L'auteur : franck de Brignais
La course : La Foulée des Tard Venus - 12 km
Date : 9/9/2012
Lieu : Brignais (Rhône)
Affichage : 2669 vues
Distance : 12km
Objectif : Se dépenser
Partager : Tweet
"WE choc"… Un peu plus de 30 heures après le passage de l’arche sur la très belle course des Cabornes, nous voilà avec Caroline, mon épouse, l’ami Denis, quelques copains et moi-même à l’échauffement des 12 (et 5) km de la course des Tards Venus de Brignais.
Cette sympathique manifestation est conjuguée, cette année, avec l’animation d’un village médiéval installé pour le WE sur le lieu dela course. Occasion sympathique de nous rappeler que notre commune a été le théatre de faits historiques anciens, malheureusement peu repris par les livres d’histoire : les choses n’ont pas changé… on ne communique que sur les réussites… on tait le plus possible les échecs et celui-ci a été cuisant pour le roi de France de l’époque !!
Nous commençons l’échauffement doucement autour de la piscine, mais je ne me « sens pas dans mes baskets ». Je n’ai pas dit que mes running ne sentaient pas, notez bien. Non…. simplement que ma tête est ailleurs. A tel point que je dois m’assoir… là, à quelques mètres de la ligne de départ… assis sur le trottoir, la tête me tourne, je ferme les yeux quelques secondes…
… en les rouvrant, quelque chose a changé… Tout a changé !!! L’exposition médiévale s’est elle déplacée jusqu’à la ligne ?!... pourquoi donc tous les concurrents revêtent des tenues médiévales ?!... sont chaussés de poulaines (vous savez, ces chaussons de cuir aux bouts relevés…). Certains sont revêtus d’armures, d’autres encore habillés en fou du Roi…. De mon côté, je porte des haillons sales et un semblant de chemise bouffante sur laquelle est cloué un parchemin portant le n° MMCLXI… pour finir est posé sur ma tête une coiffe au bout de laquelle pendouillent 3 grelots…
Ma mâchoire se décroche sous le choc… Caroline, superbement revêtue d’une grande robe bleue, réhaussée de fine dentelle blanche m’interpelle, les mains sur les hanches, le regard coléreux…
« M’enfin qu’est ce qu’il t’arrive ? Tu ne veux plus participer à la course de notre Roi Jean le Bon ? Tu te rappelles tout de même que le premier repartira avec 4 bœufs… ce qui nous sera utile pour finir de payer la gabelle et les 2 caisses d’hydromel que tu dois encore à la taverne ??!! »
« Mais heu… attends…je ne comprends p… ».
« Ca suffit !! De mon côté je fais le 5 km pour essayer de gagner le panier garni de poulardes et de ripailles. Tu as intérêt à rapporter quelque chose cette fois ci !! Ce sera plus utile que de dépenser tes écus sur des courses où tu finis toujours dernier… et de tenter d’amuser la galerie, après, avec tes parchemins narrant tes « exploits » !!... que tu n’hésites pas à chanter en place publique !! »
« heu… Caro…»
« Dame caroline s’il te plait !! Il y a du monde autour de nous !! et je te rappelle qu’il faut que tu m’emmènes jusqu’à la séparation des courses à bon rythme, pour que je mette toutes les chances de mon côté !... ».
Dame Caroline me tire par la main et je me retrouve debout dans ce décor incroyable. Denis, 2 rangées devant, me jette un clin d’œil…. A travers son heaume !!... le bougre est revêtu d’une armure étincelante. Point d’épée ou de bouclier, mais il a installé à son poignet une sorte de mini cadran solaire…
Un troubadour hurle dans un porte-voix que nous sommes à quelques secondes du départ. Que celui-ci sera donné au son d’un canon. Je ne me sens pas très bien, mes jambes flageolent, mais Caroline, d’un coup de coude savamment placé, se charge de me faire reprendre mes esprits…
C’est un coup de tonnerre ahurissant qui donne donc le départ de cette… course… surprenante…
Les réflexes prennent vite le dessus et, placé en milieu de peloton, je prends un rythme assez soutenu pour tenir la promesse faite à Dame Caroline. Elle est à côté de moi et ne me lâche pas d’une… poulaine. Elle maintient des deux bras fermement sa robe et ses jupons juste au dessus des genoux, dans une attitude très féminine, mais néanmoins volontaire !!
