L'auteur : Insigma
La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous
Date : 19/10/2023
Lieu : Saint-Pierre (Réunion)
Affichage : 1203 vues
Distance : 167km
Objectif : Terminer
Partager : Tweet
Le top départ d’une folle aventure est donné. Je suis officiellement inscrit à la Diagonale des Fous. 8 ans plus tard. En 2015, je l’avais déjà tentée et m’étais malheureusement fait une entorse à la cheville après une vingtaine de km. Lorsque je devais parler de cette piètre performance, et répondre à la question « tu l’as déjà faite ? », je répondais laconiquement « j’ai fait 20 bornes dans le noir, je n’ai rien vu d’intéressant, je me suis fait une entorse et ai dû me traîner pendant 3km pour retrouver mes parents. » Amertume. Mes parents sont encore de la partie en 2023 pour m’accompagner, me suivre et me soutenir, une nouvelle fois.
Trail des Allobroges 53km fin Mai. Je me casse une côte 5 semaines avant, entraînement très très limité pendant cette période.
Infernal Trail des Vosges 70km début Septembre. Finish difficile. Course censée rassurer le bonhomme, et c’est plutôt l’effet inverse qui se produit.
En Juin, je cherche un plan d’entraînement qui, pour moi, est indispensable ; celui-ci doit être étalé sur 16 semaines, avoir quelques séances de vélo/VTT et ne pas dépasser 4 séances/semaine. Pas encore envie de partir sur un plan de 5 séances si c'est pour me blesser au bout de 20 bornes. C’est aussi l’occasion pour moi de tester chatgpt. Eh bien oui, pourquoi pas ?.. L’intelligence artificielle peut bien répondre à ma demande. Résultat des courses, navrant. Vous essaierez, c’est complètement inadapté, il propose des séances similaires une semaine sur deux, en gros. Bref, j’ai vite abandonné l’idée. Finalement, je trouve un plan sur 18 semaines établi par Thomas Lorblanchet (himself !) qui répond à mes attentes, même si les séances vélo sont un peu trop absentes à mon goût.
Première séance du programme le 20 Juin 2023 (hasard ? Je ne crois pas ! C’est le jour anniversaire de ma maman... Un signe !)
Jours précédant la course : Pour éviter de renouveler les mésaventures de 2015, je tiens absolument à profiter avec mes parents avant la course, au cas où.. On fait donc 3 randos, préventivement lol, dont une plus corsée avec mon père à J-3.
J-1, c’est la traditionnelle et incontournable remise des dossards. Un moment qui était déjà pénible en 2015, et en 2023... Rien n’a changé ! Lorsque je me pointe sur les lieux, au moins 500m de file d’attente. Désespérant. Les formalités d’usage se terminent en .. 2h30 après une hésitation sur la carte d’identité que je devais présenter. Apparemment, je me suis inscrit à la course en tant que Belge (j’ai une carte de résident Belge), c’est d’ailleurs ce qui a sans doute permis que je sois retenu dès le départ et que je ne sois pas passé par un tirage au sort ! C’était peut-être cela finalement le plus pénible de la course, la récupération du dossard, de la casquette, des bananes, des goodies.. Sous le cagnard.
La confiance ne règne pas du tout. Je suis stressé et je ne suis même pas convaincu que les nombreux messages d’encouragement reçus permettent d’inverser la tendance. C’est même certain, ils ajoutent encore plus de stress au stress. Je ne veux pas être déçu moi-même, ni décevoir les amis et la famille qui me soutiennent.
Il est 18h lorsque je trouve mon repas d’avant-course, une part de pizza. Et un flan ! Diététique, jusqu’au bout ! Nous nous installons sur la plage pour profiter de ces derniers instants de tranquillité, mes parents et moi.
Et puis, je me décide vers 19h à m’approcher des sas de départ. Nous patientons encore longuement sur le bord de la route, assis sur un trottoir.
C’est seulement vers 20h que j’abandonne mes parents et que j’entre dans l’aire de départ. Je m’allonge le long d’un mur, les plus prévoyants se seront équipés d’un carton, les autres dont je fais partie, à même le sol. Chacun tente de piquer un petit roupillon. Ca m’intrigue. Je suis le mouvement, sans parvenir à m’endormir une seule seconde, il va de soi. Ahah
La cote ITRA qui permet de déterminer + ou – la « valeur » d’un traileur indique que je serais dans la vague 2. Il y a 5 vagues de départ toutes espacées de 10 minutes. Mon départ sera donc à 21h10. Et les barrières horaires seront donc toutes réglées en rapport avec ces départs décalés.
21h10, l’ensemble de la vague 2 démarre. Je suis volontairement placé dans les derniers, je veux absolument ne pas me faire embarquer par un rythme trop soutenu, amplifié par une foule immense le long des 5 premiers kms de la course.
