L'auteur : truklimb
La course : 80 km du Mont-Blanc
Date : 24/6/2016
Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)
Affichage : 4644 vues
Distance : 80km
Objectif : Terminer
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Pas facile d'attaquer un récit de course... Ce sera mon premier sur Kikourou, et je ne vais pas révolutionner le style, en adoptant un bon vieux schéma "prépa - course - bilan", qui a le mérite de faciliter la tâche... Aller c'est parti pour un racontage de vie !
J-255 (oh purée, il va être long ce compte-rendu !)
Je reçois le mail de confirmation de l'orga : j'ai été tiré au sort pour les 80 km du Mont Blanc, yeepee !!
De J-254 à J-6 : la prépa
Faut être honnête, la prépa ça n'intéresse pas les foules donc on va pas en faire des caisses, mais pour résumer :
J-1
De retour sur "mes" terres (je vis peut-être en région lyonnaise maintenant, mais je suis avant tout haut-savoyard, ne l'oublions pas !), récupérage de dossard, buvage d'apéro dans Cham' avec un copain, mangeage et couchage aux Houches. La météo s'annonce bonne, le parcours A', même s'il zappe le col de la terrasse, a tout de même fière allure, et je me surprends à être plutôt serein, ce qui est assez inhabituel pour moi une veille de course.
Jour J
Petit déj' à 2h45 à base de crème Aroche, 2 litres de boisson Aroche dans la poche à eau, et des barres Aroche dans le sac, il peut rien m'arriver ! (oui, j'aime beaucoup les recettes Aroche...).
L'objectif du jour : finir. Les savants calculs que seul l'ITRA peut comprendre m'annoncent 18h48, je me fais un roadbook sur 19h, tout en me disant que finir en moins de 20 heures serait déjà pas si mal.
Le roadbook de ouf !
Je n'ai jamais fait de course aussi dure, mon apogée se situant pour l'instant au tour de la Grande Casse l'été dernier, et ses 63 km pour 3900 m+. Au départ, je décide donc de rester sagement en queue de peloton. Après 15 minutes sur le bitume j'ai déjà chaud, et il n'est que 4 heure du matin, ça promet pour la suite. Quelques bouchons sur la montée au Brévent mais rien de bien méchant, et puis ça permet d'en prendre plein les mirettes en observant le lever de soleil sur le Mont Blanc, superbe ! Je passe au premier point de contrôle en 2h55 pour 2h40 prévu, c'est plutôt pas mal, et pourtant je suis dans les dernières positions.
Et c'est parti pour la descente enneigée vers Planpraz ! D'entrée de jeu, on peut voir que la neige n'est pas le terrain de jeu privilégié de certains, tant ils ont l'air crispés et mal assurés. De mon côté, entre le ski en hiver et l'alpi en été, c'est un élément que j'apprécie, et je m'amuse vraiment sur cette partie. D'ailleurs, en seulement 500 mètres de descente, je récupère mon quart d'heure de retard et rejoins le ravitaillement de Planpraz pile-poil dans les temps. Quelques minutes d'arrêt pour remplir mes bidons, me restaurer et m'étirer, et je reprends la route. Je garde en tête les précieux conseils de zorglub74 : surtout ne pas s'emballer dans cette descente, la route est encore longue... Pour la remontée à la Tête aux vents, je garde ma stratégie visant à rester dans les roues sans faire d'effort superflu pour doubler. On est là sur des chemins que je connais presque par cœur, je m'y sens bien et prends un max de plaisir. Au ravito du Buet, je fais mon menu habituel : un verre de Coca, un de St Yorre, un bout de banane, un carreau de chocolat, un Tuc et un bout de fromage. Quelques étirements, une pause toilette car je me sens un peu brassouillé, et j'attaque la montée vers la Loriaz.
