25 ans ! 25 ans qu'avec mon épouse, nous passons nos vacances autour du lac Balaton. Si pour certains, Tihany, Balatonfüred, Kesztelhy, Badacsonylabdihegy semblent des noms inventés pour gagner au Scrabble, pour moi il s'agit de hauts lieux des vacances familiales. Maintenant que la course autour du lac existe, que je pense avoir le niveau-ou l'inconscience- pour m'y attaquer, et qu'elle tombe pendant les vacances scolaires, pas d'hésitation : je fonce, même si le départ récent de ma belle mère va teinter ce week-end d'une touche de mélancolie imprévue lors de mon inscription.
26 heures ! Ce sera l'objectif, ambitieux, savamment calculé en tenant compte des 210 km, du dénivelé et de la météo. Non, je reprends. 26 heures, c'est l'objectif entré un peu au hasard sur l'application qui permettra à ma famille de me suivre, et qui sera corrigé à chacun des points de chronométrage. Et ils seront nombreux ! Car si nous ne sommes que 182 à vouloir tourner seuls autour du lac, (expression qui amusera beaucoup ma fille : mon pauvre papa, tu n'as pas d'amis), la présence de milliers de relayeurs fait de cette course est un gros événement. Preuve cette application, les 45 points de ravitaillement, les centaines de bénévoles ou, les dizaines de sponsors (j'ai compté plus de 30 logos sur mon dossard).
7 heures, vendredi matin. Je retrouve au départ Gilles P et sa famille, véritable légende de l'ultra, et de L'Ultrabalaton en particulier. Il faut dire que Gilles a terminé à peu près toutes les plus grandes courses sur route qui existent, et 15 des 16 éditions du L'Ultrabalaton, seule la fermeture des frontières décidée par Orban pour lutter contre le coronavirus l'ayant empêché de faire le grand chelem. Impossible de discuter avec lui, Angel (son fils, un sacré coureur également) et sa femme sans que quelqu'un vienne prendre un selfie, une vraie star ! Qui va tranquillement s'installer en queue de peloton pour le départ. Je me mets pour ma part au milieu du paquet et m'engage sans autre stratégie que de me dire "pas trop vite".
Le parcours emprunte une piste cyclable qui fait le tour du lac. Nous sommes tantôt le long de la route, tantôt plus à l'intérieur des terres, parfois, pas assez souvent en ce début de course, près du lac. Je fais quelques kilomètres avec Angel, qui me souligne l'excellent niveau des coureurs hongrois. Je lui raconte qu'il y a quelques années, alors que je courais sur une route que nous allons emprunter dans moins d'un marathon, un bus s'était arrêté à ma hauteur, le chauffeur voulant m'aider, pensant que j'étais en retard à un rendez-vous. La course à pied n'était pas si commune à cette époque ! Premier ravitaillement. Je découvre la quinzaine d'aliments qui nous seront proposés chaque fois : cela va du classique (chocolat, bonbons, sel) au plus inattendu (olives, cornichon, tomates...). J'avale un verre de Pepsi et poursuis ma course. Nous sommes sur la rive du lac que je connais le mieux. Une partie un peu sauvage, avec moins de constructions. La piste cyclable longe la nationale, les voitures nous dépassent bruyamment , mais j'aime bien voir les bornes kilométriques défiler rapidement.
Tellement rapidement que j'arrive au marathon avant mes supporters. J'appelle mon fils : ils seront là dans deux minutes. J'en profite pour prendre mon temps et admirer les caves de Varga, sponsor de la course, dans lesquelles nous courrons au frais. Quelques instants partagés avec les enfants et mon beau père, et je repars. Une quinzaine de coureurs, m'a dépassé, c'est un mal pour un bien, les concurrents avec lesquels je faisais l'élastique depuis le départ ayant tendance à me faire courir trop vite. Nous arrivons sur les routes sur lesquelles je cours en été, tout près de la maison familiale. Tellement de souvenirs sont associés à ces chemins qu'il s'agit presque de kilomètres gratuits, sans m'en rendre compte je suis déjà au soixantième kilomètre. Avec l'excitation de m'attaquer maintenant à des paysages inconnus. Ceux-ci ne me déçoivent pas. La piste cyclable s'éloigne maintenant de la nationale, c'est un passage très joli, peut-être moins sauvage mais avec moins de voitures.
Le 80eme kilomètre marque une petite rupture. Nous venons de passer plusieurs heures sous un soleil implacable, et je me sens bien entamé. Il m'a fallu 8h pour arriver ici, le temps qu'il m'avait fallu sur le parcours au combien plus accidenté de l'ecotrail. J'ai l'impression d'avoir raté mon début de course, de m'être grillé pour rien. L'heure des doutes. Bizarrement, je me tiendrai le même discours jusqu'aux 12h de course, trouvant faible les 115 kms parcourus en regard de ma meilleure performance sur 12h (121 km), alors qu'il s'agit d' épreuves différentes et que je devrais me féliciter d'être relativement plus prudent aujourd'hui, à 100 km de l'arrivée. À partir de ce km80, je décide d'alterner 5 minutes de marche et 25 de course. Je ne le sais pas encore, mais je vais tenir cette alternance pendant près de 120 km, même si ma course sera de moins en moins rapide. Ma différence d'allure, que j'évalue par le temps que mettent les relayeurs à disparaître à l'horizon, entre les moments où je marche et ceux où je trottine est tellement importante qu'elle constitue une puissante motivation.
