Récit de la course : Trail du Lac d'Annecy - Maxi Race 2017, par Khioube

L'auteur : Khioube

La course : Trail du Lac d'Annecy - Maxi Race

Date : 27/5/2017

Lieu : Annecy (Haute-Savoie)

Affichage : 4680 vues

Distance : 86km

Matos : Adidas Raven Boost
Bâtons Camp Xenon Trek

Objectif : Terminer

8 commentaires

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Récit à chaud... très chaud, oui !

Quelques jours après la Saintélyon, au mois de décembre dernier, mon ami Tom et moi nous interrogeons sur la suite à donner à notre saison, maintenant que nous avons survécu aux 72 kilomètres de la doyenne des courses en nature. Mathilde et Marie, nos chères compagnes, nous demandent alors pourquoi, puisque nous n’avions pas pu profiter des vues et des crêtes lorsque nous avions couru la Marathon Race en 2016 (pour cause de météo capricieuse), nous ne retournerions pas à Annecy pour participer à la Maxi-Race. Étonnés de ne pas y avoir pensé tous seuls et enhardis par un ou deux verres de bon vin rouge, nous sommes immédiatement séduits par cette perspective et nous inscrivons dans la soirée. Nous aurons six mois pour nous préparer au mieux et bénéficierons pour cela des conseils de notre camarade Clément, qui en était brillamment venu à bout l’année précédente, et surtout de nos coaches de choc : Christophe, Diego et Yann.

Ma préparation se déroule convenablement dans l’ensemble. Épargné par les blessures, je parviens à augmenter le nombre de séances par semaine, même si les mois de février et de mars sont très chargés, et m’efforce de faire quelques belles sorties à environ un mois de l’échéance pour habituer mon corps à supporter un effort long et pénible (notamment une sortie épique avec Tom en Chartreuse, avec trente centimètres de neige en plein mois d’avril). Les résultats de mes courses de préparation ayant été relativement encourageants, j’ai toutes les raisons d’arriver serein à Annecy en ce chaud jeudi 25 mai.

Tom, Marie, Mathilde et moi-même prenons possession de notre joli appartement pour le week-end, à cent mètres à peine du lac, accompagnés de notre petite Maya qui, à bientôt dix mois, découvre la montagne. Le programme du vendredi est simple : soleil, lac, dossards et préparation du matériel. La principale donnée à prendre en compte est évidemment la chaleur, puisqu’on annonce près de trente degrés le jour de la course. Avec un départ prévu pour cinq heures du matin (soit une heure et demie plus tard qu’en 2016), nous ne pourrons pas vraiment profiter de la fraîcheur de la nuit et sommes condamnés à faire l’immense majorité du parcours en plein jour – et souvent à découvert. Après avoir hésité à prendre ma poche à eau, je prends finalement le parti de partir avec quatre flasques, dont deux remplies de boisson isotonique. Le parcours offrant un point d’eau tous les dix kilomètres environ, je ne devrais pas trop me déshydrater si je fais le plein dès que j’en ai l’occasion. Pour être le plus au frais possible, je porterai mon nouveau débardeur, le plus léger que j’aie trouvé à Lyon, en espérant que l’application généreuse de crème nok limitera la gêne occasionnée par les frottements de mon gilet Salomon sur mes épaules.

En ce qui concerne l’alimentation, je décide de prendre exemple sur deux champions, Antoine Guillon et Geoff Roes. Le premier préconisait dernièrement de privilégier le confort intestinal à la recharge glucidique ; dans la mesure où, dans mon cas, l’excès de pâtes ou de riz avant une course entraîne souvent des maux de ventre qui, à leur tour, engendrent des douleurs dans le bas du dos, je me résous à manger comme d’habitude, soit un peu de tout, ni plus, ni moins. Lagom, comme disent les Suédois. Le second, vainqueur de la Western States en 2010, expliquait dans l’excellent documentaire Unbreakable qu’il avait pour habitude de bien manger avant un ultra pour faire le plein de calories – quitte à se sentir un peu lourd durant les premières heures ; c’est dans cette esprit que j’engloutis, à trois heures et demie du matin, six belles tranches de cake aux fruits – sous le regard étonné de Tom, qui prend une option plus frugale.

