L'auteur : fadadebenji
La course : 100 km de Bienne
Date : 10/6/2010
Lieu : Bienne (Suisse)
Affichage : 1413 vues
Distance : 100km
Objectif : Faire un temps
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Mon premier 100 km à Bienne le 11 juin 2010
Quel sera l’effet d’une si longue sortie sur route, quelles en seront les conséquences ? Je vais jouer au rouleau compresseur pendant des heures alors c’est simple, la compression du bitume (moi dessus) et de la roche calcaire ou granulats au cours du temps par les couches supérieures s’imprègnent et finissent par créer un matériau « fermé », c'est-à-dire qu’il n’y a aucun vide, le résultat s’appelle l’asphalte. Belle définition n’est ce pas ? C’est important pour moi car au début c’est tout beau, tout rose mais après 50 bornes les yeux commencent à fixer le sol alors qu’il en reste encore autant à parcourir. Vous avez donc tous compris que si déjà je vais avoir un regard intime avec madame La Route autant la connaitre un peu avant !
Les présentations faites, passons au vif du sujet. Après un petit voyage, de petits bouchons, un petit repas, de petits essayages, un petit…, bref, rien d’exceptionnel, nous nous dirigeons vers le sas de départ. Aaahhhh, quel soulagement, enfin là au beau milieu de plus de 1260 paires de semelles froides, enfin devant la porte de la Nuit des Nuits, devant cette porte au palier très large où plus qu’un pas de géant suffirait à nous mener dans le monde des centbornards. Guy, Thierry et Daniel, notre caravane logistique et soutien moral, participeront également à notre tentative de téléportation. Humm, j’adore cette ambiance de stress, d’inquiétude et d’attente où tout disparait aussi rapidement que le coup de feu est donné.
22h00 – Bienne – km 000
C’est parti ; Muriel, Elzira, Christophe le solitaire et moi-même commençons à nous laisser emporter par l’écumeuse vague des frontales au rythme chaotique du piétinement. D’abord nous atteignons la vitesse de croisière des filles (9,5km/h) puis, naturellement, après un au-revoir, je me calibre, pile-poile à 11km/h, grâce au GPS, objectif : moins de 10 heures. Christophe, quant à lui, fait déjà partie des souvenirs, son état de forme actuel lui permettra certainement de nous épater une fois encore. Me voilà seul, tout seul au beau milieu de milliers de coureurs également seuls pour la plupart, c’est un moment et une ambiance rare permettant de faire le point avec soi. Rien ne me perturbe ; la route est plate et droite, la météo est idéale, je n’ai aucun portage, je n’ai pas de musique, je n’ai pas de paysage déstabilisant et ma cadence est paramétrée pour durer. Tout pour se faire chier quoi ! (paroles de trailer)
Un ravitaillement ?
Déjà ? J’ai plus l’habitude de ça dis-donc ! Il y en aura une vingtaine sur le parcours répartis stratégiquement parait-il. Après-tout, ils permettront de casser la monotonie en attendant de retrouver mon assistant cycliste Guy. Je vous avoue qu’à part le fait de se faire une sortie en groupe et surtout d’atteindre les 100 km rien ne m’emballe plus que ça sur le plan compétition et, encore moins, sur la préparation ennuyeuse. Mais trêve de lamentation, il faut que j’en garde un peu pour les moments de désespoir en fin de parcours, je suis bien là en train de courir et ce n’est pas ma maman qui m’y oblige donc j’assume et je suis bien décidé à arriver au bout coûte que coûte. L’objectif à lui seul est suffisamment extraordinaire pour ne penser qu’à ça, ce nombre « cent » qui me poursuivait et me menaçait si souvent alors qu’aujourd’hui je vais l’écraser, l’anéantir, l’avaler tout cru. Lorsqu’on fera le rapprochement entre « cent » et « Thomas » ce ne sera plus le mot KILOGRAMME qui en ressortira mais KILOMETRE.
Quelle ambiance !
Partout où une table, des chaises et un barbecue peuvent s’installer, que ce soit sur les trottoirs, dans les cours ou sur les places, les habitants y élisent domicile pour toute la nuit. Peut-être que la proximité physique leur donne la sensation d’être engagés et compatissants avec nos joies et nos douleurs ? « Hop, hop, hop… » Raisonnant encore dans ma tête, ces encouragements si surprenants et bien locaux chantés par toutes les générations donnent l’impression d’être acteur d’une parade tant attendue par ces villages de campagne. Non sans transition, sur tout le parcours, l’intégralité des animaux d’élevage participent également à la fête par leur délicat parfum d’étable, d’écurie, de porcherie ou de chèvrerie.
