Récit de la course : Marathon Seine-Eure 2014, par dg2

L'auteur : dg2

La course : Marathon Seine-Eure

Date : 19/10/2014

Lieu : Val De Reuil (Eure)

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Distance : 42.195km

Matos : Chaussures neuves achetées par correspondance et reçues 10 jours avant.

Objectif : Battre un record

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Anniversaire

Il y a un an moins un jour, je rentrais sur la pointe des pieds dans le monde du marathon. Un temps plus que quelconque (4h26), mais la satisfaction de l'avoir fait, et l'envie de faire mieux, l'année prochaine au même endroit. En mars dernier, après un ÉcoTrail honorable (au vu de mon niveau), je me lance le défi de faire moins de quatre heures sur marathon. A priori, c'est simple : 4h, c'est toujours au-delà de la médiane des coureurs, et sur l'ÉcoTrail, j'ai fini dans le premier tiers. Donc la chose, sans être aisée, est a priori à portée. Ou pas. Après une trentaines de kilomètres sous contrôle lors du marathon de Sénart, la lente et inexorable usure me fera perdre les deux minutes d'avance sur le meneur d'allure des 4 heures, que je verrai impuissant me rattraper au 36e km puis me déposer un kilomètre plus loin. Il me manquera 200 petites secondes pour remplir mon objectif. 

 

Même si au final j'améliore mon record de 16 minutes (ce qui ne se reproduira sans doute jamais !), le moral en prend un coup, et un plus dur que je n'imaginais. La reprise courant mai est difficile, d'autant plus qu'un sale virus vient s'en mêler. Et surtout subsiste cette impression diffuse que je ne progresse plus. Et sans progression, l'envie de faire 40 ou 50 km par semaine s'émousse vite. L'été est assez catastrophique, au point de me voir contraint d'annuler ma participation à la 6000D tant j'estime que la barre est trop haute pour moi.

 

La rentrée me semble être un des dernières chances de me remettre à courir un peu sérieusement, d'autant que je me suis inscrit dès l'ouverture à la SaintéLyon. Et au vu de mes performances de l'été, difficile d'imaginer que ce soit autre chose qu'un long chemin de croix.

 

Et puis, début octobre, un vague déclic se produit dans mon esprit. Mes uniques chaussures, typées trail, ont été achetés fin octobre 2013, et à raison de 150 km cahin-caha par mois, elle doivent afficher dans les 1500 km au compteur. C'est peut-être ça, la raison de ma fatigue. Un peu plus attentif lors de ma sortie suivante en forêt, je remarque en effet que même des petits cailloux font mal à travers la semelle. Mon problème, c'était peut-être les chaussures, finalement, trop vieilles, trop usées pour continuer à courir avec. Sans autre preuve que cette vague conviction naissante, je me dis que la source de mes soucis depuis mai dernier est là, et que je n'ai qu'à changer de chaussures pour que tout aille au mieux dans le meilleur des mondes.

 

Le programme est donc simple : acheter des chaussures neuves, trivialiser un marathon cet automne, et arriver fin prêt pour la SaintéLyon dans deux mois. Ledit marathon sera celui de Val-de-Reuil, celui de mon baptême l'an dernier. De mon expérience, je suis toujours plus à l'aise sur les parcours que j'emprunte la seconde fois, et même si je ne suis pas en forme, je devrais quand même faire mieux que sur le même parcours l'an dernier (mais pas mieux qu'à Sénart, c'est certain).

 

Direction quelques boutiques du coin, pour constater que s'il y a encore quelques fins de série, c'est uniquement si on fait moins de 39 ou plus de 44... Les chaussures, estampillées route, seront donc achetées par Internet, sans possibilité de les essayer avant... ni, surtout, de les changer à temps si elles ne conviennent pas. Je garde la même marque que mes chaussures de trail, ainsi que la même pointure, et je croise les doigts.

 

Les chaussures arrivent par la Poste vendredi 10 au soir, ce qui me laisse le temps de deux sorties d'essai à tout casser. Mais dès la première, uniquement du bitume, j'ai l'impression de changer de monde. Non seulement, ce sont des chaussures neuves, mais en plus estampillées route. J'ai l'impression de rebondir à chaque foulée, et je finis avec un gain de 30 secondes au kilomètre pour une fatigue moindre par rapport aux sorties du mois d'avant.