En arrivant au bord du lac, nous ne tardons pas à être frappés par la chaleur : nul besoin de sortir quelque coupe-vent en attendant le départ, le mercure est déjà bien haut ce matin. Après quelques derniers réglages, nous gagnons notre sas et nous lançons à l’assaut des montagnes, avec un peu d’appréhension mais surtout beaucoup d’enthousiasme. Tom et moi convenons que nous courrons ensemble jusque Semnoz et qu’une fois là-haut chacun fera comme il peut.

Les premiers kilomètres sont l’occasion de réveiller les jambes, ils ne présentent pas un immense intérêt pour ceux qui, comme nous, connaissent déjà les rives annéciennes du lac. Ils nous permettent de constater que nous aurions parfaitement pu nous passer de frontales ce matin, car il fait déjà presque jour. Après avoir dépassé la piscine des Marquisats, au bout de deux ou trois kilomètres très plats, nous traversons la route et empruntons une petite montée qui nous permet de gagner la forêt beaucoup plus rapidement que je ne l’aurais imaginé. Cette fois, c’est parti ! Nous sortons les bâtons et nous activons le mode « randonneur ». Les premières côtes sont suffisamment larges pour que chacun monte à son rythme, mais les singles ne tardent pas à arriver. Pas de bouchons, toutefois, le trafic est fluide. Conscients que la journée risque d’être longue (pour ne pas dire interminable), nous veillons à ne pas trop monter dans les tours, à ne jamais être à court de souffle. Si, auparavant, je peinais à suivre Tom dans les longues montées de ce type, il semblerait que j’aie bien progressé dans cet exercice depuis quelques mois et constate à nouveau que je parviens à tenir sans difficulté le rythme qu’il impose. Comme prévu, la montée jusqu’au Semnoz n’est pas vraiment difficile, elle relève de la randonnée familiale (je n’irais cependant pas jusqu’à dire que c’est très roulant comme ce fêlé de François d’Haene). Nous profitons pleinement de la conversation d’un concurrent très bavard – et qui n’est manifestement pas du tout dans le rouge, cela ne fait aucun doute ; comme il n’est pas très discret, nous devons être six ou sept à écouter, bon gré mal gré, son histoire de cocktails aux Houches, d’alcootest et de gendarmes bienveillants à Chamonix (nous ne saurons jamais de quels cocktails il s’agissait). L’ambiance est joyeuse, on sent que majorité des participants s’économise et profite du moment.

Nous sommes exactement dans les temps que Tom avait estimés : nous arrivons au sommet au bout de 3h, après avoir parcouru 18km et gravi environ 1400m de dénivelé positif. Il me faut environ dix minutes pour remplir mes flasques, me forçant à y remettre de la poudre même si cela ne donne pas du tout envie, boire un verre de Saint-Yorre et une excellente soupe, et manger deux tucs.

Alors que nous entamons la descente vers Touvière, nous pointons à la 863e place, soit le beau milieu du peloton puisque nous étions environ 1500 sur la ligne de départ. Le parcours est loin d’être désagréable, il ne fait pas encore trop chaud et le soleil est encore trop bas pour nous atteindre directement, d’autant plus que le parcours est encore très arboré. Je prendrais beaucoup de plaisir si seulement, comme toujours, je n’étais pas gêné dans les phases descendantes par des douleurs aux orteils, notamment au gros orteil droit – dont l'ongle avait fini par tomber à l’issue de la Marathon Race il y a tout juste un an. Je fais contre mauvaise fortune bon cœur en me disant que c’est une bonne raison de ne pas trop m’emballer, convaincu que mes cuisses m’en seront reconnaissantes à moyen ou long terme. Malgré notre prudence, nous gagnons une quarantaine de places au classement général en un peu moins de cinq kilomètres. Il est difficile de s’en rendre compte, car depuis quelques kilomètres les sentiers sont bien plus bondés : nous avons été rejoints par les coureurs de la XL Race, qui font le même parcours que nous mais en deux jours (comme le papa de Tom), ainsi que par les relayeurs (en équipe de deux ou de quatre). Nous échangeons quelques mots avec les plus joviaux d’entre eux, ils nous conseillent gentiment de ne pas nous laisser entraîner par le rythme plus soutenu de ceux qui parcourront une distance moindre. Tom les taquine en leur disant que s’il faisait la course en deux jours comme eux, il serait en train de sprinter, ce à quoi ils répondent en riant « mais c’est ce qu’on fait ! ». Blagues de trail.