C’était déjà irréel en 2015, ça l’est toujours en 2023. Et j’essaie de satisfaire un maximum des enfants qui nous tendent les mains pour que nous les tapions au passage.
Nous avions repéré avec mes parents un endroit où ils se placeraient pour que je les voie. Chose faite, une dernière accolade avec eux, et c’est vraiment parti.
Dans mon idée, je démarre prudemment afin de passer tout juste les 2 premières barrières horaires. Ca, c’était le plan. Dans les faits, et alors que j’avais donc prévu 3h pour faire les 14 premiers km, je les effectue en 2h05, exactement comme en 2015. La foule du départ et la facilité du parcours jusque là (on effectue en gros 5km de bitume puis on traverse des champs de canne à sucre) ne permettent pas d’aller si lentement.
Il pleut légèrement. Pas désagréable et aucune nécessité d'enfiler une couche supplémentaire.
J’ai un peu de mal à comprendre ce système de vagues, les gens des vagues 3, 4 et 5 étant censés être moins « bons » que moi, comment expliquer alors qu’ils soient des centaines à me doubler, et alors qu’ils sont partis respectivement 10, 20 et 30 min après moi ! Je remarque plus particulièrement qu’un gars de la vague 5 me double au 10è km. Il a donc couru les 10 premiers kms en 50’ alors que j’ai mis 1h20 pour le faire.
J'avais entre temps annoncé par message à mes parents que j'allais plus vite que prévu, ce à quoi ma mère avait répondu "modère toi". Pas exactement le genre de message que je voulais lire, ce que je lui fais remarquer.
Je suis pointé 1999è au Domaine Vidot. Quand on sait qu’on était + ou – 550 par vague, ça représente beaucoup de places perdues depuis le départ. Alors d’une, je ne connais pas mon classement sur le moment. Et de deux, quand bien même je l’aurais connu, je m’en contrefous.
Je vois rapidement les parents avant de rentrer dans le ravito, rien à signaler, rien à recharger, ni à changer. Ca roule. Le ravitailement est identique à 2015, même lieu, même effervescence. Je remplis ma poche à eau et je repars.
Je considère chacune des étapes, tronçon par tronçon, plutôt que de voir le parcours dans sa globalité, ce qui me paraît plus « facile » à gérer. En se disant qu’il reste 14km à courir jusqu’au prochain ravitaillement, la pilule passe mieux.
Petite appréhension ici, c’est là que la course s’était terminée 8 ans plus tôt. J’essaierais d’ailleurs de retrouver l’endroit où je m’étais crashé, sans y parvenir. C’était autour du 20è km.
Comme je ne suis pas vraiment aux avant-postes, et même carrément dans le fond du paquet, il y a beaucoup de monde devant moi et les bouchons ici, sont légion. C’est le cas tous les ans. On ne déroge pas à la règle, on patiente. Mais tu as quand même des malins qui te doublent sur le côté qui croient sans doute encore pouvoir monter sur le podium ? AH AH AH...................
Comme toujours, ça m’exaspère, je râle. J'en profite pour enfiler ma veste pour la nuit. Je relate à mes parents ce qui se passe sur le terrain. Pas forcément pour leur partager mes états d’âmes mais plus pour leur indiquer que le timing prévu doit être revu à la hausse.
Mes parents sont à l’entrée du ravito, je zigzague parmi les voitures pour les retrouver. Je m’assois sur un muret et retourne mon dossard pour étudier le parcours.
Pointé 1503ème, je me ravitaille, remplis ma poche à eau puis achève de boucler mon sac avec mes parents qui étaient allés se positionner à la sortie du ravito. Ils n’auront jamais eu le droit d’approcher des tables pour m’aider. Seuls les coureurs étaient autorisés.
Il est 2h47 du matin, j’ai déjà + de 2h d’avance sur les barrières horaires. A partir de ce moment-là, je ne m’en préoccupe plus du tout, le temps de course max. étant de 66h.
Le peloton s’est étiré, il n’y a plus de bouchons. On peut courir, enfin quand ça ne monte pas ou presque pas. Courir dans des montées en début de course, c’est se fatiguer inutilement pour le reste de l’épreuve. Et des kms, il en reste un bon paquet ! Qui va piano, va sano.
Le parcours est agréable jusqu’au prochain arrêt. Aucune sensation de fatigue malgré une première nuit blanche, ça roule plutôt bien je dois dire. Jambes opérationnelles, bonhomme ok. Top.
Je reçois un message de mes parents qui m’indiquent que je ne les verrai pas. En effet, ils doivent prendre une navette pour rejoindre le ravitaillement, ce qu’ils n’avaient pas anticipé étant donné que ce n’était indiqué nulle part. C’est pourtant la 31è édition de la course, mais beaucoup de points sont à revoir côté organisation... Il y a beaucoup à redire.
