L'auteur : bubulle
La course : L'Echappée Belle - Traversée Nord - 84 km
Date : 20/8/2022
Lieu : Vizille (Isère)
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Distance : 84km
Objectif : Pas d'objectif
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Il en aura fallu du temps...
...à la fois pour que j'écrive ce récit de course, et aussi pour que je puisse enfin vous faire un récit d'un ultra de montagne réussi.
13 mois exactement, en fait.
En ce 23 août 2022, cela fait 416 jours que je n'ai pas terminé un ultra. 416 jours depuis la Montagn'hard 2021.
Et donc 37 jours depuis l'UTB 2022 (arrêt à 50km, pas assez de caisse pour finir, grillé par la chaleur), 164 jours depuis le Tontorrez basque (arrêt à 40km pour cause de cheville en vrac), 402 jours depuis l'UTB 2021 (arrêt à 70km pour cause d'épuisement un peu bizarre).
Et surtout, 367 jours depuis cette foutue Traversée Nord de 2021 où j'aurai eu l'honneur douteux d'être le premier à abandonner au bout de....2,7km (je viens de mesurer).
Alors, évidemment, entretemps, on a compris pourquoi la machine bubullienne s'était un peu grippée en 2021 : le moteur avait décidé de fonctionner au ralenti et il a fallu y mettre un petit moteur électrique. Mais bon, on dira ce qu'on veut, ça fait quand même un an que j'ai ce fichu bracelet vert au poignet et que je ne peux pas le couper (comment ça, il est un peu superstitieux ou fétichiste, le mec?).
Et bizarrement, cela m'a pris du temps pour vous raconter si j'ai réussi, je ne sais pas bien pourquoi car j'ai eu du temps depuis, mais il a probablement fallu digérer et ce n'est finalement qu'au moment de faire le roadbook de la prochaine course que je me dis qu'il faut bien que je fasse le récit de celle-ci (edit: et ensuite encore 4 semaines après pour prendre le temps d'y mettre les photos avec le nouvel outil mis en palce par Mathias).
Bon, en fait, Mazouth (que nous appellerons Sylvain, pour préserver son anonymat), a déjà tout spoilé, c'est malin. En plus, j'ai oublié plein de trucs et il y a probablement des cailloux que je ne vais pas pouvoir vous décrire. Et donc, vous laisser sur votre faim.
Bon, après, l'avantage, c'est que, des cailloux, il y en a suffisamment pour que je me rappelle de certains, donc je devrais quand même arriver à écrire un petit roman.
Étonnant, quand même, au final, comme à chaque fois que je viens sur l'Échappée Belle, il faut qu'il y ait un petit goût particulier, un état d'esprit différent des autres courses, bref un départ où tourne en rond dans ma tête "Je finirai l'Échappée Belle. Je le sais. Je ne peux pas faire autrement."
Donc, bon, on est samedi, il est 5h30, la deuxième vague de la Traversée Nord va s'élancer, et moi avec. Pas que moi, d'ailleurs. Déjà, il y a Élisabeth, que j'ai encore fait lever à pas d'heure à Allevard, pour aller conduire le Bubulle Électrique au fin fond de la vallée en espérant pas le récupérer 1h plus tard au même endroit, mais le revoir 11 heures plus tard à Super Collet. Il y a aussi les compères Spir (que nous appellerons Sylvain pour préserver son anonymat) et Sylvain (que nous appellerons Mazouth pour que ça ne soit pas le bordel). En fait, pour faire l'Échappée Belle, il doit falloir s'appeler Sylvain, je me demande si je ne vais pas m'appeler Sylvain aussi, pour la suite de ce récit.
Donc, avec les Sylvains, nous voici en train de deviser tranquillement autour d'un café, avec environ 200 autres Sylvains, en n'oubliant évidemment pas de partager cela avec les éminentes représentantes de la Team des Thermos de Thé, alias les Super Suiveuses de Sylvains dont les chabobs illuminent cette ligne de départ, quoique dépourvus des indispensables écussons re-po-si-tion-nables.
Le mien aussi, de chabob, illumine tout cela, même s'il n'y a pas écrit Sylvain dessus, mais "bubulle", afin d'éviter d'être confondu avec tous les autres Sylvains.
Le briefing refroidit un peu l'assemblée de Sylvains. La veille, il a un peu fait un temps de pot de chambre, les non-Sylvains de l'Intégrale ont vu leur parcours un peu tronqué (notamment de la Croix de Belledonne, donc on les appelle désormais tous Benoît), ils se sont trempés, gelés. Les Rambos du Duo des Cîmes (que nous appellerons les François) ont été partiellement reconvertis en randonneurs et ont eu l'air fin à se balader avec leur casque et leur baudrier sur les autoroutes du GR. Et les bénévoles des postes montagne (que nous appellerons des Olafs car il faut être un peu viking pour survivre par -1000°C en haut du Morétan de nuit) se sont pelé les miches à attendre des coureurs qui ne venaient pas et à installer des cordes pour que les Sylvains (donc, nous), puissent, eux, goûter aux joies de la descente de névé en baskets.
En gros, on nous dit que "en haut", ça caille, ça glisse, ça mouille et qu'il fait trop froid et que la neige, elle est trop molle. Mais qu'ils ont été gentils et que, nous, on a donc le droit d'aller jouer dans la neige trop molle ou sur les cailloux trop durs. Youpi.
Bon, avec tout ça, la course n'est pas encre partie et j'ai déjà écrit 42 paragraphes. Mince.
Alors, hop on y va. La meute est lâchée et part à fond la caisse......puis marche au bout de 100 mètres. Moi aussi. Donc, comme l'an dernier. Sauf que l'an dernier, je marchais, les autres aussi....mais qu'au bout de 100 mètres, j'étais 20 mètres derrière tout le monde. Et au bout d'un kilomètre, je voyais la dernière frontale devant disparaître pendant que je m'époumonnais ans une marche nordique de grand-mère absolument pas sylvanneque.
Alors que là, tranquillou-pépouze, je pic-poc allègrement avec Sylvain pendant que Sylvain pic-poc devant en commençant à nous coller le début de la mine qu'il nous mettra, à Sylvain et moi. En passant, je confirme donc que ce terrible chemin caillouteux où j'ai fait, l'an dernier, 497 arrêts pour reprendre mon souffle, il est fort débonnaire. Mouillé aussi, par contre : c'est pas des blagues qu'il ait plu, et ça ruisselle de partout.
On arrive en même pas 24 minutes à l'endroit où j'avais fait 1/2 tour l'an dernier....au bout de 29 minutes. Je montre à Sylvain le caillou commémoratif que j'y avais laissé (comme ça, je brode? Pas du tout....enfin, à peine : en tout cas, je reconnais l'endroit).
Le tout se passe gentiment, on monte sans se presser et le sommet de cette "petite" côte initiale (il y a quand même 400 mètres de D+) est atteint pendant que le jour se lève.
