L'auteur : syouin
La course : L'Intégrale de Riquet - 243 km
Date : 8/7/2015
Lieu : Marseillan (Hérault)
Affichage : 1216 vues
Distance : 243km
Objectif : Terminer
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Au travers de ces quelques lignes, je vais vous conter l'histoire de cette aventure, qui perçue comme l'incroyable exploit d'une seule personne, n'est autre que le résultat d'un ensemble de choses mises bout à bout. Telles que l'amitié, la complicité et l'expérience de personnes désireuses de prouver que l'impossible n'est autre qu'un rempart de notre esprit.
« Tout semble impossible à ceux qui n'ont jamais rien essayé » - Jean-louis Etienne
Nous sommes le lundi soir, veille du départ. Je termine de boucler mes sacs. Mon esprit est embué de mille pensées, de centaines de petites choses à ne pas oublier. Kimber (cédric) et Daniel sont là. Nous avons décidé de rejoindre Narbonne dans la soirée pour y passer la nuit chez Stéphane. À eux trois, ils formeront dès demain mon cortège d'anges gardiens pour les premières 24h de course. Ce sont tous de grands sportifs, des montagnards, des coureurs d'ultra. Face à l'effort, ils ne sont que sagesse. Cette notion de dépassement ils la respectent et mieux que personnes ils la connaissent. Ensemble, nous avons partagé des milliers de kilomètres. Certains ont eu l'occasion plusieurs fois déjà de m'assister les fesses vissées sur un Vtt durant plusieurs heures de courses où les kilomètres ne s'accordent qu'à la centaine. En 2009, ils étaient là aussi lorsque je me suis élancé sur cette course, et lorsque je l'ai abandonné tandis qu'en pleine nuit dans les eaux troubles du canal mon courage s'était égaré...
(Pour la petite précision, et pour ceux qui ne le sauraient pas encore, je suis depuis 2009 diabétique Insulinodépendant, avec un traitement par pompe à Insuline. C'est un petit appareil qui est relié à un Cathéter sous-cutané, et qui remplit les fonctions de mon flemmard de Pancréas.)
Il est 22 h, lorsqu'aux portes de la Clape, tous ensemble nous trinquons à cette belle aventure qui demain nous attend. L'ambiance est décontractée et tous remplissent déjà à mon égard leur rôle d'assistance, et d'apaisement. Ils sont le calme avant la tempête. C'est sans scrupule et bien volontiers que j'accepte un verre de vin, quelques morceaux de charcuterie, quelques chips, des olives. Soudain, l'inimaginable s'invite à la fête. Alors que je décide de vérifier ma glycémie et de m'injecter les doses d'insuline nécessaires à ce petit encas, ma pompe ne répond pas... et pour sûr, elle n'est pas connectée, elle n'est pas là... La panique m'envahit. C'est tout simplement impossible. Un coup de téléphone affolé sur Toulouse et le verdict tombe... Elle est restée à la maison, posée là où je l'ai mise tandis que je changeais mon cathéter avant notre départ. Stéphane réagit immédiatement. Sandra aussi à l'autre bout du fil. Ils connaissent les ravages d'un tel stress, et c'est en quelques mots qu'il vont apaiser les miens et se donner rendez-vous à mi-chemin. Nous voilà alors repartis, et revenus une heure et demie plus tard avec l'objet du délit, remis à sa place, à celle que jamais il n'aurait dû quitter en temps normal.
Nous y voilà. Nous ne sommes qu'une poignée de coureur rassemblée à Sète, devant le phare des Onglous, point de départ du canal du midi et de ce périple de plus de 240 km. J'observe ces visages émaciés, entends et identifie des noms. J'ai comme le sentiment de m'être égaré, de ne pas être au bon emplacement; d'être au paradis et d'errer au Panthéon des coureurs les plus emblématiques de notre temps. Certains forcent le respect, sac sur le dos, sans assistant ils se lancent en solo... À leur détriment, dame nature fera son boulot... (et je ne m'étendrai pas plus dans ce récit à ce propos).
