L'auteur : Grego On The Run
La course : Trail Verbier St Bernard - 140 km
Date : 8/7/2022
Lieu : Verbier (Suisse)
Affichage : 2153 vues
Distance : 140km
Objectif : Pas d'objectif
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Extrait de mon blog :
https://firstquartilerunners.wordpress.com/2022/07/15/recit-de-course-x-alpine-2022-a-la-conquete-dune-4ieme-etoile/
Certaines photos ne figurent que sur l'article de mon blog.
Verbier, dimanche 10 juillet 2022 à 10h du matin. Communication avec ma femme.
Ma femme : « C’est formidable ta performance ! Comment tu as fait alors que tu étais malade ? »
Moi : « C’était trop dur, je ne referai jamais cette épreuve. Je suis allé trop loin pour trouver les ressources me permettant de finir. »
Ma femme : « Mais ton classement ne laisse pas transparaître cela, tu as volé ! »
Moi : « Cette X-Alpine n’est plus une épreuve pour moi, même le Tor des Géants est plus facile. Voilà je te le dis solennellement cette X-Alpine était pour moi la dernière. Je te le signe de retour à Paris »
Elle m’avait échappée l’année dernière à Bourg Saint Pierre. Et c’est sur ce nouveau parcours conforme au format « 100M de l’UTMB » (M pour Miles) que j’obtiens, en m’arrachant littéralement, cette 4ième étoile que j’étais venue chercher l’année dernière pour ma fille.
Comme toujours j’attaque par les chiffres, comme ça c’est fait.
Le nouveau profil sans Le Catogne mais ajout de l’X-Traversée en passant par le col des Chevaux
Autant l’avouer tout de suite. J’arrive à Verbier dans la nuit du jeudi au vendredi 8 juillet dans un état que je qualifie de convalescent. Je sors tout juste d’une infection. Je ne dirais pas que j’ai retrouvé « le Guane ». Je ne cours plus depuis 1 semaine. J’ai très peu de foi dans la méthode Coué. Pourtant je crois en « l’effet rebond » dont on parle dans les magazines bien attentionnés. Il y est fait mention qu’après être tombé malade le sportif retrouve un état de forme supérieur à celui qu’il avait avant l’épisode infectieux en raison du repos forcé que lui impose sa maladie. Et bien moi en arrivant à Verbier j’ai envie d’y croire !
Je mise tout sur mon repos forcé. Et peut-être que sur un malentendu…
Je suis au Chables pour prendre mon dossard. Il n’y a à proprement parlé personne en dehors de bénévoles. Le retrait s’exécute en 5 minutes. Je salue Ryan Baumann ancien finisher de l’X-Alpine. J’essaie de lui soutirer des secrets de sa réussite, histoire de me faire gagner des places. Mais las… Il n’y en a pas. Le secret c’est surtout qu’il a des qualités athlétiques exceptionnelles que je n’ai pas et donc que je ne peux rien en tirer. Le choix de ses gênes sur catalogue pour devenir un bon UtraTraileur c’est prévu pour le siècle prochain, encore faut il que les parents le veuillent bien.
Je télétravaille de ma chambre d’hôtel. Je fais des choses passionnantes en mangeant des pâtes. Et j’essaie de faire des siestes pour optimiser l’effet rebond. Je n’arrive pas à m’endormir même si je m’y emploie en déployant tous les dispositifs : je ferme les yeux, je me détend, je ne mange pas trop (erreur !), je mets de la musique (pas non plus une bonne idée ça).
Il ne se passe rien si ce n’est que je suis bien fatigué à 21h10, heure à laquelle je prévois de prendre une douche avant de revêtir la tenue de combat de « l’UltraTraileur qui croit fermement en l’effet rebond ».
Il est 22 heures. La température est exceptionnelle : une douceur qui caresse la peau. Il est prévu un temps magnifique tout le WE. Nous sommes très peu sur la ligne de départ (237 coureurs). On a de l’espace, aucune bousculade, personne qui veut se retrouver au premier rang parce que c’est très important pour lui de commencer par un sprint et d’exploser au 100ièm km. Que des Ultra traileurs raisonnables et raisonnés (c’est une expression très usitée par les temps qui courent) sur une course qui n’est pas du tout raisonnable. A ce propos les organisateurs dans leur discours de départ nous ont demandé expressément de juger si nous trouverons ce nouveau parcours plus difficile que l’ancien. Verdict à l’arrivée si on y arrive !