 

L'abattement laisse place à une euphorie stupide, où je m'imagine trivialiser mon marathon de Val-de-Reuil, larguant le meneur d'allure des 4h00 au bout de 15 km, pour rattraper celui des 3h45 au 40e et le laisser sur place avant l'arrivé. Dans mes rêves, hein. On est bête, quand on est inexpérimenté. Bête et imprudent. La dernière sortie, plus tranquille, du mercredi se solde par un début de coup de froid, et à force de ne pas respirer du tout par la bouche les jeudi et vendredi, je finis par attraper comme de coutume un début de sinusite en fin de semaine. Et puis, le samedi, c'est repas d'anniversaire chez papa et maman, c'est à dire qu'on se met à table à midi pour en ressortir quatre (les bons jours) ou cinq heures plus tard avec la peau du ventre bien tendue après un repas aussi calorique que pantagruélique. Pas vraiment l'idéal la veille d'une course, il faudra faire avec.

 

Coucher relativement tôt samedi soir (= avant minuit), et nuit relativement calme (= moins d'un réveil par heure), pour un lever à 5h00. Sans surprise, je n'ai pas très faim, et me force quand même à manger quelques céréales, mais je sens que l'estomac n'a guère envie de collaborer. Une fois dans la voiture, je me félicite d'avoir pensé à prendre un Spasfon la veille (ça aurait été pire sinon)... et réalise que j'ai oublié d'en prendre un ou deux ce matin. Impossible de retourner à la maison, car j'ai rendez-vous dans pas longtemps dans une ville voisine pour co-voiture avec scrouss, qui a eu son baptême du marathon à Sénart en mai dernier, et qui après avoir lu mon compte rendu de Sénart est tombé sur celui que j'avais fait de Val-de-Reuil l'an dernier et a décidé que ce serait là qu'il ferait sa seconde tentative. Le trajet en voiture se passe sans problème, et nous comparons nos objectifs respectifs : moins de 3h30 pour lui, moins de 4 heures pour moi. Mon petit doigt me dit qu'il a plus de chances de réussir que moi...

 

Dehors, c'est grand beau, pas un nuage à l'horizon. "Si on n'est pas bon, on ne pourra pas invoquer le mauvais temps comme excuse", me hasardè-je à dire, sans réaliser que malgré la saison, la température risque de monter vers 23 ou 25 degrés en plein midi, et que ça, ça va en faire des dégâts, bien plus que je n'imagine, même.

 

Nous arrivons bien en avance sur place, d'où possibilité de se garer assez près de l'aire d'arrivée (on en sera très heureux dans six heures), retrait des dossards tranquille, et voyage en bus calme vers l'aire de départ, située une vingtaine de kilomètres plus au sud. Le trajet et un peu long, et nous essayons de ne pas penser que nous allons devoir (par)courir le double de cette distance pour rallier l'arrivée...

 

Sur l'aire de départ, j'ai le temps de reconnaître quelques têtes avec qui j'avais couru quelques kilomètres à un moment ou à un autre l'an dernier. J'hésite à les saluer, vu que je ne leur avais pas parlé à l'époque. Je remarque aussi un Éthiopien dont le visage m'est familier et qui fait un échauffement pour le moins tonique, et pour cause : il s'agit de Tura Kumbi Bechere, vainqueur l'an dernier, et que bien peu de concurrents auront l'occasion de voir : nanti d'une avance de trois minutes au 5e kilomètre, il finira en 2h16 avec un quart d'heure d'avance sur son premier dauphin, sans toutefois battre son record.

 

Quelques minutes avant le départ programmé pour 9h15, je souhaite bonne chance à scrouss, qui va se positionner bien plus près que moi des places de devant, et avise le meneur d'allure des 4 heures. Sa tête me dit vaguement quelque chose : c'était lui le meneur des 4h que j'avais suivi de loin l'an dernier sur une dizaine de kilomètres avant d'accepter que même bridé, ce monsieur ne courait pas dans la même division que moi. Durant l'attente, le meneur salue un autre coureur qu'il connaît apparemment bien : "Alors Luc, prêt pour ton podium V4 ?". Le dit Luc, un peu gêné de cette publicité, répond modestement "On n'est que deux V4, et l'autre n'est pas bon, donc pour la première place, ça devrait le faire." Plusieurs coureurs regardent quand même Luc avec une certaine admiration, car apparemment, malgré son âge (71 ans, me précisera-t-il), il vise clairement les quatre heures. Le meneur ne tarit pas d'éloges sur Luc : "l'autre jour, à Bolbec [pour un semi], il m'a demandé de faire l'allure à 5' au kilomètre, mais il a démarré de suite à 4'30"". Pour finir en 1h42, précise Luc. Avec 30 ans de moins, je ne fais pas aussi bien.

