Récit de la course : 80 km du Mont-Blanc 2013, par ThomasL

L'auteur : ThomasL

La course : 80 km du Mont-Blanc

Date : 28/6/2013

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

Affichage : 4300 vues

Distance : 83km

Objectif : Terminer

9 commentaires

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A la naissance d'une course mythique!

 

Prologue

Chamonix, 28 juin 2013, 1h du matin. J'ai le cerveau en ébullition. 2h déjà que j essaie de dormir en vain. Dans 3h départ de la première édition du 80km du Mt Blanc. C est rageant d être psycho comme ca. Pourtant pas d autre objo pour moi que de finir. Bon secrètement je rêvais de mettre 20h pour arriver à minuit et la seule pression était d être réveillé à temps pour le mini cross du fiston. Pour une fois que je me sentais prêt. Prêt pour un grand voyage de 24h, prêt à encaisser 80 bornes et surtout 6000m de dénivelé positif et autant de négatif, et je me colle une nuit blanche la veille du départ...1h15... 1h30...

2h45: bipbip-bipbip-bipbip! Bien j ai réussi à dormir... 1h15. Suis ‘’frais’’ comme disent les jeunes. Heureusement tout le matos est prêt  , je m'équipe et avale une monstre part de gatosport en mode automatique. Je quitte le confort douillet de l'appartement du centre de Chamonix et comme d'autres trailers me dirige vers la place du Triangle de l'Amitié d'où partent depuis des années de mythiques épopées Alpines. Mais à l'inverse de l'UTMB, le départ se fait face à L'Eglise, sous le Brévent, qui sera le point haut de notre première ascension: 1500m de dénivelé positif d'entrée de jeu. Je retrouve les potos: mon compagnon de fortune habituel JC avec qui j'ai couru entre autres Faverges, la CCC ou le TGV, et Tom un coureur du 19è arrondissement de Paris avec qui nous écumons régulièrement les Buttes Chaumont et Montmartre. Ils sont bien à bloc en tout cas plus que moi, comme en témoigne la photo ci-dessous (à gauche zieux rouges miclos, le Tom à bloc à droite):



 
Chapitre 1: Décollage au dessus des nuages. Chamonix - Planpraz via le Brevent. 12km / 1500m D+ / 600m D- / 3H07.

4h c'est parti à la frontale au milieu de créatures sur échasses (ca fait 1 minute qu’on court c’est encore trop tôt pour les hallus), ça fait un peu festival de Coachella (les amateurs de musique indé comprendront). Ce qui est bien c'est que direct ça rentre dans le vif du sujet : 50m de plat, 200m de légère montée, on passe le PGHM et hop ça grimpe directos. Rapidement on rentre dans la forêt sur un chemin large pour enfin rejoindre un monotrace sur lequel ça bouchonne. Avec l'expérience j ai appris à apprécier ces moments d'arrêts forcés en début de course: cela évite un rythme trop rapide à froid qui se paie cher plus tard et permet au cardio de redescendre après la poussée d’adrénaline du départ. Mais cela ne dure pas longtemps et le peloton s’étire assez vite le long des lacets. C’est d’ailleurs annonciateur de grands moments de course en solo, car 622 partants pour 80 km de montagne sur 24h, il y a moyen d’avoir de l’espace. C’est une des raisons qui nous a motivés à nous inscrire, en plus du parcours qui devrait être spectaculaire. A ce sujet, l’organisation a été contrainte de mettre en place un parcours de repli, à cause de la météo hivernale des dernières semaines qui a laissé des quantités de neige inédites à partir de 2000m. Nous le verrons ensuite,  ils ont globalement réussi à garder l’esprit résolument montagne du tracé, annoncé à 78km et 6000m de dénivelé cumulé.