On attaque par la traversée de Verbier en passant devant le W. C’est un faux plat montant déjà casse pattes pour moi. Et je me sens déjà très mal. Cela part beaucoup trop vite. J’ai le souffle court d’un petit vieux. Je n’aime pas du tout le rythme que m’impose le peloton. Et puis le dénivelé semble calmer les ardeurs des plus audacieux. Nous sommes en rang d’oignons et nous mettons à marcher dans la pente. Un quartier de lune au-dessus de nos tête. Et j’en viens à la première anecdote qui va me faire un bien fou.
J’entends derrière moi un runner qui dit en substance : « Eh bien cela change ici, ce n’est pas comme au Refuge Barmasse où tu pénètres et il n’y a personne ». Et moi de répondre, « Le Refuge Barmasse ? Sur le Tor des Géants ? ». Et le runner qui s’exclame après avoir vu mon prénom sur mon dossard qui est dans mon dos : « Grégory c’est toi ! Mais ce n’est pas vrai, c’est moi Thibaut ».
Et là je tombe de mon arbre ! Et c’est avec une joie non dissimulée que je retrouve mon « Thibaut recherche désespérément » que j’ai vu pour la dernière fois sur la finish line du Tor des Géants ! C’est mon compagnon de galère d’un certain jeudi matin non loin du refuge Cuney alors que je viens de pleurer toutes mes larmes après avoir passé une nuit d’enfer. Quel bonheur de le retrouver. Comme je l’envie de savoir qu’il retourne sur le Tor cette année comme d’autres compagnons croisés l’année dernière. C’est surprenant comme cette épreuve, qui laisse aussi tellement de stigmates, vous attire encore et encore dans son antre tel un aimant comme si nous étions attirés par le chant des sirènes en sachant pertinemment que c’est aussi pour vivre des moments de souffrance intense.
Ce nouveau parcours nous fait passer sur un très beau chemin de crête qui surplombe Verbier. Le ciel est magnifique et c’est avec des sensations légèrement retrouvées que j’arrive au premier ravito tout là haut perché. C’est le premier moment de grâce. Et il y en aura d’autres.
Je prends mon temps à chaque ravito. Je bois de la Rivella du Coca, je mange une barre, une banane et surtout je remplis mes flasques car il fait chaud. Il s’ensuit la descente extrêmement roulante sur sa première moitié avec de larges chemin de 4*4 en direction de Sembrancher. Nous quittons très vite les paysages d’alpage pour les sous bois éclairés de nos frontales. La descente est longue, est longue, très très longue qu’elle n’en finit pas. N’ayant pas le Guane pour les raisons précitées en introduction je sens quelques faiblesses dans mes jambes. Je dois redoubler d’attention pour ne pas me prendre les pieds dans les rigoles d’eau qui traverse ce chemin hyper roulant. Le chemin traverse parfois une route bitumée. Et il nous arrive de nous perdre, c’est à dire de continuer sur la route et de manquer la bifurcation qui conduit à un sentier qui coupe les lacets. J’ai dû perdre au moins 10 à 15 minutes à jardiner à deux reprises. Oui les montres GPS peuvent servir, la mienne ne me donne que l’heure mais elle le fait avec une telle fiabilité que je ne peux m’en défaire. Et enfin voici Sembrancher qui m’est familier pour être le premier ravito de l’ancien parcours. Celui qui est au pied du Catogne.