Après 6 heures de course, cette grimpette passe encore bien, surtout qu'elle se fait presque intégralement à l'ombre. La descente sur Vallorcine est plutôt roulane. Je rejoins mon pote de la veille qui n'a pas l'air au mieux, discute un peu puis pars devant. On débute alors LA montée qui a dû faire le plus de dégâts : le col du Passet, raide, dans la caillasse et en plein cagnard. Par chance, nous croisons très régulièrement des ruisseaux qui permettent de remplir les bidons (pas de bol pour ceux qui n'ont que la poche à eau d'ailleurs) et de tremper la casquette. Nombreux sont les coureurs qui profitent d'un coin à l'ombre pour faire une pause. Même si je double régulièrement, je sens bien que le rythme n'est pas très élevé et que je perds du temps sur le planning. Après environ 1h30 de cuisson et 10 minutes de pause à Emosson, je repars et passe un coup de fil à Madame :
Elle : "Bein dis donc, t'as pris ton temps au ravito ?!"
Moi : "Ouais ben ça devient dur, il fait vraiment chaud là".
Elle : "Je rigole, je rigole."
Sur le coup ça m'a pas fait rire… Je lui explique qu'il y a pas mal de casse autours de moi, que j'ai plus d'une demi-heure de retard et que ça devrait pas s'arranger avec la chaleur de l'après-midi, que c'est mort pour les 20 heures et que si je passe l'arrivée, ça sera déjà pas mal.
La descente sur le Chatelard est raide et technique, je n'arrive pas à trouver mon rythme, j'ai mal aux genoux… Bref, ça va pas fort. La remontée vers les Jeurs passe mieux car elle est à l'ombre. Ensuite, vers Catogne et le col des Posettes, c'est de nouveau au soleil. J'ai l'impression de me trainer en montée, et même la descente vers le Tour est compliquée. Je me raccroche à l'idée que ma famille m'attend en bas. Sauf que… Au parking du Tour, personne. Dans les rues du Tour, encore personne. Au ravito du Tour, toujours personne. Je prends mes 5 minutes réglementaires, puis repars en marchant. Je rappelle mon épouse, qui me dit qu'ils sont en retard et se garent juste au parking. Tant pis je passe mon tour, pas envie de faire demi-tour pour un retour au Tour, je les verrai aux Bois.
Et là, je commence à réfléchir (quelle idée…). Il me reste environ une heure pour rejoindre les Bois, puis 1200 m+ qui, avec mon allure de randonneur à 300 m/h, vont me prendre 4 heures. Plus une heure de traversée jusqu'à la Blaitière. Plus une heure de descente. Ca fait 7 heures de course, et une arrivée vers une heure du mat' ! Je ne sais pas pourquoi (surement par pur manque d'humilité en fait) mais dans ma tête, je m'étais toujours dit qu'une fois au Tour, la course était finie. Etre au Tour, c'était comme être à Cham', et la montée au Montenvers c'est la petite rando du dimanche. Quelle erreur ! En plus, pour la première fois de la journée, je commence à me faire dépasser, preuve que je n'avance plus. De nouveau, je m'accroche à l'idée de voir bientôt ma famille, ce qui me permet de rester au contact des coureurs devant moi. Cette fois-ci pas de blague, c'est parents, femme, sœur et enfants qui m'attendent aux Bois. Je prends un quart d'heure pour me poser, discuter, faire des photos. Je ne m'en rends pas vraiment compte, mais ça me fait un bien fou et je repars ragaillardi. Preuve que l'esprit est vraiment malléable avec la fatigue, je reprends mes petits calculs. En fait, la gare du Montenvers n'est que 900 mètres au-dessus, pas 1000, et je me dis qu'à ce moment-là, sans trop savoir pourquoi, je peux marcher au moins à 450 m/h. Du coup c'est facile et en deux heures c'est plié. Et puis les 200 m+ pour rejoindre la Blaitière, c'est du faux-plat montant, et dans faux-plat il y a "plat", donc ça devrait pas être bien dur non plus. Du coup, une arrivée triomphale (manque d'humilité qu'on vous dit !) avant minuit devient carrément envisageable ! Et bim, je remets le pacman en route pour gagner le Montenvers puis la Blaitière sans avoir besoin d'allumer la frontale, à 22h02. Et merde, j'ai loupé le bouzin de 22h !