Une fois à Touvière, nous constatons avec une joie certaine que nous avons déjà fait plus du quart du parcours, en 3h45. L’heure n’est cependant pas à la fanfaronnade, car nous entamons ce qui sera indéniablement l’une des montées les plus difficiles de la journée – ou en tout cas la première vraie difficulté du parcours : la montée jusqu’au col de la Cochette. Dix kilomètres environ séparent Touvière du col, avec 785m de dénivelé positif à gravir. La montée est raide, nous avançons souvent droit dans la pente. J’évite autant que possible de réfléchir, je me contente de marcher dans les pas de Tom (et, accessoirement, de marcher sur ses bâtons, ce qui a dû se produire une cinquantaine de fois – heureusement qu’il est patient !). Si je n’ai pas l’impression d’avancer vite, je sens cependant que nous sommes réguliers et raisonnables : nous ne faisons pas de pauses superflues et nous abstenons de courir dans les faux plats montants pour ne pas perdre d’énergie inutilement. Ce que je constate aussi, c’est que contrairement à d’habitude je ne me fais pratiquement pas doubler en montée alors que je perds généralement un nombre de places incalculables dans ces phases. Une fois de plus, ce n’est qu’une fois à Doussard que j’apprendrai par Tom que nous avons encore gagné cinquante places au classement général entre Touvière et le col, ce qui était inespéré !

Si arriver au sommet était difficile, en descendre l’est tout autant : non seulement cela descend beaucoup en peu de distance (600 mètres en trois kilomètres), mais en plus le terrain est très technique. Entre les racines, les pierres et la poussière, il y a de quoi se prendre de belles gamelles – et je dois d’ailleurs rendre hommage à mes bâtons qui, à plusieurs reprises, m’ont permis de me rattraper in extremis. En 2016, Clément s’était fait mal au genou dans cette descente, ce qui lui avait quelque peu gâché la journée ; c’est donc logiquement qu’il nous avait invités à être très sages dans cette portion où il y a certainement bien plus à perdre qu’à gagner. Une fois de plus, je n’ai aucun mal à suivre son conseil, parce que mes pieds me font trop souffrir pour que je prenne le moindre risque. Je m’appuie autant que possible sur mes bâtons pour soulager mes membres inférieurs et, au bout d’une demi-heure, cette interminable descente s’arrête. Tom et moi avons encore gagné 17 places, nous sommes désormais 754è. Une heure plus tard, après une section plus paisible où nous alternons les petites bosses pendant 8 km, nous sortons enfin des bois et arrivons à Doussard, point stratégique à plus d’un titre puisque c’est le point qui marque la mi-course et que c’est là que nous attendent patiemment nos proches. Tom et moi, comme la plupart des coureurs sans doute, redoutions les quelques kilomètres entre la sortie des bois et le gymnase : bien que cette portion ne fasse que deux ou trois kilomètres, elle est à découvert et il est déjà midi. Tom déteste le plat, il a du mal à se motiver pour finir en courant. Je l’attends et, lorsque j’aperçois nos amis Clément et Philou, je décide de filer – cela me fera toujours quelques minutes de récupération en plus avant de repartir de plus belle avec Tom.

Je m’assois à l’ombre d’une haie, heureux de retrouver Mathilde et Maya, Marie, mes parents ainsi que mon oncle et ma tante. Une sacrée équipe ! Je suis serein, je me sens bien, aucune envie d’abandonner – même si je ne serais pas contre l’idée de passer l’après-midi dans le lac plutôt qu’en montagne… Je tâche de bien m’hydrater, je remets une bonne dose de crème solaire et de nok, je pose des pansements sur mon orteil douloureux pour limiter la gêne dans les descentes et je suis prêt à repartir. Le plus difficile, c’est de manger : avec cette chaleur, j’ai du mal à me forcer et rien ne me fait vraiment envie. Mathilde m’ayant gentiment préparé un sandwich, je décide de partir avec et de le manger plus tard. Je passe rapidement au ravitaillement où j’avale péniblement un minuscule morceau de quiche, un bout de jambon non moins petit et deux abricots secs. Un dernier baiser à la famille et nous voilà repartis ! Certes, nous avons perdu une cinquantaine de places depuis le précédent point de passage (nous ne sommes plus que 809e) ; mais cette petite pause d’environ dix minutes nous a remonté à bloc et c’est avec l’envie de les rendre tous fiers que nous entamons la deuxième moitié du parcours.

