113h au "PARADIS".
Je me voyais difficilement raconter mon périple de cinq jours sur le TOR des Géants de façon chronologique. Il y avait trop de risques que ce ne soit insipide et rébarbatif. Alors j’ai opté pour la formule de l’auto- interview que j’avais déjà utilisée pour raconter mon dernier UTMB (Ultra trail du Mont Blanc). J’ai repris pour la plupart les questions qui m’ont été posées depuis mon retour.
Rappelle nous les termes du défi ?
Le TOR des GEANTS : parcourir les Alta via 1 et 2 qui font le tour de la splendide vallée d’AOSTE :
- 25 cols entre 2000 et 3300 m,
- 333 km (200miles),
- 24.000m de dénivelé positif et autant en négatif. Il faut le préciser car les descentes sont beaucoup plus traumatisantes que les ascensions et provoquent la majorité des blessures cause d’abandons.
- 150 heures maximum pour franchir la ligne d’arrivée.
Qu’est ce qui t’a donné envie de t’aligner sur ce trail ?
Nous avons eu connaissance, avec mon frère, de ce TOR l’an dernier en passant à Courmayeur lors de l’UTMB (Ultra Trail du Mont-Blanc). C’est en début d’année que nous avons décidé de nous y aligner. Les 500 places ont été proposées et prises en 8 jours. Hélas mon frère a du renoncé en cours d’année et je me suis retrouvé seul. Ayant fait cinq fois l’UTMB, je cherchais un autre défi plus important. Et ayant réalisé la totalité du GR20 en 5 jours à deux reprises, je pensais, sans en être intimement persuadé, que ces expériences m’autorisaient à m’inscrire à ce genre de folie.
Les chiffres et le label « the longest and hardest world’s trail » ne t’ont pas effrayé ?
Oh si ! Quand on se dit que c’est deux UTMB d’affilé avec encore plus de dénivelée ou la Diagonale des fous en aller-retour, ça pousse à réfléchir. Mais j’avais quand même envie de savoir où se situaient mes limites. Et puisque d’autres l’avaient réussi en 2010, j’espérais en être capable moi aussi.
Quelle a été ta préparation pour cette course ?
J’ai pris cette course très au sérieux dès le début de l’année. J’ai fait le trail hivernal du Sancy. Puis je suis parti en vacances d’hiver à Madère où j’ai parcouru les sentiers de montagne les plus difficiles.En mai, j’ai tenté l’aller-retour Samoens- lac Léman (130km pour 7000m de dénivelée) j’ai du m’arrêter avant la fin du retour. Début juin, j’ai fait, avec mon frère et 3 copains, le tour du Pays du Mont Blanc en 3 jours et demi. Peu connu mais très beau, 170 km et 12000m de dénivelée. Début juillet, à six, nous avons parcouru le GR20 en cinq jours (190 km pour 11.500m de dénivelée). Et enfin j’ai passé trois semaines de vacances à la montagne. Je suis arrivé au TOR avec 2000km parcourus à pied auquels il faut ajouter tous les entrainements vélo de l’année. J’ai coupé tout entraînement sept jours avant l’épreuve.
T’est-il arrivé de douter durant ta préparation ?
Oui, au point de vouloir y renoncer à deux mois de l’objectif. Quand nous sommes rentrés de Corse j’ai renoncé au Tour de l’Oisans (180km pour 12.000m de dénivelée) à réaliser fin juillet et je me suis donné jusqu’à mi-août pour décider si je m’alignais au TOR ou non. J’ai coupé la préparation pendant deux semaines puis j’ai repris doucement. A mi-août, j’avais retrouvé l’envie et le plaisir de m’entrainer et je n’avais plus qu’à terminer ma préparation physique et à entamer ma préparation mentale. A postériori, je pense que ma préparation a été optimale. J’ai su tenir compte de mes blessures et de mes baisses de motivation. J’ai laissé la place à la récupération.
Comment se sont passées les dernières 24 heures avant la course?
Samedi j’ai rallié Courmayeur où je suis arrivé à 15h. J’ai fait une heure de queue debout pour avoir mon dossard, ma puce et mon sac « base-vie ». Et j’ai ensuite refait une heure de queue pour obtenir mon plateau repas à la pasta-party. Ca, ce n’était pas top ! J’ai passé une bonne nuit à l’hôtel. Un point négatif, le stress a provoqué des contractures musculaires aux jambes qui me mettaient au bord des crampes tout le samedi et même le dimanche. Cela n’a disparu qu’après 2 heures de course.
Parle-nous de ton matériel ?
