Récit de la course : Transgrancanaria - 128 2020, par Thibaud GUEYFFIER

L'auteur : Thibaud GUEYFFIER

La course : Transgrancanaria - 128

Date : 6/3/2020

Lieu : Gran Canaria (Espagne)

Affichage : 2291 vues

Distance : 128km

Objectif : Pas d'objectif

4 commentaires

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Trans GranCanaria

C.R. Transgrancanaria

 

On dit que les rafales océanes poussent les immenses dunes de sable blanc de Maspalomas comme des vagues et ce ne sont pas que des mots. Une espèce de vent ado, sauvage et indomptable m’en balance des paquets à grand tours de bras pour me le faire comprendre. Rien n’échappe à cette poussière de coquillages broyés qui se joue de toutes les protections pour couler dans les yeux, le nez, les oreilles et les chaussures. Pourtant je n’échangerai ma place avec personne à cette heure.  

Me voilà au cœur de l’Archipel Espagnole des Canaries : huit pastilles de terres sous les alizés. Je suis à l’extrême Sud de l’une d’elle : la toute ronde Gran Canaria. Et à cette latitude Saharienne me voilà téléporté dans le crabe aux pinces d’or aux côtés du capitaine. En l’occurrence je suis aux côtés de mon ami et grand champion Cyril Martel, et nous sommes comme deux gosses stupéfaits de se retrouver dans une page de BD nos quatre pieds en équilibre sur l’arête de ces sculptures éphémères.

L’océan qui se détache au fond me rappelle que ce spectacle totalement inattendu n’est rien d’autre un morceau du grand Sahara arraché et transporté par un Tsunami en 1755 (Voltaire en parlait déjà dans Candide). Dans ce décor de titan fait de feu de vent  de poussière savoir que la démesure en soit l’origine n’est même pas étonnant..

On est serein, presque trop, à moins d’un km d’une arche d’arrivée  bleu nuit qui tranche comme une promesse au bord de la plage au bout d’une allée d’oriflammes et d’un grand tapis bleu. Pourtant dans une poignée d’heures il faudra quitter la douceur de cet oasis, prendre un bus qui nous jettera dans la nuit à l’extrémité nord à Las Palmas. Commencera alors un long voyage sur nos deux pieds coast to coast de128 km et 7500m d’ascension. Quatre biotopes à traverser, des falaises déchiquetées, des plaines cultivées, des ravins humides à la végétation luxuriante et des zones désertiques…avant de passer enfin sous l’arche bleue de Maspalomas !

La devise de la course est sur toute les banderoles : TransGrancanaria « una meta un sueño » (a goal a dream) !


 

23 :00 Las Palmas. L’ambiance est électrique on se croirait au grand raid de la Réunion ! Les spectacles de rue, la ferveur populaire, le speaker survolté à la voix pleine d’inflexions dramatiques, le grand  orchestre posé sur le sable à deux pas d’un océan très agité, tout est là. Serrés dans nos sas j’observe ce public de 800 coureurs triés sur le volet : la Trans Grancanaria est une des manches de l’Ultra-World-Tour et ça se voit. Le gratin est sur le départ, (Paul Capell, Jared Hazen, Pablo Villa, Dylan Bowman, Diego Pasos, Audrey Tanguy…) Certain sont presque à poils avec des sacs de huit litres. Nous avec Cyril, on est sous nos goretex et on n’a pas vraiment chaud mais pour être dans l’ambiance j’ai tout de même fait l’impasse sur la montre et les bâtons.

Les musiciens jouent l’hymne de la course, c’est vraiment très émouvant, tout le monde se tait, les rectangles de lumières tendus au bout des bras filment. Et c’est parti ! Un feu d’artifice explose en mer et sur l’arche, c’est totalement fou. ! Un cordon d’aficionados nous harangue à coups de « venga-venga-venga !!! ». On coure déjà beaucoup trop vite les kilomètres défilent sous les 4’30’’ du grand n’importe quoi.

On longe l’océan et on passe devant le spectaculaire auditorium Alfredo Kraus créneaux Mauresques et style Las Vegas.

La calima souffle encore, ce vent chaud et violent chargé de sable et de poussière sera à l’évidence, notre compagne cette nuit.

