Récit de la course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous 2017, par PATAPON73

L'auteur : PATAPON73

La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous

Date : 19/10/2017

Lieu : Saint-Pierre (Réunion)

Affichage : 2109 vues

Distance : 164km

Objectif : Terminer

13 commentaires

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Juste incroyable.

MA DIAGONALE DES FOUS 2017

Video complète sur https://www.youtube.com/watch?v=x07p31gUeAw&t=1s

 

Nous sommes le 19 octobre 2017. Il est 20H. Il nous faut maintenant dire au revoir à nos femmes et amis puis franchir les barrières pour entrer dans l’arène avec nos 2 sacs suiveurs. C’est chargé en émotion, un peu comme si nous partions pour un périple sur une autre planète sans en connaitre l’issue.

 

Nous déposons les sacs dans les camions ‘’Cilaos’’ et ‘’Sans Souci’’ puis passons au contrôle des sacs. Cette formalité est bien vite terminée et nous entrons dans l’enclos ou des centaines de coureurs sont déjà présents. Certains dorment à même le sol, d’autres sont déjà assis devant la barrière de départ, prêts à jaillir dans 2 heures.

 

Nous mangeons le délicieux cake énergétique que nous avait amoureusement préparé Sylviane, la femme de Christophe, échangeons quelques mots puis nous dirigeons comme de stupides moutons vers la barrière d’entrée au paddock, en espérant que nous ne serons pas trop loin de la ligne de départ. Nous avions convenu de tenter de partir dans les 25 premiers pourcents pour ne pas être trop gênés par les coureurs qui démarreraient doucement et ainsi tenter d’éviter le sempiternel bouchon prévu au 14eme kilomètre qui nous ferait perdre une bonne heure. Nous savons malgré tout que nous ne sommes pas les seuls ‘’ingénieux’’ à avoir échafaudé ce plan super original.

 

Le seul souci en ce qui me concerne, c’est que la déchirure musculaire au mollet faite 18 jours plus tôt est tellement incertaine que je ne sais pas si je dois tenter de trottiner et ainsi risquer la rupture et l’abandon immédiat ou partir en marchant vite pour espérer un miracle mais accepter d’être dans les derniers.

 

Je suis pour l’instant avec mes 2 amis Alain et Christophe et je déciderai au coup de canon.

Nous restons 45 minutes debout devant la barrière à attendre son ouverture. J’en profite pour strapper mon mollet depuis la cheville jusqu’au genou sous le regard semble-t-il étonné de plusieurs coureurs qui semblent se dire : ‘’Non mais ce gars part pour faire une course de dingue qui demande une forme parfaite et il se strappe déjà avant de partir ?’ Il ne va pas aller loin celui-là’’.

 

D’un coup, la barrière s’ouvre. 2600 concurrents, plus excités les uns que les autres, se mettent à pousser comme dans une mêlée du 15 de France et nous nous sentons littéralement portés vers le paddock. Nous ne pensons qu’à tenir droit et ne pas trébucher sur les cadavres de bouteilles en plastique qui jonchent le sol. La pression est énorme et je crains la blessure au mollet sur un faux mouvement. Tant bien que mal, nous arrivons à nous positionner correctement sur la ligne de départ.

 

Encore quelques minutes puis : ‘’5, 4, 3 2, 1’’ et c’est le coup de corne de brume qui annonce le départ à 22H. Le cœur s’affole. La foule est extrêmement dense, je tente de faire les premiers mètres avec les 2 amis mais très vite je dois leur souhaiter bonne course et réduire l’allure pour préserver mon mollet malgré une très grande frustration. Après quelques centaines de mètres, mon bonheur est immense de passer à côté de ma conjointe Dany juste derrière la barrière. Mon cœur bat la chamade. Je me parle déjà : ‘’Cette fois c’est parti Patrice, pour cette merveilleuse aventure que tu prépares depuis plus d’un an. Zut, j’ai oublié de mettre en route ma montre’’.