Nous atteignons la moitié de la montée au bout d’une heure et traversons un épais brouillard à 1700m d’altitude. Je ne suis pas au top, et commence à broyer du noir sur mes chances d’être finisher. Mais à 1900m nous sortons de la brume et de la forêt au moment où le jour se lève. Et là un décor hallucinant se plante et accompagnera tout au long de la journée ce qui sera ma plus belle course à ce jour.  La vallée de Chamonix est recouverte de coton et les nombreuses aiguilles et autres pointes de la chaine du Mont Blanc émergent couvertes de neige. En face de nous, le sommet de ce dernier est dans les nuages, ce qui augmente cette sensation d’être en ciel et terre. Là je sens une énergie inédite monter en moi, plus aucune trace de fatigue. Mes 2 potes JC et Tom, ont la banane jusqu’aux oreilles, nous sommes biens, comme tous les coureurs qui nous entourent, galvanisés par le spectacle.
Nous passons le refuge de Bellachat à 2000m et attaquons les premiers névés durcis par le froid. Le décor devient minéral, et au détour d’une bosse le soleil apparait, avec le Brévent en pointe de mire. Pause photo obligatoire.

Le JC en pleine contemplation


 
Tom prend ensuite son envol. Beaucoup plus rapide, nous ne devrions pas le revoir avant Cham le lendemain. La fin de la montée vers Brévent passe toute seule et j’arrive au point haut à 2500m après 2h45 de course. Point de contrôle puis bascule… dans la neige. C’est hallucinant on a l’impression de descendre une piste de ski, gare aux appuis.  Pause photo bis et descente sur le ravito de Planpraz sur lequel je prend une banane en coup de vent.


 
Chapitre 2 : Entre ciel et terre. Planpraz – Vallorcine aller via la Flégère 14km / 600m D+ / 1300 D- / 3H05 / 20’ stop ravito Vallorcine.
 
Peu après Planpraz, le Mont-Blanc majestueux se dégage. Nouvelle pause photo et j'en profite pour mettre mes bâtons sur le sac sachant que les 8km jusqu’ à la Flégère sont assez roulants.



Suit un superbe sentier en balcon tantôt dans dans la brume tantôt face à la chaine. C est ludique avec de petites bosses des passages de pierrier et des relances. En essayant d attraper un gel je fais tomber la casquette dans le haut du ravin... Cela me vaut une bonne poussée d'adrénaline en allant la récupérer et la rencontre de 2 Dijonnais qui m’aident à remonter.



Arrivée au ravito de La Flégère avec 20’ d’avance sur mes prévisions et je me sens en super forme. Direction la fameuse Tête aux Vents, je fais un bout de chemin avec les Dijonnais, mais les bougres ont un rythme un poil trop élevé pour moi et je préfère les laisser partir. Après une bosse, vers les petits ‘’lacs’’ des Chésery  je tombe sur un bouquetin en train de paitre. Pas farouche la bestiole. Envie de photo, mais non je me dis paresseusement que JC ou Tom ne résisteront pas à l’appel d’Instagram ;) Merci JC:


 
Mais je craque sur la vue des Aiguilles Rouges et m’arrête à nouveau pour une photo. Je dérape en mode touriste...


 
 JC me rejoint, et on repart sur le début de la descente sur le Col des Montets. Pas mal de petits névés glissants il faut gérer les appuis sous les encouragements de randonneurs. Le chemin devient plus roulant et je peux accélérer dans les lacets. Là je me rend compte que je suis vraiment en jambe. Je descends à un bon petit 11/12 km/h et ma moyenne sur les 23 km et 1700m D+ déjà parcourus tourne à 4,6 km/h ce qui n’est pas négligeable à mon petit niveau sur ultra. Je passe le Col des Montets et déroule jusqu’au ravito de Vallorcine où m’attendent ma petite famille, Florence, Lucie et Victor. Toujours un vrai réconfort de les voir, particulièrement quand la difficulté arrive ce qui n’est pas encore le cas. En revanche, j’ai une tendance naturelle à trainer sur les ravitos, alors là, avec ma petite équipe de supporters ça tourne carrément au pique-nique. Anne Valero, qui m’a prodigué de nombreux utiles conseils ces dernières années, serait folle : ‘’pourquoi perdre du temps à l’arrêt, alors que tu t’arraches avant et après dans l’effort’’. Pas faux, faudra que j’applique un jour. Mais il est vrai que j’ai plus tendance à ‘’gérer’’ qu’à ‘’m’arracher’’, j’avais plus d’une heure d’avance sur la barrière horaire, peut-être aussi que ces instants de repos m’aident à récupérer sur plus de 20h de course. En plus cela me permet de repartir avec mon JC qui vient d'arriver, et qui lui ne traine pas sur les ravitos.
Pique-nique


 
 
Chapitre 3 : La montagne ça vous gagne. Vallorcine aller – retour via Col du Passet 12km / 900m D+ / 900m D- / 3H50 / 25’ stop ravito Vallorcine.
 
