L'auteur : Kevinkikour
La course : Saintélyon
Date : 3/12/2016
Lieu : St étienne (Loire)
Affichage : 3583 vues
Distance : 72km
Objectif : Pas d'objectif
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La vie c’est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit. C’est pas moi qui l’ai dit, c’est Céline, même que c’est Louis-Ferdinand Destouches qu’il s’appelait en vrai. Ben la Saintélyon, c’est un peu ça, des bouts de lumière qui voyagent dans la nuit. Sauf qu’y en a plein qui ne finissent pas dans la nuit. Et d’autres encore qui n’en voient jamais le bout.
Ça a débuté comme ça. J’émerge d’une petite sieste. Autour de moi, des gens partout avec des tenues bizarres. C’est quoi ce délire ? Y avait quasiment personne avant que je m’assoupisse. Ça me rappelle une scène des Douze Travaux d’Astérix où les deux gaulois s’endorment dans un endroit paumé et se réveillent au milieu d’une armée de fantômes. L’endroit paumé, c’est le Parc Expo de Saint-Etienne. La comparaison s’arrête là.
Qu’est-ce que je fous là ? Bonne question. C’est que je me suis inscrit à cette course nocturne de 72km entre Saint-Etienne et Lyon qu’on appelle affectueusement la Saintélyon. Mi-route mi-sentiers, le parcours emprunte le tracé du GR7 à travers les Monts du Lyonnais. Entre Saint-Etienne l’ouvrière et Lyon la bourgeoise, entre les Verts et les Gones, le courant n’est jamais vraiment passé ; la Saintélyon tente à sa manière de tisser un lien entre les deux sœurs ennemies.
Mais qui a eu cette idée à la con d’organiser le départ à minuit en plein mois de décembre ?
Retour en arrière : En 1951, des cyclotouristes lyonnais et stéphanois organisent une randonnée pédestre en deux jours entre Saint-Etienne et Lyon pour se maintenir en forme pendant la saison hivernale. Le raid se fait alors en partie de nuit pour couvrir le maximum de distance. Faut s’imaginer le matériel de baroudeurs et les gueules burinées d’après-guerre.
D’année en année, le succès est au rendez-vous, la balade se mue en compétition de marcheurs, la marche se transforme en course, le nombre de participants ne cesse d’augmenter et la durée de course fond comme neige au soleil. Au 19ème siècle, la diligence reliait les deux villes en 7h30. Aujourd’hui, les premiers coureurs mettent à peu près 5h pour parcourir la même distance. On achève bien les chevaux.
Pourquoi je me suis inscrit ? J’ai accepté par erreur leur invitation, j’ai dû m’gourer dans l’heure, j’ai dû m’planter dans la saison… Enfin, ça, c’est ce qu’on se chante pour masquer notre folie.
Bref, c’est plus le moment de se poser des questions existentielles, c’est déjà l’heure de rejoindre le départ. Cette année, il est étalé par vagues, état d’urgence oblige. Après Saint-Etienne-du-Rouvray, faudrait pas qu’on s’en prenne à l’autre Saint-Etienne. 7 000 participants annoncés, ça en fait du monde ! Je me pointe vers 23h pour tenter de prendre la bonne vague. Peine perdue. C’est pas le coureur qui prend la vague, c’est la vague qui prend le coureur. Moi la vague elle m’a pris je m’souviens à minuit.
Les premiers kilomètres sur bitume s’enchaînent assez vite mais dès qu’on rejoint les sentiers, des plaques de brouillard givrant accentuent les premiers ralentissements. La suite, c’est un méli-mélo de montées, de descentes, de chemins de terre, de racines, de cailloux, de goudron, de givre et de boue… La seule constante, finalement, c’est le monde qu’il y a sur le tracé, coureurs et spectateurs inclus. On va dire que ça participe à la magie de la course, c’est juste un peu pénible quand on ne peut pas avancer à son rythme ou quand on doit patienter dix minutes que tout le monde franchisse un passage difficile. Dans les longues côtes, par contre, ça vaut le coup de se retourner pour admirer le serpentement des lucioles.
Quand on court, il ne fait pas si froid que ça ; c’est s’arrêter qu’il ne faut pas. J’avoue m’y perdre un peu avec les ravitaillements successifs, je me rappelle juste du thé chaud qu’ils servaient à chaque fois. Au bout d’un moment, il n’y avait plus que ça qui passait. Saint-Christo, Sainte-Catherine, Saint-André-la-Côte, Saint-Genou, les saints défilent sans que je ne m’en rende compte, à croire que j’aie piqué un somme en trottinant. La Saintélyon, c’est vraiment une course à dormir debout.
Cahin-caha, on y arrive quand même, au bout de la nuit. Le lever de soleil sur la banlieue de Lyon, ça vaut pas celui sur l’Atlas mais ça réchauffe bien la température. Hélas, qu’on fasse 10, 40 ou 70 bornes, ce sont souvent les derniers kilomètres les plus longs. Tout est dans la tête, cette fichue caboche qui se nourrit d’espoirs et se meurt des désillusions qui s’en suivent. Annoncez-lui l’arrivée à 10km, c’est comme si vous lui donniez des ailes. Montrez-lui le panneau des 10km quelques kilomètres plus tard, c’est comme si vous les lui coupiez.
Jusque-là, j’avais de bonnes sensations. À partir du 65ème kilomètre, le bitume commence à me taper sur le système. Je comprends mieux pourquoi je préfère le trail. Pour ne rien arranger, ils ont placé une méchante montée sèche le long d’un aqueduc. Un comble. Ça me fait pas rire. Ça m’achève. J’ai plus rien dans le ventre. Je me traîne quand même jusqu’à l’arrivée, par respect pour les anciens qui l’ont fait en 51. Nan j’déconne, fallait bien rentrer quoi !
Pour saintétiser, trop de monde, trop de bitume mais une escapade nocturne inoubliable malgré tout.
4 commentaires
Commentaire de Albacor38 posté le 17-12-2016 à 14:04:17
Très beau récit. Un bonheur de te lire. Je découvre par la même l'historique de cette course... Et sinon moins de 10 heures quand même ! C'est bien.
Commentaire de coco38 posté le 17-12-2016 à 16:43:21
Une belle Sainthèse... qui donne l'essentiel des ingrédients de cette course. Bravo pour ton chrono et ce résumé bien plaisant.
Commentaire de bipbip73 posté le 17-12-2016 à 18:15:38
bravo. c'est vrai qu'il faut avoir un grain pour courir la nuit...et c'est vrai que les 10 derniers km sont interminable.
Commentaire de Arclusaz posté le 17-12-2016 à 20:37:26
belle plume !!! et belle foulée forcément pour ce joli temps.
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