 

Des centaines de coureurs me doublent dans tous les sens. Je tente de trouver le bon rythme entre marche et course même s’il ne ressemble pas beaucoup à la belle foulée que j’avais imaginée avant la blessure. Je ne cesse de me dire que je dois acheter du temps et tenter de faire durer l’aventure aussi longtemps que mon mollet le voudra. ‘’Si seulement je pouvais aller jusqu’à Cilaos’’.

 

Ça y est, les 6km de plat sur le bitume sont finis et nous entamons la montée dans les champs de canne à sucre. Enfin, je peux marcher vite. Le mollet tire mais ça tient. Je me surprends même à redoubler quelques-uns des 2000 coureurs qui viennent de me dépasser. Waou, quel plaisir…

 

 

Domaine VIDOT – 14Km – 640D+ - Ven 00H03 – 2079°

 

Je passe les 2 premiers ravitaillements de Bassin Plat et Domaine Vidot sans m’arrêter pour tenter de gratter quelques places. Ça fonctionne car étonnement, ils sont nombreux à s’y arrêter. Soudain, c’est le bouchon que j’avais lu dans les récits des coureurs internautes… Au milieu de la forêt très dense, le sentier monotrace ne peut supporter l’afflux des 2600 coureurs. Un bouchon humain me contraint de stopper. Je profite des 50 minutes d’attente pour manger 2 boulettes de patate douce cuisinées la aussi par Sylviane. Un délice. J’avais prévu cette attente et j’avais décidé de ne pas m’en frustrer. Je m’interroge quand même : ‘’Mes 2 amis ont-ils eu ce bouchon ? Sont-ils loin ?’’. Nous échangeons quelques mots avec le coureur qui est devant moi, Patrick, un grand gaillard quinquagénaire de 1m85 environ a déjà fait la Diagonale des fous 3 fois. Le bouchon se décante et je repars avec lui car son rythme semble me convenir sur les premiers mètres.

 

Notre Dame de la Paix – 31Km – 2071D+ - Ven 03H21 – 1738°

 

Nous grimpons rapidement jusqu’à Notre Dame de la paix nous nous nous arrêtons très rapidement pour 2 bouillons de vermicel et le remplissage des gourdes.

 

Vers 5H du matin, le jour n’est pas loin mais la batterie de ma frontale rend l’âme. Je profite au mieux de la lumière de Patrick pour éviter de devoir m’arrêter pour changer de batterie d’autant que je peux trottiner et que je ne veux pas perdre Patrick. Après 15 à 20 minutes, la lumière du jour vient arrêter ce jeu dangereux.

 

Belvédère Nez de boeuf – 38Km – 2406D+ - Ven 06H23 – 1619°

 

C’est à 6H15 que nous arrivons au parking nez de bœuf. La aussi nous ne nous arrêtons que quelques minutes et repartons sur la route du Volcan.

Après quelques minutes, 50 mètres devant moi, une voix appelle Patrice. ‘’Mais qui est cette voix qui crie mon prénom ici au milieu de nulle part ? Serait-ce mes amis ?’’ Nicolas, Delphine, Raymond et Isabelle, Agnes et Thierry viennent à ma rencontre. Que c’est bon de voir les siens alors qu’on est plongé dans la nuit et dans sa bulle depuis des heures et des heures. Je prends des nouvelles de Christophe et Alain. Patrick a déjà pris de l’avance et je dois repartir en courant si je veux continuer la course en sa compagnie.

Nous entamons la descente avant la belle montée qui nous mènera à Piton Textor. C’est un chemin monotrace très agréable dans les alpages que nous avalons en courant lentement.