Un sac Olmo 20 muni de 2 bidons de 75cl qui devait peser au plus entre 4 et 5 kg, des bâtons légers, des chaussures Asics Trabuco13 toutes neuves avec semelles perso, des manchons de compression, un altimètre obligatoire (et utile), casquette, lunettes, frontales LED-lenser, des manchettes, un boléro et une veste de pluie.
Du ravitaillement personnel ?
Boisson énergétique Go Drink et Isoxan Pro. Des Grany, des pates de fruits, d’amandes, des barres énergétiques, des sucreries type mini Bounty, Mars, Nuts et un gâteau sport Overstim’s.
Quelle a été la météo durant l’ensemble de la course ?
Couvert le premier jour avec un super orage en soirée et début de nuit. J’étais content d’être redescendu en vallée, et même d’arriver à la 1ere base vie au plus fort de l’orage. Mais j’ai quand même été rincé des pieds à la tête et j’ai dû me changer complètement avant de repartir. Puis il a fait beau toute la semaine. Il a même fait très très chaud, ce fut un problème surtout dans les ascensions difficiles. Les nuits étaient très fraîches compte tenu de l’altitude. Mais nous avons eu droit à des nuits de pleine lune avec un ciel étoilé magnifique.
Quels étaient tes objectifs ?
L’objectif principal était de terminer. Ensuite, aux vues de l’analyse des résultats 2010, je n’imaginais pas qu’il me soit possible de descendre sous les 125 heures. Alors je m’étais fixé d’arriver entre 125 et 150 heures. Ayant lu les récits de l’an dernier, je savais que le paramètre sommeil serait déterminant pour l’état de forme à l’arrivée et pour la durée de récupération d’après course. Alors je prévoyais de dormir trois fois cinq heures au minimum.
Quelles étaient tes motivations au départ ?
Je m’étais fait une préparation mentale particulière pour cette épreuve hors norme.J’avais d’abord conscience de l’immense chance que j’avais d’avoir la capacité physique de pouvoir réaliser ce type d’épreuve.J’avais l’intention de profiter au maximum de tout ce qui m’entourerait, bénévoles, coureurs, spectateurs, paysages, sensations.J’avais à l’esprit le respect de tous les sacrifices consentis cette année pour préparer cette épreuve.
Avais-tu une stratégie de course ?
Je m’étais préparé des petits leitmotivs :
-Ne jamais se mettre dans le « rouge »
-Traiter les problèmes dès leur apparition-Ne pas prendre de décision définitive dans les moments difficiles.
- Si tu es fatigué, repose-toi. Si tu as faim, mange !
-Ne pas adopter le rythme d’autrui.
-Fragmenter le parcours en portions courtes, ne jamais penser « arrivée ».
-Ne pas se focaliser sur la difficulté présente, divertir ses pensées, chasser les pensées négatives dés leur apparition.
-le voyage, ça n’est pas le but mais le chemin.
-garde des foulées économiques pour te préserver de la destruction musculaire
Parle-nous du départ ?
Arrivé trente minutes avant le départ, j’ai rejoint la petite foule de traileurs sur la place de l’église de Courmayeur. Enormément de spectateurs pour cette seconde édition. Petit à petit l’espace s’est rempli et le moment du départ est arrivé. L’organisation comme à l’UTMB s’est trouvée une musique. Tout devant, aux avants postes, je reconnaissais quelques grosses « pointures », prêtes à prendre un départ canon. Le décompte final égrainé par toute la foule se termina par la libération de la meute.
Ayant les mollets au bord des crampes à cause du stress, je ne voulais pas courir tout de suite de peur de les déclencher mais au bout de 50m je me suis résolu à suivre le mouvement et à courir. D’abord une belle descente puis ensuite une montée pour arriver après 3 petits km au premier chemin où il a fallu se mettre l’un derrière l’autre pour l’ascension du premier col. Les places étaient fixées et personne n’osait plus doubler jusqu’aux alpages au dessus de 2000m où nous retrouvions de l’espace pour dépasser.
Comment se sont passés les 2 premiers tronçons ?