Nous nous perdons de vue, avec le Sylvain que nous appellerons Mazouth pendant que le Sylvain que nous aurions pu appeler Spir vole de racine en racine sur la quelque peu technique descente qui nous amène près de la cascade du Pissou. Le rythme est.....calme. Je me suis calé derrière un petit groupe qui suit un coureur pas super à l'aise sur ce terrain, mais tout le monde s'en accommode. Nous sommes ici entre personnes de bonne compagnie qui doivent savoir que les quelques secondes "perdues" à avancer un peu moins vite qu'on pensait nous ferons hurler de rire dans 24 heures quand notre seul objectif sera de continuer à mettre un pied devant l'autre.
Justement, à la Cascade du Pissou, je choisis ce moment pour me débarrasser simultanément de ma frontale (ce qui rend le chabob beaucoup plus confortable), de mon coupe-vent et des 27 cafés bus au départ de la course. Et je me retrouve....tout seul. Sylvain est passé devant ainsi que tous les autres Sylvains de cette première vague. Je dois être plus ou moins le dernier des premiers Sylvains. La différence avec l'an dernier est que, par contre, je rattrape assez vite sur le sympathique petit single qui nous ramène à 100 mètres à vol d'oiseau du départ, tout un tas d'autres Sylvains dont le seul vrai.
Le jour s'est levéééééé.... sur une étrange idééééée...
Ce qui a l'avantage de me replacer plus ou moins à l'endroit qui me correspond dans la file indienne de Sylvains qui commence désormais l'ascension de 1700 mètres vers le Col de la Grande Valloire.
En gros....bin ça monte. On part de 1030m, on va arriver au ravito intermédiaire à 1850 mètres et ça monte régulièrement en forêt (820 mètres en 3,3km, ça monte quand même à 25%, hein). Je suis la file tranquillement. On se fait un peu dépasser par, probablement des Sylvains de la dernière vague qui nous ont rattrapés. Je dépasse un peu ça et là car ça ne monte pas bien vite, mais vu que j'ai calculé large sur le roadbook, ça me va bien.
Ravito de la Grande Valloire : 2h55 pour 3h05 prévues et 680m/h pour ce début de montée. J'en repars au moment où Sylvain y arrive. Le premier d'une longue série de moments où on se croise.
La suite, c'est simple : on continue à monter, il reste encore 850 mètres jusqu'au col et le changement c'est qu'on est sortis de la forêt. Et, dans Belledonne, quand tu sors de la forêt, tu entres dans le royaume du caillou. Ça monte pareil, mais avec des cailloux. La variation, c'est la taille des cailloux et la présence, parfois, d'un espace dégagé avec moins de cailloux, que d'aucuns pourraient aller jusqu'à nommer "sentier" dans un moment d'optimisme béat.
La file de Sylvains s'est un peu délitée et ce sont désormais des Sylvains égrenés de loin en loin qui progressent dans ce domaine minéral. J'ai mis dans un coin de ma tête une façon de me "voir avancer", c'est la description du parcours jusqu'au col : une montée de cailloux, un lac, une montée de cailloux, un lac, une montée de cailloux, un lac, une montée de gros cailloux, le col.
Bref, on fait ça, je prends des photos en montant parce que c'est beau, ces montagnes avec des nuages et je monde sans me poser de question en n'oubliant pas de regarder l'altimètre pour penser à faire un "glou" tous les 50 mètres.
850 mètres de D+, 1h45. Donc 500 m/h, ça va clairement moins vite dans les cailloux. 4h45 de course en haut pour 5h01 prévues. Pas si mal le roadbook. Je sais en fait inconsciemment que je l'ai fait vraiment très pessimiste au début, donc être en avance n'est pas une mauvaise idée.
On joue à cache-cache avec les nuages donc la vue en haut de la Grande Valloire est un peu bouchée, mais c'est joli quand même.
D'un col à l'autre, c'est le programme de la suite. Avec des cailloux entre les deux, plus ou moins tout le long. Donc des sections où on va avoir l'impression de se traîner comme des limaces, c'est calculé dans le roadbook, pas de panique.
Début de descente sans trop de problème jusqu'au col intermédiaire de Comberousse (qu'on distingue au milieu de la photo précédente) qui nous amène en haut du grand vallon de l'Oule : la vue plonge jusqu'en direction de Gleyzin, tout là-bas en bas, d'où le parcours de l'Intégrale devait monter à notre rencontre pour aller ensuite sur le Morétan.
Il faut donc y descendre en suivant, voire en marchant sur, le "glacier" de Comberousse. Ou du moins ce qu'il en reste, c'est à dire une langue neigeuse qui ressemble malheureusement plutôt à un névé famélique.
L'avantage des névés, c'est que, pour une fois, on arrête de faire l'acrobate dans les cailloux. L'inconvénient c'est que c'est super casse-gueule quand même, vu qu'une caractéristique classique de la neige, c'est que ça glisse.
Bref, de l'un à l'autre, c'est vraiment pas rapide, comme descente....mais vu que c'était prévu comme ça, eh bien je continue à faire ça tranquillement. Tout va plutôt bien, je suis surtout content de ne pas avoir mal à mes côtes qui n'ont pas trop aimé le plongeon avant carpé que j'ai tenté quelques jours auparavant, avec Yves_94 dans la descente du Nid d'Aigle. On finit même, pour terminer cette partie descendante d'environ 400D- par retrouver.... un sentier. Manifestement pioché assez récemment, piochage où l'équipe de balisage de l'Échappée Belle doit avoir sa petite part de responsabilité (eh oui, les courses, ça a aussi l'avantage d'entretenir les sentiers....voire de les créer).
Le tout nous amène à rejoindre le parcours montant en direction du Morétan, donc le point bas entre les deux cols d'où, surprise, c'est un vrai sentier qui nous remonte désormais en direction du col.
Cela a quand même bien changé depuis mes souvenirs de 2015 où on montait quand même à ce col mythique dont les toutes premières Échappées Belles de 2013 et 2014 avait fait la légende (aucun des coureurs de ces éditions pionnières ne s'attendait à un truc pareil, je crois). Au final, maintenant, sur les 350D+ finaux du Morétan, la partie de crapahutage à l'estime dans des cailloux en forme d'autobus ne fait plus que 100 ou 150 mètres. A force, on va finir par qualifier cela d'autoroute.
Bon, on va dire autoroute en construction, quand même
Un peu pentue, quand même, l'autoroute : 350D+ en 1,2km, ça reste du 30%. Comme la tradition le veut désormais, les bénévoles mettent l'ambiance en haut du col avec la "Chanson du Morétan" sur l'air de.....La Peña Baïona, ce qui surprend un peu. Surtout avec les variantes sur l'air des "Champs-Elysées". Bref, pendant 3 heures ensuite, on a les 500 Sylvains qui vont chanter dans leur tête, alternativement du Joe Dassin ou un chant de supporters de rugby pendant qu'ils sautent de caillou en caillou jusqu'à Super Collet. Certes, ça occupe, mais c'est un peu envahissant. Ma seule satisfaction, en fait, est d'imaginer le lecteur de ces lignes qui ne va pas manquer de faire pareil, tout en se demandant comment on peut chanter la gloire du Morétan au lieu de "Allez, allez, les bleus et blancs de l'Aviron Bayonnais" ou de se balader sur l'avenue le coeur ouvert à l'inconnu et d'avoir envie de dire bonjour à n'importe qui.