 

Mare a Boue – 48Km – 2446D+ - Ven 08H32 – 1739°

 

Nous marchons encore quelques heures jusqu’à Mare a Boue ou je j’accroche une racine et je m’étale de tout mon long. Fort heureusement, c’est la jambe gauche qui a supporté l’effort. Je réalise alors que dans le cas contraire, la course se serait vraisemblablement terminée là. Je vais devoir accroitre ma vigilance car je n’ai pas le droit à l’erreur. Quelques centaines de mètres avant le ravitaillement, mes amis de la nuit m’attendent à nouveau et cela me redonne une bouffée d’adrénaline.

 

Je repars jusqu’au ravitaillement ou je me délecte une assiette de pates / poulet grillé puis j’enlève mes chaussures pour reposer mes pieds. Je suis bien fatigué. Je laisse mon corps s’allonger dans l’herbe haute et je m’accorde 5 à 10 minutes de repos. Que c’est bon…

Allez, il faut repartir pour une grosse montée. Les coteaux de Kerveguen. 700m de dénivelée seulement mais en plein soleil et je me sens bien fatigué. Il me reste quand même 120km. A ce moment-là, je sens une fin compliquée…

 

Après 1 grosse heure de montée, je découvre la vraie difficulté de cette ascension. A chaque fois que l’on croit atteindre la crête, une nouvelle crête se profile. Et je dois accepter ce jeu stupide près de 6 ou 7 fois. Les dernières fois étant pour le moins assez peu drôles voire pénibles. Puis vient enfin la crête et une descente extrêmement pentue et glissante dans les cailloux ponctuée par des échelles à de-escalader. Je ne profiterai même pas de la vue puisque toute la vallée est dans le brouillard.

 

Cilaos – 65Km – 3256D+ - Ven 13H52 – 1742°

 

A Cilaos, le groupe des femmes m’accueille avec Blandine, Sylviane, Magalie, Michele, Solenne et Veronique. Je m’allonge et m’abandonne à un massage 8 mains (les 2 mollets et les 2 cuisses en simultané). 15 à 20 minutes de cocooning divin qui me font un bien fou. Je traine encore quelques minutes puis j’abandonne mes guérisseuses pour me ravitailler. La nourriture passe mal et je dois me précipiter vers la poubelle après une nausée brutale. Cela me rappelle les nombreuses difficultés gastriques que j’ai eues à gérer sur mes précédentes courses et qui étaient dues, à priori, à une déshydratation. Il me faut donc impérativement être vigilent sur ce point si je veux endiguer le problème et terminer la course. ‘’Promis, je boirai toutes les 15 minutes au moins…’’

Je repars reposé mais en ressentant une bonne fatigue générale. Je ne peux m’empêcher de penser : ‘’Il me reste encore 100km et 6000m de dénivelée… Oups…’’.

 

Dans la descente de la ravine je rattrape un groupe de coureurs que je double rapidement pour rejoindre un coureur seul qui avance un peu plus vite. C’est un petit et léger créole au pas régulier qui m’offre une vitesse raisonnable et le confort d’un ‘’lièvre’’. J’avais durant les mois qui ont précédé la course, rêvé de faire un bout de chemin avec un vrai créole pour vivre cette traversée en immersion totale. Serait-ce un petit clin d’œil du ciel ? Jean-Camille (dont j’apprends le prénom en lisant son dossard) avance bien et nous marchons ensemble jusqu’au ravitaillement ‘’Début du sentier Taïbit’’.

 

 

 

Debut Taïbit – 72Km – 3753D+ - Ven 17H32 – 1797°

 

La nuit tombe. Je prends à nouveau 2 bouillons de vermicel et quelques morceaux de banane sans quitter Jean-Camille des yeux car j’ai bien l’intention de le suivre durant les prochains kilomètres. J’en profite pour lui demander si cela ne le dérange pas et il accepte bien volontiers.