La première journée est particulière, elle conditionne la suite. Elle donne le ton. On peut déjà juger de l’état de forme sans que cela soit définitif. Elle permet aussi de se positionner dans le peloton. On découvre aussi le niveau de technicité du parcours. On sait qu’on a sept énormes cols à passer avant de redescendre sur Donnas et qu’il est probable qu’on en passera au moins six dans les 24h.J’ai tout de suite trouvé un bon rythme de montée dans le premier col. J’ai fait la connaissance de Christian Mauduit en début d’ascension et nous avons discuté comme deux vieilles squaws presque jusqu’au sommet du col d’Arp. J’étais surpris de constater qu’il avait terminé Paris-Brest-Paris deux semaines plus tôt et qu’il s’alignait sur le Tor !...Je passe 158ème au col en deux heures et je fais la descente jusqu’à la Thuile en courant puis ça continue jusqu’au début de l’ascension suivante. Il fait très chaud. J’atteins le 2eme col en 6 heures. La descente suivante est abominable. Très raide, on descend dans des amas de rochers pendant un temps infini. Re-col à 2830m en 8h puis c’est la descente vers la 1ere base vie. Je double Wouter Hamelinck qui est victime d’une grosse entorse. Un belge très sympa qui a gagné le 1er écotrail de Paris et qui a terminé le 1er TOR en 126h avec 67h de course et 59h de repos ! C’est celui qui a couru le plus vite mais qui s’est le plus reposé ! J’ai atteint la base de Valgrisenche en 10h16. J’ai plus de ¾ d’heure d’avance par rapport à mes prévisions mais je suis dans un état correct. Je tiens un petit 5km/h de moyenne, c’est élevé mais j’ai prévu de ralentir à partir de ce point. Un violent orage nous cueille pendant la dernière heure de course. Je suis heureux d’être en vallée et je plains ceux qui sont sur les cols derrière et devant. Je reste une bonne heure pour diner copieusement et me changer car je suis trempé et je repars en 78eme position. La pluie a cessé temporairement. Je vais faire alliance avec deux italiens pendant quelques heures. Nous montons au col Fenêtre qui sera ensuite très dur à descendre.A Rhêmes ND, je vais essayer de dormir sans succès. Il y a trop de mouvements et de bruits dans la salle de repos, c’est une perte de temps d’une heure au final. Je repars à l’assaut des deux cols au dessus de 3000 m du TOR. J’atteins Eaux rousses quand le jour se lève, c’est bon pour le moral. Et devant moi se dresse les 3300m du col Loson. Je vais me régaler dans cette ascension profitant d’un état de forme exceptionnel. Ma vitesse ascensionnelle a sûrement été la meilleure au moment de cette montée. Je reprends une vingtaine de traileurs avant le col. Les 13 km de descente jusqu’à Cogne se font en courant. La chaleur est de retour. J’atteins la 2eme base à 12h34. ma moyenne est redescendue à un petit 4km/h, c’est bien ! Je resterai une grosse heure, le temps de me doucher et de me restaurer. Je repars en 50eme position, je n’en reviens pas ! Mais il ne faut pas que ça me grise alors je m‘arrête au bout de 3 km pour faire une sieste au bord d’un torrent. Disons que je m’allonge une heure, mais là encore je n’arrive pas à dormir, mais ça me repose quand même !
Parle-nous de ta logistique personnelle ?
Pas d’assistance personnelle pour me chouchouter aux bases vie comme pas mal de coureurs, alors j’ai uniquement profité du sac que l’organisation a mis à notre disposition pour y mettre nos affaires de rechanges, nos affaires de toilettes et du ravito. Ce sac était transporté de base vie en base vie. A notre arrivée, on nous apportait le sac. On le déposait à la sortie et il était acheminé à la base vie suivante. Dans ce sac, j’avais de quoi me changer complètement à chaque base vie, soit six fois. J’avais une seconde paire de chaussures que je n’ai jamais utilisée. Et un sac de ravitaillement personnel par base vie.
Et la logistique de la course ?
6 bases vie, centres sportifs dans les grandes villes traversées. Et une 7eme à l’arrivée. Une multitude de point de ravitaillement où on retrouvait à chaque fois les denrées standards. Dans les bases vies on trouvait une alimentation plus importante (soupe, pâtes, jambon, yaourts, fruits, gâteaux, jus de fruits, crudités).
Comment cela se passait-il dans les bases vie ?
Pointage à l’arrivée et à la sortie, on nous apportait ensuite notre sac base vie. On pouvait ensuite prendre une douche, se faire soigner ou masser, se changer, manger et se reposer. Les bases constituent des caps psychologiques à atteindre. A Valgrisenche, j’ai mangé. A Cogne, Donnas, Gressoney et Crétaz je me suis douché, j’ai mangé et j’ai dormi.A Ollomont, j’ai mangé.
Et dans les refuges ?