On s’enfonce dans les terres je laisse un Cyril en pleine forme décoller et faire sa course (elle sera superbe 74eme place après une échappée solitaire de 128km gérée de main de maître)

Arucas (km 17) premier ravitaillement c’est aujourd’hui mon 33ème ultra et je peux vous certifier que j’ai rarement vu une telle abondance : paella, avocats, noix en tous genres, …whaou!.Vite fait je repars mes deux tendons d’Achille la douleur s’installe, c’est normal ça ? Je discute avec deux français, mon allemand première langue ne va pas beaucoup m’aider aujourd’hui alors j’en profite pour tuer les heures noires.

Mais le rythme de tous est instable et je sais que je dois m’en détacher.

Tout se redresse on monte direction la commune deTeror. On laisse définitivement  le port illuminé tout en bas. Les températures baissent, une pluie fine opère, et la parka est de nouveau de rigueur. Le cordon de balises rouges clignotantes au dos des sacs (c’est obligatoire) s’étire comme un serpent magique au milieu des bourrasques. La douleur dans mes tendons et mon ménisque, blessé cette année, prend ses quartiers et avance comme une grignoteuse dans mon cerveau. Mes pieds buttent sur les pierres je me casse un ongle, je suis gourd, pataud, mal équilibré dans les descentes, en canard dans les montées pour soulager les tendons. Ca va passer, je me raisonne, l’île me parle comme une maîtresse exigeante. Je l’écoute, je l’apprends, ses bouquets acérés d’agaves dans la forêt, ses dragonniers à  troncs multiples, ses essences d’eucalyptus, ses descentes sur des mousses détrempées, ses lits de galets c’est elle, elle n’est pas toujours très accueillante mais si je l’aime assez elle me laissera la comprendre.

 

Teror (km 27) et sa basilique  Nuestra Señora del Pino où se trouve la vierge patronne de Grande Canarie. C’est beau même de nuit, on doit approcher les 3h du matin et déjà la nausée pointe son nez, comme une vieille rengaine. De tranches de pains trempées dans du bouillon en grimaçant et je repars

Je croise, par chance, Pascal FONCROSE, un bloc mental et optimiste pétri de bienveillance made in Montpellier. Voyant que je ne vais pas très bien il me pousse à me réhydrater. Ce que je fais et c’est incroyable en quelques minutes la nausée se dissipe! On fait route ensemble en plein montée direction la commune de Moyà. Le vent se fait tempête charriant des nuages de cristaux de poussière et d’eau, il est hors de question de ralentir si on ne veut ne veut pas finir en sorbet.  Il me manque des gants, mes tendons sont un supplice constant  mais je me répète que tout va bien.

Le ciel s’éclaircit, la lune se lève, ultime reine de toutes ces nuits où elle règne sans partage. Sa lumière fantomatique sculpte des montagnes de nuages lourds comme des génoises qui serviles et indolents trainent à ses pieds. Perdus dans mes souvenirs, et au fil de ma course obstinée sa lumière devient stroboscopique en  filant derrière les profils noirs des grands pins Canariens (certains peuvent atteindre 60m) avant de disparaître….

Moyã (km39)

Un V géant nous attend 1000m de descentes humide et 1200 de remontada au programme. Je sors de la course pour faire quelques photos contre jours dans la forêt.

Le sol se couvre peu à peu d’épines, des bouquets de pissenlits géants de vipérines qui jaillissent de toutes parts. J’ai la chance d’être dans une des réserves de Biosphère de l’Unesco couverte par plus de 700 espèces endémiques et je le mesure.

Los Pérez (km51)

C’est la première partie de la montée qui est faite, on se pose 5’ le public est toujours chaud : musique à bloc, jeunes sous des couvertures qui attendent, Pascal donne des signes de moins bien mais on se soutien et  on sait tous les deux que ça passera. Mon alimentation tourne à plein régime concombre, avocats, amandes assiettes de riz et sauce espagnol, comprimés de bicarbonate tout passe et tout sera indispensable pour les chaleurs qui s’annoncent. Mon short et ma visière sont déjà raides de sel. La montée chauffe je rentre dans une phase d’euphorie et c’est un peu comme la fusée de super Mario ca ne durera pas mais faut pas la rater.. Je lâche pour un temps Pascal et dans la descente sur Artenara c’est lui qui prend la fusée et on est ensemble à mi course.