Nous voilà repartis donc pour 800m de dénivelée. Après quelques minutes, Jean-Camille subit un coup de barre. Je passe devant pour prendre le relai mais très vite il propose de s’arrêter un petit moment pour souffler. Puisque la nuit nous a rejoints, nous en profitons pour mettre les frontales. Durant le reste de l’ascension, je mène le pas et tente de ne pas trop le distancer pour qu’il puisse garder le contact. Nous montons bon train jusqu’au col en discutant. Alors que nous parcourons les derniers mètres, il me dit glisse un mot qui m’interpelle : ‘’En descente, les coureurs n’avancent pas et c’est un peu pénible’’. J’acquiesce discrètement car je me dis que je fais peut-être partie de ceux dont il parle…

Dès les premiers mètres de descente, il passe devant et double un ou deux coureurs en me glissant : ‘’Bon, on va accélérer un peu parce que ça n’avance pas’’. Je comprends alors qu’il va envoyer dans la descente. Ça ne rate pas et je le vois partir à fond dans la nuit dans le chemin technique qui nous mène vers Marla. Je décide de tenter de le suivre malgré les craintes de voir mon mollet maltraité. Il est léger et saute de pierre en pierre ce qui me demande un effort important tout en veillant de ne pas dépasser le raisonnable pour le mollet. Nous descendons tellement vite que nous doublons des dizaines de coureurs. C’est donc avec une grande satisfaction que je j’aperçois Marla quelques mètres plus bas.

 

Marla – 78Km – 4572D+ - Ven 20H10 – 1682°

 

Il est 20H10 et il fait très frais. Jean-Camille me dit que nous devons dormir la car la traversée de Mafate nous attend et que nous ne pourrons nous exonérer d’un peu de sommeil. Après 1 nouvelle soupe au vermicel, une assiette de poulet / pates et 2 bonnes purées, nous tentons de nous organiser pour le couchage. J’obtiens une couverture de survie auprès des secouriste. Jean-Camille échange quelques mots avec un autre créole qui revient, quelques secondes plus tard, avec 2 vielles couvertures. Jean-Camille pense que nous devons dormir 1H15 et me demande de le réveiller à 21H45

Je change de teeshirt car je suis trempé et je grelotte déjà puis nous nous allongeons à même le sol, emmitouflé dans la couverture en tentant de ne pas laisser l’air entrer tellement il fait froid. Cette heure de sommeil est interrompue par de multiples réveils dus au froid. C’est insupportable mais je dois attendre l’heure avant de me lever. C’est donc presque avec plaisir que j’entends sonner mon téléphone.

Je réveille mon compagnon de course qui parait aussi transit que moi. Il ne nous faut qu’une minute ou deux pour repartir car c’est la seule solution pour se réchauffer.

 

Etonnement, Jean-Camille repart en marchant très très doucement alors que j’ai envie dès les premiers mètres de courir. Je dois donc me refreiner et l’attendre tout en tentant de lui faire comprendre avec tact qu’il doit accélérer le pas. Sans réaction de sa part, je lui propose de trottiner mais il reste muet et sans réaction.

Après encore 5 ou 10 minutes durant lesquelles je double quelques coureurs avec l’impression frustrante de me trainer, je décide d’abandonner lâchement mon binôme pour avancer à mon rythme. C’est moche mais tant pis. Je sais qu’une course comme cela ne peut se faire à 2 de bout en bout.

Je marche très vite et double de nombreux coureurs jusqu’à Bras Machine puis jusqu’à col des bœufs, La plaine des merles, puis Ilet a bourse ou je m’arrête quelques minutes pour me ravitailler.

 

Ilet a Bourse – 95Km – 5447D+ - Sam 03H12 – 1569°

 

Un champ doré borde les tentes du ravitaillement. Ce sont les dizaines de coureurs qui dorment dans leur couverture de survie au milieu un champ d’herbe grasse. Je n’ai pas envie de dormir et repars avant de me refroidir.