Le soleil crache déjà ses hallebardes. Les heures qui nous attendent ne seront que linéarité - platanes, canal, écluses, répétées un peu, beaucoup, mais surtout à la folie. Après quelques clichés, un pipi de la peur et le mot de Christian Reina le départ est donné.
Très rapidement, le peloton s'étire sur ce chemin de halage. Trop rapidement. Le rythme de tête est important à mon goût...
Je rejoins rapidement Cédric qui attaque le premier sur le vélo. Ça fait du bien de le retrouver. Les premiers kilomètres ne seront que réglage et mise en place de stratégie entre nous. Le vélo, équipé de bagages, transporte mon alimentation solide et liquide, quelques affaires de rechange, un tapis de sol et un sac de couchage en cas de besoin. Concernant mon alimentation, c'est toutes les 10 minutes qu'ils vont me faire passer une gourde, et toutes les heures du solide. Sur les différentes boissons, j'abandonnerai, au bout de seulement quelques heures, celle à base de poudre isotonique, trop écœurante et indigeste par une telle chaleur. C'est ainsi que je ferai toute la course en alternant : eau gazeuse - thé vert, gingembre, citron, agave - coca-cola coupé avec de l'eau et bouillon chaud. Concernant le solide, ce sera essentiellement des barres énergétiques maison (graines de chia, de Goji, semoule de blé et sirop d'agave), des croque-monsieur maison, des Bolinos (hachis parmentier), des nouilles chinoises et du taboulé (beaucoup de taboulé).
Concernant mon assistance, ils seront quatre à se relayer sur le vélo. Daniel, quant à lui fera quelques heures en ma compagnie, mais de retour d'une traversée des Pyrénées à vélo il cédera rapidement sa place pour remplir à merveille son rôle d'assistance en voiture. C'est ainsi que nous le retrouverons jour et nuit, à différentes écluses, pour nous offrir ainsi une aire de repos, de massage et de sérénité l'espace de haltes qui ne dépasseront jamais plus de 45 minutes.
Avec Cédric, nous traversons successivement Agde, Vias, et Portiragnes où Stéphane sur un second vélo vient se joindre à nous. Je vide mes gourdes à une vitesse impressionnante, et déverse dans un flot de sueur le stress accumulé au cours de ces dernières heures. Fidèle à mes prévisions, je progresse à un rythme de 9.5km/h. J'alterne de longue phase de course avec de courtes phases de marche. C'est bien, mais... non. À présent une chape de plomb pèse sur nos épaules. La température s'emballe, elle étouffe le moindre de mes mouvements. Elle oppresse ma gorge, ma cage thoracique, et ne laisse filtrer qu'un infime filet d'air chaud qui à chaque inspiration vient brûler mes poumons. Je prends rapidement conscience de l'amenuisement de mes forces à un tel rythme et sous une telle chaleur. Il me faut lever le pied... Rapidement, la décision d'abandonner cette cadence métronome s'impose. Il faut s'adapter. Mon but est d'arriver... de poser le pied à Toulouse dans les délais, et dans le meilleur état possible. Durant toute l'après-midi, ce sera sous la surveillance de Stéphane et la veille hydrique de Cédric que j'avancerai, lentement, mais sûrement. Le rythme sera dicté par les ombrages des platanes encore épargnés; et ce sera en marchant, tel un nomade en plein désert, le dos courbé, que je franchirai les espaces baignés d'incandescence. Durant cette interminable après-midi nous rencontrerons quelques coureurs avec lesquels je vais partager quelques foulées, et moments de discussions agréables. J'en laisserai filer quelques uns, (sur le conseil avisé de Stéphane) bien trop rapide pour moi. Puis, nous dépannerons cette jeune fille, partie seule, avec son sac sur le dos. Prise aux dépourvues devant les aléas d'une organisation de course, nous la ravitaillerons de quelques pâtes de fruits, avant de poursuivre notre chemin.