Artenara (km 63)


C’est le village le plus haut de Gran Canaria c’est surtout un balcon extraordinaire sur les deux symboles phares de Gran Canaria le Roque Nublo et Bentayga, centre spirituel pour les aborigènes. Nous rentrons désormais dans le Parque Natural Pinar de Tamadaba qui a des allures de grand Far West. On se goinfre de patatas typiques de la région à la sauce piquante  et de bocadillos et on dégage laissant derrière nous les tours en rouges en pierre de lave de l’église San Matias. Cap droit dans la pente avec en visuel les deux dents de Roque Nublo qui se découpent  au loin.


Mes jambes sont de nouveau en feu et en quelques heures me voilà à 1813m au pied de se monolithe de basalte de 80 mètres de haut.

Photos oblige, mer de nuages à nos pieds, décidément le trail c’est un peu comme la vie mais en mieux. Pascal me rejoint on est total raccord on n’a plus qu’à dégringoler sur Tejeda !

 

Tedjeda (km 74)

On se retrouve face à la montée Garanon, un mur qui tape dans le dur, des relances c’est interminable mais on reste soudé, on se remotive, on relance l’un après l’autre le rythme et l’idée de rejoindre l’unique base vie du parcours deviens une réalité

 

Garanon (km87)

On s’accorde 45’ de pause, le gros des montées est achevé et notre stratégie de course et de faire la différence sur le dernier tronçon. On s’alimente bien, l’envie de dormir est inexistante et on a tous les deux un gros mental de finisher. Pour la petite anecdote Pascal enchaîne les années à un régime de cinq ultras par ans sans avoir jamais abandonné, donc je suis serein notre binôme est à tout épreuve.

Je n’avais laissé à la base aucun sac d’allégement, (mon minimalisme deviens obsessionnel avec les années), j’y perds le confort mais gagne une liberté qui enivre. Alors de mon côté un coup de Nok. et zou finissons-en !

Après une courte ascension on rejoint un chemin de pierre, pavé à la romaine, qui serpente au fond d’un canyon avec pleine vue sur l’océan. Un festival de cactus et d’euphorbes survit au bord de cette zone volcanique totalement désertique. Le thermostat de la plancha monte à fond et la falaise réfléchi la vague asphyxiante. Il y aura de nombreux coups de chauds et déshydratation dans cette zone. Mais GranCanaria est rentrée dans nos pieds et nos cœurs, mes tendons assouplis par la chaleur desserrent leurs morsures, on court en duo coordonné, sur motivés et radieux. Ce décor extrême devient un jeu à quatre jambes géant.

Au bout c’est Herbahuerto !

Herbahuerto (km 98)

Une ambiance chaude comme un brasero, ça crie, ça joue, ça chante, ça danse c’est totalement fou, c’est latin à mort. Le ravito le plus électro de l’histoire des ravitos bat son plein tandis que les ancêtres en maillot de corps profite du spectacle. Tu m’étonnes qu’ils veuillent tous devenir des champions dans ce pays !

On repart gonflé à bloc on démonte l’avant dernière montée et s’en suit LA descente technique de cette épreuve. Mes sens sont en folie, je vole sur les têtes de rochers, on remonte un tas de coureurs. Mes dépassements se font sur le fil au bord de la chute. Ma tête est liquide brûlante, mes yeux brûlés par le sel d’une transpiration ininterrompue ne voient plus que l’essentiel. Je suis tellement concentré que je me persuade de mon invincibilité. Pascal s’accroche derrière il sait qu’à ce rythme là ça ne peut pas durer.

Ca tombe bien car apparaît le petit hameau d’Ayagaures caché entre les ravins majestueux  couronnés par des kilomètres de lignes d’orgues basaltiques. Démesure de la nature face à de modestes maisons traditionnelles en pierres de la vallée, un lieu qui redonnerait presque espoir en une humanité raisonnable.

 

Ayagaures (km 110) C’est déjà l’avant dernier ravitaillement, musique, fiesta  au milieu de nulle part.ces espagnols ils sont incroyables !. Cette fois ci  je me pose sur un muret en nage, un peu nauséeux, totalement scotchée,c les  de fipoils momentencore hérissés par ce moment de fièvre.