 

 

 

Grand Place – 98Km – 5579D+ - Sam 04H15 – 1518°

 

Me voici à Grand Place. Je suis en forme, mes jambes répondent bien aux sollicitations et mon mollet ne me chatouille pas plus qu’au départ. J’en arrive même à l’oublier en descente. Une fois encore, je picore quelques bricoles et prends 2 bouillons puis repars

A cet instant, je sais que devant moi m’attendent 14km et pas moins de 1970m de dénivelée pour grimper le mur du Maïdo. Je descends dans la ravine et commence l’ascension avec plaisir car je me sens encore bien.

 

Roche Plate – 106Km – 6519D+ - Sam 08H06 – 1481°

 

Ecole de Roche Plate. 1000m de faits. Reste 1000m. Je prends 2 minutes pour manger. Je demande à un bénévole qui a badgé mon dossard combien de temps il faut pour monter Maïdo. Il m’annonce 3H au moins. J’avais rêvé 2H… ‘’Prétentieux’’ me dis-je. ‘’Je serai donc en retard de 3 bonnes heures par rapport aux temps de passages que j’avais couchés sur le papier il y a 2 semaines, au chaud dans le canapé’’. Je me dis que ce n’est pas grave et qu’au contraire, je dois être heureux d’être encore là à cet instant car je n’aurais pas parié cela au départ.

Me voici parti pour la montée du mur. Les 400 premiers mètres de dénivelée se passent convenablement.

Alors que je suis dans un passage exposé sans protection, au bord de la falaise, un des premiers du Trail bourbon (110km) me double en pleine vitesse et au même moment, l’hélicoptère qui venait de décoller de Roche Plate vient se positionner en vol stationnaire a 30 ou 40m de nous pour le filmer. ‘’Trop la classe, je vais passer à la télé’’. Sans réfléchir, je décide de le suivre en me disant que finalement, il ne va pas si vite que cela. Nous grimpons une cinquantaine de mettre et arrivons sur la brèche ou l’hélicoptère nous attend à nouveau, juste en face. Le caméraman est assis sur les patins et nous filme à nouveau. Je sens la fierté m’envahir comme si c’était pour moi. Nous faisons quelques signes en pleine course, je parcours encore près de 100m de dénivelée et mes cuisses me somment d’arrêter ce jeu stupide. Je décroche et reprends alors mon ascension, un peu essoufflé mais heureux de ce stupide intermède.

Je ne tarde pas à payer la note puisqu’à près de 300m du sommet, je prends un coup de barre et commence à me dire que ce chemin extrêmement abrupt n’en finit pas. Les secondes sont des heures et les 200 derniers mètres sont très difficiles. Heureusement la foule scande les prénoms de tous les participants et entendre ‘’Bravo Patrice’’ me donne l’énergie pour grimper le dernier lacet.

 

Maïdo Tête Dure – 113Km – 7598D+ - Sam 10H41 – 1340°

 

Dany et mes amis sont là et comme à chaque fois cela me fait un bien indescriptible. Je m’assieds immédia-tement sur un carré d’herbe verte et reste deux bonnes minutes, hagard et épuisé, pour tenter de reprendre des forces. Mes amis me conseillent de me reposer 30 minutes mais je refuse. Je veux repartir au plus vite jusqu’à Sans Souci ou je me poserai un moment et pourrai me changer grâce à mon sac suiveur.

J’embrasse ma tendre et je repars sans tarder. J’avais cru lire sur le profil de la course que le chemin descendait immédiatement. Hélas, il n’en est rien car il longe la crête un bon moment avec de nombreux ressauts de 20 a 30m qui me cassent littéralement les pattes. J’en ai vraiment plein les bottes.

Le chemin descend enfin. Un caméraman professionnel me cadre et commence à descendre devant moi en filmant à reculons. Je me fais prendre à nouveau au jeu en oubliant la fatigue durant quelques dizaines de mètres. Il s’arrête enfin et me remercie. Je lui demande s’il peut m’envoyer le rush et très gentiment. il accepte en prenant mon adresse mail. Un petit plaisir qui fait du bien.