Il ne fait aucun doute qu’elle sera plus difficile que la première – à la fois parce que nous n’avons pas d’expérience au-delà de dix heures de course (et que nous en sommes déjà à 7h30 environ), parce que le parcours est plus exigeant dans l’ensemble et parce que les heures les plus chaudes sont encore devant nous (avec de nombreuses portions sans ombre). Mais elle est aussi plus belle, offrant des vues spectaculaires sur le lac d’Annecy, notamment du sommet du Mont Baron et du Mont Veyrier. Pour le moment, il s’agit d’atteindre le col de la Forclaz, connu pour son aire de décollage pour parapentistes. C’est probablement la portion du parcours que je connais le mieux, l’ayant déjà faite deux fois (c’est dire si je connais mal le reste) : une longue succession de lacets dans la forêt, environ 700 mètres de dénivelé engloutis en cinq kilomètres à peu près. Je repars assez rapidement pour ne pas passer trop de temps au soleil et vite atteindre la forêt. Dès que l’ascension commence, je suis pris d’une espèce de bouffée de chaleur, comme si je payais d’un coup le peu de fraîcheur que j’avais réussi à récupérer à Doussard. Je pense tout de suite au conseil de Clément – un conseil d’une simplicité extrême mais qui m’a été d’une aide précieuse pendant toute la course : trouve ton rythme ! Je m’attache à mettre un pied devant l’autre, à ne jamais m’essouffler, à boire une petite gorgée de temps en temps, à ne pas me laisser perturber par les relayeurs qui, étant partis de Doussard, sont encore frais et montent bien plus rapidement que moi. Je ne vois plus Tom ; je l’ai perdu de vue quelques minutes seulement après la sortie du ravitaillement et ne l’ai pas attendu, à la fois parce que j’étais convaincu qu’il finirait par me rattraper dans la montée et parce que nous nous étions mis d’accord pour faire chacun à notre rythme après Doussard. J’apprendrai quelques heures plus tard que, comme de nombreux participants, il a subi un gros coup de chaud et a dû jeter l’éponge une fois arrivé au col de la Forclaz, étant pris de vomissements et de vertiges.

Clément m’avait expliqué ce que tout coureur d’ultra sait pertinemment : pour le commun des mortels, les courses aussi longues sont toujours faites de hauts et de bas. Là, je sens bien que ce n’est pas l’euphorie, je n’ai pas beaucoup d’énergie et ai l’impression de me traîner. À chaque lacet je me dis que c’est le dernier, le col ne doit plus être bien loin, mais je me trompe au moins cinq ou six fois. Finalement j’entends les premiers encouragements et peux enfin souffler, cette première montée est finie. À la sortie du bois, l’ambiance est folle et fait un bien immense : il doit y avoir une cinquantaine de personnes qui agitent leur cloche, qui m’encouragent et crient mon prénom (qui est indiqué sur mon dossard, je ne suis pas une célébrité locale). Je profite d’avoir franchi cette seconde difficulté majeure (et d’avoir atteint les 50km de course) pour faire une petite pause. Je me force à prendre une bouchée du sandwich, mais j’ai vraiment du mal (alors qu’il est très bon). Un peu de crème de marron pour le sucre, une gorgée d’eau ou deux pour faire glisser le tout, je m’arrose un bon coup la tête pour finir (il y a bientôt un point d’eau) et on y retourne.