00h10 – Lyss – km 023
C’est le lieu où tous les coureurs accompagnés retrouvent leur suiveur. Un suiveur ? Mais pourquoi un suiveur ? Ben parce que c’est comme ça, c’est autorisé, donc on en profite. C’est une pratique courante à partir d’une certaine distance sur route, le gars vous assiste, vous bichonne, vous parle, vous motive dans les coups durs et vous apporte tout ce dont vous avez besoins que ce soit matériel, vestimentaire ou alimentaire. Le mien c’est Guy et l’immense reconnaissance que j’ai pour lui n’a d’égal que son dévouement car ce n’est de loin pas une partie de plaisir (allure très lente, portage, fatigue de la nuit…). Que Gene me pardonne mais cette nuit il est à moi, rien qu’à moi et je compte bien en profiter ! Je l’aperçois enfin et sans marquer de pose nous nous congratulons amicalement et commençons notre course en se racontant nos premières sensations réciproques. Après une petite analyse, nous tombons d’accord sur la composition et la fréquence de mon alimentation à venir. En complément de mes deux à trois verres d’eau pris sans exception, je commencerai l’absorption d’une barre énergétique MX3 à partir de trois heures de course tous les deux ravitaillements. S’en suivra, plus tard, la prise systématique d’un verre de Coca.
01h40 – Oberramsern – km 038,5
Première étape des relais, rien à signaler mis à part le fait qu’il y a toujours autant d’euphorie dans les rues. Je suis heureux d’y être, c’est clair, mais j’ai surtout envie de repartir sans tarder, de me remettre en course car je me rends compte que j’aime ça et que finalement cette course me plait bien. « Désolé Guy, mais j’y retourne, prends ton temps ça te fera un peu d’exercice en me rattrapant ! » Et maintenant, qu’est ce qu’on fait, je suis à peine au 40ème panneau ! Comment vais-je m’occuper l’esprit ? J’ai trouvé ! « Regarde Guy, on est bientôt au marathon… » Tac ! « Ça y est, 4h05min, pas mal, hein, et dans même pas huit bornes on sera à la moitié… » Tac ! « Ça y est, 4h50min, on tient l’objectif et dans six bornes on arrive à Kirchberg… »
03h30 – Kirchberg – km 056
Deuxième étape des relais. Bien, bien, tout ça, j’me Cent Bienne ! (Bon voilà, j’l’ai enfin placé), bref ! Même topo qu’au premier relais avec une pose un peu plus longue et c’est également là que nous nous séparons pour une dizaine de kilomètres. Les organisateurs nous offrent ici un petit condensé de course nature composé de monotraces, hautes herbes, parfums sauvages et vision de centrale d’épuration où la proximité de nos regards effleure les remous matérialisant nos inquiétudes olfactives. Mais ce n’est pas le pire. Pour tout ceux qui jusqu’à présent n’auraient pas eu mal aux pieds, un formidable tronçon en lisière de forêt n’attend que nous pour tester les nouvelles pathologies pédicurales par le franchissement de racines et de cailloux bien difficiles à négocier après tant de platitude. (Waouh, j’suis en forme !) Malgré ces désagréments je n’omets pas de relever certains passages comme celui des 57,805 km où celui des 65 km (distance du Trail aux Etoiles).
04h35 – les retrouvailles – km 066
- GUYYY !! Hurle-je. Rien de tel pour signaler mon approche afin que mon cowboy puisse chevaucher sa monture à temps sans créer d’embouteillage. A nouveau côte à côte, nous voilà repartis en roue libre avant l’attaque du plus long dénivelé du parcours.
- ça va Thomas ?
- Impeccable. C’était chaotique mais je suis toujours à 11km/h. (c’est pas pro ça ?)
Ma frontale est maintenant à la charge de mon coéquipier vu que les lueurs du ciel permettent à elles seules d’éviter les rares aspérités dangereuses. Je m’en sors relativement bien pour l’instant mais après constat et réflexion l’objectif temps ne sera pas atteint. En toute honnêteté, il ne l’aurait jamais été car pour cela il aurait fallut une allure de 12km/h et ça c’est trop rapide pour ma VMA actuelle. Bien heureux, tout de même, au passage de la Piste des Seigneurs, aussi, je reprends mes repères kilométriques jusqu’à atteindre le point maximum jamais parcouru. A partir de là j’inverse la psychanalyse en commençant le compte à rebours de la distance restante. Guy me fait remarquer que j’ai l’air un peu mieux qu’il y a une heure ou deux pourtant je n’ai rien vu venir à part les marchés plus fréquents et les haltes plus longues. Je vais vous dire, lorsque le sept des dizaines est franchi il reste un parcours inférieur à trente km, ça fait du vingt et quelque, toute l’année on s’amuse et on s’éclate sur si peu avec les copains. Le jour se lève, la bruine tombe et maintenant je le sais, je le sens, Guy le voit en moi, plus rien ne m’arrêtera, pas même ce faux-plat de presque huit km.