Me voila reparti pour la descente de 14km et 1600 de dénivelée négative. Cette portion est interminable car je me sens épuisé. Je demande plusieurs fois aux bénévoles le temps qu’il faut pour arriver à Sans Souci. «20mn me dit-on. Je descends bien 10 minutes puis demande à nouveau. On me répond alors qu’il reste 40mn. Je n’en peux plus. Je pense à l’abandon par deux fois puis me ressaisis. Un couple me double. L’homme encourage la femme qui le suit et qui court malgré un état de fatigue très avancé. Je me parle à moi-même : ‘’Elle est aussi épuisée que toi mais au moins elle, elle court. Ce n’est pas comme toi Patrice’’. Piqué au vif je décide de la suivre en me disant : ‘’Comme cela, le supplice durera moins longtemps’’.

Après 10 à 15 minutes extrêmement difficile durant lesquelles j’ai 1000 fois envie de marcher, j’entends la foule à quelques pas. ‘’ça y est, j’y suis’’. Dany et mes amis sont encore là. Thierry court à ma hauteur et fait des signes à la foule amassée sur le bord de la route qui crie ‘’Allez Patrice, Bravo Patrice’’ comme si j’étais le vainqueur franchissant la ligne d’arrivée (il avait secrètement chauffé les passants en les prévenant de mon arrivée). Serrant les dents, les yeux fermés, je me sens littéralement porté par la foule sur les 200 derniers mètres.

 

Sans Souci – 126Km – 7665D+ - Sam 13H44 – 1264°

 

Ça y est, le ravitaillement est là. Je vais immédiatement récupérer mon sac suiveur pour prendre une douche froide désagréable mais réparatrice. Je suis ensuite pris en charge par les kinés qui me font un massage des mollets, strappent à nouveau mon mollet droit et le massent les pieds pour calmer un échauffement sous la plante. J’en profite pour dormir durant les 20 minutes de soin.

Je me réveille avec le sentiment d’être bien reposé. Je prends un rougaille saucisses au ravitaillement et l’emmène auprès de mes amis pour le déguster. J’engloutis ensuite 5 crêpes au chocolat même si je sais que ce n’est pas très raisonnable. L’appétit est là et c’est bon signe.

Il est temps de repartir après une bonne heure de pause. Je me sens comme neuf, pas plus fatigué qu’après 40 ou 50km. ‘’Incroyable’’ me dis-je. Nicolas me demande alors si je suis toujours d’accord pour qu’il fasse une quinzaine de km en ma compagnie. Comment pourrais-je dire non alors que son amitié et son aide me font tant plaisir. Nous voilà partis. Nicolas est en survêtement avec une simple bouteille d’eau à la main en plein chaleur.

Nous descendons dans la rivière des galets puis grimpons dans les champs de canne à sucre vers Chemin Ratineau. Nicolas semble peiner derrière moi. Je l’encourage donc et cela le fait halluciner que ce soit moi qui le fasse après 136 km. Ça m’amuse. A la résidence Grande montagne il décide de me laisser. Je le remercie du fait que sa compagnie m’a fait oublier les 15 derniers kilomètres.

 

La Possession – 143Km – 8391D+ - Sam 20H01 – 1254°

 

Il est 20H. Je vais devoir m’attaquer au chemin des anglais dont les récits lus sur internet m’ont fait redouter ce moment inatteignable, mythique. La nuit est là. La troisième. Les pierres qui forment le chemin ‘’pavé’’ ne sont effectivement pas au même niveau et cela demande un effort supplémentaire pour gravir cette côte non négligeable de 650m de dénivelée. C’est dur mais je monte régulièrement. Le temps s’est arrêté. Je suis à ce moment-là centré sur moi-même et mon corps a trouvé une sorte d’équilibre et de rythme. Dans les moments difficiles, je m’efforce de penser que je dois savourer le moment présent car ça ne sera bientôt qu’un souvenir. J’en ressens presque un peu de nostalgie.