La suite est un peu moins difficile, mais guère : il s’agit désormais d’atteindre le chalet de l’aulp, situé à 1425m d’altitude, soit 350m plus haut. Nous changeons totalement de décor : plus de bois (plus d’ombre, donc), je suis désormais au beau milieu des alpages. Le paysage est magnifique et je m’efforce d’en profiter un peu, d’autant plus que je l’avais vu sous la pluie et le brouillard l’année précédente. Je continue mon petit bonhomme de chemin, doucement mais sûrement. Je ne pense pas à grand-chose, sinon à boire ; les seules pensées qui traversent mon esprit concernent Mathilde et Maya, je me dis qu’il y a plein d’endroits somptueux sur ce parcours que j’aimerais beaucoup leur montrer un jour. Emboîtant le pas d’un concurrent aussi lent que moi, je repense à la course-poursuite en déambulateur dans le deuxième volet d’OSS 117, ce qui m’amuse quelques instants (c’est toujours cela de pris). J’arrive au pas de l’aulp à 16h21, cela fait déjà quatre heures que j’ai quitté le gymnase de Doussard et je n’ai finalement parcouru que 14km (pour 1200m de dénivelé) ! Heureusement que j’évite autant que possible de consulter mon GPS, parce que dire que les kilomètres défilent lentement serait un euphémisme. Pour autant, je continue à progresser au classement. De manière spectaculaire, d’ailleurs, puisque je suis désormais 576e, ce qui fait plus de 200 places de gagnées depuis Doussard ! Il y a fort à parier qu’un nombre conséquent de coureurs n’a pas eu la force de repartir après le ravitaillement. Sur le plan moral, je vais bien mieux que pendant la première ascension ; mon organisme et mes jambes ont probablement retrouvé leur rythme de croisière après la pause. À ma grande surprise, je ne ressens pas vraiment de lassitude, sans doute parce que je constate que si je me contente d’avancer tranquillement sans penser aux heures qui défilent, je parviens à surmonter les obstacles sans souffrance.

Arrivé au sommet, il s’agit de commencer à redescendre progressivement vers la commune de Menthon Saint-Bernard, sur la rive droite du lac. Troisième et dernier ravitaillement solide du parcours situé à quinze kilomètres de l’arrivée, c’est un autre point très stratégique : on a tendance à dire que si on arrive à rejoindre Menthon dans un état correct, alors la partie est presque gagnée, on doit normalement voir la lignée d’arrivée. Mais la descente est loin d’être une partie de plaisir car, si elle commence merveilleusement avec la traversée d’un beau nevé au-dessus duquel se promènent trois bouquetins, à une vingtaine de mètres du sentier, elle se poursuit par une descente très caillouteuse de six kilomètres. Or, mes pieds n’en peuvent tout simplement plus, au point que je suis contraint de marcher. Ils ont dû gonfler avec l’effort, parce que j’ai l’impression qu’ils sont complètement comprimés. Heureusement, j’ai encore assez de lucidité pour desserrer mes chaussures et les tremper dans un ruisseau. Cela me soulage un peu, je repars doucement en serrant les dents. Au bout d’environ 45 minutes, les cailloux commencent à disparaître et cèdent la place au goudron : nous arrivons au hameau de Villard Dessus, où m’attend une rampe à eau dont je suis vraiment ravi de faire la connaissance. Plus que jamais, il est difficile de verser cette maudite poudre dans les flasques, son goût sucré ne me donne vraiment pas envie vu la chaleur – tout comme la crème de marron et les abricots secs que j’ai emportés avec moi, du reste. Mais je sais que j’ai besoin de carburant et, vu que je me nourris très peu, autant ne prendre aucun risque.

Après Villard Dessus, il y a trois petites bosses à franchir. Elles sont assez différentes de ce que je viens de franchir, plus roulantes et moins minérales. Rien de tel pour se refaire une santé et laisser à ses jambes le temps de récupérer des efforts fournis dans les heures qui ont précédé. Je découvre progressivement ce qui constitue probablement une des joies de l’ultra : lorsque l’on côtoie un concurrent, on prend le temps d’échanger quelques mots. Je fais ainsi la connaissance d’une jeune relayeuse qui en a marre de subir les descentes, d’un Parisien qui s’inquiète des barrières horaires et qui « ne va finalement pas faire la Spartan Race la semaine prochaine », ou encore d’un coureur Breton qui souffre de l’altitude. Ces échanges font passer le temps, de telle sorte que l’heure qui s’écoule entre Villard Dessus et Menthon Saint Bernard passe très vite. Une dernière longue descente, et j’entends les spectateurs crier au loin. Je fournis donc un dernier effort en tâchant de me mettre à l’ombre des haies, impatient de retrouver les miens. Un voisin et son fils ont eu l’aimable et généreuse idée de sortir le tuyau d’arrosage, quel pied ! J’entends qu’on crie mon nom, ils sont tous là, à l’entrée du ravitaillement. Tom aussi, c’est là que j’apprends ce qui lui est arrivé. Je suis triste pour lui mais content qu’il soit en bonne santé. Une bénévole me précise que je suis encore en zone de non-assistance, je file donc remplir mes flasques. Mes amis trouvent un endroit à l’ombre où je peux me poser un peu, je puise un peu d’énergie dans leurs encouragements, dans leurs petites attentions, dans les sourires et les coucous de mon bébé. Je n’arrive toujours pas à manger, alors je prends la décision de partir avec un peu de réserves – des abricots et de la viande des grisons – et d’essayer de manger en chemin. Je n’ai finalement pas besoin de grand-chose car, à ma grande surprise, tout va plutôt bien : les jambes ne tirent pas beaucoup, l’idée de passer encore quelques heures en montagne ne me fait pas peur, et je suis déterminé à finir – ne serait-ce que pour faire honneur à Tom, mon partenaire d’entraînement.