 

Vers 9h15, nous entendons un coup de pistolet, mais c'est une fausse alerte : c'est le départ des concurrents en roller, qui auraient dus être lancés dix minutes plus tôt. Les gens grognent un peu : il fait encore frisquet, et la perspective d'attendre une dizaine de minutes de plus ne plaît guère. Ce à quoi nous ne pensons pas, c'est que cela va surtout nous faire arriver dix minutes plus tard, quand il fera chaud, et cela fera d'autant plus de dégâts. Les minutes passent (13 finalement), et nous sommes libérés.

 

Je me cale dans le groupe des quatre heures, en échangeant un peu avec le meneur. "Il y a du monde", dit-il. "Cinquante au départ, mais combien à l'arrivée ?", lui dis-je, en souvenir de ce dont j'avais été témoin à Sénart. "Surtout qu'il va faire chaud, aujourd'hui" prévient-il en d'adressant à tout le monde."Buvez au minimum une gorgée tous les deux kilomètres. Si vous attendez d'avoir soif lors d'une journée pareille, vous allez être très mal." Il nous conseille de toujours garder une bouteille à la main si nous n'avons pas de quoi l'accrocher à la ceinture. Il nous prévient aussi que le vent dominant aujourd'hui sera très léger, mais de sud. Cela signifie qu'on l'aura dans le dos pendant la majeure partie de la course... sauf sur les cinq derniers kilomètres, où on l'aura de face. Tout ceci correspond à ce que j'avais noté les jours précédents, mais je suis surpris du fait qu'il considère que tout cela représente un handicap certain pour la suite. Mais la suite lui donnera raison (à retenir : toujours écouter les conseils du meneur d'allure). Il nous dit aussi que son dernier marathon est celui du Médoc, le mois dernier, et que s'il a fini en moins de trois heures, il est encore un peu fatigué. "Je pense qu'aujourd'hui, j'aurais pu faire meneur d'allure pour 3h30', mais je ne suis pas sûr", précise-t-il. Comme quoi, même ces gens là ne sont pas des surhommes.

 

Au bout de trois kilomètres, nous passons près d'une prairie où paissent quelques chevaux, et le meneur d'allure prévient (mais on s'en était rendu compte) : "Attention, aujourd'hui c'est une journée à mouches. Ne gardez pas inutilement la bouche ouverte". De fait, pendant de nombreux kilomètres, nous entendrons régulièrement des coureurs suffoquer, tousser, cracher, pour faire sortir un infortuné insecte qui se sera logé au fond de leur palais. Je me félicite d'avoir pu limiter les dégâts de mon coup de froid et de pouvoir raisonnablement respirer par le nez, même si c'est un peu juste.

 

Luc nous accompagne en discutant lui aussi un peu avec le meneur, mais apparemment, il se sent bien, et prend peu à peu de l'avance. Dans le groupe, l'ambiance est bonne. Une des rares féminine attire l'attention de certains qui se mettent aux petits soins pour elle, lui prodiguant moult conseils qu'elle écoute avec attention : ladite féminine, prénommée Lola, n'avait pas fait un très bon temps l'an dernier avec à la clé un gros positive split, expérience qu'elle ne souhaite pas réitérer cette fois-ci.

 

En route pour les 4 heures !

 En route pour les 4 heures ! Mais seuls cinq coureurs du groupe atteindront l'objectif...


Fort de mon expérience de l'an dernier, j'imagine tenir cette fois 6 kilomètres avant d'être rattrapé par les premiers relayeurs des Ekiden, censée être partis un quart d'heure après nous, mais il n'en sera rien : à peine trois kilomètres après le départ, le premier Ekiden nous dépasse comme une bombe, impressionnant même notre meneur d'allure, qui lui prédit d'être en-dessous de 3' au kilomètre. En fait, les Ekiden auront été lâchés seulement 8 ou 9 minutes après nous, ce qui n'est pas très malin, car le début de la course se fait dans des portions relativement étroites, où les meilleurs Ekiden, qui vont facile 10 km/h plus vite que nous doivent s'employer à ne pas perdre de temps. J'avoue ne pas comprendre pourquoi on a fait le départ des rollers si tard par rapport à l'horaire prévu, et pourquoi on nous a fait partir nous si peu de temps avant les Ekiden. Ca n'est pas très logique, mais je n'ai pas noté d'autre problème d'organisation.