Aller, 1200 mètres à dévaler, ça se fait en moins d'une heure, je ne peux pas louper le bouzin de 23h, Arclusaz ne s'en remettrait pas ! Stoots en mode plein phare, cerveau débranché et c'est parti les kikis, enfin aussi vite que je peux en tout cas après 75 km de course. Je vérifie régulièrement ma montre : 1900 m, punaise ça va être chaud… 1500 m, si ça se trouve c'est jouable. 1200 m, ça va le faire mec, ça va le faire ! 1000 m et retour sur le bitume chamoniard à 22h50, je sais que c'est dans la poche ! Le dernier kilomètre est dur, mais la douleur fait désormais place à la joie d'enfin en finir. J'ai les larmes aux yeux quand je traverse le centre de Chamonix, l'ambiance est géniale avec tous les gens en terrasses (celles des cafés et restau, pas celle du col, pour ceux qui ont vraiment rien suivi) qui applaudissent, c'est juste énorme ! Je retrouve mon père et ma femme à quelques encablures de l'arrivée, pour finalement franchir la ligne en 18h54, fa-bu-leux !!
Bilan
Une journée mémorable dans un cadre de rêve, avec un parcours exigeant et des conditions météo compliquées. Mais que c'était beau !
Je suis hyper satisfait de ma gestion de course et surtout de mon départ trèèès prudent. A mon niveau, ça ne sert à rien de vouloir partir plus vite, si ce n'est pour griller des cartouches qui seront bien plus utiles par la suite. Et puis quelle satisfaction de passer son temps à pacmaniser (978e au Brévent -> 847 -> 811 -> 738 -> 672 -> 519 -> 421 -> 364 -> 347 -> 330 -> 289 -> 277 -> 271 -> 240e au final) ! En plus, en gérant son effort, pas besoin de s'éterniser aux ravitos (entre 5 et 15 minutes à chaque fois).
Merci aux organisateurs pour cette course très bien ficelée du début à la fin, et aux bénévoles, qui étaient vraiment au top.
Et surtout un grand grand merci à toute ma famille, pour leurs encouragements le jour J autant que pour leur aide précieuse avant et après l'événement.
(Et bravo à toi, valeureux kikou, si tu es venu à bout de ce récit ! Désolé, je ne pensais pas faire si long, et puis une fois lancé…)
16 commentaires
Commentaire de tikrimi posté le 27-06-2016 à 14:58:21
ET bien ton récit est tout autant réussi que ta course, bravo!!!
Commentaire de truklimb posté le 27-06-2016 à 15:39:46
Merci tikrimi, tes remarques sur le live m'ont bien fait marrer ! Faut être fou pour zapper les ravitos, c'est la meilleure partie des courses ! ;)
Commentaire de tikrimi posté le 28-06-2016 à 11:18:48
En fait c'était par rapport à mon expérience à 2015, sur la première partie on avait la même allure (j'arrive 10 minutes avant toi au Brévent et au Buet). Entre le Brévent et la Flégère, je mets 5 minutes de moins que toi (certainement le temps de ta pause qu ravito que je n'ai pas faite car la tente était noir de monde et j'avais ce qu'il fallait avec moi), et je gagne 110 places dans le classement sans pourtant doubler grand monde sur le terrain. C'est pour ça que j'étais très étonné que tu aies autant pacmanisé en avançant à la même vitesse que moi une année avant. Le terrain devait être très différent et la neige devait globalement ralentir la progression de beaucoup de traileurs.
Commentaire de Dca posté le 27-06-2016 à 15:11:13
Merci pour ce 1er et réussi CR. J'étais dans la même estimation ITRA que toi, mais beaucoup plus loin du résultat ! Bravo à toi.