 

Grande Chaloupe – 151Km – 8701D+ - Sam 22H21 – 1181°

 

La Grande Chaloupe me tend les bras assez rapidement et je prends presque du plaisir à me ravitailler en sentant la fin proche. ‘’Ma frontale, j’ai perdu ma frontale’’. Le cuisinier me dit d’aller voir à la tente du commissaire de course car ils en auraient trouvé une. Elle m’y attend fort heureusement. Je lui demande alors :  ‘’Il reste combien de temps pour la Redoute ?’’. Il me répond alors naturellement : ‘’5H au moins’’. Cela me fait bondir : ‘’Quoi ? 5 heures ? mais ce n’est pas possible. Pour faire 20km ?’’. Il sourit : ‘’Eh oui mon beau Monsieur, le chemin est technique’’. Je le remercie et ne peux m’empêcher de penser : ‘’Alors là, on va voir s’il faut 5 heures, on va voir’’.

J’enfonce la frontale sur ma tête et pars d’un pas très rapide pour finir au plus vite ces 15km et 800D+ histoire de le faire mentir.

La, sans comprendre pourquoi, j’avale la montée sur un rythme endiablé. Je double avec une vitesse étonnante de nombreux coureurs qui semblent épuisés. Je leur dis bonjour et leur souhaite bon courage avec une voix fraiche qui m’étonne moi-même. J’en ai presque honte. ‘’Mais que doivent-il penser de moi ? Ils doivent se dire qu’il est malade ce type qui grimpe comme un dingue après 150km.

Ce n’est que sur la fin que je dois ralentir le rythme car je sens que mes jambes commencent à fatiguer. J’en souris.

 

Colorado – 161Km – 9532D+ - Dim 00H44 – 1164°

 

Ça y est, dernier ravitaillement. J’échange quelques mots avec les commissaires qui m’annoncent encore 2H minimum et me conseillent de dormir en apprenant que je n’ai dormi qu’une heure. Je leur tiens le même discours : ‘’Non mais sérieusement ? 2H pour 4,7km ?’’ puis j’ajoute en moi-même : ‘’Hors de question’’. ‘’Francois D’haene’’ mets 45minutes’’ me répond l’un d’entre eux.

Je file dans la nuit en me convainquant que je ne mettrai pas 2 heures. La descente est longue car j’ai très mal aux genoux et aux pieds. Mais je décide de me laisser porter en me disant à nouveau que c’est la fin et que j’ai réussi ce challenge impossible. C’est après 1H15 que j’atteins la route.

 

La Redoute – 165,69Km – 9553D+ - Dim 02H08 - 1146°

52H08 de course

 

Il est 2H du matin et les passants noctambules nous crient ‘’Plus de 200m’’. A l’entrée du stade, tous mes amis sont là. Ils semblent heureux de me voir à l’arrivée. Sans exploser de bonheur, je sens une jouissance intérieure m’envahir. Je parcours en trottinant les 200m de piste qui me séparent de la ligne d’arrivée avec tous mes amis. C’est fou, complètement fou. La foule, la fin, la fatigue. 3metres, 2 mètres, 1 mètre. Je passe sous l’arche. Alain et Christophe m’y attendent. Tout le monde me serre dans ses bras. C’est énorme. Je ne réalise pas mais vraiment je sens que je viens d’accomplir quelque chose d’impossible, d’improbable pour moi, petit coureur débutant.

 

 

 

 

 

 

 

13 commentaires

Commentaire de alain94 posté le 17-11-2017 à 17:04:41

Bravo pour ta course, parfaitement gérée pour un "petit coureur débutant".
Et excellent récit, j'ai eu l'impression à sa lecture de revivre une fois de plus cette merveilleuse aventure que nous avons vécu du 19 au 22 octobre ;-)

Commentaire de PATAPON73 posté le 18-11-2017 à 08:31:44

Merci Alain. A la base, j'ai fait ce recit pour moi car je souhaite pouvoir me remémorer dans quelques années ces moments magiques. A bientôt sur Kikourou.

