L'auteur : crazy_french
La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous
Date : 17/10/2019
Lieu : Saint-Pierre (Réunion)
Affichage : 2479 vues
Distance : 167km
Objectif : Faire un temps
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C’est objectif de l’année cette diagonale des fous 2019, je pense être bien préparé, mais face au chantier, je veux surtout prendre du plaisir. Mais ça s’était sans compter sur une blessure au talon contractée pendant le tour d’oisans… pour moi c’était essentiellement un problème de semelle et j’ai fait confectionné à la hâte une nouvelle paire quelques jours avant de partir à la Réunion … Inch’Allah.
Entretemps, je perds mon passeport lors du trail des Cerces et m’en rends compte 10 jours avant de prendre l’avion. Que diable, la Réunion c’est la France, la carte d’identité suffira… celle-ci est périmée depuis 2006. Déclaration de perte le lendemain et j’espère voir arriver l’un des 2 précieux sésames avant le vendredi … sans succès.
Il est vendredi, les bagages sont faits. Avec Isa, on retrouve le CAZ à l’aéroport et je croise les doigts. Vite toppé par la patrouille, le chef d’escale Air Austral refuse que je parte… le stress est à son comble. Petit passage à la police des Frontières, 10 mn d’attente qui me paraisse une éternité et « un bon voyage monsieur !!!» qui résonne en moi comme une délivrance.
Avant le Jour J, nous avons choisi avec Isa de randonner dans le cirque de Mafate pendant 3 jours. Cela me sert d’acclimation et permet de reconnaitre 2 des points stratégiques de la course : l’entrée du cirque par le Taibit et la sortie par le piton Maido. Ces 3 jours m’ont permis de tester les chaussures et les semelles et j’élimine pour la course mes chaussures favorites les sportiva Akasha dont le contrefort me blesse le talon.
Au sommet du Maido, le CAZ nous accueille et direction St Pierre où nous logeons dans un super appartement en centreville.
Au programme des 2 jours suivants : repos, sac, dossard et glucide. Le temps est un peu long mais cela est nécessaire pour capitaliser le maximum d’énergie. Avant de partir, je joue à faire des tapes sur mon pied pour épargner le plus longtemps possible mon apénovrose plantaire et mon releveur. La paire de pompe que je choisie pour partir sont les speed Goat de Hoka, elles manquent de précision mais sont assez souple et c’est ma priorité pour retarder mes douleurs au talon.
Pour définir mes temps de passage, j’ai utilisé la feuille de route de Samuel, mon compagnon de l’Echappée Belle de 2015. Il a particulièrement bien préparé cette épreuve en 2016 et nos niveaux sont proches.
L’avantage de loger sur Saint Pierre est de pouvoir partir tard de l’appartement mais nous avions mal estimé le temps pour arriver au départ, il nous faudra 3/4h, il est déjà 20h45 et c’est la pagaille pour la dépose des sacs de base vie (Cilaos et Ilet Savannah). Il nous faudra presque 30 mn pour déposer et satisfaire au controle de tout le matériel obligatoire. Quand, nous entrons dans l’antichambre, les 2800 concurrents sont presque tous là mais il y a encore de la place sur le coté gauche coté podium et là miracle nous nous retrouvons à 10m des élites : la chance est avec nous !!! J’ai conscience au départ d’une telle course de l’immense privilège d’être ici, là et maintenant et je profite un maximum.
Sur les coups des 22h00, c’est le départ et une immense hystérie collective se met en marche. Pied au plancher (12km/h), nous traversons le boulevard de la mer à la rencontre du peuple réunionnais qui nous accueillera et nous supportera tout le long du parcours. Des milliers de bras nous tendent leur main pour nous donner un petit peu d’énergie supplémentaire. Isa est posté au Km2, je ne la loupe pas malgré la foule compacte autour d’elle. Le feu d’artifice aux abords du port augmente encore la chair de poule, nous avons parcouru à peine 3 km et j’ai l’impression d’avoir vécu 100kms d’émotions.