 

Vers le 7e kilomètre, nous rattrapons Luc, retardé par une pause technique, mais il ne reste pas longtemps avec nous et nous distance à nouveau. Le septième kilomètre est aussi le lieu du premier ravitaillement, un peu décalé par rapport au comptage canonique (un tous les 5 km) pour cause de relais Ekiden au 5e. Peu avant le ravitaillement, je mange un peu, en alternant sucré (chocolat et Figolu) et salé (TUC et saucisson) tous les 5km. Je prends aussi une bouteille que je viderai presque complètement en 3 kilomètres.

 

Peu avant le 10e kilomètre, nous entrons dans la commune de Louviers (ce qui nous permet d'ouvrir un peu plus la bouche). Le meneur nous prévient de l'imminence d'une des plus grosses montée du parcours, la fameuse montée du cinéma. Montée certes fameuse, mais pas bien méchante au demeurant : 15 mètres de dénivelé étalés sur peut-être 600 ou 700 mètres. C'est ridicule, mais le parcours est tellement plat qu'on s'en rend quand même compte. Je reprends une autre bouteille au ravitaillement, et mange un peu. Mon estomac proteste, mais j'ai la vague impression que j'aurais été plus vite à Sénart si j'avais mangé plus. Donc je me force cette fois-ci.

 

Vers le treizième kilomètre, dans le quartier de la Fringale (si, si), au n + unième concurrent suffocant pour cause de mouche avalée, Lola tente de dédramatiser, "dites vous que ce n'est que de la viande, de bonnes protéines !" Tout le monde rigole parce que c'est une fille qui dit ça... tout en espérant ne pas être le prochain. Dans cette portion où malgré les habitations, il n'y a pas beaucoup d'ombre, je prends le temps de regarder mes compagnons du moment, et de voir que tout le monde transpire pas mal, sans pour autant s'hydrater beaucoup. Malgré mon estomac peu collaboratif, je me force à boire tous les kilomètres, et à chercher de l'ombre tant qu'il y en a. Je sais que ce sera le cas jusqu'au semi, mais peu après, les abris seront plus rares.

 

Au 18e kilomètre, nous sortons de l'agglomération de Louviers... et fermons vite la bouche : les insectes de la campagne sont toujours là. Nous passons le principal dénivelé de la journée, à savoir les ponts enjambant la voie ferrée, l'Eure et l'autoroute. Je me force à ne pas accélérer à cet endroit comme je l'avais fait l'an dernier, mais ça n'est pas si facile. Juste après, je rattrape Luc, qui fait une nouvelle pause technique. "Le souffle et le cœur, ça va encore", me dit-il, "mais la vessie..." Ceci dit, être dans les temps de 4h au voisinage du semi, j'aimerais bien en être capable dans 30 ans.

 

Depuis quelques kilomètres, j'ai pris quelques dizaines de mètres d'avance sur le meneur d'allure. Je peux cependant caler mon allure sur lui, à la fois parce qu'il discute encore (quoique de moins en moins) avec les uns et les autres, et aussi en mesurant le temps qui sépare mon passage devant les spectateurs et leur ovation pour le groupe des 4h. Car quand on est dans un groupe comme ça, on a toujours droit à un peu plus d'encouragements qu'un concurrent isolé, et ce d'autant plus qu'il y a une féminine blonde dans le groupe (à retenir pour la prochaine fois : pour avoir plus d'encouragements, mettre une perruque de blonde et inscrire Lola sur mon dossard).

 

Je passe au semi en 2 heures et une quinzaine de seconde en temps officiel, soit quelques secondes en-dessous des deux heures en temps réel. C'est plus lent qu'en mai dernier à Sénart, mais cette fois, je veux vraiment essayer de faire plus vite dans la seconde portion. J'accélère un peu, profitant des derniers moments bien ombragés avant d'entamer la seconde partie de la course, bien moins abritée. Je me souviens que l'an dernier, c'est là que j'avais commencé à sentir que mon allure baissait (impression conformée par la montre). Je sens bien cette fois-ci que je suis moins facile qu'au départ, mais j'arrive à garder le rythme, même si à chaque fois que le meneur des 4 heures me rattrape, je suis toujours un peu inquiet, me demandant si je me fatigue sans m'en rendre compte, et si c'est juste un manque de concentration qui me fait perdre l'allure.