Toujours le même rituel : on remplit les flasques à raz bord, je bois de la Rivella, du Coca, je mange du chocolat, je prends des barres. Et c’est reparti pour 2000 mètres de D+ en ayant pour point de mire la Cabane d’Orny à 2820 mètres d’altitude (point culminant de la course). La montée jusqu’à Champex Lac n’est pas technique, j’avance assez lentement et je passe un très mauvais moment avec un gros problème gastrique. Mon ventre se gonfle comme un ballon de baudruche. Cela me brûle, j’ai particulièrement mal. Je suis contraint de marcher très très lentement. Je suis à la limite de rechercher un coin dans l’herbe pour m’allonger sur le côté et attendre que cela passe. Dans ma tête je passe en revue tout ce que j’ai pris au ravito de Sembrancher et je coche d’une croix tout ce qu’il ne faut plus prendre : chocolat / Rivella / Coca (pourtant on le donne aux nourrissons qui ont des problèmes gastriques) / bananes …. et ben il ne reste plus grand chose de permis au prochain ravito. Je dois prendre mon mal en patience. Et puis cela passe en quelques dizaines de minutes durant lesquels je suspecterais même un cancer de l’estomac. Soyez indulgent il est plus de 3h du mat et il est prouvé que c’est le moment de la journée (la nuit) où l’on est le moins lucide.
Au ravito certains coureurs sont en peine et demandent la navette de retour. Moi je me sens bien. Je commence à avoir froid. Je mets la Gore Tex et longe le lac. Nous sommes bientôt entre chien et loup, on perçoit au-dessus des crêtes des massifs qui nous surplombent une lumière qui devient de plus en plus « bleutée » : l’aube pointe son nez. Et en parlant de massif il s’agit bien du massif du Mont-Blanc que nous allons gravir en nous dirigeant vers la cabane d’Orny, il s’agit de la plus grosse difficulté de cette X-Alpine à savoir +1400 mètres de D+ mais sur un terrain très compliqué : deux murs dans un pierrier.
Et il s’agit de mon deuxième moment de grâce : le levé de soleil en gravissant Orny. J’ai beaucoup de mal à monter, je n’ai pas le guane qui ne veut pas revenir, j’ai le souffle court, je manque de puissance dans la montée. Mais ce n’est pas grave, c’est beau et c’est tout ce qui compte.
C’est la sixième fois que je gravis Orny et en moyenne c’est bouclé en 2h50 (et après avoir essuyé les 1900 mètre de D+ du Catogne !), or cette fois-ci je vais mettre 3h12 mon plus mauvais chrono. C’est bien la traduction d’un état de méforme, « d’un jour sans ».
On commence par le pierrier de la mort qui tue, celui qui mène au col Breya. C’est un mur et très souvent on a besoin de ses mains pour grimper/contourner d’énormes blocs de pierre. On avance tout doucement, sans jamais s’arrêter. J’ai toujours le souffle court et je me remémore cette antienne : « Ne crains pas d’être lent, crains d’être à l’arrêt ». Alors tant que j’ai la force de mettre un pied devant l’autre, je continue inlassablement, poussé pour ne pas dire propulsé par la beauté des paysages qui m’entourent. Et c’est un réel plaisir de les voir s’illuminer au fur et à mesure que les rayons du soleil naissant les frappent. C’est ce qui distingue les expériences vécues par les traileurs de celles des randonneurs. Les traileurs sont sur le chemin 24/24 leur permettant d’être au rendez vous de configuration de lumières extraordinaires qui durent quelques dizaines de minutes alors que les randonneurs sont encore dans leur refuge en train de prendre le petit déjeuner ou encore en train de dormir. Et malheureusement après l’heure du rendez vous, il est trop tard.
Après le col Breya le parcours nous offre un peu de répit sur un chemin longeant le flanc de montagne. Il est assez court ce chemin, juste ce qu’il faut pour reprendre nos esprits…et attaquer le dernier mur en direction de la cabane d’Orny.