Mais tout cela n’est qu’un hors d’œuvre, dès l’apparition des premiers champs de canne à sucre, il faut retourner dans sa bulle sous peine de se griller les ailes. Le CAZ est toujours là tantôt devant tantôt derrière, il a l’air bien, je ressent déjà des picotements au talon.
Domaine Vidot - 1h34mn42 – 471ème
Je remplis les flasques et mange quelques raisins secs, il y a beaucoup de monde et tout arrêt représente une 20taine de places perdues… je ne traine pas. La douleur au talon prend de l’importance, je décide de prendre un doliprane pour voir si c’est une douleur fantôme. Physiquement, je suis bien, toute la préparation faite en amont me donne un bon niveau de confiance.
Notre dame de la Paix - 3h28mn36 – 424ème
Le froid devient de plus en plus perçant, je décide de mettre mon maillot manche longue et la Gore tex par-dessus. Je me rappelle être passé en 2014 avec Fabio, sur ce chemin vers le Piton Textor, il s’agit d’une succession de cratère dans une pente herbeuse avec à chaque sommet un petit escalier en bois pour enjamber les barbebelés. Pour la 1ère fois, je jette un œil sur ma feuille de route et constate que j’ai 12mn d’avance. Ne suis-je pas parti trop vite ?
Nez de bœuf – 5h58mn38 – 411ème
Nous marchons sur un sol givré pour atteindre ce ravitaillement. Il y fait un froid de canard malgré la chaleur des bénévoles, cela n’incite pas à rester. Le salut est dans la fuite ou plutôt dans le mouvement pertuel… je pense pouvoir arriver à Mare à boue au lever du jour et comme la nuit est étoilée, je me délecte par avance de voir le lever de soleil sur le piton des neiges.
Mare à boue – 7h23mn05 – 351ème
En 2014, nous avions eu de la pluie et le terrain était particulièrement boueux, cette fois-ci le terrain est sec. Les tentes des assistances sont en place, elle s’adresse à l’élite et aux réunionnais… je me contenterai de remplir mes flasques et de prendre une soupe salé. Mon tape ne colle plus et je m’arrête 5 mn pour le refaire et ajouter une bande amortissante au talon… bricolage !!!
L’ascension du coteau Kerveguen est sans fin, on distingue difficilement le col qui s’éloigne au fur et à mesure qu’on s’en approche. Le Grand Raid est dur et long c’est ce qui en fait sa beauté !!!
Et enfin, on aperçoit Cilaos au fond du cirque, à la fois si proche et si loin.
Là commence la descente de 1600m de D-, moi si à l’aise d’habitude, je perçois le doute s’installer. La douleur est à son paroxysme et j’entrevoie la délivrance en rendant le dossard en bas. Le spectre du TOR tourne en boucle dans ma tête surtout ne pas faire 2 fois la même erreur.
Cilaos – 11h04mn52 – 342ème
Isa est fidèle au poste, je lui fait part de mon choix d’abandonner. Elle me répond de me poser et de faire le point tranquillement: Message reçu.
Pour objectiver tout ça, je fais appel à un ami : le médecin de la base vie. Celui-ci me propose de bander le pied et de rajouter de la vaseline au talon pour éviter les frottements. Je prends la décision de ne plus mettre mes semelles, ce qui implique de prendre mes chaussures de route. Isa peut rentrer dans la base vie, nous pouvons échanger tranquillement sur la suite.
Après une assiette de pâte et un Yop, je repars décider à ne plus me laisser emmerder par le spectre de l’abandon !!!
La reconnaissance du WE précédent m’est extrêmenent profitable, je sais qu’il va faire chaud et j’anticipe en me mouillant la tête et en augmentant mon hydratation. Mais surtout, je vois que mes appuis ont complétement changé, je ne viens plus frotter sur le contrefort de la chaussure, j’ai bon espoir d’arriver jusqu’à la Redoute.
A partir de la cascade de Bras Rouge, le soleil cogne fort ; je double énormément de concurrent qui reste collé au sentier… un bon moment de la course !!!