 

Peu après le 22e kilomètre, nous entrons dans Saint Etienne du Vauvray. C'est le dernier moment où l'on peut espérer trouver des spectateurs en nombre avant pas mal de temps. Par contre, pour l'ombre, c'est déjà fini. Il y a certes des maisons de part et d'autres de la route, mais cette portion se fait avec le soleil de face. Je me félicite d'avoir pensé aux lunettes de soleil, et note dans ma tête qu'investir dans une casquette pourrait être profitable. Fort heureusement, il y a des stands d'épongeage tous les 5 kilomètres, dont je profite avec de plus en plus de plaisir, car la température monte maintenant qu'il n'y a plus d'ombre. Luc, avec qui je cours à ce moment là, semble plus souffrir de moi des conditions, même si elles n'ont rien de dantesque.

 

Nous sortons de St Etienne du Vauvray pour rentrer dans le parc d'activité du même nom. Je gardais un assez mauvais souvenir de cette portion, parcourue l'an dernier totalement seul, avec un revêtement qui dans mes souvenirs était très gravilloneux. Il n'en est rien, mais je ralentis un peu sans trop savoir pourquoi. Le meneur d'allure me rattrape, ayant un peu forcé l'allure pour prendre une dizaine de seconde d'avance afin de se ravitailler. Je mange encore un peu de chocolat, mais j'ai de plus en plus mal au ventre. Je fais avec.

 

La sortie du parc d'activité signe le début d'une portion quasi rectiligne de quatre kilomètres que je redoute un peu. J'hésite entre ralentir pour me faire rejoindre par le groupe des 4 heures, ou accélérer pour rejoindre un autre groupe d'une demi douzaine de coureurs qui semblent s'être regroupés. J'opte finalement pour la seconde option. La portion en question est comme dans mes souvenirs, et le soleil rend cette file éparse mais ininterrompue de coureurs très jolie à regarder de loin... mais non moins démoralisante car on prend plus conscience des distances qui restent à parcourir. Vers le milieu de cette portion, je commence à reprendre les premiers coureurs en difficulté, soit en train de marcher, soit pris de crampes ou de vomissements. La chaleur a manifestement déjà commencé à faire son oeuvre, et dans des proportions significativement plus grandes que ce que je m'imaginais. J'ai de plus en plus mal au ventre, mais je me force à boire.

 

Entre le 29e et le 30e kilomètre, j'essaie d'éviter de regarder sur ma gauche. Je sais qu'à cet endroit nous sommes à 500 mètres de la borne des 41 km du parcours. Je me dis que les sub 3h sont sans doute en train d'y passer. La bonne nouvelle est que cette relative proximité avec la ville de Val-de-Reuil fait qu'il y a un peu de monde sur le parcours, même si on a l'impression d'être en rase campagne.

 

Le passage des 30 kilomètres se fait sur une bifurcation à droite, direction le lac des deux amants (un bien joli nom pour un bien joli lac) dont on va faire le tour pendant une dizaine de kilomètres avant de rentrer dans Val-de-Reuil. Cela me fatigue un peu de visualiser la distance, mais il faut faire avec.

 

À l'amorce du 32e kilomètre, j'avise les tables d'épongeage. Il semble qu'il y ait une petite pénurie d'éponge. J'en compte 5, sur les tables et dans les mains des bénévoles... et cinq coureurs devant moi. J'accélère pour en doubler un comme si de rien n'était, et tout fier de moi, je m'apprête à tendre la main pour récupérer la dernière éponge, quand le compagnon de Lola, qui l'a rejointe au semi pour l'aider dans la fin de course, me double lui aussi comme si de rien était pour me la prendre sous le nez. Pfff. Dommage, car il fait bien chaud, maintenant.

 

L'entrée dans Poses peu après voit une augmentation significative des concurrents en difficulté. Ca vomit à droite, ça souffre de crampes à gauche, et ça marche au milieu. Certes, le temps est bien plus chaud que ce que la saison aurait pu laisser imaginer (23°C sur la ligne d'arrivée), mais quand même, je suis surpris de tant de dégâts.

 

Peu après, alors que je suis à la hauteur du duo, j'entend le coach de Madame lui annoncer le temps (sans doute à pile 10 kilomètres de l'arrivée). Sur un ton bizarre, mi ricanant, mi serrant des dents, elle dit "Ca va le faire pour les quatre heures." J'aimerais bien être aussi sûr de moi...