Pointage à l’arrivée et ravitaillement. Possibilité de se reposer 1h30 maxi ensuite, en théorie, on vous met dehors. Certains refuges avaient préparé du ravitaillement supplémentaire, ainsi en pleine montagne on nous a servi une succulente polenta. Ailleurs c’est un yaourt aux fruits maison, ou encore des tartes et du jus d’oranges pressées
Le balisage était-il bien fait ?
Irréprochable ! A un détail prés, il faudrait qu’il soit imbibé de répulsif à vaches !Ces dernières ont encore sévi cette année en mangeant certaines balises. Ce qui avait pour conséquence, surtout de nuit, de nous mettre dans des situations délicates où nous ne retrouvions plus le parcours. Il a fallu «jardiner» un peu, de temps en temps, pour arriver à retrouver le bon chemin.
Tu t’es retrouvé rapidement en tête de course. Comment as tu géré cette situation ?
En fait, les écarts étaient faits après 24, 48 heures de course et gravitaient autour de moi toujours la même vingtaine de coureurs. On faisait un chassé croisé qui était fonction de nos arrêts sommeil. Je n’ai pas vraiment cherché à jouer le classement, ce que j’avais à l’esprit à partir de la 70eme heure de course, ce qui me paraissait possible, c’était de descendre sous les 120h. Mais fidèle à mes leitmotivs du départ, je n’en faisais pas une obsession. C’est vrai qu’à chaque fois que je pointais, je voulais absolument connaître ma position. Ca me boostait, mais ça ne m’empêchait pas de m’arrêter pour me reposer.
Y a-t-il eu des moments difficiles, de doute ?
Aucun moment de doute, la seule chose que je redoutais c’était le pépin physique irrémédiable, m ais un seul moment difficile, à deux heures et demi de l’arrivée quand je tombais de fatigue à l’approche du refuge Bonatti. J’ai décidé de m’arrêter pour dormir une heure. On m’a installé sur un banc dans la grande salle du refuge qui servait à accueillir les traileurs, de salle de ravitaillement et de PC de course avec le talkie-walkie qui crachouillait toutes les trente secondes. Bref, impossible de dormir, j’ai du me résoudre à me lever pour repartir puisque je perdais mon temps et que des coureurs me passaient pendant que j’étais allongé. Mais quand je me suis levé, je me suis trouvé dans un état d’extrême fatigue, n’arrivant plus à marcher droit, ce qui m’a effrayé et je me suis demandé si j’allais pouvoir repartir ? Heureusement dés que j’ai mis le nez dehors, les bonnes sensations sont revenues progressivement et j’ai pu faire la fin du parcours au pas de course.
Parle nous de ton soutien extérieur ?
J’ai bénéficié d’un fan club extraordinaire. Ma famille, mes copains du club de triathlon, mes collègues de travail, des amis de divers horizons m’ont envoyé des centaines de sms durant ces cinq jours. A chaque base vie, je me faisais un plaisir d’allumer mon portable et tous les messages arrivaient. Leur lecture me procurait un regain de forme et je repartais, galvanisé, plus motivé que jamais.
Quel était le niveau de technicité du parcours ?
Certains le comparent à la Réunion et le trouvent même par certains coté plus difficile. Moi, je connais plutôt bien le GR20 en Corse et je lui trouve des similitudes. Les fins d’ascensions de certains cols sont monstrueuses et souvent l’autre versant est très exposé, très pentu et très glissant. J’ai souvenir de certaines descentes où les traces de chaussures mesuraient 70cm de long. On faisait du ski ! Il y a de rares passages équipés. On a eu des descentes dans des blocs rocheux où il était difficile de suivre une trace.
Quel fut le tronçon le plus difficile ?
Difficile à dire. On annonçait celui entre Donnas et Gressoney comme étant le plus difficile techniquement mais malgré la plus longue durée pour une étape, je ne l’ai pas trouvé plus dur que les autres. Et finalement je dirais que le plus dur c’était peut-être le 2eme avec ses 3 cols dont deux 3000. Heureusement que nous étions encore frais Cette étape placée en fin de parcours (si nous devions faire le TOR dans l’autre sens) serait redoutable. La dernière étape avec le cumul de la fatigue et ses deux cols dont le dernier à presque 3000m et des descentes interminables n’est pas loin non plus de remporter la palme.
Quels sont les ascensions de cols qui t’ont le plus marquées ?
Le col Loson 3300m. le col Entrelor 3002m Le col Malatra 2936m mais je ne suis pas sûr que ce soit les plus marquants. On en a gravi 25 et j’avoue que toutes ces autres ascensions ne sont plus très précises dans les souvenirs.