C'est à Capestang, au 55e Kilomètre, que j'accuserai les premiers coups subis par cette après-midi de canicule. J'octroierai à mon corps et à mon esprit quelques minutes de répit, bien mérité. Je changerai de tenue, de paire de chaussures, et relèverai un peu les jambes avant de me faire masser. Au total ce seront cinq paires de chaussures qui se succéderont tout au long de cette épreuve : Brooks glycerine ASR - Altra Olympus - Hoka Challenger ATR - Nike Vomero et Adidas supernova glide ATR. Avec une mention spéciale pour les « Hoka Challenger ATR ». (Pour ceux qui se poseraient la question, sur cette course où les chemins sont parsemés de nombreuses racines, des chaussures de Trail sont nécessaires. Des chaussures confortables ni trop rigides, ni trop souples, avec un excellent amorti et un minimum d'accroche.)
Sur fond de toile colorée, notre pire ennemi tire lentement sa référence, et c'est en compagnie de Stéphane et Daniel que je poursuis mon bonhomme de chemin. La température s'adoucit en même temps que la tramontane s'invite. Les kilomètres défilent, les écluses aussi - l'embranchement avec le canal de la Robine, puis le Somail où vers 23 h nous profitons d'un moment de douceur en vidant une bière dans un restaurant au bord du canal. Le moral est bon, les jambes obéissent comme de bons soldats. Pas de rébellion à l'horizon. A présent, c'est le village de Ventenac- Minervois qui nous tend les bras. Nous sommes au 85e Kilomètre. C'est ici qu'après un petit massage de mes mollets, Stéphane nous salue, et ce, après plus de douze heures à m'accompagner sous un soleil de plomb à vélo. Il aura rempli son job, et cela, à aucun moment je n'en ai douté.
C'est avec Cédric, la tramontane, et les grenouilles bondissantes que je vais passer le restant de la nuit. Une nuit qui va s'avérer longue, très longue . La fatigue est là, et il m'est de plus en plus difficile de tenir une discussion. Cédric continue à s'occuper de moi. Les bidons se vident et se succèdent. Parfois, je l'entends derrière moi faire des embardées, il s'endort... Nous évoquons alors nos aventures passées, ces autres nuits sans sommeil, celles à venir, nous refaisons le monde tout en avançant, bringuebalant, jusqu'à voir poindre le jour et les flèches du soleil. Celui-là même que nous avons tant détesté la veille. Nous voilà à présent en train de le contempler, et d'offrir en offrande à ses rayons tout juste éveillés, nos visages usés, mais souriants.
C'est le petit matin, et nous arrivons à Marseillette. Nous y retrouvons Daniel pour un moment de repos. Sa bonne humeur va effacer rapidement les tourments de la nuit, malgré les 115 kilomètres déjà accomplis. C'est aussi à cet endroit que Cédric va nous quitter, bien éreinté après plus de vingt heures à me supporter, à me veiller. La tête enfouie au fond d'un sac de couchage, en quête d'un instant d'évasion qui ne viendra pas, je vais entendre l'arrivée de cette grosse voix, tonique, pleine de fraicheur et décidée à braver les prochaines vingt-quatre heures. Celle de Patrick venu pour relayer Cédric. Au-delà du collègue, c'est un ami, un coureur de trail, un montagnard et un amoureux de l'effort à l'état pur, doté d'un humour qui tombe toujours à point nommé.
Nous voilà donc tous deux repartis. En ligne de mire, la base de vie de Trèbes située à mi-course. Il est neuf heures lorsque nous l'atteignons. Et il va nous falloir en repartir avant treize heures afin d'éviter l'élimination... Après un plat de pâte et un échange bref avec quelques coureurs, nous quittons Trèbes, sans trainer. Il est tout juste dix heures. Mis en comparaison aux températures de la veille, le temps est agréable. Nous avançons régulièrement en alternant des phases de marches et de courses plus ou moins longues.
L'ambiance est agréable, les sensations sont bonnes. À cet instant, rien ne laisse présager l'événement à venir. Tous les voyants sont au vert. Des courbatures, des petites tensions par-ci ou par-là, une fatigue, normale, mais rien d'inquiétant...