 

J'aimerais surtout être capable d'accélérer comme elle le fait ! Est-ce un moment de déconcentration de ma part, je me fait prendre 20 ou 30 mètres en quelques dizaines de secondes. Pourtant je n'ai pas l'impression de céder. Moment de panique. La dernière fois, à Sénart, c'est un peu comme cela que j'avais décroché de mes poissons pilotes, qui s'en était allés tranquillement finir sous les quatre heures comme ils disaient vouloir faire. Je ne veux pas refaire la même expérience. Il faut s'accrocher. De toute façon, il n'y a guère de choix. Le duo et moi un peu plus loin rattrapons tout les coureurs qui se trouvent dans notre voisinage. De façon surprenante, personne ne semble plus capable de garder le rythme du départ. Mon problème, c'est que moi aussi j'ai du mal. Même si personne ne me double, je sais que s'il n'y a qu'une seule personne qui me dépasse, ce sera le meneur d'allure. Je ne me retourne pas, mais tend l'oreille constamment pour savoir si j'entends quelqu'un se rapprocher. Et j'essaie de grignoter mon retard sur le couple. C'est dur ! Je récupère peut-être 5 mètres lors des deux kilomètres suivants, sans être capable de faire la jonction. Je sens que la fin approche. En quelques minutes, la question n'est plus de savoir si je vais craquer, mais quand. Ce n'est plus une course, mais un remake de la chèvre de Monsieur Seguin : on sait que cela va mal finir, mais on a la fierté de se battre pour céder plus tard que la fois d'avant (37e km pour moi).

 

Au 34e kilomètre, mon estomac négocie un délai de grâce pour l'alimentation. Au lieu de me restaurer avec le sucré qu'il me reste au ravitaillement du 35e, je le ferai 10 minute plus tard. Mais pas plus. Je continue à boire, par contre, indispensable au vu des dégâts causés par la chaleur, même si chaque gorgée fait bien mal à l'estomac. Au ravitaillement, je suis sur le point de faire la jonction avec le couple. Je me dis que vu que je ne vais pas manger, je devrais finir par les rattraper. Raté. Monsieur accélère pour prendre les victuailles pour Madame afin qu'elle n'ait pas à ralentir. Il n'y a pas à dire, c'est pas mal d'avoir un coach de luxe.

 

Au 36e, après ce qui me semble (oui, c'est ridicule) un effort titanesque, je rattrape et dépasse le couple. J'ai envie de crier "Plus qu'un kilomètre !" Non pas que ma lucidité décline (quoique...), mais parce que c'était lors d'un fatal 37e kilomètre que mes espoirs de 4h s'étaient envolés à Sénart. Je regarde ma montre de plus en plus souvent, pour voir si mon allure moyenne baisse. 5'38" au kilomètre, cela reste stable. Mais je n'ai plus de marge (ma montre sous-estime les distances, et donc surestime l'allure qui est 2 ou 3 secondes plus lente qu'en réalité), j'ai l'impression de marcher sur un fil. Le moindre incident et je vais céder. Aussi je passe la borne n°37 sans euphorie, concentré et même un peu angoissé. Je me force à manger, commençant à craindre que ça ne passe pas, mais cela me rassure de m'alimenter : les défaillances sont de plus en plus nombreuses. 500 m plus loin, je regarde à nouveau le couple me doubler sans pouvoir réagir désormais. Je regarde ma montre toute les deux minutes désormais. L'allure tient. Mas je ne vais pas mieux. J'ai des sensations bizarres dans les jambes. Un signe annonciateur de crampes ? Je n'en sais rien, des crampes, je n'en ai jamais eu... si on excepte des crampes à la mâchoire pour cause de bâillements lors de matinées estudiantines ensommeillées (on ne rit pas, ça fait bien mal aussi). Mais j'ai l'impression que cela pourrait bien être ça qui guette aux jambes. J'essaie d'être le plus relâché possible, sans savoir si cela sert à quelques chose. Alors que je me concentre là-dessus, un voix derrière moi me fait sursauter. "Allez les gars, on lâche rien !". Cela ressemble à la voix du meneur d'allure. Mais ce n'est pas son vocabulaire. J'ai peur de regarder si c'est lui ou pas, mais j'ai besoin de savoir. Je tourne la tête. Ce n'est pas lui, mais un groupe de trois coureurs, dont un seul a un dossard. Apparemment, c'est un groupe d'Ekiden où le dernier relayeur termine avec ses deux prédécesseurs. Ouf. Je les laisse partir aussi. Je regarde à nouveau ma montre : moins de 25 minutes à tenir, avec à tout casser une petite minute d'avance sur le rythme des quatre heures. C'est dur ! D'autant qu'à ce moment là, nous bifurquons vers le sud pour revenir sur Val-de-Reuil, et que conformément aux prévisions météo, nous sentons bien le vent de face. L'effort pour garder la l'allure doit être plus important.