Sentier taibit – 13h19mn02 – 354ème
Isa est venue vérifier que tout était OK, c’est la derniere fois qu’on se voit avant une douzaine d’heure. Je peux attaquer le Taibit sereinement. La montée est exigeante avec ses 800mD+, je prends « une montante » à la tisanerie et assure la tête d’un groupe de 6 coureurs où seul 2 réunionnais arrivent à suivre le rythme ; ils parlent de faire 36h00… tiens tiens je ne suis pas complétement largué malgré toutes ces péripéties !!!
Marla – 15h11mn37 – 322ème
Le village de Marla nous accueille avec bienveillance : c’est le milieu du grand raid. J’ai plaisir de discuter avec tout le monde, d’échanger sur la suite. Sur ma feuille de route, j’ai encore 5 mn d’avance sur mes temps de passage.
La météo est parfaite et je m’engage d’abord vers la nouvelle puis la plaine des tamarins en direction du Col des Bœufs. Les oiseaux chantent à tue tête, je me surprend à détecter des voix humaines « t’es qui toi ?… t’es qui toi ?… » surement l’effet de la fatigue qui parasite mon cerveau. En effet, les jambes commencent à me lâcher dans cette montée vers le col des bœufs… je m’accroche mais je vois bien que je suis au taquet.
Plaine des Merles – 17h06 – 318ème
Pourtant à la plaine des merles, j’ai encore gagné du temps… par contre la météo a radicalement changé, il fait froid et surtout le terrain est devenu boueux à présent. Mes asics n’accrochent pas du tout dans la boue et je me vautre 2 fois sans bobo.
Sentier Scout – 17h45 – 327ème
La bruine s’est installée sur Salazie, mon pied me lance et j’en profite pour faire refaire le bandage avant d’attaquer la descente.
Au loin, le maido nous attend dans les nuages mais avant il va falloir traverser Mafate d’est en ouest. Et la belle surprise que ce sentier scout : un bijou à flanc de falaise ou avec des passages sur arêtes. Dommage encore une fois que mes chaussures ne soient pas à la hauteur du chantier.
Ilet à bourse – 19h18 – 311ème
En traversant Ilet à Malheur, je pense à Léo Libelle le seul mafatais vainqueur du Grand Raid 3 fois qui puis est. Pas de point d’eau ici, il faudra attendre Grand Place.
Gd Place – 20h00 – 307ème
Un beau Ravito en plein cœur de Mafate, j’arrive pile poil avec le coucher de soleil.
La suite qui nous attend est le point clé de la course, je me le suis dit avant et je le confirme après la course. D’abord une montée de 300m suivi d’une descente technique sur 400m mais surtout après avoir traversée la rivière des Galets : l’ascension de la Roche ancrée sur 1000mD+.
Depuis, une heure je me réserve et j’attaque la roche ancrée avec conviction… avec le recul trop sans doute. A partir des 800mD+, je vois arriver la nausée et l’école de Roche plate si loin. A tel point que je m’arête toutes les 5 mn pour reprendre mon souffle. C’est décidé je dors à Roche Plate pour me remettre à flot.
Roche Plate – 23h04 – 291ème
Je prends le temps de manger un peu, sans succès. Je pensais trouver un havre de paix pour dormir… il s’agit d’une tente ouvert aux quatre vents surveillée par un sergent inquisiteur. Je ferme les yeux 10mn puis reçois un coup de fil inoportun et repars avant de finir congelé.
Le redémarrage est laborieux, je me traine… sans sensations. A la brêche, je suis contraint de changer la batterie de la frontale, dans le noir c’est plutôt galère.
Maido tête dure – 26h30 – 303ème
En haut du Maido, Isa m’attend patiemment, elle constate ma baisse de régime mais ne peux enrayer la spirale négative. Le ravito étant un peu plus loin, nous nous reverrons à la prochaine base vie.
La descente est interminable d’abord joueuse, puis sans saveur sur de la piste qui ne rend pas et enfin incompréhensible sur sentier poubelle avec 2,5Km de rab après sans souci.