T'as l'air fin, tiens ensuite dans ton vallon de Périoule ou bien agrippé sur ta corde sur la moraine à te dire que, non, t'as vraiment pas envie qu'ils poussent, poussent, les avants bayonnais...ou les autres Sylvains ou que non, n'importe qui ce ne fut pas toi et je t'ai pas dit n'importe quoi.
Bref, l'un dans l'autre, tout ça finit par nous amener à ce Morétan où on finit immanquablement par ramper à quatre pattes sur les 10 derniers mètres pour y arriver vu que ces ânes, ils ont enlevé tous les cailloux justement à l'endroit où ils serviraient enfin à quelque chose.
6h23 de course, me voilà donc à mon deuxième Morétan, 7 ans après le premier. Saint Roadbook avait prédit 6h55, je suis tout fier de moi d'avoir 1/2h d'avance qui me laisse augurer d'avoir peut-être la fierté de mettre une bonne grosse claque à ce roadbook tellement pessimiste que j'ai eu du mal à ne pas lui faire emplafonner les BH.
Alors, cette section là, le type qui a juste regardé le profil de loin, il se dit "ouah, bon trop facile, le truc, là, on descend un bout un peu raide, ensuite y'a un vallon roulant, un ravito, encore de la descente sur quelques kilomètres, un petit coup de cul, une traversée et on arrive au ravito". Genre 13 kilomètres, je te plie ça en 2 heures, tranquille Émile.
Si tu es François d'Haene, ça donne à peu près ça. Genre même moins. Si tu es moi, tu sais que ça peut durer dans les 4 heures. Donc, tu te fais tout humble, tu te dis que tu vas ramer et que si tu es à Super Collet à 4h de l'après-midi, tu seras content vu que ça te laissera 2h de marge sur la BH et qu'il faut bien ça.
Descente dans les cailloux au milieu de tas de Sylvains bien prudent (à cet endroit, je repense à nouveau à Elcap qui, en 2013 ou 2014 y a laissé un poignet...et à moi qui y ai laissé un joli bâton en carbone). Le Vrai Sylvain (enfin un des deux vrais) me regarde depuis le haut du Morétan, mais je ne le sais pas, c'est lui qui l'écrira dans son récit.
Il doit bien rigoler à me voir sur le névé, le Vrai Sylvain. La caricature du Monchu sur la neige qui ne tient pas sur ses deux pieds et se cramponne à la corde pendant que des chamois isérois ou savoyards le dépassent en rigolant intérieurement.
Une fois retrouvé les cailloux normaux, donc tout aussi casse-gueule, mais d'une manière différente, ils nous amènent à la fameuse moraine. En gros, le machin qui descend tout droit à 2997% de pente et où, au lieu de justement mettre de braves et sains cailloux, on nous les a ENLEVÉS pour laisser une espèce de gravier super glissant.
Et une corde.
Et voilà donc des grappes de Sylvains accrochés à ladite corde, à essayer de descendre le truc sans se flanquer en l'air. Et à buter au final sur un Sylvain ou une Sylvette moins à l'aise que les autres et donc à s'empiler à 10 sur 5 mètres de corde. Et là, sur Kikouroù, ils ont eu beau dire que c'est mieux de descendre sans tenir la corde, tu peux pas : les grappes de Sylvains, ça dépasse. Si tu dépasses la grappe, tu y passes car, selon des principes de physique de base, quand tu accroches 10 Sylvains du même côté d'une corde où ils s'agrippent, la corde en question a tendance à verser du côté des 10 Sylvains.
Bref, si tu es tout seul, tu fais comme tu veux, avec la corde, sans la corde, sur le cul, sur les mains, avec bâtons, sans bâtons, tout ça. Si tu n'es pas tout seul, tu fais....comme tu peux.
Pas de bol, je fais comme je peux. Et donc, la moraine n'en finit pas. Ce n'est qu'à la toute fin que, à l'occasion d'une de ses diverses gamelles, je finis par arriver à dépasser la pauvre Sylvette un peu crispée qui a fini par empiler une belle grappe de Sylvains à ses trousses. Et là, il faut bien avouer qu'on est un peu sans pitié dans ce type de situation : y'a une ouverture pour passer, tu passes, et advienne que pourra.
La moraine....quand on l'a terminée
Le tout nous amène vaille que vaille au Lac du Morétan Supérieur qui a l'avantage d'être plus ou moins la fin du chantier de cette descente. Et à ce Lac m'apparaîssent, surnaturels, 3 tee-shirts bleus surmontés de casquettes portant un logo célèbre dans le monde entier et, du moins me semble-t-il, une paire de chaussettes jaunes Lidl.
Il n'y a pas à dire, quand on tombe sur une bande de lyonnais après 7 heures de course, on n'a plus aucun self-control, aucune pudeur : on est content de voir les copains. Même lyonnais. Donc, voilà Benman, paulotrail et ..... (oups, sétéki ?) qui sont venus comme ça, à notre rencontre (depuis Super Collet qui est à 10 kilomètres, quand même). Donc, selfies, photos, autographes, on profite. Et, cerise sur le gâteau, voilà que Sylvain (pas "un" Sylvain, LE Sylvain, vous suivez ?) recolle et donc, au milieu de nulle part et des cailloux, voilà un joli quintette de kikoureurs qui se remet en route.
Ouais, t'waaaa, trop facile la moraine, twaaaaaa
(bin non, j'ai même pas de photo de tout le monde)
Et, bien sûr, fidèle à mon côté "ours des montagnes", je me dépêche de larguer les copains pour gambader gaiement sur les sentiers du vallon de Périoule, histoire de profiter quand même un peu que je suis en état d'y gambader plutôt que d'y traîner ma misère comme cela avait été le cas en 2015. Et, y'a pas à dire, mais un vallon de Périoule en gambadant (enfin....disons en faisant semblant de courir) ça passe quand même drôlement plus vite qu'en s'y trainant sans fin. Et le ravito apparaît curieusement vite, c'est magique!
Grosse ambiance au ravito. Là aussi, alors que j'avais le souvenir d'une tente intimiste (avec un Numax qui m'apporte la soupe, quand même), c'est une belle ambiance mise par une joyeuse équipe de bénévoles, une organisation solide et, surtout, surtout, la SOUPE DE PÉRIOULE. L'arme secrète qui est capable de transformer des zombies gavés de cailloux, en indigestion d'autobus pétrifiés, en super-Sylvains volant de caillou en autobus.
Et justement, tiens, voilà le Vrai Sylvain qui arrive avec son escorte bleue. On dirait une patrouille de gendarmerie, c'est beau à se pâmer.