Dès l’arrivée au château, je commence à faire route commune avec deux sympathiques coureurs, avec qui nous discutons de choses futiles – comme des tee-shirts généralement peu élégants que les organisateurs offrent aux finishers. Au détour d’un virage, je suis surpris de retrouver toute la bande ; Tom, qui connaît bien le parcours, savait qu’il pourrait facilement me surprendre une dernière fois avant de me revoir à Annecy. Nous entamons alors une longue montée, très raide, dans les bois. Pour y avoir terriblement souffert l’année dernière, avec 42km de moins dans les jambes, je sais très bien à quoi m’attendre. Je relance le pilotage automatique et, sans vraiment fournir d’effort, je distance mes deux partenaires de fortune. Près de trois heures après avoir quitté Menthon, presque dix kilomètres plus loin et 800 mètres plus haut, nous sortons des bois et arrivons sur les crêtes. Le ciel se découvre au-dessus de nos têtes et le lac apparaît, sublime dans la lumière du soir (il est presque 21h lorsque j’atteins le sommet du Mont Baron). La montée est de plus en plus technique et difficile avec la fatigue : il y a des cordes, il faut poser les mains, lever les genoux et chercher ses appuis. La vue est si belle, je ne résiste pas à la tentation de m’assoir un instant pour mieux l’apprécier en buvant un peu. Je ne suis pas inquiet, je sais que je ne risque pas d’avoir du mal à repartir, alors autant profiter. Il faut encore donner un « dernier coup de collier » avant de redescendre », comme me l’explique un des bénévoles. Je dois avouer que je ne m’attendais pas à ce que le dernier effort à fournir soit aussi intense ! Encore des crêtes et des cordes, des racines partout… jusqu’à ce que nous arrivions au sommet du Mont Veyrier, où un groupe de bénévoles font cuire des saucisses au barbecue. Quel parfum…

Ayant appris de source solide que je suis au bout de la montée et qu’à partir de maintenant, il n’y a plus que de la descente, je m’assois sur un rocher et me force à manger deux abricots. Il fait presque nuit, j’ai un peu la flemme de sortir ma frontale mais ce sera probablement nécessaire. Comme l’immense majorité des descentes, on est très loin de la récupération : racines et rochers rendent les choses compliquées et, sans grande surprise, je prends ma première gamelle de la journée. Peu de peur et encore moins de mal, juste une écorchure au coude ; mais c’est un bon rappel à l’ordre, il s’agit d’être attentif jusqu’au bout. Je finis par m’arrêter pour sortir ma lampe et c’est reparti, plein phare ! J’avance plus ou moins vite selon la nature du sol, mes pieds n’en pouvaient plus des pierres tranchantes. Je continue d’avancer à bon rythme, sans trop de difficulté et avec le cœur plutôt léger – contrairement à certains qui en ont manifestement ras la casquette. La descente vers Annecy est, comme la montée au col de la Forclaz, une interminable succession de lacets. Sachant qu’il faut perdre presque 800m de dénivelé, cela fait un long zigzag et il ne faut pas perdre patience. Une ouverture inattendue dans les arbres me permet d’admirer la vue sur Annecy, le lac et les lumières. Qu’est-ce que c’est beau ! Une heure après avoir quitté le Mont-Baron, je rejoins une descente en pierres dont je me souviens parfaitement : elle mène, en quelques minutes, aux rives du lac d’Annecy. Et le voilà qui apparaît, à mon immense joie ! Il est 21h56, il ne me reste plus que 1300m à parcourir le long de l’eau, sur les pontons, parmi ceux qui se promènent ou pique-niquent. Contrairement à l’année dernière, où ces derniers mètres avaient été très pénibles et où j’aurais eu beaucoup de mal à courir si seulement Tom n’avait pas été à mes côtés, j’ai encore beaucoup de jus, je suis même euphorique. Le public me félicite et m’applaudit, je mets un point d’honneur à remercier chaque personne. J’aperçois enfin ma famille et mes amis, leur joie me touche profondément. J’ai hâte de les retrouver ! À mesure que la ligne d’arrivée approche, je me sens pousser des ailes et accélère. C’est finalement au sprint que je prends le dernier virage et que, dans un dernier élan, je passe sous l’arche d’arrivée, comme un fou furieux ! Après un sympathique échange avec le speaker, qui m’apprend que je finis dans le premier tiers (ce qui m’emplit un peu plus de fierté), je retrouve Tom, qui est heureux pour moi et est aux petits soins. Je vais chercher mon petit lot, je bois un Coca et retrouve toute la famille. Je suis très surpris de voir que Maya est encore bien éveillée dans sa poussette, alors qu’il est plus de 22h – comme si elle m’attendait ! J’ai mal aux jambes, je suis fatigué, un peu groggy, mais tout va bien. Je rêve surtout d’enlever mes chaussures et de prendre une douche ! Il me faudra attendre le lendemain pour retrouver l’appétit. Chose étrange, d’ailleurs, les premières bouchées de mon pain au chocolat provoquent un picotement très désagréable, comme si j’avais plein de micro-aphtes. Bizarre… mais la sensation disparaît en buvant un peu, je devais simplement être totalement déshydraté. Une bonne pizza, une glace, un bain de pieds dans le lac et c’est tout bon !