J’arrive dans cet endroit isolé, dans une large clairière, les bénévoles sont comme moi, ils commencent à débrider les yeux, les premières lueurs du jour apparaissant. Aucune précipitation, aucun stress, je prends copieusement mon temps bien que j’ai dit à mes parents que ne m’y attarderai pas au vu de la portion suivante. Je privilégie le salé étant donné que je n’ai sur moi que du sucré. Et puis, là encore, de la soupe. Du bouillon avec du vermicelle plus exactement. Si appréciable.. 1442ème
Une promenade de santé, 10 bornes et quasi 500m de D- La brume matinale domine la campagne environnante. C’est beau, avec les premiers rayons du soleil qui commencent à percer.
A quelques encablures du ravitaillement je retrouve mon père qui devait venir à ma rencontre. Il court avec moi, c’est coolTout va bien mais je lui dis que je commence à sentir de la fatigue et que je vais tenter, sans vraiment y croire, de dormir.
Je me change quasi intégralement, la journée est déjà entamée, il est 6h59 quand je pointe à Mare à Boue.
N’empêche, c’est assez fun de voir que pour effectuer les 10 derniers km TRES faciles puisqu’essentiellement descendants, j’ai mis 1h54 alors que ça devrait s’effectuer aisément en 45-50min dans d’autres conditions...
Je m’approche de la tente avec mon assiette de pâtes et mes toasts de thon. Il y a bon nombre de lits de camp installés, j’y suis très bien accueilli. Je m’installe sur un lit, mets une couverture sur moi, pique la couverture du lit d’à-côté pour me faire un oreiller. Et somnole vaguement 30min.
Je suis bien ici mais il faut se résoudre à partir. Je refais mon paquetage, salue les bénévoles et me remets en route. Je suis resté là environ 45’ 1451ème
« ti pas, ti pas » expression créole que je me suis régulièrement mise en tête. On peut la traduire par « un pas après l’autre », ne pas vouloir aller trop vite. Prendre son temps. C’est exactement ce que j’ai l’impression de faire depuis le départ.
A la sortie de Mare à Boue après mon long arrêt, il est temps de faire les comptes ; 10h33 de course pour 51km et 2600+.
Le sentier monte régulièrement jusqu’au passage des échelles du Coteau Maigre, puis plonge rapidement par 6 échelles métalliques vers la forêt Duvernay. La chaleur commence à se faire fortement ressentir. Ca monte fort dans un sentier très sinueux rempli de racines. Je ne m’étais pas encore fait la remarque jusqu’alors que les sentiers étaient particulièrement techniques, mais ici, c’est sacrément le cas.
L’heure matinale permet de découvrir de jolis points de vue sur Cilaos sur notre gauche. Souvent je lutte pour dépasser un concurrent dans ces petits chemins si peu larges. Et puis, je m’arrête quelques mètres plus loin pour prendre une photo. Tout est à refaire !
1400- sur 9km pour rejoindre Cilaos depuis le col. Avec une légère montée sur la fin. Cette descente décoiffe ! Je double un paquet de monde, toujours aussi à l’aise en descente. Et malgré le fait que je doive lever le pied étant donné les difficultés du terrain, marches, racines, cailloux. C’est impressionnant de difficultés.
Cilaos est un ravitaillement important. Je revois encore les mots de Thibaut me mettant en garde d’arriver plutôt frais à Cilaos car la seconde partie de la course commence vraiment là, et que ceux qui arrivent là cramés auront beaucoup de mal à terminer.
Bien qu’ayant chaud, je suis plutôt frais ahah. Il faut impérativement que je me mette de la crème solaire. Ma maman s’y emploiera pendant que je continuerai à m’alimenter copieusement et à recharger un maximum mon sac. En effet, je ne les vois plus pendant 40km. C’est le cirque de Mafate, après celui de Cilaos, et il est inaccessible en voiture.
Encore un copieux repas chaud pris ici, puis un Yop. 35’ d’arrêt. Le temps file, c’est fou. Quand je vois les premiers qui ne restent même pas 2’ à un ravito.. lol
1423ème
Un gros morceau à avaler ici. On saute du Cirque de Cilaos vers le Cirque de Mafate par le Col du Taïbit (2081m).
Depuis de longues minutes, je cherche un endroit pour m’isoler et satisfaire une grosse envie naturelle. Ca y est, le voilà ce petit sentier tranquille tant recherché, je fais une vingtaine de m., me met en position (je ne vous fais pas de dessin..) et voilà qu’une nana se pointe pour la même chose ! Moment de gêne... Elle me dit « tu bouges pas, quand j’ai terminé, je te le dis ». Euh.. ben ok madame, on fait comme ça. lol Son affaire faite, elle me donne le signal. Idem pour moi, je repars et la double quelques hectomètres plus loin, le sourire en coin.