On organise donc le pique-nique à même le sol, on est bien, il fait chaud mais pas trop, si on s'écoutait on y passerait l'après-midi. Mais bon, à un moment, Saint Roadbook me rappelle à l'ordre : j'avais dit 15 minutes et ça fait 20 minutes que je me gave de soupe, il est temps d'y aller.
A nouveau, je repars en ours solitaire, bien décidé à en découdre rapidement avec la putain de chierie de saleté de vacherie de montée de mierda à la Pierre du Carré, que l'on s'obstine à nous faire monter en pleine journée. Oui, ça c'est le vrai nom du "petit coup de cul" dont je parlais précédemment, le truc où une bonne génération de finishers (ou pas) de l'Échappée Belle a appris qu'une petite bosse sur un profil peut cacher en réalité un mouroir à trailers.
Ça, c'est le plat AVANT
Bon, déjà, pour monter une vacherie de chierie de saleté de côte, comme toujours en montagne, il faut descendre l'équivalent de ladite vacherie parce que, quand même, les montagnards n'ont toujours pas compris que la ligne droite, et plate, est quand même le plus court pour aller d'un point à 1800m d'altitude à un autre point à 1800m d'altitude. Et donc que redescendre préalablement à 1250, c'est franchement d'une débilité sans nom.
A Madère, ils nous auraient pris la bétonnière, 3 ou 4 sacs de ciment, 2 ou 3 pelles et ils nous faisaient une levada bien plate et bien chiante à courir. Dans Belledonne, on descend beaucoup et on remonte encore plus raide. Chacun son choix.
Intrinsèquement, c'est plus rigolo que la levada. Mais quand tu es dedans tu rêves de levadas. Bon, déjà, il faut descendre les 550 mètres et ça, j'avais un peu occulté que c'est quand même assez long à faire vu que le sentier ne fait rien qu'à faire semblant de descendre. Je me rappelle qu'on arrive à un moment sur un chemin de 4x4, mais il n'en finit pas d'arriver, ce chemin. Et l'altimètre, il ne fait rien qu'à descendre pas vite pendant qu'on fait des montagnes russes sur ce chemin où en plus on peut pas trop courir facilement.
Mine de rien, ça me prend 50 minutes, ce bazar. Pour descendre 550 mètres. C'est dire que ça descend pas vraiment de manière continue.
M'enfin, l'un dans l'autre, nous voilà sur ce chemin de 4x4, puis, rapidement, dans cette côte. Bon, d'avance, je sais que je vais pas mal ramer et que le manque d'entrainement sérieux va commencer à se faire sentir. Il faut donc que je me trouve une occupation : allez, je vais compter les lacets, tiens. Et puis, bien sûr, ne pas oublier mon protocole de "50 mètres de D+, 2 gorgées d'eau".
Le souci c'est que je cale très sérieusement et me mets à monter à une vitesse de limace sur cette pente à un peu moins de 30% en plein cagnard. En plus, des lacets, il s'avère qu'il y en a....6. C'est un peu léger pour s'occuper. Je tente bien le coup d'essayer de calculer la hauteur de mes pas, mais, étant moins dans le gaz qu'en 2015, j'arrive trop vite au résultat (20,4 centimètres), ça occupe à peine un demi-lacet. Personne à doubler, personne qui double, la seule chose à faire dans cette saleté de montée, c'est de monter en rêvant de levadas.
De mémoire ça doit s'arrêter au refuge. Quand on est au refuge, ça monte plus. Donc tant que tu vois pas de refuge, ça monte. Quand ça ne monte plus tu es au refuge. Simple.
Au bout de 50 minutes (pour 500D+, donc 600m/h, finalement plutôt honnête), ça ne monte plus. Mais pas de refuge. Et ça part en traversée en balcon. Tiens, j'ai du rater le refuge donc c'est cool y'a plus que 1km de sentier en traversée et hop, on descend sur Super Collet.
Bin non.
Le mec qui se gargarise de connaître le parcours par le moindre caillou, il a tout faux. En fait, quand ça s'arrête de monter, on n'est pas au refuge. On se fait un bon kilomètre en traversée à 1750m d'altitude en ayant l'impression qu'on va arriver à Super Collet et......on arrive à ce foutu refuge. Et....ça remonte à nouveau. Le truc qui te scie les pattes, une fourberie de montagnard sournois qui ne sait pas faire de levadas. Bande de sadiques! Évidemment, et par conséquent (j'allais écrire "du coup", mais vais essayer de ne pas tomber aussi bas), dès que ça s'arrête enfin, et normalement définitivement, de monter, j'en ai trop marre et je cours, que dis-je, je vole, vers Super-Collet. C'est bon, là je retrouve le bout de sentier où l'an dernier j'étais allé repêcher un Tom au bout de sa vie, c'est roulant, je n'ai pas de millions d'épingles sous les pieds comme en 2015, zouuuuuuuuuu.
Splatch.
Me suis raté. Un petit passage technique, 2 marches à descendre sur des rochers en ardoise, le pied gauche glisse, le bonhomme glisse, le bras droit du bonhomme tente vainement de rattraper tout cela, mais rencontre essentiellement les fameuses ardoises. Ah bin flûte, je me suis un peu égrointé comme dirait ma maman (pour les non-stéphanois, ça veut dire que je me suis éraflé le bras). Bon, ça pique un peu mais ça va, pas d'autre souci, je froufroute un peu le coude qui rougit et on repart, zouuuuuuuu.
Pourquoi ma main colle sur le bâton droit, c'est bizarre ? Ah bin tiens, en fait, j'ai quand même le bras droit tout poisseux.....de sang dont la couleur me confirme quand même que je ne suis pas noble pour deux sous. J'essuie le bazar en mode froufrou sur le short Evadict, mais ça fait rien que de continuer. Bon, allez, tiens, on va passer ça sous un filet d'eau de ruisseau placé opportunément ici par les montagnards qui ne connaissent rien aux levadas. Allez, voilà, ce bras fait quand même moins peur et on se croirait un peu moins à Halloween. Va quand même falloir aller faire nettoyer ça au ravito.
Pendant ce temps...tiens un Benman qui me rattrape. Le bougre s'est mis en tête de me rattraper ce qui lui a pris un certain temps : il paraît donc, selon lui, que j'avance bien. Ah bin, ça en fera au moins un qui en sera convaincu. Et nous voilà donc qui arrivons enfin à la petite crête au-dessus du ravito où il n'y a plus qu'à se laisser couler en profitant de la béate admiration des foules massées au bord du chemin.
Paf, Super Collet, ça c'est fait. Dans ma tête, je m'étais dit "si j'arrive là sans problèmes, ça va le faire". Voilà, c'est fait, paf.
Bon, pour les foules pâmées, on repassera
Bien sûr, ma SuperSuiveuse est là ainsi que celle de Sylvain (mais pas le vrai Sylvain d'avant, l'autre vrai Sylvain d'encore avant qui....est largement devant moi). Elles nous ont concocté une assistance façon Palace avec sièges, sac d'allègement déjà prêt, on dirait la Team Salomon.