En repartant, nous croisons des gars qui finissent la boucle que l'on s'apprête à faire puisqu'on revient par le même ravito. Un autre monde... A ce moment là je pense encore que seulement 2h30/3h nous séparent. Il est 10h30 et il fait maintenant beau et chaud. En descendant vers Barberine nous longeons de magnifiques champs de fleurs. ''Des tapis d Orient'' pour reprendre un expression montagnarde de mon oncle Jean. Nous relançons dans un agréable sentier de mélèzes puis le chemin se raidit brutalement. En sortant de la forêt on aperçoit plus haut le barrage d'Emosson sur lequel nous devons passer. Le sentier est un véritable mur. Je fais connaissance avec un gars, Jérôme, qui avance à bon rythme. C est son premier trail, mais il a fait le Mt Blanc auparavant, un bon trekkeur. Grosse discussion sur l'alimentation. Clair que des grimpettes comme celle là pompent de l'énergie. Hallucinant ce qu'on absorbe sur un trail… Mention spéciale à la pizza piquante en barre. Nous arrivons au sommet sur le barrage, qui n'est pas le sommet…  


On découvre que le sentier continue plus haut et devient fort technique: Enchainement de plaques rocheuses équipées de chaines et pédales, pas vraiment roulant mais qui accentue ce sentiment de vivre une aventure unique en montagne. Cela doit bien prendre une heure pour rejoindre les chalets de la Loriaz.


 


Quand le sentier devient plus roulant je laisse Jérôme pour me remettre en mode coureur. Il semblait un peu moins bien j'espère qu’il a pu finir. Pour le moment tout va toujours bien pour moi, 40km / 3000mD+ et les guibolles déroulent sans souci dans la descente. Il fait vraiment très chaud dans cette descente plein sud. Pour la première fois je suis tout seul sur le sentier. J'adore cette sensation de solitude en pleine montagne. J'espère que l'organisation n'augmentera pas le nombre de participants dans le futur, car en plus des paysages sublimes, peu de personnes sur les sentiers renforce le côté sauvage de la course. J'arrive à Vallorcine avec une heure de retard sur mes prévisions. Je m'excuse auprès de ma petite équipe si patiente, mais apparemment l'animation musicale sur le ravito les a divertis: il y a une mini fanfare pas piquée des hannetons qui joue des marches funèbres quand des gars se font masserse faire masser en pleine course?! Sûr que ca ne m'encourage pas a accélérer mon pique nique, et je reste... 25 minutes. "Sur les ravitos j ai tendance à bloquer, bloquer..." http://www.youtube.com/watch?v=a1t3aR7VI9E
 
Chapitre 4 : L’hiver contre-attaque. Vallorcine retour – Les Bois via l’Aiguillette des Posettes et Argentière. 29km / 1600m D+ / 1700m D- 7H / 20’ stop ravito d’Argentière

JC m’a à nouveau rejoint et nous partons de Vallorcine pour la longue montée des Posettes. C’est cool nous sommes à mi course et mes jambes ne semblent pas encore trop entamées. Je continue à avancer à un bon rythme sur une piste large qui monte vers l’arrivée de la Télécabine de Vallorcine au Col des Posettes. Pour la première fois depuis le début de la course la portion n’est pas très intéressante. Mais il faut bien faire la liaison.

Au passage du col le temps change d'un coup: toujours impressionant en montagne.L'équipe de contrôle en doudoune a bien du courage de rester sur place en pleines bourrasques glaciales. Dans la tente de la sécu un coureur n'a pas l'air au top. Je m'arrête pour enfiler mon coupe vent, puis attaque la montee à l'Aiguillette. J aime bien cet endroit de lande et rochers battus par les vents. La montagne est couverte de névés et le plafond nuageux noir et bas rajoute un aspect dramatique. Au sommet on apercoit Cham dans la vallee avec le glacier des Bossons au loin. En face je vois le sentier parcouru le matin descendant de la Tête au Vents vers le col des Montets. C'est toujours galvanisant de regarder les montagnes derrière soi et de se rendre compte du chemin parcouru. Surtout ne pas faire l'inverse: regarder au loin les massifs qu'il reste à parcourir. Coup de moins bien garanti ;-)