Et les descentes ?
Le col Fenêtre en pleine nuit avec son pourcentage en descente incroyable et puis un autre le 4eme jour dans le même genre mais passé de jour heureusement. On ne pouvait pas tenir arrêté dans la pente. Mais le pire de tout fut sans doute la descente de la Fenêtre de Champorcher jusqu’à Donnas. Il nous a fallu 7h30 pour descendre. Interminables les vallonnements autour de la cote 1000 dans la nuit et usant moralement. Ça n’en finissait pas de monter et de descendre.
Parle-nous de la Vallée d’Aoste ?
Un jardin formidable dans des paysages fantastiquement beaux, des vues splendides sur les sommets à plus de 4000. Le Tor des Géants est une course qui touche toute une région, le long des magnifiques sentiers des alta via 1 et 2 au pied des principaux 4000 des Alpes (le grand Paradisio, Mont Rose, Cervin, Mont Blanc, ) et à travers le Parc national du Grand Paradis et le Parc régional du Mont Avic. Le TOR n’est pas seulement un évènement sportif; c’est aussi un moyen de promotion de l’image touristique de la Vallée d’Aoste et des communes participantes.
Physiquement as-tu rencontré des problèmes ?
Bien sur, comme la presque totalité des coureurs.Le 2ème jour, j’ai commencé par avoir une douleur vive au genou gauche qui ne m’avait jamais fait souffrir auparavant. Je pense que j’ai dû coincer ou pincer le ménisque. Le genou était douloureux mais il est resté fonctionnel. Ensuite j’ai eu une alerte sérieuse au tendon d’Achille droit. A force de descendre les cols, mes lombaires se sont un peu tassées et un début de sciatique a rendu mon muscle fessier droit très douloureux. Les releveurs des deux pieds se sont manifestés mais ont bien réagi à la crème anti inflammatoire que je leur ai appliquée. Puis sont apparues plusieurs ampoules à chaque pied. Je les ai fait traitées une première fois à Donnas et ensuite à Ollomont. Mais je dois dire que les 15 dernières heures, ce sont les ampoules qui m’ont posé le plus de douleurs.
Comment as-tu géré le sommeil ?
J’ai essayé de dormir une première fois la 1ère nuit à Rhêmes mais pas assez fatigué, je n’ai pas réussi à dormir, j’ai perdu une heure. J’ai dormi une première fois 40 heures après le départ à Donnas. J’ai fait deux cycles de sommeil soit à peu prés 3 heures. Puis j’ai redormi la même chose au bout de 62 heures à Gressonney. J’ai redormi un cycle au bout de 80 heures à Valtournenche. Je me suis arrêté dans le refuge Cuney pour redormir un cycle au bout de 90 heures. Ensuite j’ai tenté le coup de poker de ne plus dormir jusqu’à l’arrivée mais j’ai du me résoudre à m’arrêter à Bonatti, à 2h30 de l’arrivée, pour essayer de dormir un cycle sans succès. A chaque fois que je dormais je me réveillais sans sonnerie, sans assistance. Je me disais simplement le temps que je voulais dormir en me couchant.
Et l’alimentation ?
Très problématique, J’ai très vite été confronté à des problèmes d’estomac. Il gonflait et je ne pouvais plus manger le ravitaillement que je m’étais prévu. Finalement je n’ai pratiquement pas utilisé mes boissons énergétiques, ni mes barres. J’ai surtout mangé dans les bases vie quand je retrouvais l’appétit. J’engloutissais jambon et pâtes et yaourts. J’ai fait d’excellents petits-déjeuners. Et dans le dernier jour j’ai bu énormément de coca. J’ai peu tourné au café de peur que ça m’empêche de dormir le moment venu. Un soir, j’ai bu du bouillon de viande. Bien mal m’en a pris car j’ai eu des remontées pendant 12 heures et tout ce que je prenais avait le goût du bouillon. Quand je pouvais je prenais quelques gorgées de bière. Sinon à cause des grosses chaleurs j’ai bien bu environ 10 litres d’eau par jour.
Comment cela se passait-il avec les autres traileurs ?
Une belle ambiance. On ne sentait aucune rivalité. Des alliances se créaient au cours des rencontres et la nuit on restait groupés dans les montées ou descentes de cols. Aux bases vie, on avait le temps d’échanger un peu. J’ai fait connaissance de personnes très attachantes et nous avons beaucoup échangé sur nos expériences.
Et avec les bénévoles ?
Aux petits soins pour nous. Toujours un accueil extraordinaire et une gentillesse à notre égard. Ils nous considéraient comme des héros, nous qui ne faisions que nous amuser, qu’assouvir notre passion.