"Alors, juste, là, ma chérie, faut que j'aille voir le poste médical car je me suis fait un petit sang à mon bras, t'as vu ?". Bon, heureusement, vu que j'ai nettoyé, on voit pas exactement le petit sang, mais de toute façon, voilà, on va mettre un petit proutch-proutch de désinfectant, peut-être un petit pansement pour décorer, et hop. Bouge pas j'y vais tout de suite, je reviens dans 5 minutes.
"Bonjour, poste de secours, je me suis fait un petit sang et vous pourriez pas mettre un peu de crème de bisous ou d'eau magique qui pique pas dessus, siouplait?". La kiné du poste de secours entend mes explications et me fait donc un proutch-proutch de désinfectant et, par sécurité, appelle son collègue infirmier pour regarder si tout est bien et que le Monsieur il peut repartir.
Le collègue infirmier regarde. Regarde encore. Re-regarde. Prend un air soucieux. Réfléchit. Re-re-regarde. A un peu plus l'air soucieux. "Attends un peu, je vais quand même appeler le médecin".
Arrivée du corps médical, fort sympathique au demeurant. Re-air soucieux. "ça m'a l'air bien entaillé, ton truc, là". "Ah oui, et y'a quand même des cochonneries" (bin oui, je l'ai un peu froufrouté pour que ma chérie elle ait pas trop peur de voir le bras tout rouge). "Je crois qu'il va falloir faire quelques points". Euuuuuuuh, des *points*? Pas de suture? Abassi.
Nous v'la beaux : il faut recoudre le bubulle qui a, en pratique, ouvert le gras de son bras sur un bon centimètre et un bon demi-centimètre de profondeur. Bref, on a un peu taillé dans la viande et, pour faire bon poids, on a emporté quelques souvenirs sous forme de tout petits petits petits cailloux belledonniens (oui, ça existe aussi). Donc, y'a pas juste à froufrouter de l'Eosine, quoi.
Je vous passe la séance de retrait de petits cailloux à coup d'eau oxygénée, la séance de haute couture sur la viande bubullienne agrémentée d'explications anatomiques à l'attention de la petite kiné ("tu vois, là, c'est le muscle qu'on voit"). Le fait est que ça pique un peu et que ça nous prend une bonne demi-heure pour essayer de refaire quelque chose de la vilaine entaille. Tout ça, sur une levada, ça serait jamais arrivé, quand même.
L'un dans l'autre, voilà quand même le Guerrier Blessé qui finit par ressortir de la tente avec une ordonnance écrite sur un bout de papier pour que le poste médical à l'arrivée puisse regarder le futur désastre que j'aurai fait de ce magnifique travail chirurgical, une fois arrivé. Donc, déjà, je suis obligé d'arriver, maintenant que j'ai un rendez-vous médical à Aiguebelle. C'est déjà ça.
Benman a, pendant ce temps, fait un travail d'agent de liaison sur l'actualité médicale bubullienne pour informer Elisabeth de l'avancement des travaux. Sylvain est arrivé dans l'intervalle, bien sûr et nous pouvons enfin amorcer la séance plus normale de kuhalaire, destinée à ramener des vêtements frais sur nos corps décatis. En même temps, je dévore une assiette de victuailles sous l'oeil vigilant d'Elisabeth (pas oublier la banane!) et je me retape bien grâce à cette assistance 4*.
Au final, 1h15 d'arrêt, c'est évidemment bien plus que prévu. Et, alors que j'étais arrivé avec 20 minutes d'avance sur le roadbook, je repars avec 1/4h de retard. Mais toujours largement (1h) devant la BH, c'est ce qui compte.
Et surtout, je repars gonflé à bloc. Curieusement, ces aventures m'ont redonné une grosse motivation alors que la montée à la Pierre du Carré était plutôt un moment difficile.
Le petit bleu au milieu, c'est moi
La montée en haut du télésiège de Claran se passe un peu comme dans un rêve. Je monte vite, vraiment vite. Une bonne dizaine de coureurs passent (virtuellement) à la casserole. Je profite. Je sais que ça ne durera pas : le flow, il faut le prendre quand il vient et le garder tant qu'il est là.
J'en rattrape même Sylvain qui est reparti avec la bande des lyonnais une bonne dizaine de minutes avant moi. Et cela pile au moment....où Arclusaz arrive en sens inverse. Grand rassemblement kikou en haut de la crête de Claran. Improbable.
Une fois tout cela immortalisé, je repars devant Sylvain (les autres vont redescendre sur Super Collet). Je veux profiter de ce moment de mieux tant que je le peux et je me dis que si je peux enquiller la descente sur le Bens, puis la remontée aux Férices avec cette pêche, je vais m'offrir un beau matelas avant les moments plus difficiles qui ne manqueront pas d'arriver.
C'est donc aux taquets que je m'engage dans la descente du col de Claran. Tellement aux taquets que sur un des rares passages boueux, je m'offre une belle gamelle sur le dos....et une tout aussi belle décoration du short tout propre que j'avais mis à Super Collet. Mais cela ne m'arrête guère. Un autre coureur me suit aussi assez vite, on se fait une belle descente avant de revenir sur 2 coureurs de l'Intégrale juste avant la partie remontante.
Cette partie légèrement remontante et très accidentée est une des caractéristiques de cette "descente" du col de Claran qui est en fait très longue car, justement, pendant un bon moment....on ne descend pas et on remonte même. Nous allons rester un bon moment derrière ces deux coureurs de l'Intégrale car on papote un peu, on échange avec eux sur leur première partie de course, bref on prend un peu le temps.....de prendre le temps, ce n'est pas si désagréable.
Au bout de 10 minutes, le coureur derrière moi a envie d'avancer un peu plus et je prends finalement cela comme prétexte pour demander à nos deux compagnons de pouvoir passer. Et nous voilà repartis à deux (à distance, mais pas très loin l'un de l'autre), à descendre sur un très bon rythme.
Cela reste quand même long : 53 minutes, mais le roadbook avait prévu 1h. Donc, sans être météoritique, je suis bien dans les temps. Et, l'un dans l'autre, j'ai....7 minutes de retard sur le roadbook! Cela, malgré l'arrêt à Super Collet.
Sauf que.....couic. Le moteur se débranche dans la montée aux Férices. Le pacman est terminé, je monte en gros à la vitesse des autres coureurs alors que je viens d'en dépasser une bonne dizaine dans la descente. On revient aux affaire normales et me revoilà donc à compter les tranches de 50m de dénivelé sur ces 450D+ qu'il y a à faire jusqu'au refuge des Férices et son petit ravito. Il va me falloir 48 minutes pour monter cela, donc un 560m/h pas bien phénoménal.