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Et on attaque la descente, très technique « de la mort qui tue » en direction de Saleinaz puis de La Fouly. J’ai pour habitude de mettre autant de temps sur cette portion du parcours que j’en ai mis pour faire Champex / Orny c’est à dire 2h50. Las, cette fois je vais encore signer mon plus mauvais chrono : 3h12 quand je pénètre au ravito de La Fouly. Mes jambes sont faibles, je dois redoubler de vigilance pour éviter la chute fatale dans un pierrier. Et bien que l’on soit au petit matin, le soleil cogne sur le casque. Entre temps je salue d’un coup de chapeau le couple de retraité à Saleinaz qui attend les coureurs avec de l’eau devant un abreuvoir car il est impossible d’arriver à la Fouly sans avoir rechargé ses flasques depuis Orny. Je n’ai pas de bonnes sensations mais ce n’est pas grave j’en ai pris mon partie et puis je suis là avant tout pour profiter du paysages et saluer les très nombreux randonneurs qui viennent en sens inverse. Ils sont nombreux car nous sommes sur le parcours du TMB (Tour du Mont Blanc) entre Saleinaz et La Fouly attirant en cela de très nombreux visiteurs, pour ne pas dire pèlerins, en sac à dos.
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Je prends mon temps à La Fouly et je vais désormais prendre du bouillon vermicelles à chaque ravito et franchement cela change la vie ! C’est pour moi une grande découverte. J’ai besoin de salé. Je n’en peux plus des sucreries. Et c’est tout ragaillardie que je quitte le ravito pour attaquer l’ascension en direction du col Fenêtre avant de bifurquer vers le col du Grand Saint Bernard.
Et cette fois je remplis mes flasques bien à fond. Et pourtant je me fais un peu peur, encore et encore comme chaque année, en ayant la crainte de manquer d’eau d’ici le ravito prévu dans plus de 3 heures sous un soleil de plomb.
Je ne peux pas dire que je passe un grand moment sur cette ascension. Toujours cette chappe de plomb sur ma tête, les jambes qui ne veulent pas fournir toute la puissance voulue, j’ai vraiment du mal à m’arracher. Après le col Fenêtre on redescend quelque peu, le ciel se couvre et le vent se lève. J’ai hâte d’arriver au ravito du Grand Saint Bernard, la température a chuté. A peine je pénètre sous la tente que j’ai envie de m’en extirper, il fait froid, le vent me glace. Vite, je remets ma Gore Tex.
La montée vers le col des Chevaux n’aura jamais été aussi laborieux en 5 éditions. Je me traîne et me fais dépasser par de nombreux traileurs ce qui n’est pas dans mes habitudes dans les cols. En général je suis plutôt un bon grimpeur qui gagne des places dans ces configurations. Le Guane n’est toujours pas là…n’a jamais été aussi absent. J’aime beaucoup la descente en direction de Bourg Saint Pierre avec son barrage des Toules. C’est un moment de répit après la dangereuse descente du pierrier. Le paysage redevient plus pastoral avec des « prés aux vaches ». Cela dit je n’arrive pas bien à relancer, je cours quelques dizaines de mètres puis je dois marcher, je cours encore quelques dizaines de mètres, et je dois marcher… Au bout d’un moment c’est assez lassant, lorsque je suis le long du barrage, je ne fais que marcher en compagnie d’un groupe de 3 coureurs. Et puis dès que je leur dis que nous sommes « à moins de 15 minutes de BSP…si on court » tout d’un coup tout le monde se met en mouvement pour courir les deux derniers kms. Enfin cela ne dure pas non plus très longtemps car il y a une petite montée juste avant de pénétrer dans le village. Mais on sent comme un sentiment de délivrance. A BSP j’ai décidé de prendre mon temps et de bien manger…ce que j’ai laissé dans mon sac de change qui attend tous les coureurs.
J’ouvre mon sac de change pour y trouver un tupperware de fusili, de la pâte à tartiner crème de noisettes du Piémont que je me suis confectionnée moi-même et également un cookie (home made of course !). Et je ne sais pas ce qu’il se passe cela me requinque comme jamais !!!! J’avale tout (les pâtes) et les quelques cuillères à café de pâte à tartiner me font un bien fou. J’ai l’impression que je viens de changer de moteur à BSP ! Il s’agit de 20 minutes d’arrêt mais j’ai l’impression que je ne suis plus le même en sortant. J’attaque la montée vers la Cabane de Mille avec de nouvelles jambes. La température est encore élevée mais j’arriverai assez vite en altitude où le petit vent apportera sa fraîcheur.