Comment les nuits se sont-elles passées ?
Toutes les nuits ont été éclairées par la pleine lune et le ciel était bleu et constellé de milliers d’étoiles. C’était un régal d’évoluer dans cette nature silencieuse avec un cadre fantastique. J’ai bien souvent cédé à la contemplation en m’arrêtant pour admirer. J’ai passé la première à crapahuter à l’exception de mon heure d’arrêt à Rhêmes. La deuxième nuit, en petit groupe de 3 ou 4 nous avons fait la descente du col de la Fenêtre de Champorcher à Donnas où je me suis arrêté jusqu’au matin.La troisième, nous sommes partis à 3 ou 4 de Niel vers 20h, nous avons escaladé doucement le difficile col Lazoney à 2400m. La descente fut agréable et rapide mais nous ne sommes parvenus à la base de Gressoney que vers minuit. Exténués, nous nous sommes tous arrêtés pour dormir jusqu’à l’aube.La quatrième, ce fut la nuit de la solitude. J’ai passé la nuit à crapahuter sans voir personne sans que cela ne me dérange vraiment, j’ai apprécié cette nuit replié sur moi-même perdu dans mes pensées et appréciant la contemplation de la montagne la nuit sous la lune. Il y règne un calme incroyable. Un calme qu’on ne doit retrouver que dans le désert. De 2h30 à 4h, j’ai dormi dans le refuge Cuney. Puis je suis reparti et j’ai eu l’immense chance et le bonheur de voir poindre le jour petit à petit sur les sommets jusqu’aux vallées. Spectacle magique qui vous redonne des forces et du moral. Et j’ai pris un super petit déjeuner à Closé avant d’attaquer un col pas facile :le col Brisson ou je me fais doubler par deux randonneuses (eh oui !).Et enfin la dernière…
A propos de cette dernière nuit justement, comment se sont passées les dernières heures ?
Jeudi midi, en arrivant à la base vie d’Ollomont, j’avais l’intention de manger, prendre une douche et me reposer un peu. Mais pendant que je mangeais, j’ai été gagné par l’excitation ambiante. Les copains, qui étaient là ou qui arrivaient, n’avaient pas l’intention de trainer et parlaient de repartir rapidement. Pas question de perdre trop de place même si je ne jouais pas le classement. Après mangé, j’ai fait soigner mes pieds et je suis reparti. Dans l’ascension de l’avant dernier col, j’ai repassé plusieurs copains puis ce furent 14km de descente en rando course pour arriver à Bosses. J’ai pris un grand café et mangé des gâteaux et je suis reparti en 49eme position. La nuit est tombée et j’ai galéré un moment pour trouver le parcours car les vaches avaient mangé les balises. Au refuge de Tsa Merdeux (ça ne s’invente pas) je rejoins 3 collègues qui s’arrêteront un ¼ d’heure. Je prends un café-gâteaux et je suis reparti pour la dernière ascension du fameux col Malatra. Final incroyable, dans un revêtement qui fuyait sous les pieds sur une pente à plus de 50%. Arrivé dans la brêche vers 23h, j’ai poussé un grand cri libérateur dans la montagne. A cet instant les difficultés du Tor étaient derrière moi. Une heure et demie pour atteindre le refuge Bonatti (Walter Bonatti qui lui a donné son nom est décédé à Rome deux jours avant), j’y arrive dans un état de fatigue avancée. Ma tête commence a être plus lourde que mon corps, je ne marche plus droit.Je décide de m’arrêter une heure. Je suis 44eme et je repartirai en 51eme position. Je rejoins Bertone à bonne allure. Je pointe vite fait et j’oublie de prendre de l’eau ce qui me fera souffrir de la soif pendant la descente que je fais en courant. Je connais presque par cœur cette portion, ça aide ! Je mets 2h15 pour rallier Courmayeur depuis Bonatti, 15 coureurs sur la course feront mieux que moi sur cette portion.
Comment s’est passée ton arrivée ?
A l’entrée de Courmayeur, j’ai aperçu un coureur loin devant. Tout en traversant la ville, j’ai fini par le rattraper juste à l’arrivée. La ligne d’arrivée était complètement déserte à 3h45 du matin. L’arrivée officielle était donc dans la salle contigüe à l’arrivée. Le coureur que j’ai rattrapé était Luc avec qui j’ai fait un chassé croisé depuis plusieurs jours et qui m’a passé pendant que je me reposais à Bonatti. Venait d’arriver un autre collègue avec qui nous avions couru aussi. Nous avons mis une dédicace sur le poster géant de la course puis après avoir bu ensemble une bonne bière, une navette nous a emmenés au centre sportif où nous attendaient des matelas pour enfin dormir !