Refuge des Férices où je reste 1/4h sans trop m'en rendre compte en n'étant pas super efficace. L'ambiance est sombre, il est 19h30, la nuit ne va pas tarder et, au vu de la montée un peu poussive que je viens de faire, j'appréhende un peu cette montée à Arpingon dont je sais qu'elle ne semble jamais en finir. Donc, je ne sais plus de ce que je fais à ce ravito, mais j'y reste 1/4h.
Et surtout, j'en repars avec une énergie bien basse. Parti derrière un groupe dans la partie légèrement descendante qui suit le refuge, je me fais larguer dès le premier coup de cul. Et je me souviens de trois coups de cul successifs avant d'atteindre Arpingon. Et là, clairement, j'avance moins vite que tout le monde autour. Je traîne, même, carrément. Voir les pentes au-dessus, très raides, est assez désespérant, surtout quand on voit les coureurs s'éloigner inexorablement.
Je pensais mettre la frontale dans la descente, mais je suis obligé de le faire dans la dernière montée avant le col. L'ambiance est assez glauque, à moitié dans la brume.
Je vais finalement mettre 1h10 (1h01 sur le roadbook) pour atteindre le col d'Arpingon après....seulement deux coups de cul. "Tiens, c'est bien, je croyais me souvenir de 3, cool".
Non, pas cool. Le Col d'Arpingon, c'est pas la dernière montée. On redescend de 50 mètres....et on REMONTE de 50 mètres très très très raides, sur la Pointe de la Frêche, qui est le vrai dernier point haut. Une tuerie dont je ne me souvenais pas.
Et s'il n'y avait que cela. A cet endroit (où il fait maintenant bien nuit), on découvre une très grande combe très raide, dans laquelle il faut descendre. On voit les frontales égrenées plus bas....très très bas et, disons que sur le côté, c'est assez impressionnant d'avoir une pente où on sait qu'il faut éviter de partir. Bref, j'ai franchement les chocottes bien que ce passage ne soit pas plus dangereux que beaucoup d'autres. Et donc, je me tétanise, je n'avance plus.
Et le pire c'est qu'au delà de cette descente raide, on voit tout une ligne (très discontinue, mais une ligne quand même) de frontales qui vont jusqu'à loin, très loin. Et même, tout au bout, une deuxième ligne discontinue, juste au-dessus de la première, d'autres frontales. En bas, les coureurs qui, comme moi, descendent vers Val Pelouse. En haut, ceux qui, repartis de Val Pelouse, sont sur la crête qui va au Col de la Perrière. Cela paraît immensément loin, surtout quand on avance toujours aussi lentement parce qu'on a les jetons. Franck (de Brignais), si tu me lis, je crois que tu vois de ce dont je parle. Et je pense à toi, d'ailleurs. Je sais que je vais mettre longtemps, très longtemps, que je vais en avoir marre et envie d'arrêter quand je vais arriver dans un nombre indéterminé d'heures, à ce Val Pelouse qui paraît si loin. Mais je sais, grâce à toi et à ton récit qu'il va falloir y résister car je vais le regretter.
Donc, en attendant, pour l'instant, l'objectif est d'avancer, tout seul...et le moins lentement possible.
Cela est long, cela est très long. Mais peu à peu les frontales devant sont moins loin. Celles d'au-dessus, sur la crête sont moins visibles. Des fois, je me retourne et j'en vois plein d'autres derrière, de là d'où je viens. Donc je ne suis pas seul dans cette galère, maintenant c'est ma frontale à moi qui désespère les autres. Allez, on s'accroche.
Refuge de la Perrière, enfin. De la, mes souvenirs sont plus récents, nous y étions montés l'an dernier avec Élisabeth. Donc, les replats et la longue traversée, je sais qu'ils sont là. Vaille que vaille, je tiens un genre de rythme et on finit même par former un petit groupe de 4 avec 2 coureurs que j'ai rattrapés et un autre qui m'a rattrapé.
"Ah mais tiens, c'est Christian" dit le gars derrière. Eh oui, c'est mon Sylvain que revoilà! Lui, son coup de mieux, il l'a eu après moi et donc nous voilà ensemble pour le dernier kilomètre avant le ravito, où nous arrivons sous les encouragements des bénévoles.
Ravito très calme que Val Pelouse puisqu'il est impossible d'y monter par la route.
Sauf....quand on s'appelle Ingrid et que rien ne t'arrête. Et donc, Ingrid, elle est montée...à vélo pour faire l'assistance de son Sylvain à elle. Et puis, évidemment, comme c'est Ingrid et qu'il n'y en a qu'une comme ça, pour faire aussi l'assistance de l'autre Sylvain et du non-Sylvain qui vous parle. Voire même d'ailleurs de n'importe quel autre coureur. En fait, on l'aurait laissé une heure de plus sur ce ravito, elle te réorganisait tout le ravito.
Là, pour l'instant, c'est nous qu'elle organise et qu'elle babysitte. Car, pour ce qui me concerne, je suis totalement à plat. Il m'a fallu près de 3 heures pour venir des Férices, au lieu des 2h30 prévues. Et il m'est impossible de repartir après avoir juste mangé. Je n'ai pas forcément sommeil, mais je me dis que je vais essayer de dormir et que, même si ça ne marche pas, ça m'évitera de rester comme un zombie dans ce ravito.
Ingrid s'occupe de tout : elle me trouve une place dans la tente, m'aide à me poser et me promet de revenir me réveiller dans 30 minutes comme je lui ai demandé.
Évidemment, dormir je ne vais pas. Mais, bon, j'ai l'impression que ça fait un peu de bien et que ce sera peut-être un bon investissement. Déjà, cela m'a empêché de gamberger et, en me levant finalement au bout de 25 minutes, je sais que je repars. Pas en mode bien frais, mais je vais repartir.
Encore un super coup de main d'Ingrid pour que j'arrive à manger quelque chose (quoi? Je ne sais plus) et je repars, sachant qu'elle va relayer à Élisabeth que j'ai promis que je ne revenais pas au bout de 10 minutes.
J'y serai resté 50 minutes.....et donc je repars avec un retard énorme sur ce roadbook pourtant pas très optimiste (qui avait 30 minutes d'arrêt). EN fait, 1h10. Donc, l'un dans l'autre, me dis-je, ce sont les deux arrêts bien plus longs que prévu qui ont mis ce retard. Donc, sur le terrain, j'avance comme prévu. Donc, il n'y a AUCUNE raison que je n'aille pas au bout.
Bon, le problème de Val Pelouse est qu'on repart dans un mur. Il y a 7 ans, j'avais Angela avec moi, là je suis beaucoup tout seul, mais....deux coureuses qui sont visiblement ensemble repartent environ 20 mètres derrière. Et là, j'ai beau avoir l'impression de me traîner totalement, je me promets qu'elles ne me dépasseront pas.