On tarde un peu je frissonne Pascal relance la machine on papote gentiment, on rigole sur la dernière montée en lacets bien lassante, ca redescend. On rallume les frontales (  définitivement je déteste ce moment) et on fait défiler le lit de galet d’une rivière asséchée.

Peu à peu le tempo monte Pascal c’est décidément le roi du finish ! On remonte une cohorte de zombies ballotant, les lumières de la ville, on respire à plein poumons le parfum d’écuries. On rattrape Nathalie Mauclair gagnante de l’UTMB et championne du monde de trail 2017 qui revient de blessures et qui a donné tout ce qu’elle pouvait aujourd’hui sans abandonner. Ca c’est une vraie championne, de celles qui terminent même les jours sans. On discute un brin, et on file sous les alizés. Ca y est le phare de Maspalomas qui éclaire la nuit depuis 1890 ces centaines de dattiers des Canaries, le sable, le tapis bleu ! On arrive le poing serré en l’air, le sourire à en faire mal, jump sous le chrono rouge parce que c’est évident..Il est 20 :55 on est 143ème et tout est incroyablement net et magnifique !

On s’allonge sur l’herbe grasse, on peine à retrouver notre souffle, nos poitrines se soulèvent encore et je me dis que ce n’est pas moi qui contredirait Hitchcock  ce soir quand il disait que « la vie ce n’est pas seulement respirer, c’est avoir le souffle coupé ».

 

Merci à Cyril Martel pour m’avoir poussé à venir ici

Merci à Pascalou pour sa bonne humeur plus virale que le Corona.

Merci au plus beau club du monde  l'UST Saint-Tropez puisque ce n'est pas qu’un club.

Merci à tous ceux qui m'aiment, me suivent, m'écrivent pendant ses heures d'exaltation et de fragilités.

Merci à tous les kikoureurs qui lisent, commentent, courent le monde, et qui font d'une vie si courte une expérience moins passive et décidément plus humaine.

4 commentaires

Commentaire de Shoto posté le 13-03-2020 à 18:58:23

Cher Thibaud. Tu m'as bien fait peur au début de ce nouveau très beau récit d'ultratraileur minimaliste quand tu a évoqué tes douleurs de tendons ... aïe aïe sur cette distance ! Mais au fil des Km tu nous fais profiter de tes joies de traileur au long cours et des superbes paysages volcaniques de la Grande Canarie ... sans oublier la ferveur de ce public au sang chaud. Tomber sur Nathalie Mauclair sur la fin de parcours a dû te rappeler sauf erreur ta rencontre avec cette grande championne à Chamonix à la fin de ta PTL? Bravo à toi pour ta course et ce CR de qualité.

Commentaire de Thibaud GUEYFFIER posté le 13-03-2020 à 19:28:03

Merci très cher Shoto,en effet revoir Nathalie Mauclair m'est apparue comme un signe et une leçon: l'histoire peut se répéter dans le triomphe ou l'anonymat mais l'élégance ultime est de le vivre d'une humeur égale.
Quant aux douleurs j'ai bien du vivre avec pendant près de 70km mais elles n'existent que parce-que je ne les écoute pas au quotidien et que je pense naïvement que la volonté l'emporte toujours. Il est peut-être temps que je change d'approche ;).

En attendant merci pour l'intérêt que tu portes à mes récits. J'y mets tout mon coeur, mes souvenirs et ma passion pour ces aventures intérieurs et sauvages. Ils auront une fin mais qu'ils vivent encore un peu dans d'autres regards c'est la première marche de mon podium.

Commentaire de canoecl posté le 21-03-2020 à 14:13:43

Superbe récit ! je me suis laissé séduire par ton lyrisme ! Bravo pour ta performance!Au Garañon , t'avais bu que de l'eau, parce le Camino de la Plata au fond d'un canyon !
Je connais pas mal le coin !!J'étais sur le Maraton !
Encore bravo , vous avez l'air de faire une sacre équipe.
Claude

Commentaire de Thibaud GUEYFFIER posté le 21-03-2020 à 19:57:53

C'est exactement ça "une sacrée équipe"!et tout ça m'a l'air de s'être passé il y a une éternité...
Merci d'avoir pris le temps de laisser un commentaire c'est toujours du plaisir quand je vois cette belle communauté réagir, vibrer et paratager.
Bravo à toi pour ton Marathon!

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