C'est aux portes de Carcassonne, au 137e kilomètre, que subitement, telle une violente averse, la fatigue va me submerger, et me clouer sur place... Ma vue va se flouter. Mon esprit jusqu'alors sous contrôle va m'échapper, et de fait, mon corps livré à lui-même, va refuser d'avancer. Nous ne sommes qu'à une centaine de mètres de Daniel et du véhicule lorsque je m'affaisse sur un banc au bord du canal. « Je ne peux plus avancer » sera à cet instant la seule phrase que je réussirai à souffler à Patrick. Immédiatement, il va appeler Daniel qui très vite va surgir en courant. Après avoir rapidement repéré un endroit où stationner le véhicule, il va revenir et se poser à deux pas de mon point de chute.
Les quarante-cinq minutes qui suivront ne seront pas de trop pour que je sorte la tête de cet enfer. Ce n'était ni une Hypo, ni l'irrémédiable Burn-out, simplement un gros coup de fatigue. J'ai fermé les yeux quelques instants dans le véhicule, en m'appliquant à vidanger mon esprit, puis je me suis changé; j'ai avalé plusieurs cuillères de Taboulé, 1.5 l d'eau gazeuse, et nous sommes repartis...
Sur le chemin, je me mis à songer à ce qui pouvait être la cause de cette baisse soudaine d'énergie. Je réalise alors que cela fait maintenant plus de vingt-quatre heures que je n'ai pas avalé un café, un vrai. Un truc bien noir, bien serré, qui vous décolle les dents des gencives et vous irrite le palet. J'en rêvais... Je n'avais pas terminé de soulever cette thèse à Patrick que nous étions déjà assis à la table d'une écluse et qu'il me rapportait deux espressos, bien serrés. Ce fut, comme un bain de jouvence. Un renouveau, mon corps tout entier s'en imprégna et en fut ragaillardi.
J'ai par la suite enchainé de longs tronçons de course à un rythme soutenu durant toute l'après-midi. L'ambiance, même si nous ne croisions que très rarement d'autres coureurs, était agréable. La température presque idéale. Et ce, malgré un début d'apparition de pointes douloureuses au niveau des membres inférieurs, que je pris d'ailleurs le parti d'oublier l'espace de quelques instants à l'aide de mon lecteur MP3. À l'approche des points de repos, nous prenions plaisir avec Patrick à deviner Daniel au loin nous attendant patiemment au milieu des volutes de fumée de son cigare. La force tranquille, d'une retraite bien remplie...
Il est vingt heures lorsque nous rejoignons Daniel à l'écluse de Tréboul, au 170e Kilomètre. Dans ces environs, je sais que Jean-Christophe doit nous rejoindre et m'aider à passer le mieux possible cette seconde et dernière nuit avec moi. C'était une volonté et un choix stratégique de ma part. Personne mieux que lui pouvait être en mesure de connaître les maux qui allaient m'envahir durant cette dernière nuit. C'est un très grand coureur d'ultra, doté d'une grande sagesse, et un bon vivant. Tout ce qui fait l'âme des grands coureurs. Je ne sais ce que j'ai le plus partagé avec lui, les verres ou le kilomètre ? Autant l'un que l'autre, je pense...
À son arrivée, la surprise fut complète. Sandra, ma compagne qui ne pouvait me suivre et ne devait normalement pas venir nous retrouver, arrive avec Jean-Christophe. Elle ramène quelques bières, du pain et des grillades, tout ce qu'il faut pour remonter le moral des troupes. Je me nourris de sa présence, de chaque instant. Tel un processus de défense immunitaire, mon corps ne laisse rien filtrer, il absorbe toute cette énergie sans en égarer une miette, sans gaspiller. Cela fait maintenant plus de 30 h que nous sommes en courses et je dois me préparer à affronter encore de longues heures difficiles. Je suis allongé sur le sol, une serviette humide couvre mon visage. Jean-Christophe prend le relais. Il me demande de faire le vide, de le laisser faire. Ses mains de magicien vont chuchoter des poèmes à mes mollets, à mes cuisses et mes pieds usés qui implorent ma pitié. Elles vont étouffer les braises et apaiser mes maux.