 

39e km. Ca tient toujours. Peut-être que finalement, le matin va arriver, le loup partira et la chèvre de Monsieur Seguin sera sauvée ? Biip répond la montre en affichant l'allure du kilomètre : 5'45". Aïe ! Si, conformément à mes estimations je n'ai qu'une minute d'avance, il suffit que je passe à 6'10" au kilomètre jusqu'à la fin pour rater l'objectif. Je donne le peu de forces qui me reste pour relancer.

 

Je me souviens avoir trouvé ce kilomètre là particulièrement long lors de mon baptême de l'an dernier. J'attendais en vain le virage à droite pour passer le pont de l'Eure avant d'entrer dans Val-de-Reuil, mais la je sais cette fois qu'il est encore à plus d'un kilomètre. J'aperçois le ravitaillement au loin. Je finis ma bouteille, la septième de la course (j'aurai bu plus de trois litres). J'en prends un autre, je bois quelques gorgées et la jette : inutile de s'alourdir pour rien. La fatigue est de plus en plus présente. J'ai vraiment l'impression d'être un fil de plus en plus ténu. Je ne peux plus découper la course en kilomètres tant la durée me semble trop longue désormais. J'arrive à un peu accélérer dans le 40e km (5'41"), mais je cède dans le suivant (5'52"). Heureusement, à l'issue du 41e km, nous entrons dans Val-de-Reuil. Nous passons sous une arche, avec 200 mètres plus loin l'arche d'arrivée, mais il faut encore contourner un pâté de maison. Dernière borne kilométrique, et dernier virage à droite pour amorcer le contournement. Moment d'émotion. Pour la première fois je me dis que ça peut le faire. Sauf accident. À propos d'accident, un coureur gît à 30 mètres devant moi foudroyé par des crampes (et pris en charge par un spectateur). Je n'ai pas le temps de m'appesantir sur son sort, car il me pose problème : il est pile sur ma trajectoire. Soit je fais un écart de deux ou trois mètres sur la droite, mais je n'ai pas envie car je suis fatigué, soit je passe sur la gauche, avec le risque de (i) lui marcher sur la main (ii) lui shooter dans la tête (iii) me faire une cheville sur la bordure du trottoir. Je prends le risque et passe en équilibriste. Pardon Monsieur le coureur, c'est un peu nul de vous avoir quasiment marché dessus, mais je ne voulais pas, je ne pouvais pas me rajouter un écart de trajectoire pour vous épargner de passer si près de vous.

 

C'est à ce moment là que je me dis que je vais y arriver. Et puis, il y a du monde. "Allez les moins de quatre heures" hurlent plusieurs spectateurs, qui ont bien compris ce qui se joue pour certains comme moi, dont la plupart sont plus mal en point, d'ailleurs. Jusqu'au bout, je doublerai des coureurs en difficulté. Certains marchent, alors qu'en trottinant ils auraient une chance d'accrocher un sub 4h00.

 