C'est parti pour la descente des Posettes: 950m de dénivelé négatif bien techniques et raides. Ce coup ci je garde les bâtons. Gros rochers, ardoises perpendiculaires, crevasses tout y passe. Il y a même de grosses marches. Je suis un gars un peu devant moi, et m'accroche mécaniquement à son rythme. Là je commence à vraiment sentir mes quadris… Tu m'étonnes 4000 m de négatif, ce n'est pas à Paname qu'ils ont connu un tel cumul les cuissots. Le bas du chemin devient plus roulant, et d'un coup protégé du vent, il fait plus chaud. Zou, on enlève le coupe vent on range les bâtons et on déroule jusqu'au Tour. C'est à ce moment là que je sens que les choses commencent à se corser. Une espèce de raideur sur le dessus du pied gauche remonte dans la cheville. Je continue à courir vers Argentière et constate également que ça tape sous les talons. Top pour l'accroche et maintien du pied les ''Sportiva'' en revanche il manque un peu d'amorti sur la longueur.Peu importe, Argentière, ça commence à sentir bon, ça me rappelle mon arrivée sur la CCC, 2 ans auparavant.



Lorsque j'arrive je suis remonté à bloc. Le fiston me saute dessus en me disant ''Tom est là!''. Tom?! Mais qu'est ce qu'il fait là?? Avec son rythme supersonique, il devrait être loin devant. Houla il a une tête qui me rappelle de mauvais souvenirs… ''-J'abandonne, j'ai le bide à l'envers… -M… tu es sûr? Tu ne veux pas repartir tranquilou avec moi?'' Aie… Ca ce n'est pas cool du tout. Bon, on se re concentre. Grâce à ma Flo je peux changer de chaussures, un luxe après 60km et 14h30 de course. Les Cascadia sont de vrais chaussons et je pense que le terrain sera moins technique, donc parfait pour courir. Au moment où je repars JC arrive, pas l'air frais frais non plus, mais ça va il tient le choc. Je passe le contrôle et laisse ma petite famille raccompagner le pauvre Tom. Pour avoir vécu les galères digestives en course, je n'aimerai pas être à sa place… Ce coup ci en buvant très régulièrement et en mangeant souvent mais peu, ça a l'air de tenir pour moi.
 
Je déroule en forêt puis attaque la montée de 700m D+ vers la montagne de Lognan. C'est une montée rajoutée par rapport au parcours initial pour garder le dénivelé cumulé annoncé au départ. Je suis avec un coureur persuadé que c'est la dernière montée de la course. J'ai beau lui dire qu'il reste 1100m D+ supplémentaires derrière, il ne cesse de répéter ''heureusement que c'est la dernière, j'en ai plein les jambes''. Je fini par laisser tomber, ça ne sert à rien de le miner. En plus, je sens clairement le premier vrai coup de bambou arriver. A tel point que je mets le clignotant et me range sur le bord du sentier pour manger l'intégralité d'une barre… curry noix coco. Je continue à monter doucement. Bien pénible ce passage sans vue dans la forêt. Le classique ''kesskejefoula'' commence à se faire sentir. Heureusement le sommet arrive et j'enchaine direct avec la descente que j'espère plus ludique.

Mon téléphone sonne: c'est JC. ''-Mec le sommet est à quelle altitude? -1925m, pourquoi? -Parce que j'en ai plein le c… de cette montée de me… Je suis vidé, je me traine. J'abandonne au prochain ravito. Tu peux demander à Flo de me ramener? -Oh non JC… -Laisse tomber mec, je ne sens pas me taper une montée sup de 1100mD+ de nuit. Il faut que tu finisses pour Tom et moi. -Ok je comprend, mais dur dur pour le moral là...''. Et oui, nous étions au crépuscule à ce moment là. Cette nouvelle me met un coup au moral. Mes 2 potos out, ça n'était pas prévu du tout dans le plan à 4h ce matin… Comme quoi avec l'ultra on ne sait jamais comment tournent les choses. Heureusement à ce moment là, je traverse un alpage et je vois au loin le Brévent. Je me rappelle toute la distance parcouru et me dit que ce serait trop bête d'abandonner maintenant. Au contraire je me remets à courir autant que je peux dans la descente pour arriver au ravito avant que la nuit soit tombée.