Ilet Savannah – 29h46 – 249ème
Heureusement, dans cette 2ème base vie, l’accueil est 3 étoiles. Il est 4h du matin, c’est l’heure de manger un carry poulet. Clairement, l’objectif des 36h est devenu inatteignable par contre les - 40h sont à ma portée et cela suffit pour revenir dans une spirale positive.
En traversant de nouveau la rivière des galets, j’ai l’impression que la dernière ligne droite s’ouvre devant moi. Ma frontale est entrain de trésaillir mais le jour vient à poindre, cela va faire l’affaire.
Chemin Ratinaud – 32h19 – 234ème
La descente du chemin Kaala m’avait laissé un souvenir amer en 2014, mais avec l’expérience je gère bien et m’accroche aux lianes pour éviter de prendre trop de vitesse.
La possession – 33h55 – 225ème
Il est encore tôt, la chaleur ne s’est pas installée. Je continue à boire régulièrement pour éviter la déshydratation. La recette à ce stade de la course est une flasque d’eau et une flasque moitié coca moitié eau.
Je redoute particulièrement le chemin des anglais cette route pavée de pierre volcanique qui se transforme en fournaise aux premiers rayons de soleil.
Au détour du sentier, nous aperçevons le chantier pharaonique de la route du littoral (la route la plus chère de France…1,6Mds d’euros).
Le sentier martyrise mes pieds : 2 ampoules viennent se loger sous mon pied gauche.
Grde Chaloupe – 35h59 – 219ème
Dernier ravitaillement pour Isa avant l’arrivée qui semble de plus en plus proche. Il reste 800mD+ d’abord jusqu’à La Montagne puis enfin jusqu’à la boule du colorado. Un petit groupe s’est constitué. Un réunionnais agé semble nous guider, nous restons ensemble jusqu’au sommet sous sa bienveillance.
Colorado – 38h14 – 222ème
Au sommet chacun trace sa route à sa vitesse, la descente d’abord technique devient roulante pour finir au stade de la Redoute tant attendu.
St Denis La redoute – 39h15 - 221ème
C’est mon 3ème maillot finisher au Grand Raid, celui-ci gardera une saveur particulière car je suis vraiment passé près de l’abandon. Cette saison 2019 se termine sur cette diagonale, il est temps maintenant de prendre du repos.
7 commentaires
Commentaire de Shoto posté le 31-10-2019 à 07:58:09
Bravo pour cette 3ème réussite au GRR. Avec un beau chrono et une belle remontada. Content que ta douleur au pied ne t ait pas contraint à un abandon. Beau récit de course.
Commentaire de Arclz73 posté le 31-10-2019 à 09:23:57
Merci pour le récit et Bravo pour avoir survécu a cette édition !
Tout au mental à priori..chapeau.
Commentaire de triattitude74 posté le 31-10-2019 à 11:03:07
Bravo pour cette belle réussite et sympathique récit.
Tu as un chouette palmarès .
Commentaire de crazy_french posté le 31-10-2019 à 16:34:31
Merci pour vos commentaires... je viens de compter: c'est mon 19ème ultra et pourtant je ne m'en lasse pas !!!
Commentaire de coincoin29 posté le 01-11-2019 à 10:35:27
Par curiosité, est-ce que tu as progressé en termes de chrono à chacune de tes diagonales (à moins qu'elles aient été espacées et que le temps ai fait son oeuvre)? Les parcours étaient-ils comparables?
Commentaire de crazy_french posté le 01-11-2019 à 16:56:26
Les parcours ne sont pas comparables mais globalement je progresse:
- 1998 125 km 8000md+ 37h30
- 2014 172 km 10000md+ 44h50
- 2019 170 km 9800md+ 39h15
Plus d’expérience, meilleure préparation...
Commentaire de Philippe8474 posté le 05-11-2019 à 21:07:22
Bravo, sacré perf! Surtout en ayant frolé l'abandon dès la descente sur Cilaos. Vraiment bravo!!!
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