Enfin le dernier virage à gauche, et le tapis rouge. J'avise le chronomètre sur la droite. 3h59 et quelques. Je vais même finir sous les quatre heures en temps officiel ! Je m'étais promis de passer les bras levés si j'y arrivais, mais apparemment il me reste suffisamment de lucidité pour réaliser le ridicule de la chose. Si encore c'était pour fêter un sub trois heures, ok, mais là... Un dernier coup de rein à dix mètres de la ligne d'arrivée. Bip sur la montre : 3h59'00". Je l'ai fait ! Et avec un negative split en prime (40 secondes à tout casser). Je titube un instant. Je cherche scrouss du regard, lui qui doit m'attendre depuis une demi-heure, mais il n'est pas là. Le ravitaillement est 100 mètres plus loin, je marche tel un robot, et récupère ma médaille en oubliant presque de dire merci à la bénévole, puis je me ravise : il me reste une dernière chose à faire. Je fais demi-tour, en direction de la ligne d'arrivée, pour voir le meneur des 4h00 arriver, absolument seul. Il n'était franchement pas loin de moi ! Pas loin, mais derrière. Un membre de l'organisation le rejoint tout de suite, soucieux de savoir si tout va bien. Apparemment, un autre meneur a connu une grosse défaillance (3h10 pour le meneur des 3h00). Alors qu'ils discutent je tape amicalement sur son épaule. Je bredouille une phrase convenue, du genre "Merci Monsieur, sans vous, je n'y serai pas arrivé", mais c'est la moindre de choses. D'autant, je serai le seul à le remercier, car le groupe des 50 coureurs qui l'accompagnaient au départ s'est finalement complètement dissout. Re-demi tour direction le ravitaillement, où je trouve scrouss qui m'attend. Il est plus frais que moi, mais un peu déçu aussi : il a échoué de deux ou trois minutes à son objectif de 3h30.

 

Même s'il fait beau, nous ne nous attardons pas, et sommes bien content de ne pas trop avoir à marcher pour rejoindre la voiture, où je peux enfin m'asseoir et profiter de la satisfaction de l'objectif accompli. De retour à la maison après avoir salué une dernière fois scrouss, je m'interroge sur la valeur réelle de mon temps : ai-je bénéficié d'un parcours connu pour être particulièrement plat (et avec vent favorable de surcroît), ou ai-je été désavantagé par les circonstances d'avant course et la chaleur ? Je n'en sais trop rien, mais en tout cas, la chaleur (ou le vent ?) n'auront pas été anodins. Pour preuve, tous les premiers ont un positive split de plusieurs minutes : 8 pour le vainqueur, 5 et 6 pour ses dauphins, l'écart allant même jusqu'à 19 minutes parmi les concurrents ayant fait moins de 3h00 (1h19' puis 1h38'). En fait c'est bien simple, parmi la cinquantaine de coureurs ayant réalisé moins de trois heures, il semble qu'il n'y en ait eu qu'un seul qui ait réussi un negative split. Bref, je ressors finalement de la course avec, à nouveau, le moral au beau fixe, et comme dernier objectif de la saison un temps honorable à la SaintéLyon, course qui, je ne le sais pas encore, ne se déroulera pas vraiment comme prévu.

6 commentaires

Commentaire de bubulle posté le 20-12-2014 à 17:05:55

Le coup des chaussures neuves sur un marathon, fallait oser..:-).

Merci pour ce compte-rendu qui donne bien tous les états par lesquels on peut passer sur un marathon et la petite obsession du chrono qu'on peut y mettre.

A force, vous allez me donner envie d'y revenir sur ce Seine-Eure. Bravo en totu cas pour ce résultat, surtout par une température inhabituelle à cette saison là.

Commentaire de dg2 posté le 20-12-2014 à 17:19:07

"Quasi neuves", on dira, car j'avais fait 20 ou 25 km avec la semaine qui précédait. C'est vrai qu'il y avait un (gros) risque, mais au vu de l'état des autres, il n'y avait pas vraiment d'autre choix.

Commentaire de arnauddetroyes posté le 20-12-2014 à 20:53:19

c est marrant tout le monde stress plus sur les marathons que sur des trails de distance superieur.Nous sommes tous pareil ,les critères de cette distance sont tellement définis que l on en oublierais presque l effort à fournir pour en etre finisher.
Félicitations !
As tu fais depuis la " sainte-Lyon"?

Commentaire de scrouss posté le 21-12-2014 à 16:08:10

Effectivement, lors de mon premier Marathon j'étais euphorique à partir du 36km, me disant que j'allais bientôt accéder à cette caste suprême. Lors du deuxième j'étais hyper stressé car je sentais - à raison - que j'allais louper ma cible...

Commentaire de scrouss posté le 21-12-2014 à 16:05:03


Encore BRAVO : tu écrivais que j'avais plus de chance que toi de battre mon record que toi mais à l'arrivée ce fut l'inverse ! C'est une belle victoire. Pour moi ça reste encore un défi.
A bientôt sur une prochaine course.

Commentaire de coco38 posté le 21-12-2014 à 18:24:25

Vraiment super ton CR. On retrouve cette obsession du chrono et surtout des sensations qui conditionnent les variations du moral. Quelques secondes de moins et on est euphorique, quelques secondes de plus et on s'effondre. Bravo à toi.

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