La cascade de Bras rouge est laissée derrière nous et nous rejoignons finalement la route d’Ilet à Cordes. J’y trouve le panneau indicateur « Cirque de Mafate ». Ca m’inquiète en même temps que ça m’attire. Thibaut me disait que j’allais prendre la claque de ma vie. Je n’avais pas su comment l’interpréter sur le moment, « claque » par la difficulté ou par la beauté ? Je n’ai pas osé lui demander qu’il précise sa pensée de peur qu’il m’annonce que c’était surtout par les difficultés que j’allais y rencontrer. Avec le recul, et après l’avoir vécu, la réponse est toute trouvée, c’est clairement la magnificience des lieux à laquelle il pensait. J’en suis convaincu.
Le Cirque de Mafate, quand tu y entres, tu n’as pas d’échappatoire autre que celui d'en sortir toi-même. Pas de route, pas d’autres possibilités. Sauf accident nécessitant une intervention médicale, qui serait forcément héliportée. Alors, évidemment, quand on sait cela, et que la sortie du cirque est 50km plus loin, il faut être sûr de soi. Etre en pleine conscience que l’abandon n’est pas envisageable pendant une dizaine d’heures. Comme Josiane Balasko dans les Bronzés « J’y vais, mais j’ai peur ».
Eprouvante montée jusqu’au col. Et puis dans la descente, c’est l’arrêt à Marla.
Marla est pour moi le « tournant » de cette Diagonale des Fous. Déjà parce que situé à exactement mi-chemin, autant en termes de km que de D+. 84,3km 5103+ Mais aussi parce que je sais que je vais braire. En Français dans le texte pour les moins Belges d’entre vous, je vais pleurer.
Flashback 3 semaines en arrière, une publication Facebook du grand raid invite les gens qui le souhaitent à faire des vidéos pour encourager leur parent/ami/collègue sur la course. Ni une, ni deux, je la partage immédiatement à Vanessa en forçant le destin, car j’ai bien peur qu’elle ne la voit pas. Message transmis, je sais donc que je verrai mes proches à cet endroit isolé du monde.
Je ne pense qu’à ça depuis de longues minutes, je me précipite immédiatement vers la tente qui diffuse ces vidéos, la bouffe et le coca attendront. Je m’installe, je patiente, je montre mon dossard. Et là.. BAM Ils avaient probablement trouvé en moi un sérieux client. Première vidéo, je vois apparaître Vanessa, je me mets à pleurer immédiatement, les 2 gars présents là ajustent au mieux leur caméra et appareil photo, le voilà le gars qui chiâle qu’on attendait depuis tout ce temps. Bon ils n’ont pas dit ça hein mais c’est vraiment comme cela que je l’ai ressenti sur le moment. Ensuite, les copains du club.. Et puis, en apothéose, mes enfants. Coup de grâce. A terre, le gars. Touché coulé. Je savais que tout cela allait se passer, j’en étais persuadé, la sensibilté à fleur de peau décuplée. J’avais donc pris soin de filmer tous ces messages, puis moi à la fin. Gravé à vie. Pour moi, à ce moment-là, c’était une récompense incroyable. Peut-être plus que de passer la ligne d’arrivée.
C'est encore avec des yeux embués que je m’approche des tables de ravito. Fin de journée dans Marla, les nuages ont accompagné toute ma descente.
Avant de repartir, je m’équipe pour la nuit, je visse ma frontale sur la tête, et enfile un t-shirt à manches longues. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé depuis Cilaos mais j’ai gagné près de 400 places. Je suis 1050ème. En route vers le Top 1000 !
La deuxième nuit arrive. Je ne me fais guère d’illusion sur le déroulé de la suite ; tôt ou tard, il va falloir que je me repose, vraiment. J’ai somnolé 30min depuis le début de la course, et la perspective de passer une seconde nuit blanche me semble difficile à tenir.
En attendant, dans la nuit noire de Mafate, appuyé par ma frontale, je vole. Je survole mon élément et double masse de concurrents qui, pour la plupart, marchent. Je ne comprends pas. Mes jambes répondent incroyablement bien, je n’ai mal nulle part, ce qui me permet d’envoyer du lourd, comme on dit !
Cette femme que j’entends dire « Comment il fait lui, il est pas fatigué ? » me fait sourire et me flatte en même temps. Cet état de grâce dure une bonne quinzaine de km avant que je me rende compte qu’effectivement, il va falloir que je m’arrête. La fatigue se fait ressentir.
Je voulais au départ m’arrêter à Roche Plate en continuant sur cette si bonne lancée, mais la raison me rappelle à l’ordre. D’autant que de Grand Place à Roche Plate, il y a encore une grosse côte à se manger (1100+ !)