Dans mon subconscient, je perçois de la bonne humeur, des rires et cette aura de ferveur qui vient me réchauffer le cœur. Inéluctablement, le jour viens de souffler sur sa bougie, et ils sont encore là, parés à soutenir chacun de mes pas au travers des affres de cette seconde nuit.
C'est avec Patrick et Jean-Christophe que je repars. Ils alterneront chacun course à mes côtés et vélo. L'ambiance est à la bonne humeur, à la plaisanterie, aux souvenirs. On en profite pour critiquer gentiment les absents. Rien de tel qu'une pointe de fausse médisance pour oublier les kilomètres qui défilent sous nos pieds. Telles des âmes en quête de rédemption, nos ombres s'étirent sous les lampadaires esseulés de Castelnaudary. C'est à partir d'ici que l'obscurité va œuvrer. Insidieuse, profitant de l'usure du temps, elle va envahir mon corps et mes pensées. Daniel n'a pas réussi à rejoindre le point programmé avec la voiture. Au lieu de 12 km, ce sera plus de 17 qu'il va me falloir couvrir avant de le rejoindre. Nous sommes plongés dans la nuit noire, loin de toute civilisation. Je suis à la dérive. Jean-Christophe le sait, il le voit. J'entends sa voix, lointaine, « tiens bon, ce n’est pas maintenant que tu dois lâcher ». Plongé dans un no man's land, je subis les écluses qui se succèdent. Sous un voile de lune, elles ne me paraissent être que désolation.
C'est au pied de Daniel que je vais m'écrouler, implorant une trêve, un instant de repos. Sandra nous a attendus avec lui, avant de rentrer, gardant à l'esprit l'image de mon être en décomposition. Sur l'herbe, à l'écart je vais m'isoler de tous. Je suis au plus mal. J'ai besoin de faire le vide, de répéter ces gammes que je me suis imposées durant de longues heures. Il me faut respirer, faire le vide, me focaliser sur l'instant présent, faire abstraction et balayer les idées noires, remettre le compteur à zéro. C'est l'ardoise magique de notre enfance que je visualise alors, celle avec laquelle j'ai entrainé mon esprit. Cette ardoise que l'on gribouille à l'aide d'une mollette et que l'on efface avec une autre. Mon ardoise est tel le Guernica de Picasso...
C'est une grosse demi-heure plus tard que Daniel, Patrick et Jean-Christophe entendront ma voix, faible, mais décider leur dire « on va repartir... » Nous laisserons cette fois Patrick avec Daniel. Il est épuisé. Sur lui aussi le temps a fait son boulot. Il a besoin de dormir un peu. Jean-Christophe va récupérer quelques affaires supplémentaires et c'est au seuil de Naurouze que nous allons leur donner rendez-vous.
L'ardoise est vierge de toutes traces... Comme si en réponse à ces attaques le corps avait redoublé ses efforts de reconstruction, je vais enchainer les kilomètres qui vont suivre sans jamais faillir. Le seuil de Naurouze sera le point psychologique déterminant. Je connais à présent par cœur les cinquante derniers kilomètres qu'il nous reste à couvrir. En l'absence de blessures, c'est revêtu de patience que je vais à présent mettre un pied devant l'autre. Quelques minutes de courses pour plusieurs minutes de marche. Je me poserai de nombreuses fois sur les bancs qui jalonneront le canal. Les jambes relevées, je me satisferai de cette impression de retourner un bol plein de toxines, de braises ardentes, pour le vider.
Plus tard, alors que le jour viendra nous saluer, nous retrouverons Patrick et Daniel comme deux poissons hors de l'eau, la bouche ouverte, épuisés, en train de tronçonner des platanes dans la voiture. Le réveil sera brutal. La fraicheur du matin est là. Patrick, courageusement, va repartir avec nous, enveloppé dans un duvet, comme un romano, le temps pour lui de se réchauffer.