Quel est ton meilleur souvenir ?
L’ascension du col le plus dur du parcours : le col Loson 3300m que j’ai grimpé comme un cabri. Je me suis trouvé dans un état de forme exceptionnel précisément dans cette ascension et je me suis fait plaisir. A égalité avec mes pauses nocturnes en pleine montagne à contempler le paysage, frontale éteinte, à admirer les montagnes, les sommets, la mer de nuage dans la vallée, tout ça sous l’éclairage de la lune pleine et avec des milliers d’étoiles au dessus de la tête. J’avais parfois du mal à m’arracher à la contemplation et à repartir.
Quel fut le pire moment ?
Certains débuts de descentes de cols avec des pourcentages phénoménaux sur un revêtement très instable où on ne pouvait pas tenir arrêté et qui occasionnaient des glissades scabreuses et dangereuses. Il y a d’ailleurs eu une victime dans le dernier col Malatra, qui n’était pourtant pas le plus dangereux.
A quelle place finis-tu ?
46eme au scratch sur 300 arrivants et 475 partants, En 113h45 dont 90h25 en rando course et 23h20 à ravitailler, dormir, etc…5ème V2 sur 70 V2 arrivants, 18ème français sur 131 au départ.
Qu’as tu ressenti après la course ?
L’impression d’avoir été sur un nuage pendant 5 jours. D’avoir vécu des moments fantastiques et d’être, malgré la satisfaction du devoir accompli, face à un grand vide. J’ai des images plein la tête. J’ai fait de belles rencontres qui m’ont enrichi. Nous avons partagé une même passion avec les bénévoles, les valdotains et les traileurs.Et puis quand je regarde ma course, j’ai l’impression que c’est un autre qui a couru, je crois que j’ai réalisé la course de ma vie !
Physiquement comment étais-tu les jours suivants ?
Très mal aux pieds à cause des ampoules profondes et la tête d’un SDF qui aurait passé l’hiver dehors. Mais quand je voyais la tête des autres je ne m’inquiétais plus. Pas trop mal aux muscles. Nous avons eu droit à une séance massage-relaxation d’une bonne heure quelques heures après l’arrivée, cela m’a fait un bien fou. C’est le privilège des premiers, on a le temps de se faire chouchouter avant l’arrivée de la troupe.
Et la cérémonie de clôture ?
Les derniers coureurs sont arrivés samedi juste avant 16h. La cérémonie de remise des récompenses a eu lieu le dimanche matin. Il a fallu attendre plus de 48h à Courmayeur, mais c’était aussi bien ainsi car j’aurais été incapable de reprendre le volant pour rentrer. Et puis cette ambiance d’après course, cette nostalgie naissante, vallait bien cette petite attente. Après les récompenses des premiers du scratch et de chaque catégories d’âge, l’ensemble des traileurs a été récompensé par la remise d’une superbe veste-boléro « finisher ». C’était assez amusant de voir l’importance que revêtait cette tunique bleue ciel pour l’ensemble des concurrents. Qu’ils aient 24 ou 70 ans, qu’ils soient 1er ou 300ème et quelque soit leur nationalité, ce boléro matérialise tout ce que chacun a vécu.
Si c’était à refaire ?
Bien que j’aie dit que si j’avais su avant combien c’était dur je ne l’aurais pas fait, je reprendrais le départ !
Un regret ?
Pas vraiment, à part celui de ne pas avoir pris de photos.
Une dizaine de jours après la course, comment te sens-tu ?
Encore épuisé. Je pense qu’il faudra encore pas mal de semaines avant que j’ai recouvré mon état d’avant Tor. J’ai puisé profondément dans mes réserves et j’ai perdu 7 kg pendant la course dont une partie en volume musculaire. J’espère que je ne conserverai pas de séquelles.
Reviendras tu l’an prochain ?
Je ne pense pas. Je ne dis pas que je n’y reviendrai pas. Mais pas en 2012, tant pis pour le dossard 46 qui n’existera pas. On murmurait sur place que la course aurait peut-être lieu tous les 2 ans…
Une dernière chose ?Oui, je remercie du fond du cœur mes proches qui ont supporté encore une fois une année de préparation à un gros objectif avec tout ce que cela implique…Je suis également plein de reconnaissance pour tous mes amis de tous horizons qui m’ont soutenu pendant la course et qui en croyant en moi m’ont insufflé des forces supplémentaires.Et bien sûr un immense merci à tous les organisateurs et aux 1200 bénévoles qui font un travail extraordinaire et qui ont créé un événement international de tout premier plan véhiculant des valeurs humaines généreuses.Ce fut une expérience sportive et humaine exceptionnelle dans un cadre grandiose. Je crois avoir tutoyé mes limites.