Après le choc de l’accoutrement de mes congénères, mon regard se porte dans la vallée du Garon. L’hallucination continue et se renforce : Au loin, une armée composée de plus de 10 000 chevaliers et fantassins est en marche. Sous mon regard perplexe, mon voisin de gauche, (vêtu d’un superbe collant vert et d’une chainse (chemise) bouffante rouge et dont la tête est ornée d’un joli chapeau cone en feutre relevé d’une superbe plume de paon) m’explique que les troupes du Roi sont enfin arrivées pour bouter hors du royaume ces cruels mercenaires nommés « Tards Venus », autrefois à la solde du Roi, mais qui, depuis de nombreuses années, pillent et volent tous les biens qui se trouvent sur leur passage, avec une préférence pour les biens de l’église. Ces brigands n’en sont pas à un massacre près et tiennent tête à toutes les armées régionales qu’ils ont croisées. Ils ont eu la mauvaise idée de s’installer sur les collines des Hautes et Basses Barolles (m’enfin y a un cinéma et une zone industrielle içi ??!!...) et la région est à feux et à sang…
Je suis complètement perdu pourtant je reconnais bien le chemin : nous longeons le Garon et n’allons pas tarder à attaquer les « S » qui mènent à Chaponost. C’est d’ailleurs le moment de la séparation et Dame Caroline va bifurquer à gauche. Dans un dernier réflexe je lui crie « garde l’allure et pense à respirer fort aussi dans la descente !! »… la belle et gracieuse disparait au loin en traversant sur un pont de bois le Garon…
Bon, il est temps de se concentrer sur cette… course… parce que, sauf si le… Roi…en a décidé autrement… je le connais par cœur ce parcours. Ce sont mes terrains d’entrainements quotidiens. Nous attaquons donc la première montée. Je sais comment la prendre, et l’expérience parle : je vais dépasser, sur le dernier lacet, une bonne dizaine de concurrents essoufflés, qui ne s’attendaient certainement pas à ce qu’elle soit aussi longue.
En arrivant en haut, nous avons une vue superbe surla région. Les troupes du Roi avancent et tentent de reprendre la ville de Brignais en passant par le Pont Vieux. Ils seront déboutés par 2 fois et se retirent dans leurs campements qu’ils installent là où se trouvait (trouvera ?...) le cimetière de Brignais. Oui mais voilà, approximativement le même nombre d’hommes des Tards Venus est tapi, en embuscade, dans le bois des chênes, sur les Hautes Barolles…
Il est tant de redescendre par un chemin rendu assez technique par la pose de gros cailloux. Le retour en arrière dans le temps n’a donc rien changé à ça… et même en étant très à l’aise, je ne pourrai pas dépasser un seul concurrent : chacun est très attentif où il pose les pieds et il y a beaucoup de monde. Les brèches sont trop courtes et je ne veux pas risquer de faire tomber un seigneur ou une damoiselle en jouant les habitués…
Nous voilà sur le pont du Garon… enfin… la passerelle de fortune composée de 3 rondins de bois… mais qui nous permettra de passer sur l’autre rive. C’est 200 mètres plus loin qu’est disposé le buffet de ravitaillement. Faisans, cochonailles et autres breuvages ornent cette belle table animée. Je ne prendrai qu’une coupe d’eau et continuerai ma route en trottinant vers la seconde montée. Elle est plus courte, mais plus ardue et nous emmènera vers les vergers de Soucieu en Jarrest. Une bonne partie de la montée se fera en marchant rapidement pour moi. Technique largement éprouvée lors de nombreux trails maintenant, je suis à la même vitesse que mes congénères qui trottinent autour de moi.
Je rattrape un moine habillé d’une coule marron et d’un chasuble. Il porte une outre sous le bras et se délecte de son contenu… en le dépassant, l’odeur me laisse dubitatif et je suspecte que le contenu ne soit pas de l’eau… il ressemblait beaucoup à Frère Tuck ce moine…
Nous arrivons sur Soucieu et sommes entourés par les vergers. C’est la saison des pommes, les arbres en regorgent et les bonnes odeurs sont partout, c’est un vrai régal !! Je stabilise ma vitesse et reste avec un groupe de 4 coureurs dont une charmante damoiselle (vous noterez que, même au Moyen Age, j’arrive à faire de sympathiques rencontres…).
La vue sur la vallée est superbe, mais en bas, le combat à commencé : les Tards Venus ont fondu sur les troupes du Roi. Il n’y a aucune pitié d’un côté comme de l’autre, la bataille est féroce. Les troupes officielles, emmenées par le cousin du Roi, le comte de la Marche, n’ont pas attendu les renforts qui viennent des comtés de Savoie, elles en auraient pourtant eu bien besoin… Les 6 000 cavaliers du Roi sont appuyés par 6 000 fantassins, mais il semble que ceci ne suffira pas…
La grande redescente vers le Garon me fait revenir dans la course. Elle est longue et mes nombreuses séances ici sont, là encore, d’une grande aide, je descends très rapidement en doublant 4 concurrents. De nouveau nous repassons au ravito qui termine la boucle que nous avions entreprise. Une nouvelle coupette d’eau et je repars vaillamment affronter, pour ma part, les 5 km restant.
Comme à chaque fois, la longue ligne droite sur ce joli chemin au bord du Garon m’est fatale : je n’arrive pas à reprendre une vitesse digne de ce nom et me fais doubler 3 ou 4 fois… Je suis agacé, il faut que je passe mieux que les années précédentes… je sers les dents et force pour tenter de suivre le rythme !