Commentaire de lstauf posté le 18-11-2017 à 18:23:10

Beau récit de cette belle aventure sportive et humaine et bravo pour cette réussite au premier essai dans un telle course!

La course s’est faite avec, au départ, cette incertitude concernant votre déchirure musculaire au mollet et je me demande comment avez-vous soigné cette blessure dans les 18 jours précédant la course?

Commentaire de PATAPON73 posté le 18-11-2017 à 21:14:14

Bonjour lstauf. Merci pour tes compliments. Quand je me suis blessé (le 1/10, je faisais le dernier we choc avec mon coach qui est aussi kiné. Immédiatement après la déchirure il m'a fait un massage drainant. Dès le mardi je suis allé chez mon ami kiné tres compétent et il a commencé a me faire des massages (pas en profondeur bien sur). Parallèlement la fait de la physio avec mon globus et mis des chaussettes de contention tout le temps. J'ai aussi prix des compléments alimentaires et j'ai fait un travail mental pour visualiser la guérison. Bref, je n'ai pas une recette magique mais ca a tenu et j'en suis immensément heureux. Au plaisir.

Commentaire de lstauf posté le 19-11-2017 à 11:11:19

Merci pour cette description détaillée des soins effectués. L’aspect travail mental dans le processus de guérison est nouveau pour moi. Bonne continuation dans les futures courses de trails!

Commentaire de lstauf posté le 19-11-2017 à 17:18:57

Merci pour cette description détaillée des soins effectués. L’aspect travail mental dans le processus de guérison est nouveau pour moi. Bonne continuation dans les futures courses de trails!

Commentaire de PATAPON73 posté le 19-11-2017 à 19:04:10

EN ce qui concerne le travail mental, cela m'a été proposé et comme j'avais très envie de faire cette course, j'ai pensé que je ne risquais rien à le faire. je ne suis pas en mesure de dire si cela a été un élément efficace dans la guérison mais je ne peux pas non plus dire que ca n'a servi a rien. Ce qui est certain c'est que les 2 kiné étaient certain que je finirai pas. Donc il y a bien quelque chose qui a fait que j'ai guéri plus rapidement que la moyenne. A noter que c'est peut être aussi une bonne gestion de la blessure car elle n'est a ce jour pas terminée. Je dois arrêter le sport 3 semaines. Bonnes courses a tous.

Commentaire de Shoto posté le 20-11-2017 à 18:02:03

Tres sympa ton récit. On partage avec toi tes moments de joie et de doutes. Bravo pour cette belle place de finisher alord que tu partais blessé.

Commentaire de pinafl posté le 20-11-2017 à 18:35:16

Belle experience, bravo pour en avoir terminé, mais c'est ton niveau tennistique qui m'impressionne le plus :-)

Commentaire de PATAPON73 posté le 20-11-2017 à 19:25:45

@Pinafl : Ah, tu as vu sur mon profil ? Oui, en même temps qu'en ai ''bouffé'' des heures. J'ai commencé a 20 ans seul contre le mur, les débuts ont été compliqués malgré un physique plutôt très favorable.

Commentaire de PATAPON73 posté le 20-11-2017 à 19:26:45

@Shoto : Merci. Le temps n'est pas extraordinaire mais comme je pensais a 20% finir !!! ;-)

Commentaire de Katman posté le 25-11-2017 à 23:16:58

Moi j’y croyais! Avec un physique et un mental comme ça, c’est l’aller-retour que tu pouvais faire Pat!! 😉💪
Encore merci pour ce beau récit!

Commentaire de PATAPON73 posté le 26-11-2017 à 20:08:05

Merci Manu. Je me demande si tu n'exagères pas un peu mes capacités.. mdr... Bientôt viendra ton tour. Je suis presque jaloux...

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