Récit de la course : Grand Raid du Golfe du Morbihan - 177 km 2018, par marathon-Yann

L'auteur : marathon-Yann

La course : Grand Raid du Golfe du Morbihan - 177 km

Date : 29/6/2018

Lieu : Vannes (Morbihan)

Affichage : 3544 vues

Distance : 177km

Objectif : Pas d'objectif

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Voyage au bout de ma vie

Par où commencer un tel récit ? Par la description de la dureté des conditions de course, ou celle de la douceur des paysages ? En applaudissant le courage des participants, ou la gentillesse du public ? Difficile de choisir, je vais donc commencer... par le commencement. 

Vannes, vendredi, 17h45. Sur la ligne de départ, je repense à ma préparation. J’avais cru malin de courir un 24h début mai, et les circonstances de course ont fait que je l’avais couru à fond.  Curieusement, je m’en étais très rapidement remis, mais une gêne musculaire début juin me fait comprendre pourquoi un 24h n’est pas forcément inclus dans les plans de préparation de l’Ultramarin. Cette gêne reviendra-t-elle ? Je balance entre confiance et incertitude. Je sais, comme dit le poète, que Rien n’est jamais acquis à l’Homme, ni sa force ni sa faiblesse…

D’autant que la canicule annoncée est bien là, autour de 30 degrés, renforçant mon incertitude. Je révise ma stratégie de course. Assumer un départ rapide, pour être dans les premiers à la plage de Roguedas qui devrait être recouverte par la marée, bien avancer cette nuit, et faire le dos rond demain, sous la chaleur.

Kadinski prête ses notes héroïques pour donner le départ. Un tour sur le port de Vannes, et nous rejoignons le parcours du marathon où j’avais (un peu) explosé en 2014, à cause… de la chaleur. J’adore ce paysage, courir au bord de mer reste un privilège rare pour moi. Pour me ralentir, je m’arrête prendre quelques photos que je poste sur Whatsapp. Mon fils réagit « Magnifique ! Maintenant, cours ! »



J’obéis à l’injonction. J’avance à la vitesse prévue, même si la chaleur est présente, ce qui fait que je n’ai pas l’impression d’être dans un grand jour. Km 14, la fameuse plage de Roguedas. Une dizaine de coureurs semble hésiter : enlever les chaussures ? Escalader ? Pour ma part, ce sera pieds nus dans l‘eau, ce qui est finalement amusant. Je ne sais pas encore à quel point cette fraicheur me manquera le lendemain ! Fin de la récréation : je me rince les pieds, les sèche, et repars.


Arradon, premier ravitaillement. Un bénévole me sert de l’eau, quelle désagréable surprise de réaliser que celle-ci est à plus de 40 degrés ! Elle a passé l’après-midi à chauffer au soleil, et alors qu’il faut boire abondamment, cette sensation me noue l’estomac. Ce sera le premier tournant de la course, je ne pourrai rien manger de solide jusqu’à l’arrivée.

Mais nous n’en sommes pas là. Nous continuons notre exploration des chemins côtiers, longeant de petites plages où des baigneurs se rafraichissent, passant devant de somptueuses villas bordées d’hortensias mauves, admirant le Golfe clair. Le calme des paysages s'accorde avec le sentiment d’éternité qui s’empare de moi. Cette course parait sans fin, et c’est très bien.


Base de vie de Baden, 22h. Ici, les familles peuvent retrouver les coureurs, cela donne une ambiance agréable. Je ne m’y éternise pas, cependant (d’autant que je suis seul). Insensiblement, la nuit tombe, les chemins sont toujours aussi délicieux à parcourir. Nous sommes entre chien et loups, et entre pierres et racines je verrai plus d’un coureur trébucher. Certains visages deviennent familiers, mais nous parlons peu entre nous, il faut dire que les monotraces ne facilitent pas l’échange. Je sors ma frontale, la nuit est tombé. Une magnifique lune rousse apparait, tantôt sur notre droite, tantôt sur notre gauche, j’ai l’impression merveilleuse qu’il y en a deux. Je fredonne une chanson d’Higelin.

Il fait encore chaud, je continue à m’arroser régulièrement. Au milieu d’un champ de maïs, une bénévole est assise sur sa chaise pour nous indiquer le bon chemin, merci madame et bonne nuit. Peu après 23h, une riveraine a installé un ravitaillement devant chez elle, illuminé de quelques lampions. Merci madame et bonne nuit.

J’arrive ainsi au ravitaillement du Bono. La simple vue des aliments me retourne l’estomac, certains coureurs abandonnent en pestant contre le premier ravitaillement, si chaud. Je me rends compte que j’ai perdu mon gobelet, tandis que de nombreux commissaires vérifient le contenu des sacs. Il fallait un sifflet ? Je ne tarde pas et me remets en route avant d’être contrôlé.