A l’entrée du ravito je suis pointé 792ème. Encore 250 places de mieux, c’est fou. A Grand Place, je décide donc de me poser, il y a des espèces de « sarcophages » au sol, ils sont tous occupés mais je ne patiente pas longtemps, un gars s’en va. Je lui demande si la place est chaude. Et hop, on s’engouffre là-dedans. J’en ressors 30’ plus tard, j’ai dormi. Même si je ne suis pas à 100%, j’ai rechargé les batteries. Enfin, je crois.
Ravitaillement, soupe essentiellement, carrés de chocolat.
Au hasard des rencontres, je discute avec un local. Et il me demande quand je revois mes suiveurs. Je lui dis « à Roche Plate ». « Roche Plate ? Mais donc ils vont se taper les 2h de rando pour y aller ? ». Oula. Panique générale.. 2h de rando, non, ce n’était pas du tout prévu. Il me confirme que s’ils veulent me voir, il faut randonner, qu’il n’y a pas d’accès en voiture. Je suis assommé. Bon sang, non, ce n’était pas du tout prévu. Et il me dit qu’il y a éventuellement une possibilité au ravito d’après à Deux Bras, mais qu’il faut y aller en 4x4, etc.
J’appelle mes parents qui étaient retournés, depuis Cilaos, dans notre gîte, pour enfin dormir. " Roche Plate, impossible. Deux Bras, possible mais y aller en 4x4".
Les horaires doivent donc être revus, je ne suis pas au mieux car psychologiquement, j’ai pris un gros coup sur la tête. Je sais que je n’aurai pas assez à manger sur moi, je sais que je ne pourrai pas me changer avant beaucoup plus de temps que ce qui était prévu. Et je n’arrive pas à comprendre qu’on n'ait pas vu ce souci.
Mes parents me rappellent pour me confirmer qu’ils iront à Deux Bras en 4x4. Le service est assuré 24/24 pendant le Grand Raid. Ouf. Un moindre mal; messages échangés à 22h56 :
Du mal, par contre, j’en rencontre dans cet énorme montée interminable vers Roche Plate. Je dois me mettre sur le côté à quelques reprises, c’est aussi là que ma montre m’abandonne. Batteries HS. Les soucis s'accumulent, des idées noires commencent à émerger dans ma tête.
L’avantage, si on peut dire, de la nuit, c’est de voir toutes ces petites lucioles s’agiter au loin. Dans mon cas, et vu l’endroit où je suis, c’est la déprime. Quand je lève la tête, je vois au loin, tout là-haut, quelques frontales. Mon Dieu, mais c’est super haut ?! A tel point que je me demande si ce ne sont pas des étoiles. Incroyable. Je dois y regarder à plusieurs fois. Non, définitivement, ça doit monter à pic ! Ouch..
La montée s’achève, dans la douleur. Pas au niveau des jambes, non, elles vont toujours incroyablement bien mais au niveau physiologique. Je me sens extrêmement fatigué. Nouveau message vocal envoyé à mes parents où je leur dis apparemment à deux reprises que je suis "trop fatigué" ; Je ne me souvenais pas de ce détail avant que ma mère m'en reparle après la course.
766ème à Roche Plate. Dernier tronçon effectué à 2,56km/h. Ouch !
Je me précipite vers la tente et ses lits de camp, vite laissez-moi dormir ! Un gars à l’entrée me demande combien de temps je veux dormir, 15min ? Euh.. Non. Il m’explique qu’il est OK pour 20’ mais pas plus, c’est une tente médicale qui doit accueillir les éventuels blessés, et que les gens peuvent quand même y dormir 20' max. Dans mon idée, je voulais y rester 1h donc ça va coincer...
Il m’invite à aller derrière la tente du ravito, qu’ils y ont installé un truc au sol. J’y vais donc et découvre qu’une espèce de bâche plastifiée a été effectivement posée au sol pour, j’imagine, protéger de l’humidité. Dans les faits, cette bâche est mouillée, et je comprends que mon salut réside dans ma couverture de survie ; en effet, seule solution, t’allonger dans ta couverture de survie sur cette chose humide. Autant dire que je suis anéanti.. Mais il faut que j’essaye. Quelle expérience détestable, j’en ris maintenant mais j’avoue que sur le moment, c’était pour moi une vraie tragédie Grecque. Impossible de se mettre correctement là-dedans, soit un pied ressortait, soit c’était le dos qui était dehors, ou le vent qui passait dans le cou. Cou que j’avais maladroitement disposé sur mon sac d’un confort spartiate. Bref.. Un vrai calvaire. Qui s’achèvera au bout d’une quarantaine de minutes je pense.