Les hallucinations seront à compter de maintenant de la partie... C'est ainsi qu'à plusieurs reprises je croirai apercevoir un chien sur le bas côté, ou encore un couple entrelacé sur un banc. Puis une vipère, en lieu et place d'un bout de bois. Ils en riront gaiement... Soudain, c'est deux personnes au loin que je devine. Elles courent dans notre direction. Patrick et Jean-Christophe se moquent de moi, encore une fois. Allant jusqu'à me faire croire qu'il s'agit de Christophe et Stef, amis habitant non loin, qui viennent à notre rencontre, à 5 h du matin, avec un thermos de café et des petits pains... Sauf que cette fois, ils ne sont pas en train de se moquer de moi, ce n'est pas une hallucination, ils sont bien là...
Inattendu, ce sera pour tous un magnifique moment, aussi bref qu'il fût. Je ne pourrai jamais les remercier suffisamment. Tout comme plus tôt dans la soirée, la venue inespérée de Sandra, ce sont des instants qui en de pareilles circonstances ont une valeur incommensurable. Merci encore...
La matinée défile. Les écluses, les joggeurs, les promeneurs à vélo se succèdent, et souvent nous saluent d'un geste respectueux de la tête. Nous approchons. Les douleurs comme par magie s'estompent. Je cours de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps. Ramonville, le Bikini, l'université de Rangueil. Plus rien ne semble à présent pouvoir nous arrêter. Les deux derniers kilomètres se présentent devant nous lorsque je reconnais les visages qui arrivent les uns après les autres à notre rencontre. Ce sont mes collègues, mes amis, des coureurs avec lesquels je m'entraine régulièrement. Ils sont venus à ma rencontre, m'accompagner pour franchir cette inespérée ligne d'arrivée.
C'est sous leurs applaudissements que je franchirai au terme de 48 h et 243 km cette ligne... À peine franchie, mon corps tout entier va se relâcher, comme si mon esprit lui en donnait maintenant l'autorisation. L'émotion et les larmes vont m'envahir et je ne ferai rien pour les retenir. À présent je n'ai plus à lutter, à présent j'ai le droit... Daniel me passe mon téléphone, c'est sandra, puis successivement mes compagnons d'aventure, cédric et Stéphane qui viennent me féliciter.
Je ne remercierai jamais suffisamment tous ceux qui ont contribué à pousser mes petits pieds tout au long de ce canal du midi. Mon ami Chinchin n'était pas de la partie, et pour cause, alors que je prenais le départ de cette course, il devenait papa... La petite Maelle aura souvent alimenté mes pensées. Ce sera encore une belle histoire que son Parrain, pourra plus tard lui raconter : « Tu sais Maelle, le jour où tu es née, et bien Parrain, il était encore en train de faire l'idiot en courant avec ses copains, sur 243 km... » Vous êtes tous sensationnels ! Je vous aime !
Aujourd'hui, j'ai encore du mal à réaliser. C'est comme si je ne l'avais pas fait exprès, comme si j'avais glissé sur une peau de banane, et que j'étais retombé sur mes deux pieds; tels ces antihéros pour qui l'histoire se termine toujours par des Lauriers. Alors, afin d'ôter se doute de mon esprit, je ne vois qu'une seule solution...
Sylvain
6 commentaires
Commentaire de Bacchus posté le 24-08-2015 à 02:43:16
Merci pour ce CR détaillé. Bravo pour ta gestion de course.
Au vu de ce que j'ai déjà lu sur cette course tu as fait le bon choix, te faire encadrer par une équipe qui semble formidable. Bravo à toi et bravo à ton équipe
Commentaire de Mamanpat posté le 24-08-2015 à 06:06:08
Le ramage aussi beau que le plumage !
Bravo pour ta course et ce superbe récit !
Commentaire de Potamochere posté le 24-08-2015 à 10:23:16
Bravo, très émouvant !
Comment as tu récupéré depuis ?
Peux tu parler de ta préparation ?
merci !
Commentaire de crocodile posté le 24-08-2015 à 18:55:01
je me suis régalé en lisant ton aventure. Bravo pour cette belle performance.
Commentaire de david a posté le 24-08-2015 à 19:05:50
bien joué !
on a du se croiser au hasard du parcours ...
Commentaire de Jean-Phi posté le 27-08-2015 à 12:19:40
Superbe ! Bravo !
On a dû courir ensemble un moment je pense mais toi tu as été au bout.
Félicitations.
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