Cela fait longtemps que j’alterne course et marche. Puisqu’il n’y a si peu d’échanges entre coureurs, je sors mon mp3, chose inhabituelle pour moi. « Je ne suis pas un héros », chante Balavoine. Moi non plus. La progression dans la nuit est aussi magique qu’attendue. Le clair des lunes, le calme de la nuit, la beauté des rares ports que nous traversons, les ombres, tout m’enchante. A 2h du matin, je suis encore en train de me verser de l’eau sur la tête pour me rafraîchir, mais j’ai le sentiment que ca va mieux. Ainsi va la vie de l’ultratraileur, faite de morts et de résurrections. Rien n’est jamais acquis à l’Homme, ni sa force ni sa faiblesse…

L’objectif est maintenant la traversée. Locmaniaquer se rapproche, insensiblement. Je suis excité comme un gamin. On me donne un gilet, et on m’installe avec 5 autres coureurs dans un zodiac pour une traversée au clair de lune. Magique. Nous slalomons entre les parcs à huitres, sur la masse sombre de l’eau, éclairée par la pleine lune. Et tout ça sans effort ! Que demander de plus ?


Encore 5 kms, et je rejoins la base de vie d’Arzon. Ce n’était pas forcément prévu, mais je prends une douche pour finir de me rafraichir (à 5h30 le matin !), et même si je n’ai toujours pas faim, cela me fait un bien fou. Je repars peu avant 6h, un bol de soupe à la main. Le jour se lève, il reste la moitié de la course.


Prochain objectif, Sarzeau. Les chemins sont toujours aussi magiques. Quelques pêcheurs nous encouragent. La lune nous accompagne quelques kms, avant de laisser sa place à un ciel bleu, promettant une journée chaude. Les kms s’enchainent, de plus en plus longs. La chaleur fait son retour. Ma seule obsession : Sarzeau. Il n’y a pas de réelle difficulté, mais je me sens déjà à bout de forces, je n’arrive plus à courir et marche avec de plus en plus de difficulté, après « seulement » 12h de course . A un concurrent qui me demande comment ca va, je réponds « je suis au bout de ma vie ». Rien n’est jamais acquis à l’Homme, ni sa force….

J’arrive à Sarzeau dans un drôle d’état, peu avant midi. Plus les spectateurs me félicitent, et plus je sens mes yeux s’humidifier, je finis en pleurs. Et dire qu’il reste 70 kms !

Il se passe alors un petit miracle. Une accompagnatrice avait acheté un paquet de glaces pour son mari, elle m’en propose une. Exactement ce qu’il me fallait ! Un peu de fraicheur, un peu de sucres, je l’avale rapidement (pas assez cependant pour ne pas faire 3 envieux). J’ai la bonne idée de prendre une bouteille d’eau supplémentaire et repars, pour une portion qui s’annonce chaude.

J’ai repris des forces et me remets à courir dès la première descente. Avant de constater, 800 m plus loin, que j’ai fait fausse route. Same player, play again. Demi-tour. Mais rien ne peut contrarier mon moral tout neuf, je reprends le bon chemin et offre même de l’eau à un bénévole qui règle la circulation sous la chaleur.

Mes pensées me tiennent compagnie. En ce moment, je pense à tous les gens qui suivent ma course. A ma mère, sur son lit d’hôpital ; à mon père, à mon frère, qui n’a gardé que des images positives de son Ironman du weekend dernier (je l’envie, moi qui suis dans un moment délicat) ; à ma fille, qui prépare son gala de danse (pour ne pas le rater, j’ai réservé un train à 8h47 dimanche matin, il ne faudra pas trop trainer) ; à mon fils, qui doit attendre le match de foot avec impatience. A mon épouse, évidement. Mon bel, amour mon cher amour, ma déchirure, Je te porte en moi comme un oiseau blessé, Et ceux-là sans savoir nous regardent passer.

A ce niveau de la course, la plupart des participants marchent. Je me fais la réflexion que notre course ressemble à l’inénarrable poursuite d’OSS117 . Je rattrape un coureur tétanisé par les crampes, lui offre un cachet de sportenine, regarde son numéro de dossard et lui dit « Stéphane, je regarderai demain si tu es arrivé » ; j’ai vérifié, il est allé au bout, bravo.  La chaleur est accablante. Je n’arrive plus à boire ne serait-ce que de l’eau plate, que je trouve saumâtre. Je continue cependant à m’humidifier la bouche régulièrement, quitte à recracher cette eau. Nous ressemblons A ces soldats sans arme Que l’on avait habillés pour un autre destin. A plus grand-chose, en fait.