Je monte d’une traite jusqu’à la cabane de Mille, rien à dire c’est propre comme trajectoire. Le guane est revenu. D’ailleurs mon chrono est pile poile celui que j’ai toujours réalisé sur ce parcours c’est à dire 2h45 peu ou prou.
Et voilà que commence le nouveau parcours de cette X-Alpine nouvelle formule, nouveau format 100M « by UTMB ». Je vais découvrir de nouveaux paysages, nouveaux sentiers, j’ai hâte de passer sur cette fameuse passerelle qui surmonte un glacier que je n’ai vu qu’en photo dans les magazines Et ce chemin en direction de Brunet va être pour moi une pure merveille. Cela sera mon troisième moment de grâce. Le parcours est extrêmement alpin. Je serai complètement seul jusqu’à Brunet sans croiser qui que ce soit. Le soleil est couchant, le massif montagneux en face de moi est en train de se parer de couleurs chamarrées, violet, rose, cuivrée c’est selon. Mais c’est juste splendide ! C’est pour vivre des moments de grâce comme celui-ci que je cours ces épreuves et malgré les souffrances et les efforts requis, quels beaux moments de récompense.
Les photos ne rendent jamais ce que l’on peut voir de ses propres yeux immergés totalement dans ce décor. Je suis seul mais roi du monde !
C’est trop court…j’arrive déjà à ce qui semble être la cabane Brunet, la lumière va bientôt disparaître.
Ravito cabane Brunet à 21h43 après 23h40 de course : Km 110 / Cumul D+ 7124 / clt. 74
Et quel accueil à Brunet ! On me porte mon sac pour que je puisse prendre ma frontale. On me demande si tout va bien. Je suis chouchouté par des bénévoles très prévenants. Moi je vais rester ici. En fait je ne le sais pas encore, ici c’est le paradis avant l’entrée en enfer…
Je ne fais pas trop attention à ce qui nous attend. Je vois rapidement sur le topo qu’il y a deux petits cols avant une énorme descente vers Lourtier. Et c’est plutôt cette descente infernale qui me fait peur et retient toute mon attention, envahit mon esprit. Or j’ai bien tort de ne pas mesurer la difficulté qui m’attend, surtout en pleine nuit. Car devant soi il reste deux ENORMES difficultés que je sous estime complètement et qui vont me flinguer en plein vol.
Il fait nuit, la paysage est (ou tout du moins était) minéral. C’est très très alpin…mais dans quelques minutes on n’y verra plus rien ou tout du moins seulement ce que le faisceau de notre frontal voudra bien nous dévoiler. « Espace rétréci, difficulté endurcie » auteur inconnu.
Le chemin est escarpé, technique. Pour l’instant c’est du plat. Il fait noir. Cela me semble assez simple jusqu’à maintenant… jusqu’à devoir grimper. Et là cela grimpe de manière assez sèche. Et là je ne comprends plus ce qui m’arrive. Je lève un peu la tête et là horreur j’aperçois à un niveau beaucoup beaucoup trop haut des lumières de frontales qui me font comprendre que c’est une paroi, un mur, IMMENSE que l’on doit grimper. Je n’avais absolument pas réalisé, je n’étais pas psychologiquement préparé. Je prends un coup de bambou derrière la nuque tel que j’en ai rarement eu sur un Ultra. Je suis en train de traverser le pire moment de souffrance de cette épreuve. Sur les derniers hectomètres je suis à l’agonie. Non Grégory, non tu ne vas pas lâcher…cela serait la première fois que tu marques un arrêt sur une ascension, non, non, pas maintenant. Et pourtant mettre un pied devant l’autre sur cette pente qui doit être à au moins 25/30 % requiert de devoir piocher en moi de l’énergie que je n’ai plus. J’entends la voix de ce bénévole en haut de ce col infernal qui encourage le coureur qui est devant moi. Je lève la tête et horreur je n’y suis pas encore, si proche la voix…si loin la lueur de la frontale. Allez encore allez encore, j’ai l’impression de cracher mes poumons, je suis à deux doigts de craquer. Non tu ne t’arrêteras pas, pas maintenant, pas pour la première fois, tu ne signeras pas une première fois. Encore un pied devant l’autre. Je suis dans un autre espace temps, et puis…j’arrive enfin devant ce panneau qui marque le col. Je me retourne pour en connaître le nom, le nom de cet infâme : le col d’Avouillon. Le col qui a failli avoir raison de moi ! Je sens les endorphines d’en avoir fini. J’ai besoin de discuter avec le bénévole. Je lui demande ce qui reste à parcourir et puis elle est où cette fameuse passerelle ? Il fait nuit noir, devant moi que du noir et quelques lueurs de lucioles. Ce sont les frontales mais dont je ne comprends pas du tout la répartition. Il y en a partout, c’est complètement dispersé. Il m’explique,
« Tu vois tout en bas les trois frontales ? »
« Euh oui pas bien… et alors ? »
« Et bien c’est la passerelle. »
« Ah ! et ensuite c’est bientôt fini ? Mais c’est où Panossières ? »
« Ensuite cela monte, gentiment pour 300 mètres de D+…attention assez raide au début »
« Pas comme le col d’Avouillon quand même ? »
« …… » silence gêné.