Chapitre 5: Equipe de nuit. Les Bois - Chamonix / 15km / 1100m D+ / 1200m D- / 5H17 / 10’ stop ravito Montenvers 
 
Juste avant le ravito des Bois, Flo et les enfants sont venus me chercher. Quel bonheur de les voir. Je suis au bout du rouleau. En descendant la raideur du pied gauche s'est transformée en douleur aigue. C est clair je ne peux plus courir, la fin de la course va être longue... Je m'assoie dans le ravito, hagard. Mes pensée sont confuses, heureusement une adorable dame me sert une soupe. "Aller monsieur vous n allez pas  vous arrêter à 14 km de l arrivée!" 14km?! J en ai 72 sur le GPS et le parcours de repli était annoncé à 78km... "Oui ils se sont plantés de 5km..." La personne qui vient de me parler est Dominique Simoncini, préparateur mental et activiste Facebook. Il va faire serre -file et fermer la course. Bon les données GPS en distance en montagne sont approximatives avec le dénivelé. Mais quand même pas de 8km... L’orga n'a probablement pas eu le temps de tout mesurer précisément avec les changements de dernière minute, notamment la Tète aux Vents validée la veille. Les Bois doivent se situer autour du 70e aujourd’hui et de tout façon 5km de plus ou de moins, je suis cuit. "Allez, la ici, maintenant! Ne pense pas au 14 km, mais repars, et tu vas finir". Dominique a raison et en plus ce n'est jamais sain de rester au contact d'un serre-file quand on veut finir une course ;) Je souhaite une bonne nuit a ma petite tribu et m'avance dans le noir le cœur un peu serre: j ai senti Flo légèrement stressée de me voir partir seul de nuit en pleine montagne et en plus JC n'est toujours pas arrivé au ravito...
 
La magie de la nuit... Je me mets de la musique pour la première fois dans la course. Le nouvel album de ‘’Boards of Canada’’ amplifie cette sensation de flottement. Les balises se réfléchissent à distance dans la lumière de ma frontale. Je suis dans ma bulle et j’apprécie le moment.



Au bout de 45’ je prend conscience que je suis seul. Mais vraiment seul dans cette montée dans la forêt. Pas une frontale derrière, pas une devant. C’est à la fois grisant et inquiétant. Mon attention se fixe sur les insectes qui traversent les herbes. Beaucoup de scarabées. Soudain, j’en vois un de taille vraiment impressionnante. Une dizaine de cm. N’importe quoi… Manifestement la fatigue cumulée commence à me jouer des tours. Et là je commence à me sentir seul, très seul. Qu’est ce qu’il se passerait si je tombe dans les rochers plus haut ? Le serre-file va-t-il me voir ? Ok, bon faut que je discute pour me changer les idées. 23H15, Flo doit être rentrée, je vais lui passer un coup de fil. ''-Allo Flo? - Non c'est Lucie, maman conduit, on ramène JC…'' Pas très envie de dire à Lucie que je ne suis pas au top… ''-Tu peux me passer JC? - Allo, ça va mec? -Heu je me sens un peu seul là… Et toi comment ça va? -Ca a été dur mec. La descente sur Les Bois m'a terrassée, j'ai du m'allonger pour récupérer et suis arrivé au ravito à 23h. -Ah ouais? Tu as bien fait de d'arrêter parce que là, je dois avouer que je pioche un peu tout seul. -Bah ça va aller tu vas finir là! -Ouaip de toute façon je ne peux pas faire demi tour. Tiens je vois une lumière au loin. Tu peux dire à Flo de me rappeler? Ca marche, mec, tiens le coup et finis pour Tom et moi. -Ca marche!''