Eh bien, bingo. Non seulement, elles ne me dépassent pas, mais je rattrape 1 ou 2 coureurs. Donc, pour le moral, c'est plus que bon, ça. Et ça aide à avaler cette montée, certes pas très longue, mais un peu désespérante vers le Col de la Perrière. Surtout que, maintenant, c'est ma propre frontale qui est en face de celles des coureurs qui descendent, encore, des Férices. Eh oui, alors qu'on a souvent l'impression d'être le tout dernier quand on avance si lentement, là j'ai la preuve sous les yeux que non.
En haut du Col de la Perrière, toujours 1h10 de retard sur le roadbook. Et cela, je me force à le calculer ce qui, déjà, me confirme que j'avance bien à la vitesse que j'avais prévue. Pour le moral, c'est parfait!
Je me rappelle que la descente vers les sources du Gargoton est relativement courte et, contrairement à celle qui précède les Férices, qu'elle ne semble pas ne jamais se terminer. On descend de 1980m à 1620m sur un chemin pas trop difficile, donc le tout est de maintenir un rythme correct et être patient.
Ce dont je ne me rappelais pas, c'est qu'on voit les frontales qui, en face, montent au Col de la Perche. Et là, la distance entre les frontales est quand même impressionnante : ils ne sont pas plus de 4 ou 5 dans cette montée qui doit durer une quarantaine de minutes. Autant dire que je ne vais pas voir grand monde. Maintenant que j'y pense, il est probable qu'une de ces frontales est celle de Sylvain, tiens.
En fait, je ne vais voir PERSONNE. dans la descente, que je fais régulièrement sans vraiment voler, j'entends toujours "mes" deux féminines derrière et devant.....je ne vois personne et ne rattrape personne.
Arrivée à la passerelle, on remonte aussitôt. C'est raide, mais pas horrible, je suis lent mais régulier et.....je ne vois personne. On voit juste les 2 frontales des bénévoles au Col, c'est tout. Donc, eh bien, j'avance et c'est tout. On est plus ou moins au milieu de la nuit (il est en réalité 1h du matin quand je passe aux sources du Gargoton) et la seule chose à faire est d'avancer.
34 minutes pour descendre, 45 minutes pour monter (le roadbook disait bizarrement 38 et 38) et me voilà au Col de la Perche. Pas de liqueur de sapin de Vik, cette année. Pas de dodo dans la tente des bénévoles non plus. Je passe, je pointe et je m'en vais.
Tiens, la lune! Au-dessus de la Maurienne, un croissant de lune s'est levé et nous tient compagnie. Il va un peu jouer avec les nuages qui vont aussi nous accompagner sur les 3 interminables kilomètres, légèrement descendants puis légèrement montants, qui mènent au Grand Chat. Il n'est plus guère possible que de marcher, ici, donc c'est long, très long. Et toujours presque personne...mais quand même 2 coureurs rattrapés au Col d'Arbarétan.
Le brouillard nous enveloppe au Grand Chat, par endroits on n'y voit qu'à 10 mètres. Heureusement qu'il n'y a qu'un sentier car le balisage est très (trop) léger. Cela n'en finit pas de ne pas vouloir vraiment descendre pour enfin attaquer cette descente vers Le Bourget que je sais être interminable aussi. Comme dira Sylvain dans son récit, je ne pensais pas qu'il était si grand, ce Chat.
Interminable, certes, mais là où le roadbook disait 45 minutes, bin j'en ai mis 35. Donc, même pas mal!
Je trouve finalement des humains sous la forme des 2 bénévoles du Col du Champet qui m'annoncent les...6 kilomètres de descente jusqu'au ravito. 6 kilomètres pour 900 mètres de dénivelé négatif. 15%. C'est pas beaucoup.
Donc, si on ne veut pas avoir l'impression que ça prend des plombes, il n'y a qu'une solution : courir. Enfin, trottiner. Enfin....trotticourir.
Je trotticours.
Pis, comme souvent en pareil cas, quand on trotticourt, on finit par rattraper des gens qui trottimarchent. Donc, ça motive. Donc on trotticourt moins et on se met à courtrotter. Et c'est l'avantage d'avoir bien galéré précédemment, même pas mal. Donc, je courtrotte et hop, j'en rattrape un...puis deux, puis un autre, puis encore un. Souvent je compte et plus je compte plus je détrottine et je courche.
Courche, bubulle, courche!
1500 mètres, 1400 mètres, c'est long quand même, faut toujours courchir. On n'a pas idée de comment c'est long 6 kilomètres. Je décourche un peu sur le chemin 4x4 vers 1050m et je trottiche un peu. Mais ça repart en single et je recouriche encore. 1000 mètres, 950, 900, ça y est les lumières du village. Cool, cette année, y'a pas à se taper la chierie de saloperie de foutus kilomètres tout plats jusqu'au Bourget. On arrive sur une route, paf y'a les bénévoles, paf on voit le ravito, pif on pointe et pouf je vois ma chérie.....qui a l'air un poil surprise. "Mais t'es déjà là? Y'a Mazouth qui vient juste d'arriver".
Non, j'y crois pas. Et lui non plus d'ailleurs car même s'il ne sait pas que je suis reparti au moins 1/2h après lui de Val Pelouse, il a vu comment je n'y étais pas frais.
Voilà, bim. 1h43 pour descendre du GRand Chat au lieu de....1h37 prévue par le roadbook. Bref, j'ai juste respecté le roadbook, quoi. Y'a pas de miracle, mais j'ai bien courtrottichu.
Au ravito, c'est Palace. On est posés avec Sylvain dans les sièges, y'a des trucs à manger qui arrivent tout seuls, surtout que les amis Laurence et Gilbert, du GR73, sont là et qu'on papote tranquillement vu qu'on sait que, franchement, maintenant, y'a plus qu'à terminer cette course, qu'on a plus de 8 heures pour le faire et que ça serait étonnant qu'on n'y arrive pas.
Il est 4h du matin et on est bien.
Évidemment, l'évidence est là et on n'a même pas besoin de se le dire avec Sylvain que je vais appeler Mazouth : on va finir tous les deux. On sait qu'il y a encore un peu de difficile à passer et ça sera bien de le faire ensemble. Et puis, partager une arrivée ensemble, je ne sais pas pour lui, mais pour l'avoir déjà fait....ah bien tiens, à mon dernier ultra terminé, la Montagn'hard 2021 avec Nathalie, je sais que c'est quelque chose que les deux concernés gardent avec eux pendant longtemps.
En plus, pour tous les deux, finir la course était un défi, donc il faut le célébrer ensemble.
Et donc, à 4h30 du matin, on est bien...et on repart.
Pic-poc, pic-poc...maintenant, il faut quand même se le taper, ce plat montant jusqu'au Pontet.
Il fat toujours presque 4 kilomètres, donc ça reste interminable. Mais, à deux, ça se passe finalement bien même s'il nous faut bien 45 minutes. Certes, il faudrait courir (ou au moins trotticher), mais là, ça ne veut plus trop.
Je ne reconnais pas l'arrivée au Pontet, mais en fait on zappe le crochet par l'endroit où il y avait le ravito, précédemment, donc on y est plus vite que j'imaginais. Reste maintenant la montée à Montgilbert.