Je ne demande pas mon reste et j’y vais. La descente est hyper technique. On ne voit rien c’est bien simple. Je perds un peu les rubalises. Un vrai jeu de piste. J’entends le brouhaha d’un énorme torrent que l’on ne voit pas, bien entendu. Alors on l’imagine. A quoi ressemble-t-il ? Je ne sais pas. Il y a un peu plus de monde désormais, je croise des coureurs. Et puis enfin je me retrouve devant le panneau de la fameuse passerelle tant attendue. Aucun éclairage public ici. Seule la lueur de ma frontale me permettra d’éclairer le plancher en grillage au dessus d’un vide, mais quel vide ? On ne voit rien du tout. On entend un énorme torrent qui semble passer en dessous.
La traversée de la passerelle est une aventure à elle toute seule. Le noir le plus profond m’enveloppe propice à toute l’imagination possible. Cette passerelle est très mobile. Il nous a été rappelé de ne pas courir sur celle-ci. Comment? Les ingénieurs n’ont pas calculé l’impact du passage de coureurs de l’X-Alpine ? C’est rassurant. Et franchement en imaginant le gouffre en dessous de mes pieds et en étant légèrement balloté par le tablier mobile alors que je suis tout seul sur cette passerelle et dont je ne vois pas le bout, je n’en mène pas large. Mais elle mesure combien cette passerelle ? Et si elle se rompt je m’accroche à quoi ? Oui c’est complètement absurde les films que l’on se fait, complètement irrationnel mais pourtant c’est plus fort que moi. L’adrénaline coule vraiment dans mes veines et mes pulsations augmentent ! C’est assez instinctif et animal comme sensation, cette sensation de peur irraisonnée, que je ne peux pas raisonner. J’ai vraiment les jambes qui flageolent ! Et c’est donc avec un soupir non dissimulé que j’arrive au bout.
Youpiii c’est fini ?
Non il reste les fameux 300 mètres de D+ à priori pas compliqués. Disons c’est ce que je pense. Mais c’est quoi ces coureurs qui redescendent ? Je vois des lueurs de frontales de coureurs dans le sens contraire du parcours que je m’apprête à emprunter. Je ne comprends rien. Ils abandonnent ?
Je commence une ascension, cela monte, cela monte. Et là je me fais surprendre une nouvelle fois. C’est un chemin de crête droit dans la pente. C’est une montée à 30% qui me cisaille les jambes net. J’ai le souffle court une nouvelle fois, je suis complètement surpris par ce qui m’arrive. Il faut une nouvelle fois piocher. Je n’ose pas lever la tête pour prendre le risque de voir des lueurs de frontale suspendues dans les airs me donnant une idée du mur qui reste à franchir. Autant ne pas savoir dans ces conditions dantesques. Mettre un pied devant l’autre et serrer les dents constitue pour moi la meilleure stratégie de gestion de course d’un coureur à l’agonie qui ne comprend pas bien ce qui lui arrive. NB : « le coureur à l’agonie » c’est moi. Je me souviens qu’à cet instant je me dis que le mur « Lourtier / La Chaux » c’est pour les minettes. Et que ce mur a trouvé son maitre : c’est le mur de Panossières.