Vive le Val d’Aoste !
Vive le TOR des Géants !
Quelques chiffres :
1200 Le nombre de bénévoles
473 Le nombre de partants
300 Le nombre d’arrivants, soit 63% (+9% par rapport à 2010)
131 Le nombre de français au départ
60 Le nombre de non partants inscrits
70 l’âge du coureur le plus âgé : 147h52
65 le nombre de V2 à l’arrivée
33 le nombre de femmes qui ont fini sur 47 au départ.
24 l’âge du vainqueur et le plus jeune concurrent
4 4,15km/h : la vitesse du vainqueur. Deux fois moins que le vainqueur de l’UTMB 2011. 2,2km/h : vitesse du dernier
2 Anne-Marie GROSS (41ans) remporte le TOR pour la 2eme année consécutive. 4eme au scratch en 91h28
1 arrivant sous les 80h
2 arrivants entre 80 et 90h
9 arrivants entre 90 et 100h
24 arrivants entre 100 et 110h
46 arrivants entre 110 et 120h
66 arrivants entre 120 et 130h
32 arrivants entre 130 et 140h
132 arrivants entre 140 et 150h
Les copains avec qui j’ai fait un beau chassé croisé :
Raymond l’alsacien, 59eme l’an passé, un vrai métronome. Il arrivera 61eme en 117h29. Un vrai personnage attachant.
Luc, celui avec qui j’ai partagé le plus de km, on finit ensemble. Son copain Yves le doyen de la course, 70ans, l’a incité à faire le TOR.
Christian, « pape de l’ultra en tout », il finit le Paris-Brest-Paris et s’aligne 2 semaines plus tard au TOR, il finit 63eme en 117h46.
Enrico, l’italien, avec qui j’ai descendu le col de la Fenêtre de Champorcher pendant 7h30. Il abandonnera sur blessure à Niel.
Patrick, l’élagueur, qui me passe pendant mon arrêt à Bonatti et qui finit 14 minutes devant nous.Frédéric qui craque entre Bonatti et Courmayeur, il mettra 5h15 mais finit 53eme.
Et d’autres rencontres bien sympa : Arnaud, Jean-Michel, Gilbert….
7 commentaires
Commentaire de robin posté le 30-09-2011 à 15:56:54
Sacrée aventure ! vous allez dans des dimensions que je n'imagine même pas ! Merci de nous faire partager ces instants. Bravo
Commentaire de philkikou posté le 01-10-2011 à 15:08:06
la préparation physique et mentale , la course , tout est GEANTI - CIMES !!!
original et très documenté ce récit version "interview"
Même sans photos, récit haletant passionnant par un extra-terrestre pour moi
Respect et bonne récup. !!!
Commentaire de Bacchus posté le 01-10-2011 à 18:12:02
Bravo pour ta course, merci pour ton récit
Cette forme d'auto interview est vraiment original
Un jour peut être, j'essayerai d'y participer
Commentaire de Piloumontagne posté le 04-10-2011 à 20:09:55
Merci pour cet excellent retour d'expérience.
Et bravo pour ta gestion de course et ta réussite à ce Tor des Géants.
Commentaire de Souris posté le 06-10-2011 à 13:58:54
Merci pour ce récit (exercice pas si simple, d'ailleurs je n'ai toujours rien écrit à ce jour!!)et encore Bravo pour cette course.
Commentaire de Stefan78-15 posté le 08-10-2011 à 09:05:14
Un grand bravo pour ce magnifique récit d'une aventure extraordinaire et d'un exploit hors du commun. En plus du voyage qu'il nous autorise, ce récit dégage une force particulier et présente d'indéniables qualités littéraires. Un beau moment d'émotion. Merci et encore bravo. Respect et admiration.
Commentaire de Stefan78-15 posté le 08-10-2011 à 09:05:23
Un grand bravo pour ce magnifique récit d'une aventure extraordinaire et d'un exploit hors du commun. En plus du voyage qu'il nous autorise, ce récit dégage une force particulier et présente d'indéniables qualités littéraires. Un beau moment d'émotion. Merci et encore bravo. Respect et admiration.
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