Le match France-Argentine nous offre une distraction bienvenue. Dans un village, j’entends un gamin hurler de joie, but pour la France. Plus tard, un spectateur me renseigne « 2-2, c’est un sacré match ». Plus de nouvelle avant le ravitaillement suivant, où j’apprendrai la belle victoire de la France.


Il reste un marathon. Ma montre GPS m’a lâché, épuisée par l’effort. De nombreux riverains mettent à notre disposition des tuyaux d’arrosage, bouteilles, bassines d'eau fraiche. C’est salvateur, je ne sais pas si j’aurais tenu le coup sans ces aides. Moi qui fais de la course pour connaitre mes limites, je pense les avoir atteintes. Dieu que c’est dur, même en marchant ! Certains coureurs font la sieste à l’ombre d’un arbre, je les regarde avec envie mais pour rien au monde ne ferais comme eux.

La chaleur se fait moins écrasante. En haut d’une côte, j’entends courir derrière moi : je me retourne, à ma surprise il s’agit d’un coureur « jaune » (du 177)  que je félicite. C’est ainsi que je fais la connaissance de Jean-Marc, un sacré personnage avec qui je resterai un peu moins d’une heure. Outre son tempo pour un cyrano efficace (2 min de marche, une de course), il me fait profiter de sa verve sans pareille, lançant de bruyants « bonne journée messieurs-dames » aux spectateurs qui nous applaudissent, des joyeux « bonjour, gentils bénévoles » à notre arrivée au ravitaillement de Séné, répondant à une personne qui nous plaint « le problème, ce n’est pas la chaleur, c’est les coureurs ! », corrigeant une autre qui nous souhaite bon courage « à notre niveau, il ne faut pas du courage, mais de la patience ».

Malheureusement sa marche est trop rapide pour moi, je dois le laisser partir. Mais le plus important n’est pas là : j’ai recommencé à courir régulièrement, et je perçois nettement que si je peux maintenir une telle alternance, toute ma perception de la course sera changée. Je fais donc l’effort.

Les derniers kilomètres sont de nouveau superbes, et d’être seul me permets de les savourer encore plus. Alors que je longe une petite plage, quelques baigneurs, puis toute la plage se mettent à m’applaudir. Moi qui n’aime pas être au centre des regards, j’en ai de nouveau les yeux humides. Je mets mes mains sur le cœur pour exprimer ma gratitude.

Alternant course et marche, je remonte quelques coureurs du 177. A chaque fois, je prends le temps de discuter un peu avec eux, nous commençons à nous féliciter. Ils sont unanimes : la chaleur du vendredi a été plus pénible que celle du samedi, sans parler du premier ravitaillement. Les coureurs du 56 nous dépassent rapidement. Dans la bruyère, quelques lapins prennent le frais.

Il reste 3 km, et mes jambes m’offrent un cadeau extraordinaire. Alors que je discute avec une certaine Annick, nous sommes dépassés par un concurrent du 56 km. Sans m’en rendre compte, je prends sa foulée et l’accompagne sans difficulté. Il m’explique qu’il défend sa 14ème place. Je le laisse filer au bout de quelques centaines de mètres, mais décide de courir jusqu’à l’arrivée, pour le plaisir. Sentiment indescriptible, sensation imprévue et délicieuse, après tant d’effort, de pouvoir me remettre à courir sans aucune restriction. Je suis grisé par ma propre vitesse. Pont Kervano, remontée du quai sous les encouragements des vannetais. Derniers virages, arches d’arrivée. Je vole.

Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson. Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson. Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare


 

 

5 commentaires

Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 11-07-2018 à 17:52:40

Bravo Yann. Suivant mes trailers d'Ecouves (qui sont tous arrivés), j'en ai profité pour suivre aussi ta course. Vu le tableau de marche, tu as dû croiser mon ami Thierry déjà présent à Paris à un moment mais chacun était dans sa course, évidemment...
Encore bravo, c'était très dur.

Commentaire de marathon-Yann posté le 11-07-2018 à 18:02:14

Merci Thierry, je suis flatté que tu aies suivi ma course ! Et bravo aux coureurs d'Ecouves, que je n'ai pas vus ou pas reconnus, hélas (on aurait parlé de toi!) Il faudra penser à un signe distinctif la prochaine fois !

Commentaire de Jean-Phi posté le 12-07-2018 à 10:32:42

J'aime bien ton CR plein de citations qui parlent bien. Bravo pour ta course qui fut à n'en point douter difficile. Chapeau !

Commentaire de marathon-Yann posté le 12-07-2018 à 14:32:46

Merci de ton commentaire. Qui aurait cru qu'Aragon s'y connaissait si bien en course à pied ? :)

Commentaire de augustin posté le 08-07-2019 à 15:00:56

Sacré récit Yann, que je relis mais avec un oeil désormais (un peu) averti suite à une partie du parcours effectuée cette année. Quelle prestation sous cette chaleur! bravo!

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