3h30 : Le réveil sonne. Le réveil parce que moi, ma tête sonne depuis que je me suis couché 4h30 plus tôt, excité par cette course pour laquelle je m'entraîne depuis plus de trois mois.
5h00 : Nous voilà à 500 trailers alignés devant l'arche du départ. Consignes et infos de l'organisation : " Les températures ne sont pas négatives au sommet du St Guiral à 1350m d'altitude". Me voilà rassuré...
Le coup de fusil tiré par M. Le maire, c'est un ballet de lumière qui s'agite en direction des pentes abruptes de l'Aveyron, des centaines de coureurs avec leurs lampes frontales pour seul éclairage. L'euphorie du départ est un piège pour les jambes. Ça va vite, beaucoup trop vite. 40 minutes de course plus tard, je trouve mon rythme, concentré sur le terrain accidenté éclairé par mon halo de lumière. Éviter la chute jusqu'au lever du jour.
6h30 : 10ème km : Ma course va basculer dans une autre dimension. Je me prends les pieds dans une branche d'arbre et fais un mouvement brusque pour éviter la chute. Un grand crac résonne dans ma tête. Mon dos. Je vais vivre un véritable calvaire pendant encore 35km. A chaque respiration, j'ai l'impression que le coureur derrière moi m'appuie un couteau dans le dos. Je me mens à moi même, m'arrête constamment pour étirer ce que je veux considérer comme un crampe du dos (ça m'était jamais arrivé mais mon inconscient n'a pas trouvé mensonge plus crédible...). L'évidence est pourtant là : je viens de me coincer une vertèbre.
La montée au St Guiral est rude. Il crachine à des températures proches de zéro, on ne voit pas à plus de 30m, et des rafales à 100km/h balayent le sommet. Certains coureurs peinent à rester debout tant le vent est fort.
10h45 : 45èmekm, 5h45 de course : Ravitaillement de Dourbies. Je retrouve ma mère et mon frère aux petits soins pour moi. M'apporter des affaires sèches pour me changer, un bol de potage, réparer mes bâtons qui sont cassés, que c'est bon d'être soutenu à ce moment où la douleur du dos menace de me faire craquer. Un bonheur n'arrivant pas seul, un kiné-ostéopathe est présent sur place. Quelques manipulations plus tard, ma vertèbre retrouve sa place initiale et c'est comme une nouvelle course qui commence pour moi. Je croise mon beau-père juste en repartant. Il s'arrêtera au 45èmekm après s'être foulé la cheville au début du parcours.
Je repars remonté à bloc. Je suis bien placé dans la course. Je n'ai plus mal au dos. Je recours le sourire aux lèvres.
A partir de là, un phénomène assez curieux d'euphorie où je ne sens presque plus mon corps et de découragement où je suis persuadé que l'ultra-trail est fini pour moi vont s'alterner successivement.
Les conditions sont très difficiles. Il pleut sans cesse depuis 11h00. Le terrain est boueux, le dénivelé est impressionnant. Cette course demande beaucoup de volonté et d'engagement. Je le savais mais c'est autre chose de le vivre, surtout dans ces conditions météo.
14h : 58èmekm, 9h00 de course: Arrivée au ravitaillement de Trèves. Je n'ai jamais autant aimé le potage. Je m'assoie un peu pour que la relance ne soit pas trop douloureuse.
C'est dur, mais je me dis que le pire est derrière moi, qu'il me reste 13km avant le dernier ravitaillement puis 7km pour finir. 20Km, à peine une sortie d'entrainement et une motivation : arriver avant la nuit pour ne pas longer les ravins sur les sentiers boueux à la lueur d'une lampe frontale.
Comme le bouquet final du feu d'artifice, je suis reparti de Trèves avec une euphorie magique, en courant. En courant vite même. Et j'ai explosé en plein vol au 65èmekm. Une montée interminable de plusieurs kilomètres entre marche et crapahutage à eu raison de moi.
Les 4 kilomètres qu'il me reste à parcourir pour rejoindre le prochain ravitaillement vont être un véritable calvaire. A la limite de l'hypothermie, épuisé, terrassé constamment par les crampes, je n'ai d'autre choix que de faire face sous une pluie battante. Les passages avec des cordes en rappel (mais sans baudrier au cas où vous ne seriez pas encore mort de froid ou d'épuisement, une petite chute de 3/4m pourrait faire l'affaire...), les chutes dans la boue, le terrain en devers constant... Je voulais tester mes limites et c'est chose faite.
J'abandonne à Cantobres au 70èmekm, 7km avant l'arrivée après 12h30 de course, d'une course que je n'aurais jamais pensé si difficile. Pale comme un linge, je ne croise plus personne qui ne me demande si j'ai besoin d'aide. Je ne vis pas cet abandon comme un échec. Je me suis battu jusqu'au bout, mais ma limite se situait avant la ligne d'arrivée.
Tout au long de ces 4km, j'étais persuadé que pour moi l'ultra-trail, c'était fini.
A l'heure où j'écris ces lignes, 48h00 plus tard, je ressemble toujours à un manchot quand je marche mais je n'ai qu'une idée en tête : repousser encore mes limites et venir boucler ce trail des hospitaliers. Il y a comme un goût de revanche dans l'air....
4 commentaires
Commentaire de OF82 posté le 13-11-2012 à 18:01:29
L'abandon est toujours difficile à vivre mais tu le prends par le bon bout, tu sais pourquoi et ce qu'il te reste à faire pour aller au bout d'une aventure qui n'est jamais écrite d'avance même si on a trop tendance à la banaliser... L'ultra nous mène à nos limites et il faut savoir ne pas les franchir trop légèrement au risque de mettre en cause son intégrité physique et morale.
A bientôt sur ces sentiers si durs mais si magiques ;)
Commentaire de st ar posté le 13-11-2012 à 22:04:02
c'est dur de s’arrêter si près de la fin mais cela te servira forcément pour tes prochaines épreuves, quoiqu'il en soit, bravo pour ta course !
Commentaire de Nikolafleche posté le 14-11-2012 à 13:52:12
Merci pour vos encouragements !
Commentaire de laulau posté le 21-11-2012 à 14:37:17
Dur de s'arrêter avant la fin mais cette expérience te rendra plus fort pour tes prochains trails.
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