Nous retrouvons le parcours des 5km et l’endroit où j’ai laissé, il y a une trentaine de minutes, dame Caroline. C’est à mon tour d’attaquer la 3ème et dernière montée… je suis, en trottinant, le concurrent devant moi. La première partie de la montée passe bien et je peux reprendre mon souffle sur le replat. Mais, là aussi comme à chaque fois, la seconde partie m’est fatale et j’abandonne la course pour marcher sur les200 mètres de grosse montée qui se présentent.
3 concurrents vont en profiter pour me doubler lâchement… dont un homme habillé entièrement de noir, ainsi que d’une cagoule d’où luisent 2 yeux terrifiants qui me glacent le sang. L’énorme hache qu’il porte sur l’épaule fini de me terroriser et de me couper les jambes…
Je peux reprendre un rythme de course léger, mais correct, sur le petit sentier qui annonce la fin de la montée, de nouveau nous surplombons Brignais et ce que nous apercevons en bas est une vision d’horreur : Les Tards Venus ont massacré les chevaliers et ceux-ci, dans leur déroute, ont piétiné les fantassins qui les suivaient. Le comte de la Marche et son fils furent capturés et une rançon fût réclamée. Mais ils moururent des suites de leurs blessures avant que l’argent n’arrive… 10 000 soldats moururent sur les pentes de nos collines en quelques heures. Un concurrent, éberlué par ce massacre, me glissera que le ruisseau en contre bas du champ de bataille pourrait porter le nom de Merdanson (mare de sang). Celui-ci, affluent direct du Garon, portera ce nom 650 ans plus tard…
La dernière descente nous fait rapidement revenir sur Brignais. Je conserve ma place dans la descente, mais me ferai reprendre 5 à 6 places sur la ligne droite qui rejoint la ligne d’arrivée.
Arrivée que je veux passer à fond… je ne veux pas me faire coiffer au poteau par un concurrent de derrière les fagots, je sprinte… mes enfants Thomas et Alexandre, habillés en Gremlins se joignent à moi sur les 100 derniers mètres… je passe la ligne en fermant les yeux, heureux du travail accompli !!
En rouvrant les yeux, une jeune fille de l’autre côté des barrières, tapote fébrilement sur son téléphone portable, autour d’elle des coureurs et des coureuses habillés de short et de Tshirt techniques reprennent des forces au ravito de fin en buvant du Coca et en croquant dans des barres énergétiques… Les pompiers sont là et tentent de remettre sur pieds une concurrente qui a pris un malaise sur la ligne d’arrivée… Je suis moi-même surpris de voir à mon poignet ma Garmin qui affichera un temps de 1’04’12. 1’30 de moins qu’il y a 2 ans…
Voilà donc la conséquence d’un « WE choc » sur l’organisme… des hallucinations…
Je retrouve Caro qui finira… 1ère senior féminine… !!! Bravo !!(donc c’est bien noté, l’année prochaine c’est le 12…) Mais elle n’aura pas la joie de monter sur le podium : sur le 5 km, seul le classement scratch est récompensé. Et sur ce podium, on verra tout de même une kikou, et quelle kikou : Sylvie Portefoix !
Après un tour dans le village médiéval, nous remontons en famille sur nos vélos pour rentrer à la maison… Original ce flashback… violent certes, mais il a le mérite de tout mettre en relativité : nous ne faisons que passer… à l’endroit même où nous nous trouvons, il y a eu une histoire et nous même laissons notre empreinte. Plus de massacres humains dans notre pays, heureusement… nous laissons une marque plus indélébile encore : nous massacrons nos ressources par un besoin effréné de consommation… mais c’est le sens de l’histoire… une autre se racontera dans plusieurs siècles.
Sur le chemin du retour :
« Papa ?... »
« Oui ? »
« Pourquoi tu portes des chaussures bizarres en cuir avec le bout relevé ?... »
Franck
2 commentaires
Commentaire de Arclusaz posté le 10-09-2012 à 23:23:14
Merci pour ce voyage spatio-temporel et ce cours d'histoire.
Bravo pour les conclusions de ta course et de ton CR, particulièrement réussies.
Je note que le Roi a perdu car il n'a pas eu la patience d'attendre les savoyards : leçon à méditer, d'aucuns sur ce site feraient bien de s'en inspirer !
et bien sur, moult félicitations pour Dame Caroline.
Commentaire de Jean-Phi posté le 11-09-2012 à 08:25:07
Sympathique que ce voyage dans le temps et bien belle leçon d'histoire... que je ne conaissais pas (honte à moi !)
Bravo à Dame Caroline pour sa superbe place et bravo messire Franck pour ce chrono admirablement bien mené 30h00 après la NDC (autre pan d'histoire que les Cabornes !)
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.