Je ne sais pas vraiment quelle conclusion tirer de cette première expérience de l’ultra, si ce n’est que j’ai passé un moment excellent et que j’aurais probablement pu faire encore pas mal de kilomètres s’il l’avait fallu. L’alimentation et l’hydratation étaient un peu difficiles compte tenu de la chaleur, il s’agirait sans doute d’être plus rigoureux. Le fait de ne pas se mettre dans le rouge, comme c’est le cas pour les courses plus courtes, est vraiment agréable, c’est sans doute ce qui explique que je n’aie jamais eu envie d’abandonner alors que l’idée me traverse souvent l’esprit en temps normal.

Maintenant, j’ai des points. Cela signifie-t-il que je tenterai ma chance au tirage au sort de la CCC l’année prochaine ? Qui sait… La route est encore longue et il reste beaucoup de choses à apprendre !

Je ne peux évidemment pas clore ce récit interminable sans un mot de remerciements envers les bénévoles, pour leur bienveillance et leur précision, envers l’organisation et le balisage sans faille, et surtout envers mes amis et mes proches pour leur soutien : mes deux chéries Mathilde et Maya, Tom et Marie, mes parents, mon oncle et ma tante, Clément et Philou, sans oublier Serge, valeureux finisher de la XL Race !

8 commentaires

Commentaire de Trixou posté le 29-05-2017 à 16:47:56

Bravo Guillaume pour cette belle course !

Commentaire de Khioube posté le 29-05-2017 à 17:03:54

Merci Gilles !

Commentaire de ringo73 posté le 29-05-2017 à 18:00:08

Récit très sympa et belle course! Félicitation! Il fallait être très fort moralement samedi vu les conditions e la difficulté de la seconde partie du parcours (enfin c'est ce que j'ai ressenti).
Bonne récup!

Commentaire de Khioube posté le 29-05-2017 à 19:02:29

Merci, c'est bien aimable ! Effectivement, il était très tentant de lâcher le morceau et d'aller au Glacier des Alpes se prendre une coupe dix boules... :D
Félicitations pour ta course et ton temps canon, c'est très fort !

Commentaire de Shoto posté le 29-05-2017 à 18:16:20

Très beau récit. Ça fait envie ! Bravo pour la course très bien gérée malgré la chaleur. Et merci pour ton CR.

Commentaire de Khioube posté le 29-05-2017 à 19:03:16

Merci ! Si mon récit a pu servir à te donner envie, alors je suis ravi. On ne peut pas me reprocher de ne pas avoir fait détaillé... :)

Commentaire de bobsup posté le 30-05-2017 à 13:23:22

Merci pour ton récit, bravo et bon repos !!!

Commentaire de Khioube posté le 30-05-2017 à 13:29:27

Merci, c'est bien aimable !

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