Ca marche très lentement surtout, mais il y'a quelqu'un un peu plus haut. Un gars de la sécu. ''-Allez faut tenir là, encore 400m D+ et tu es au Montenvers, puis encore 200m de D+, la traversée et tu descends. En plus il y a Marie au chalet des Mottet qui a préparé du thé pour les derniers coureurs. Tu y es à 10'. -Ok merci beaucoup''. Effectivement un peu plus tard je tombe sur la dénommée Marie qui a fait du thé. Trop sympa! Je m'assois dans une chaise, un thé chaud à la main. Le chalet est au dessus de la forêt, je regarde les étoiles, quel spectacle magique! Je repars ravigoté, mais la montée se fait plus rude. Mon téléphone sonne c'est Flo! ''-Ca va? -Oui beaucoup mieux en t'entendant! Le chemin redevient bien technique je passe au milieu de gros blocs de granites comme à Fontainebleau. Tiens il y a des frontales qui arrivent, je vais te laisser pour continuer avec eux, ce sera plus sympa que tout seul… Bonne nuit ma puce à demain.'' Effectivement 2 coureurs arrivent. ''-heu je peux me joindre à vous? Je suis un peu à la ramasse là… -Pas de souci, mais je n'avance pas vite. -Oui et ben ça ne peut pas être pire que moi, j'ai le pied gauche en vrac''.

Je me retrouve donc à suivre Olivier, et derrière moi Ludovic. C'est clairement plus cool à 3 frontales. On avance bien. Il faut chercher un peu les balises au milieu des blocs. Un peu plus tard on rattrape un 4è larron, qui se greffe à l'équipe. On sent un grand courant d'air froid: à notre gauche en contre-bas doit se trouver la Mer de Glace. Peu après nous arrivons à la Gare du Montenvers à 1900m. Nous avons l'impression de traverser un village fantôme. Enfin nous tombons sur le dernier ravito. Les bénévoles sont bien sympas, et on se pose pour une tasse de thé et un peu de cake. ''-Bon les gars, il faut que vous partiez groupés là. Vous allez suivre un sentier montant en balcon, très aérien. Allez-y mollo les 30 prochaines minutes, c'est vraiment dangereux, vous allez être en bord de falaise.'' Bon ben nous ne sommes pas au bout de nos surprises… 

Ludovic prend la tête à un bon petit rythme. Effectivement assez vite, on se retrouve sur un sentier étroit avec un gros trou noir à droite. Des rochers pointent sur le chemin rétrécissant un peu plus le passage. il faut vraiment être vigilant. Après un petit coup de cul, un spectacle fantastique se dévoile sous nos yeux. Chamonix illuminée, 1000m plus bas. Il faudra que je revienne de jour, l'endroit a l'air vraiment incroyable. Au loin nous voyons des lumières descendre dans une forêt. Mazette, nous ne sommes pas arrivés… Au bout d'une heure de sentier vallonné nous arrivons à une tente. Dernier point de contrôle, il reste 6km de descente. Bien technique aussi ce début de descente. Mais ça va, tout le monde a le moral et on descend en discutant de… courses.



Finalement nous arrivons sur un sentier raide en lacet dans la forêt. Plus de jambes, et mon pied gauche est bien douloureux. J'utilise mes bâtons pour me freiner. Ca devient interminable. Nous rattrapons une Sud Africaine qui n'a pas l'air au top. Elle nous suit d'un peu plus loin. on se rapproche de la ville mais mon Dieu que c'est long… On voit soudain une frontale arriver en sens inverse. Un type de la sécu? ''-Courwage les gars!'' Nom de nom… Je ne connais qu'un seul barjot avec un accent Anglais capable de se pointer à 2h du matin pour aller voir la course en pleine montagne: ''-J'hallucine, Cameron?! Qu'est ce que tu fous là?- Ah merde mec je vioulais te faire le surprise!'' Cet animal est arrivé par le train à 1 h du matin, a mis ses baskets et a enchainé directos, avec caméra et iphone en main pour filmer mon arrivée et celle d'un de ses potes Australien, Richard qui est encore derrière. Trop cool de le voir.

merci Cam pour les photos de nuit!



En plus les piles de ma frontale faiblissent méchamment et comme je ne suis plus net, Cam me prête la sienne histoire que j'y vois plus clair dans les racines. Il nous encourage jusqu'en bas. Ca y est nous sortons de la forêt et rentrons dans Chamonix. Je suis avec la Sud Africaine et Cam nous motive pour courir jusqu'à la ligne d'arrivée. Mama mia, quelle douleur… Il est temps que le course s'arrête.