L’extrême fatigue a permis que je dorme quelque peu, malgré les conditions. Je me relève, replie ma couverture de survie et la fourre comme je peux dans le sac. Une fois dépliée, elle prend largement plus de place, dans le sac, cette satanée couverture !!
Le fait de savoir que le jour arrive et que mes parents seront au prochain ravitaillement suffisent à me recentrer sur l’essentiel. Mes idées noires disparaissent peu à peu, ça va mieux.
Je jette un oeil à mon dossard. Montée, grosse descente, montée, grosse descente. Montée, descente. C’est donc « facile » sur le papier. Enfin, à La Réunion, le mot facile est à nuancer. Alors oui, ça descend essentiellement mais il faut tenir compte de l’état du terrain ; le fait qu’il y ait autant d’abandons sur entorses s’explique facilement...
Le jour se lève, j’avais jusqu’alors parcouru essentiellement Mafate de nuit, malheureusement. Ici, je vais pouvoir apprécier. Je m’arrête régulièrement pour prendre des photos, c’est irréel. C’est magnifique.
Des effondrements importants du massif du Piton des Neiges (le point culminant de l'île : 3069 m) accompagnés d’une puissante érosion furent à l’origine de la formation du cirque de Mafate (mais aussi des cirques de Salazie et Cilaos).
Tout semble plus facile dans ces conditions.
Pointé 766ème à l’entrée du ravito de Roche Plate - où j’y suis resté une bonne heure - je perds là-bas une cinquantaine de places ; En effet, à l’école de l’ïlet des Orangers, je ne suis plus que 813ème. Encore une fois, je me fiche du classement, je ne le connais même pas en temps réel, mais ces arrêts prolongés permettent de mieux se rendre compte de la réalité des choses. La gestion catastrophique du sommeil entraîne des conséquences directes.
Alors, pour en revenir à l’Ilet des Orangers. Puis à l’école... Il y a donc bien dans ce lieu perdu qu’est Mafate, des écoles. Plusieurs choses à savoir, j’ai fait quelques recherches..
Des habitants de ce cirque n’ont jamais vu la mer (!). Les élèves de tous niveaux dans la classe de l’ïlet n’ont cours, ni lundi matin, ni vendredi apm, et pour cause, le prof a 3h de rando à faire pour donner cours (!!!). Et à partir de la 6ème, les marmailles (enfants en créole) sont envoyés sur le littoral, en pensionnat ou en famille d’accueil.
Après avoir quitté le village, j’entends derrière moi un gars qui n’arrête pas de faire des commentaires. Il explique qu’il est en train de faire un live video sur Facebook. C’est un gars de chez SFR. Je m’intéresse donc de près à l’affaire, espérant avoir un petit bout de moi en course... Et bingo, vidéo récupérée, souvenir mémorable, surtout à cet endroit. Chacun pourra donc se rendre compte de la réalité du terrain.
Plus loin, une rivière se profile devant moi, je vois des gars afférés à enlever leurs godasses avant de la traverser, ou d’autres, en train de les remettre à la sortie. Ni une, ni deux, aucune réflexion sur le moment, je fonce dans l’eau m’imaginant dans mon Ardenne en train de plonger dans la Semois où les passages à gué sur les trails sont légion. Et hop, floc floc floc.. Ca roule :)
Pointage à la passerelle Bras d’Oussy. Passerelle vertigineuse dominant un lointain cours d’eau. Le gars qui me double ici et me voit avec mon smartphone au-dessus de la passerelle me met en garde.. « Tu ne seras pas le premier, ni le dernier, à faire tomber ton téléphone ! » OK.. Et j’imagine que personne ne va le rechercher vu la hauteur.
Moi qui pensais que c’était le ravitaillement ici... Eh bien non ! Il reste 3,3km grrrrr... Je crève de chaud avec mon t-shirt à manches longues que je me coltine depuis des heures. Il me faut de la crème solaire, de la bouffe et, cerise sur le gâteau.. Je n’ai plus à boire une seule goutte d’eau!
Je demande à mon père de venir au devant de moi avec de quoi boire. Il me retrouve à un petit km du ravitaillement tant attendu. Je peux boire, du jus de pomme. Un délice.. J’adore ça, et à ce moment-là, je m’en délecte largement.
Quelques rivières encore enjambées et je retrouve ENFIN mes parents. C’est un soulagement. Je vire toutes mes fringues mouillées et puantes. Je suis refait, avec ces habits secs et légers. Je profite d’ailleurs du moment pour enfiler le débardeur obtenu à la remise des dossards. Il faut franchir la ligne d’arrivée avec le t-shirt de la course. Tout comme il faut franchir la ligne de départ dans les mêmes conditions. C’est ridicule...