Commentaire de truklimb posté le 27-06-2016 à 15:42:00
Ce sont des gens bizarres à l'ITRA, faut pas écouter ce qu'ils disent ! Peu importe le résultat, c'est super d'avoir été au bout, surtout quand tu vois le taux d'abandon cette année...
Commentaire de Knet posté le 27-06-2016 à 17:12:32
Sympa ton récit !!! Je vois qu'on a eu le même sentiment aux Bois, sauf que tu n'as pas eu la même "réponse" que moi ! Bravo pour cette course et cette fin en mode Pacman ! J'adore !
Commentaire de truklimb posté le 27-06-2016 à 17:22:39
Ouaip, terrible ce moment entre le Tour et les Bois où tu réalises que l'arrivée est à la fois si proche et si lointaine... J'ai bien ri en lisant ton récit quand j'ai vu que tu en étais passée par là également.
Commentaire de boby69 posté le 27-06-2016 à 18:19:53
Super 1er récit !!
ton début de prépa ressemble au miens :un hiver sans neige et un printemps avec neige ,mais temps pourri et plus motivé à faire des sorties en raquettes.
Commentaire de truklimb posté le 27-06-2016 à 20:25:47
Pfff c'est clair, c'est pas une saison de ski qui restera dans les annales, sauf pour ceux qui voulaient faire de la pente raide au printemps.
Commentaire de centori posté le 27-06-2016 à 18:32:12
trés sympa ton CR
on a l'impression que cette course s'est passée comme une lettre à la Poste
encore que toi tu es arrivé à l'heure :)
Commentaire de truklimb posté le 27-06-2016 à 20:28:58
Tout de même pas comme une lettre à la poste, y'a eu 3 ou 4 heures compliquées entre Emosson et le Tour. Mais une fois la ligne d'arrivée franchie, tu ne gardes que les bons souvenirs !
Commentaire de centori posté le 27-06-2016 à 19:09:52
bonjour,
J'étais dans la même estimation ITRA que toi <=== c'est quoi ce système d'estimation de temps ITRA
quelqu'un qui sait ce que c'est peut-il m'expliquer en message privé au besoin
merci d'avance
Commentaire de truklimb posté le 27-06-2016 à 20:35:38
C'est pas vraiment un système d'estimation fait par l'ITRA, mais tu peux regarder les résultats des éditions précédentes et en trouvant des coureurs qui ont à peu près la même côté que toi, ça te donne une idée du chrono que tu peux espérer. J'sais pas si mon explication est très claire par contre...
Commentaire de Raphynisher posté le 27-06-2016 à 22:40:16
Bravo pour ta course et surtout la gestion de celle-ci, j'ai suivi ta partie de Pacman en live en me disant "Mais ou s'arrêteras-t-il ?" => A Chamonix bien sur et en moins de 19h !! Chapeau Bas !!
Commentaire de truklimb posté le 28-06-2016 à 00:16:02
Merci beaucoup. En résultat "brut", je suis à des années-lumières des avions kikous, mais c'est clair qu'à mon petit niveau, ça fait plaisir de passer une telle journée ! :)
Commentaire de Bruno Kestemont posté le 12-07-2016 à 16:29:32
Merci pour ce beau récit. J'ai vécu mon premier ultratrail de montagne l'année passée sur ce trajet et cela a été le coup de foudre (en plus, on a eu droit au col de la Terrasse - superbe !). Mais j'ai tellement pris mon temps (comme toi au début) que j'ai fini par me faire rattraper par la barrière horaire (plus que 15 minutes) après 55 Km. Assez pour ne garder que des souvenirs grandioses et avoir envie de recommencer encore et encore chaque année.
(obs: si vous n'êtes pas tiré au sort, comme moi cette année, la course de consolation est le Lavaredo Ultratrail, plus facile et un peu moins beau sur la première partie, mais quand même mémorable).
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