Un dernier virage et c'est la ligne d'arrivée, quittée 23h30 plus tôt. Quel course… Juste dans le temps limite (24h max). Et là bonheur suprême: l'organisation a installé une pression. 3 petits jeunes bien à bloc nous servent des bières fraiches. Wow, au niveau du bonheur difficile de faire mieux, on trinque entre finishers avec Cameron qui nous mitraille de photos. L'instant est magique sur la mythique place du Triangle de l'Amitié déserte. Je pars me coucher heureux alors que Cameron repart dans le montagne chercher son pote Richard… 
 
 
 

Ci-dessous Cameron (à droite) et son pote Richard, finisher des finishers



Epilogue

Samedi 29 Aout 8h. Je me réveille après 3h de sommeil. ET j'ai la ''baraka'!'Parce que j'ai fini ma plus belle course à ce jour, parce que je vais prendre le petit déj avec ma petite famille et surtout parce que je suis debout à temps pour aller supporter le fiston sur le mini cross du Mont Blanc.

à bloc sous le déluge le fiston



Bon je suis loin de mon fantasme de finir en 20H, mais j'ai fini (environ 200 abandons sur les partants) et à part un tendon en surchauffe tout va bien. Une bonne leçon d'humilité car si globalement j'étais bien préparé, que peut on faire contre une tendinite? Marcher bien sûr, mais sur une course plus longue, j'aurais fini stoppé par une barrière horaire. Conclusion: il va falloir quand même que je traine moins sur les ravitos, car c'est un temps précieux en cas de pépin. Continuer à augmenter les distance progressivement pour que mon corps s'habitue, et être prêt à accepter l'arrêt technique même si je me suis entrainé pendant des mois auparavant. Mais le principal, c'est surtout de continuer à prendre du plaisir en courant. Et là sur le 80km du Mont-Blanc, il y a la dose. Encore bravo à l'organisation pour ce superbe parcours de repli. Je reviendrai c'est sûr! Avec Tom et JC pour finir. Surtout pour courir le parcours prévu initialement encore plus sauvage par le Col du Corbeau. Corbeau un jour ;) Croa Croa!

9 commentaires

Commentaire de sapi74 posté le 06-07-2013 à 17:25:39

beau récit, bien écrit bravo à toi.

Commentaire de ThomasL posté le 06-07-2013 à 17:38:39

merci!

Commentaire de nay73 posté le 06-07-2013 à 17:49:44

Bravo, belle volonté...ça donne bien envie de prendre le départ une prochaine fois.

Commentaire de ThomasL posté le 06-07-2013 à 18:54:01

merci Yan. Je ne peux que te le conseiller, moi même je me demande si je ne remettrai pas le couvert l'année prochaine!

Commentaire de Chris91 posté le 06-07-2013 à 22:13:55

Bravo pour ta course, et je confirme le côté interminable de la descente sur Cham de nuit ;)

Commentaire de ThomasL posté le 07-07-2013 à 00:56:33

Merci Chris! Equipier de nuit aussi donc...

Commentaire de Chris91 posté le 07-07-2013 à 08:33:19

Oui équipière de nuit du chalet au thé chaud à l'arrivée, c'était vraiment interminable quand on a plus de quadriceps pour descendre...
Sinon de loin mon plus beau et plus dur trail, des paysages magnifiques, les bouquetins....
J'avais aussi prevu vers 20 h de course, j'arrive en 21h47.... Les qq km en plus.... dur quand on a 71 km a la montre au dernier ravito au Bois et qu'on nous annonce plus que 14 km.... ah oui mais la ca fait plus 78 , 71 + 14 , memem apres 71km je peu encore faire une addition, ca fait 85km ......

Commentaire de st ar posté le 08-07-2013 à 22:44:15

Elles sont trop belles tes photos...bravo, tu n'as rien laché. Ah oui, le coup des 14Km restant, ça en à tué plus d'un et le thé de Marie...trop bon. On a vécu la même course, je me retrouve plusieurs fois dans ton CR...

Commentaire de ThomasL posté le 08-07-2013 à 23:23:53

merci même course mais j'ai l'impression que t as plus engagé quand même ;)

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