En effet, je me permets de mettre ce débardeur n’imaginant plus un seul instant ne pas terminer. Le finish est encore loin mais j’ai toujours des jambes incroyablement en bon état, un mental en acier, et une envie incommensurable de dire « j’ai survécu ». Ca semble enfin à ma portée, il ne reste qu’un marathon à parcourir. 3 l'ont déjà été. En 35h05.
Avant cela, passage au stand podologue. J’ai mal sous les pieds, je voudrais qu’ils me regardent ça. Des bêtes ampoules ? Je suis pris en charge par deux nanas. La psychopathe de l’aiguille s’agite dangereusement sur ma gauche avec son ustensile en main, l’autre semble plus tranquille. Evidemment, l’énorme ampoule sur mon talon gauche est prise en charge par la psycho. J’évite de regarder, elle me pique une première fois pour injecter son antiseptique, puis une seconde.. Et à la troisième, je demande vite de l’eau, je tourne de l’oeil. Ils m’allongent. Sympa la séance podologue ^^ Son chef ou son prof, enfin je ne sais qui, prend le relais et termine le job. Lui explique un bazar dont je n’ai rien retenu, et me voilà remis sur pieds.
Dans l’entrefaite, la seconde nana m’avait copieusement étalé de la crème sur les 2 pieds étant donné les crevasses que j’avais sur chacun d’eux. Aussi, j’échange ma montre, l’autre est en rideau depuis 15 bornes, je suis à l’aveuglette depuis plus de 3h, vraiment pas pratique.
Il fait très chaud à Deux Bras et il faut se cogner l’ascension de Dos d’âne. Encore une de ces belles bosses interminable... Mais elle nous permettra de sortir du Cirque de Mafate pour plonger vers l’océan. La montée est lente mais continue, les jambes répondent toujours parfaitement. Les rangs sont plus clairsemés que plusieurs heures en arrière, on est souvent seuls.
Dans la descente vers le prochain point de contrôle, je me fais arrêter là encore, par un gars qui fait des interviews vidéo.
Pointage à Chemin Ratinaud – Kalla, mauvais souvenir. Les Réunionnais sont très festifs, et le Grand Raid est un grand moment de l’année pour eux. Mais très honnêtement, cette femme, à ce ravito, à qui on a eu le malheur de laisser le micro de la sono, était juste insupportable. Elle braillait à tout va et nous cassait la tête. Perso, après près de 40h de course, je n’ai pas envie qu’on me gueule dessus. Je serais probablement resté plus longtemps ici sans ce brouhaha.
Sorti de là, on rattrappe vite un sentier. Enfin sentier.. Pas de ces sentiers où tu emmènes la famille pour la balade dominicale. Non, ici, c’est une boucherie. Un casse-bonhommes comme je dis au gars avec qui je me retrouve là en même temps. Il est tout à fait d’accord. Aucun intérêt, hyper dangereux. Il faut s’agripper partout pour éviter de se rompre le cou à chaque pas. Il descend comme ça une cinquantaine de mètres, remonte de la même façon. Et le schéma est reproduit encore une fois à l’identique, descente et remontée d’une cinquantaine de mètres chaque fois. HORRIBLE !
La suite est plus tranquille et mon compagnon d’infortune me lâche, lui comme moi misons tout sur le fait de ne pas rallumer la lampe avant l’arrivée, c’est encore possible !
Mon papa m’attend dans le Parc Rosthon, à la Possession. Peu de temps avant, un gars, avec mon accord, m’aura arrosé avec son tuyau d’eau. Bonheur !
C’est la Possession, il ne reste plus qu’une grosse ascension avant l’arrivée ! « en gros »..
Je suis 704ème, il est 12h58. Ca me laisse donc un peu plus de 5h pour 20 bons km. Je m’assois à la sortie du ravito, sur l’herbe. Je crois que chacun de nous est conscient, dorénavant, que j’irai jusqu’au bout, sauf blessure.
Le tant attendu et réputé « Chemin des Anglais » se dresse devant moi. Si au début il ne semble pas si terrible que ça, ma vision des choses change radicalement quand je me rends compte de la longueur de ce chemin de croix. Il est composé de pierres de basalte (Vous en apprendrez plus ici) où tu ne peux pas conserver une marche régulière. Des faux-plats, des raidillons, des descentes, des remontées.
A la fatigue physique s’ajoute la fatigue psychologique. Je dois être en permanence concentré pour ne pas me tordre les chevilles. C’est épuisant. Ajouté à cela qu’on est en plein soleil.
La conjonction de tous ces éléments fait que je me retrouve également confronté à des hallucinations à ce moment-là. Tiens, un chat. Ah ben non, c'est un gros rocher. Tiens, un petit vieux sur le bas-côté. Bon sang, mais non, c'est un arbre !! Flippant...
692ème à La Grande Chaloupe. D’anciens rails de chemins de fer ici, il y a en effet eu des trains à La Réunion !