Dans mon souvenir, ça se passe plutôt bien. En 2015 sur l'Intégrale, j'avais eu un bon coup de flow dans la partie la plus raide et je n'avais cessé d'y accélérer. En 2018, sur les Crêtes, j'avais encore pas mal d'énergie et avais aussi bien réussi à relancer. Donc, je suis optimiste.
Bon, là, pas de bol, il y a un paramètre qu'on avait oublié. Il y a un truc qui ne te prévient jamais quand il va te tomber dessus, c'est le sommeil. Le moment où tout d'un coup, tu te mets à avancer très très très machinalement, où on a l'impression d'être déconnecté, où les buissons sur les côtés se mettent à avoir envie de se transformer en secouristes, vaches, trailers couchés par terre, voire bouches d'égout.
Le souci est que ça nous tombe dessus dans l'espèce de fichu chemin creux tout raide qui précède une partie plus roulante qui....n'en finit pas d'arriver. C'est plus violent pour Sylvain qui n'est pas loin de dormir debout, me dit-il. Et moi, franchement, je suis à peine mieux. Finalement, ce qui nous tire d'affaire, c'est probablement le fait d'être ensemble et d'avoir le coup de barre ensemble. Étant un poil moins zombie, je me donne le devoir de garder la lucidité suffisante pour avancer et tirer virtuellement Sylvain en m'adaptant à la vitesse qu'il arrive à tenir. Surtout ne pas le décrocher en prenant de l'avance....mais aussi ne pas ralentir trop. Je l'imagine les yeux braqués sur mes mollets (que je sais très fascinants, c'est Nath qui me l'a dit), donc il doit toujours avoir mes mollets en vue. Étonnante, cette capacité qu'on a alors à se retourner sans en avoir l'air pour voir où en est l'autre, sans qu'il ne le voie lui-même.
Et, non seulement ça doit l'aider, lui, mais ça m'aide aussi, moi...à rester lucide. Essayer de lui parler (ce qui revient en gros à lui dire le dénivelé qu'il reste à faire et comment ça continue après ce foutu chemin creux), ne pas le décrocher, ne pas le décrocher, lui parler un peu, ah flûte, il a 5 mètres de retard, ralentir sans en avoir l'air, redire une 3456ème fois qu'il reste encore 107 mètres à monter.
Ouf, nous voilà sur le chemin de 4x4, y'a encore un bon kilomètre de mierda à faire là-dessus. Les autres courent, j'essaie mais ça ne veut plus côté des jambes de Sylvain. Bon, bah tant pis on y va en marchant, j'arriverai bien à le faire courir dans la descente....(espèce de sadique!).
Ayé, voilà l'endroit où je JuCB, Aurélie et Manu m'avaient offert une bière en 2018 avant la descente finale (il paraît que j'avais été le seul à en prendre une).
"C'est bon ça descend maintenant, Sylvain"
"mrpfglkhtc" me répond dans un enthousiasme communicatif, le Mazouth en voie de dézombification. Bon, c'est vrai que le raidard de 50 mètres à 30% que tout le monde oublie, n'aide pas à l'optimisme, je le concède.
"Oui, mais après, c'est promis c'est le dernier, ça fait rien que descendre"
"mklfgtrsvbcf" semble exprimer une certaine incrédulité
Pourtant c'est vrai que ça descend. "Sylvain, on essaie de trotticourcher ?". "OK, on essaie". ça y est, il a retrouvé comment on parle en français, il ne s'exprime plus en australopithèque. Donc, on trotticourche.
En fait, bon, c'est plutôt martrotter qu'on fait, voire même marchouiller. Mais bon, ça descend, ça descend. Et puis, finalement, je dois dire qu'on s'en fout un peu, on va arriver on va sonner la cloche et c'est ce qui compte.
Bref, pas grand chose à raconter de cette descente et on ne se force même pas à courir une fois arrivés en bas, sur le plat un peu interminable qui nous ramène à l'arrivée.
"On court après avoir traversé la nationale". Bin oui, quand même, faut quand même avoir l'air de guerrier.
Pour le reste, là, j'ai du mal à vous dire car c'est un peu le rêve éveillé cette arrivée. Mais en tout cas, à nous deux, on doit avoir un sacré paquet d'amis et de famille car l'arrivée du Mazouth et de bubulle, elle fait un barouf du diable. Et je peux vous confirmer à nouveau qu'une arrivée à deux, quand on a eu tous deux nos bons moments et nos mauvais moments, mais qu'on est passés au delà pour s'offrir cette arrivée, eh bien c'est juste un kiff total.
Et les photos disent le reste, je crois.
Je ne sais pas si je finirai encore l'Echappée Belle, mais celle-là, elle valait quand même cher. Merci à tous ceux qui ont voulu la partager avec moi et le reste n'est pas dans les mots. Et merci à Sylvain pour ce moment rare dont on se souvient toujours longtemps.
La dernière photo était bien sûr évidente à choisir.
Ah non, j'oubliais....y'a quand même celles-là, aussi :
Et toc.
7 commentaires
Commentaire de Benman posté le 12-10-2022 à 12:25:51
Merci pour ce récit (on attendait un récit le 20?) avec de belles photos (!!), et de chouettes mots, chabob ma journée.
Sylvain un moment, je t'invite à te pencher (si tu ne connais pas déjà) sur l'histoire du sylvain Colinet, tu découvriras la vie d'un vrai sylvain, et en tant qu'admirateur rationnel des cartes, tu ne pourras qu'apprécier.
Et je veux terminer en chanson, comme en haut du Moretan: "le coeur ouvert à l'inconnu, allez allez les bleus et rouges des environs kikourou, allez voir Sylvain est bon... oui oui oui.
Sinon, sétéki? sétérico69
Commentaire de Cheville de Miel posté le 13-10-2022 à 14:31:32
Tu vas finir par être sociable en course!!!!
ça fait bien plaisir que tu es pu boucler cette traversée nord qui est devenue un gros gros morceau!
Merci pour le CR.
Commentaire de Mazouth posté le 13-10-2022 à 15:42:57
Ha oui c'était mémorable (même si je ne souviens pas de tout, notamment dans cette mkfkdlsskrmmpf de montée de dernière montée, bizarrement). Merci encore à tes mollets de m'avoir tenu en vie ;))
Ton récit aussi est mémorable, DU COUP, j'ai adoré :)
Commentaire de coco38 posté le 14-10-2022 à 10:28:35
Oui super récit... beaucoup d'émotions qui (hélas) donne envie d'y retourner. Bravo en tout cas pour ce comeback post "électrification"
JC
Commentaire de centori posté le 17-10-2022 à 18:14:25
un très beau CR avec quelques moments d'anthologie. bravo.
Commentaire de Cheville de Miel posté le 26-11-2022 à 13:28:03
C'est malin, je chante maintenant.......
Commentaire de jazz posté le 04-02-2023 à 18:28:39
... c'est toujours douloureux un récit d'une course de l'EB ; merci
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