Après ces quelques encablures de souffrance me voilà arrivé sous la tente de Panossières. Il faut que je reprenne un peu mes esprits…
Autant le dire, je me suis fait surprendre, cueillir, tabasser par ce que je viens de vivre depuis Brunet. Franchement là je ne comprends pas bien ce qui m’est arrivé. Je suis un boxeur groggy. C’est à ce moment, sous cette tente de Panossières, que je me dis que cette X-Alpine nouvelle formule sera pour moi la dernière. J’en prends l’engagement et je suis prêt à signer. Où se trouve le papier et le stylo s’il vous plaît ?
Il faut repartir pour reprendre la descente très longue m’a-t-on prévenu en direction de Lourtier. Et franchement j’ai hâte à ce moment de me retrouver au pied du mur Lourtier/La Chaux qui est un mur pour les minettes à côté de ce que je viens de vivre c’est sûr !!! Et le pire c’est ce que c’est vrai. Car ce mur à venir je sais que je vais le carboniser. Cela ne peut pas être pire que ce que je viens de vivre.
C’est parti pour la descente. Mais c’est quoi ce parcours, on revient sur nos pas ? On ne voit rien du tout. A quel moment on bifurque vers Lourtier ? J’aime bien les parcours qui revienne sur leurs pas mais je n’ai pas du tout l’intention de me retrouver sur la passerelle en ayant manqué l’embranchement.
Franchement le balisage est juste indigent. Je suis obligé de demander à un coureur de l’X-Traversée pour comprendre à quel moment je dois bifurquer sur la droite. Et ensuite on voit très mal les rubalises. Je suis contraint de me mettre à l’arrêt à deux ou trois reprises pour être sûr que je ne me suis pas égaré.
Finalement après quelques hectomètres de dénivelés négatifs le chemin est sans ambiguïté. C’est d’ailleurs assez drôle ce chemin le long d’un cours d’eau longeant une paroi rocheuse. Jusqu’à Lourtier je vais descendre en compagnie d’un runner très sympatique avec qui j’échange des anecdotes d’Ultra. Ce runner, je ne saurais jamais comment il s’appelle. Car sur toute la descente je jouerai le rôle d’ouvreur et n’aurai aucun moyen de jeter un œil à son dossard. Au bout d’un moment la descente se fait hyper technique dans un single track qui commence à fortement me lasser. Je commence à en avoir plein les chaussures de runnings de cette descente qui n’en finit pas. Et à un moment donné, je suis obligé de m’arrêter pour reprendre mon souffle, mais surtout un peu d’envie de continuer.
Oui autant le dire j’en ai marre et ne le cache auprès de mon compagnon traileur. Cela fait du bien d’ailleurs de l’exprimer. Je n’en peux plus de cette X-Alpine. Après Fionnay on marche l’un à côté de l’autre sur la route, cette partie étant plate. Un panneau indique « Lourtier 55 minutes » : cela calme direct, comme si j’en avais besoin. Je lui dis que cette épreuve est la plus dure que j’ai jamais faite. Il me confirme en me disant : « Oui avec l’Echappée Belle ». Et à ce moment je prends bonne note dans mon carnet imaginaire des TO DO or NOT TO DO : « Ne jamais s’inscrire à l’Echappée Belle ». Je prends plaisir à discuter avec lui en mangeant une barre au chocolat cacahuète qui m’apporte du réconfort. A ce moment là moi j’ai besoin de comfort food, je ne dirais pas non à des pancakes ni à des cookies, ni à du mauvais chocolat et même du Nutella c’est pour vous dire !!! Ceux qui me connaissent et lisent ces lignes doivent tomber à la renverse Tout me va pourvu que cela m’apporter des calories et du sucre, je ne suis pas disposé à faire le difficile. Vous constatez à quel niveau de déperdition je suis.