Construite à partir de 1878, l'unique ligne presque circulaire reliait Saint-Benoît à Saint-Pierre en passant par Saint-Denis et Saint-Paul. Elle permettait un transport plus rapide vers les ports des chargements de cannes et de sucre qui étaient autrefois assurés par des mules. La ligne cessa de fonctionner en 1976 à l'exception d'une liaison touristique à la Grande Chaloupe.
Je dois encore m’asseoir et souffler. Je me ravitaille copieusement pour attaquer le dernier roc. C’est la dernière fois que je vois mes parents sur le parcours, ils filent maintenant à l’arrivée.
Mon père est parti au devant de moi pour me prendre encore en photo. Il se situe sur.. le chemin des Anglais ?! What, ce machin n’est pas terminé ??
Il me reste donc quelques galets à franchir ! A la vue de ces galets, et alors que j'avais dit en repartant du ravito que j'en avais encore pour 3h.., j'annonce à mon père "compte plutôt 4h !!!".
Ensuite, longue montée, très longue, droite. Dont on ne voit pas le bout.. Un virage, et c’est de nouveau infini, hors de portée de vue. Je m’assois en cours de route, c’est difficile et la perspective de voir ces longues lignes droites montantes n’aide pas à grimper en toute quiétude.
Un peu avant d’atteindre les maisons, tout en haut (enfin, c’est ce que je croyais, qu’on était tout en haut..), je croise Mr. Patrick Montel, himself ! Pas d’interview pour moi, mais un selfie avec lui.
Et donc, là-haut, rues bétonnées, je cours dès que c’est plat ou en descente. Un gars m’apprend qu’on n’a pas du tout atteint le haut de la montée du Colorado, qui se situe auprès de la station météo. OK, donc ça continue...
C’est la descente tant espérée. Si au début, et au moment où je pointe au poste de Colorado en 708ème position, tout est simple, le sentier devient technique par la suite. J’embarque d’ailleurs un gars avec moi avec qui on descend fort là-dedans. A l’issue d’un passage en forêt dans la pénombre, je perds mon accolyte.
Et puis, je me raisonne moi aussi. Je ne peux pas continuer à descendre de la sorte. Pour gagner quoi ? 3 minutes ? Ce qui risque d’arriver surtout c’est que je me plante. Je lève donc considérablement le pied pour descendre plus tranquillement jusqu’au bout.
C’est course gagnée pour moi ! Mon papa m’attend à 500m de l’arrivée. Nous terminons ensemble sur le Stade. Il réussit même à m’accompagner jusqu’au bout alors qu’il n’avait pas le droit de le faire. Soulagement et joie intenses. Je serre les poings sur la ligne puis les joins et les rassemble devant mon visage, je suis ému et au bord des larmes. J’embrasse mon père, puis ma mère qui est derrière la rambarde...
Je reçois mon t-shirt "j'ai survécu", mon ticket repas. Nous trouvons difficilement l'endroit où on peut manger. J'ai faim sur le moment mais ce rougail de morue est si épicé qu'il en est indigeste. Tant pis. Maintenant, je ne pense qu'à une chose, faire vérifier mes pieds et pouvoir profiter d'un massage. Même la table en bois semblait confortable, après tout ça...
Très satisfait de cette gestion de course qui m’amène de la 1999ème place à la 694ème avec une évolution quasi continue tout au long de la course.
Temps : 45h24m25’
Classement scratch : 694 / 2866 inscrits
Classement catégorie (40-44 ans) : 156 / 417 finishers
6 commentaires
Commentaire de Bikoon posté le 06-11-2023 à 18:32:12
Ah ça fait plaisir de te revoir par ici Stan :o)
Je mets ton récit sous le coude pour quand j'aurai un moment avec du temps
Commentaire de laulau posté le 08-11-2023 à 07:28:20
Bravo pour cette belle course et ce long récit très enrichissant pour de futurs participants !
Commentaire de Gael742 posté le 08-11-2023 à 11:28:19
Magnifique CR !!!
Bravo pour ta course.
Ton visage m'est familier, est-ce toi l'ancien DJ du traxx ?
Commentaire de Gael742 posté le 08-11-2023 à 11:50:48
Magnifique CR !!!
Bravo pour ta course.
Ton visage m'est familier, est-ce toi l'ancien DJ du traxx ?
Commentaire de Bikoon posté le 08-11-2023 à 15:13:02
BRAVO pour ta course, un régal de lire ton récit :o)
Une belle maîtrise et une super gestion, certainement le fruit d'une prépa rondement menée !
ça aurait été dommage de rester sur ces 20 premiers km....
Commentaire de Insigma posté le 08-11-2023 à 16:10:40
Merci à tous !
@ Gael : c'est bien moi lol
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.