaire de Zaille posté le 06-12-2023 à 11:11:33
Bravo à toi aussi !
Commentaire de NRT421 posté le 06-12-2023 à 22:26:41
Joli CR, merci. Et bravo à toi pour cette course fort bien gérée : beau travail Zaille dans cette pagaille.
Commentaire de Benman posté le 12-12-2023 à 07:42:14
Tres chouettes course et récit. C'est gracile l'ultra en fait
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