Avec mon compagnon on arrive finalement plus rapidement à Lourtier que ce qui était indiqué sur le panneau pour randonneur. Et là je vais m’attaquer non pas au mur mais à la marmite de « risotto made in Lourtier » et là franchement cela mérite bien une pause avant d’attaquer le mur à minettes. Je reprends deux bonnes assiettées de risotto avec des grains de riz qui croquent bien sous la dent. Moi je le trouve formidable ce risotto pas assez cuit dont les grains de riz vous plâtrent la surface des dents. Tout me va ! Je dis à mon compagnon que je suis prêt à être premier de cordée pour attaquer le mur et surtout qu’il ne s’en fasse pas. Après col d’Avouillon et Panossières, le mur Lourtier / La Chaux et ses 1200 mètres de D+ sont juste une formalité. On devrait l’engloutir en un peu plus de 2 heures.
Et j’attaque prêt à donner l’estocade à cette X-Alpine. Et très vite je perds derrière moi mon compagnon. Je monte à un train d’enfer. Et je peux le dire à ce moment là de la course j’ai retrouvé le Guane ! Et cette montée je vais en faire une bouchée « one shot » pliée en 2 heures et 7 minutes soit un chrono tout à fait en ligne avec mes précédents temps sur ce parcours (2h18 / 2h04 / 2h01 lors de mes trois précédentes éditions de finishers).
NB : A noter que contrairement aux autres éditions, ce mur est franchi lors d’une deuxième nuit blanche consécutive, j’avais vraiment le « Guane retrouvé » !
C’est presque en vainqueur que j’arrive à La Chaux où l’on est accueilli toujours par le même gérant. C’est assez sympa de revoir toujours la même tête. Je n’ai pas trop envie de traîner. Je ne veux qu’une chose : EN FINIR.
Le jour se lève, je peux ranger la frontale. Le long de ce cours d’eau il faut un froid de canard. Je me gèle grave. Vite vite, mais à quel moment on bifurque à gauche ? C’est très long ce chemin, je veux quitter ce cours d’eau qui me refroidit comme si je courrais le long de la banquise.
Et c’est enfin parti pour le plongeon en direction de Verbier. Bon je connais par cœur ces circonvolutions dans le sous bois où les racines menaçantes sont là pour vous arracher le pied vous empêchant de rallier Verbier pourtant située à 3/4 kms.
Et là mauvaise surprise…. le parcours de la fin de course a été sensiblement rallongée pour des circonvolutions totalement inutiles dans des sous bois pour nous faire prendre la route et passer devant le W ! Une fin qui n’en finit plus et qui n’apporte absolument rien par rapport à la traditionnelle fin beaucoup plus directe et intéressante sous le télésiège ou télécabine. Alors que je suis super en jambe je vais mettre 10 minutes de plus que d’habitude pour faire cette descente sur Verbier.
Et c’est bientôt fini.
Personne dans Verbier et j’adore cette ambiance de réveil matin. Je suis seul, mais roi du monde. Je savoure les quelques hectomètres qui me restent dans Verbier. Je croise un seul piéton. Il est 6h30.
Je vois le photographe là bas sous l’arche. Les endorphines commencent à m’envahir, je suis à point, prêt pour le décollage.
Finisher
Oui, message à l’attention des organisateurs : ce nouveau format d’X-Alpine est BEAUCOUP plus difficile que le précédent.
A ce jour de retour à Paris, je n’ai encore rien signé.
4 commentaires
Commentaire de Cheville de Miel posté le 15-07-2022 à 11:30:38
Promesse d'Alcoolique ;-)
Merci pour ton récit, bcp de sentiers déjà parcouru sur d'autre courses, soit doit être top!
Commentaire de Grego On The Run posté le 18-07-2022 à 10:15:00
Merci à toi. Mais tu as bien raison... je ne signe plus. Je pense que l'X-Alpine me reverra.
Commentaire de boby69 posté le 18-07-2022 à 00:42:54
Heureusement que tu as fait le Col des Avouillons de nuit, car de jour,de voir jusqu'où tu dois redescendre pour remonter à la cabane Panossière ( et redescendre...), ben ça te bousille les jambes de beaucoup de personnes...
Commentaire de Grego On The Run posté le 18-07-2022 à 10:15:40
Tu as peut être raison, parfois il vaut mieux rester dans l'ignorance.
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