Les kilomètres passent, rythmés par les ravitaillements réguliers. Il s'agit parfois d'un simple barnum au milieu de nulle part, parfois d'un stand plus important, avec speaker et musique. À la tombée de la nuit, l'arrêt est au milieu d'un village, à côté d'un glacier. Je sors 400 florint de ma poche et m'offre une boule de glace bienvenue. Riche idée. En plus de m'offrir un peu de sucre et de fraîcheur, cela me permet de briser la monotonie des ravitaillements.
Si les coureurs qui nous rattrapent ne sont pas avares d'encouragements (si c'est bien ce que "Hajra" signifie !), rares sont ceux qui essayent d'engager la conversation. C'est le cas de Tom, qui voyant le petit drapeau français sur mon dossard me dit :"Tibeau Pineau. Alaphillipe" Devinant le fan de cyclisme, je lui parle du tour d' Italie, qui prendra son départ en Hongrie, sur les routes où nous sommes, la semaine prochaine.
Cette partie est beaucoup plus urbaine, mais peu de voitures nous dérangent. Les panneaux routiers indiquent "Siofok 45 km". Je m'amuse en voyant un autre panneau "Budapest 154 km". Et si j'allais jusque là ? Puis je réalise qu'il me reste une centaine de km, ce qui n'est pas beaucoup moins absurde.
Un concurrent devant moi s'arrête pour photographier le coucher de soleil sur le lac. Je fais comme lui. Avec la tombée de la nuit, la température redevient idéale pour courir. J'aime cette atmosphère plus feutrée. Je commence à avoir sommeil quand je marche, alors je cours, pour rester éveillé. Je m'arrête à un ravitaillement pour sortir mon mp3 pour m'aider à passer la nuit, mais sa batterie est vide. Je suis incorrigible, j'ai souvent ce genre de surprises. Aujourd'hui, je n'y perd pas au change : le chant des oiseaux m'accompagne, malgré la nuit noire. Instants magiques.
C'est l'ultra . Les moments de grâce les plus délicats s'entremêlent avec des moments plus sordides . Je prends un café à un ravitaillement. Celui-ci ne passe pas. Il va me donner la nausée pendant de longues heures, avant que je réussisse à le vomir, toujours au milieu du chant des oiseaux.
Il y eu un soir, il y eu un matin. Le jour se lève, d'autant plus tôt que nous sommes à l'Est, je prends une nouvelle photo du lac. Je me fixe un bel objectif : faire le maximum avant 7h du matin, pour battre mon record sur 24h. Avec 197 km de parcouru, c'est chose faite, bien plus que les 185 km réalisés sur la piste de la No finish line.
Il ne me reste que 13 km, mais je ne ressemble plus à grand chose. Une ampoule me fait mal quand je marche, alors je trottine. Les organisateurs sont gentils avec nous : après le ravitaillement du km 197,7, il y a un au km 202, puis un autre au 207 avant l'arrivée au km 210 cela fait des objectifs accessibles. Nous passons près de pêcheurs, qui se photographient près d'une belle prise. J'appelle mes enfants pour qu'ils ne me ratent pas comme hier, mais ils sont restés dormir à la maison et je les réveille. Désolé les kids.
L'arrivée est un peu étrange. Sur les 200 derniers mètres, nous sommes, un peu anonymes, à contresens des équipes de relais qui continuent de partir régulièrement et rapidement. Première arche : on prend mon temps (25h55, j'ai parfaitement respecté mon objectif de 26h!), et on me demande de poursuivre jusqu'à une deuxième arche. Deux bénévoles tiennent un ruban à mon nom. L'image me fait sourire. Un sourire de plus.
5 commentaires
Commentaire de augustin posté le 10-05-2022 à 15:25:19
Nagyon! Gratulalok kedves Yann! que de souvenirs....le tour du balaton en compete vélo (2006 de mémoire), les Balaton Atuszas en natation l'été....Sacré challenge pour tes 50 ans, belle réussite et surtout bel hommage pour ta belle-mere. A bientot pour de nouvelles aventures!
Commentaire de marathon-Yann posté le 11-05-2022 à 14:52:05
Köszönöm draga augustin! Tu noteras la discrète dédicace que je t'ai faite, en utilisant l'expression "kids" que tu utilises souvent sur strava :)
Commentaire de bubulle posté le 11-05-2022 à 19:56:39
Vous êtes quand même bien des fadas, ceux qui faites ces ultras de majorettes tout plats...:-). Je m'imagine déjà personnellement en train de mourir sur le parcours avec tout cet horrible plat moi dont la plus longue distance en course....eh bien c'est la NFL....:-)...on n'est pas à un paradoxe près!
Merci pour ce joli récit!
Commentaire de marathon-Yann posté le 12-05-2022 à 17:03:52
Heureux les fêlés, ils laissent passer la lumière (Audiard)
Commentaire de CAPCAP posté le 14-05-2022 à 22:23:35
"sans m'en rendre compte je suis déjà au soixantième kilomètre" Voila bien une phrase possible sur Kikouroù, mais qui serait incomprise ailleurs. Site de fêlés...
Bravo à toi et merci pour ces jolies photos.
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