05h50 – Bibern – km 077
Troisième et dernière étape des relais. Et alors ? Ben il reste une Mac VI bordel ! Oups, aïe aïe aïe, les relances deviennent douloureuses surtout après une trop longue pose. Il faut s’arrêter le moins possible maintenant et heureusement que mon biker est là pour me le rappeler à temps. Il reste encore une bonne côte à venir dans le prolongement de ce tronçon incliné, je la marche, je souffle, mais la pente précédente était très longue et je me suis épuisé dessus. Je l’ai négociée en petites foulées pour limiter la casse du chrono, j’ai serré les dents jusqu’au ravitaillement et maintenant je commence sérieusement à le payer. J’ai mal aux jambes mais également aux bras, non, je n’ai jamais porté le vélo de Guy, m’enfin ! Curieusement je n’ai pas de crampes, aucune prémice même, par contre les articulations et la viande durcissent, j’ai l’impression de me transformer en robot, une machine de guerre qui se renforce combat après combat et qui souffre ! A dire vrai, on pourrait plutôt me comparer à un pudding anglais, mou, mou si mou mais toujours debout, vous pouvez l’ébranler mais il restera toujours sur ses genoux ! Là en l’occurrence je roule puisque c’est le début de la descente. Je le remarque au cliquetis de la chaine de vélo qui ne pédale plus, je suis content pour Guy mais mon expression joyeuse est de courte durée car la pente s’accentue tristement, de toute façon maintenant la seule chose qui pourrait me soulager est encore à quelques lieues d’ici. 80ème km, qui l’eut cru, quatre-vingts bornes derrière moi, plus que le chiffre « un » des dizaines à éradiquer. Ça sent l’écurie !
06h20 – Arch – km 081
Fin de la descente aux enfers
- ça va toujours Thomas ?
- Je déguste comme un malade, c’est l’horreur mais ça va aller mieux maintenant.
Avant que je puisse lui poser la même question, monsieur s’esclaffe en me racontant une bonne vanne sur le nom du patelin que l’on vient de traverser ( « ça ne doit pas sentir souvent très bon dans ce patelin, dit-il. « Arch » en alsacien ça veut dire « cul » ». Pardon pour lui.). Ceci me démontre qu’il est en pleine forme, sacré Guy ! La cadence diminue nettement, je ne calcule même plus ma vitesse, à quoi bon, de toute manière ça ne changerait rien.
85ème km, « Plus qu’un Roeschwoog Guy… ».
88ème km, « Plus qu’une course du Hans Guy… ».
90ème km « Plus qu’une Vosgigazelle Guy… ».
Plus de dizaine et plus d’appétit non-plus, d’ailleurs mon estomac n’a qu’à bien se tenir avec ce que je vais lui infliger à midi. Enfin le marquage réapparait à tous les kilomètres. C’est une approche progressive et psychologiquement c’est bien dans le sens où on se dit qu’un pied est déjà sur la ligne d’arrivée.
95ème km, « Plus qu’un Schweighouse où j’ai excellé fut un temps Guy… ».
Les éloges de mon compagnon humoriste n’en finissent plus, ils me donnent la force de ne pas marcher, ils me donnent la force de m’accrocher avec fierté, pour lui, pour moi, pour le coup de fil que je viens d’avoir, pour tout ça, ou plutôt, grâce à ça, notre cause est gagnée. 99ème km, « ………………..Guy… ».
Le meilleur des Experts ne pourra rien identifier tellement sont nombreuses les empreintes de mains posées sur ce dernier panneau, celui du 99ème. La course est derrière et on se sent pousser des ailes, plus de panneau vous vous rendez-compte ? J’ai tout à coup envie de pleurer, oui oui, moi Thomas l’homme des bois dit « le sanglier », mes yeux brillent, mes joues rougissent, mon front s’enflamme. Je ne réalise plus trop ce qui se passe, pourquoi tant de gens sont encore là à applaudir, à nous féliciter, Christophe est là aussi, est-ce l’arrivée ? Est-ce la fin ? Oui c’est ça, maintenant je suis à deux pas de concrétiser mon rêve. Biiip ! Cent kilomètres les amis, cent kilomètres, je n’ai plus de voix, c’est magnifique !
08h49 – Bienne – km 100
Ou est mon partenaire ? Pourquoi ne l’ont-ils pas laissé franchir l’arche avec moi ? Comme à chaque moment important, une fois de plus, il n’a pas manqué à son dévouement et c’est avec une immense joie, à la sortie du sas, que je me suis jeté dans ses bras. Quelle claque dites-donc, encore aujourd’hui j’en frémis. La réussite fut d’autant plus explosive en apprenant la performance de Christophe et encore plus enchanteresse à l’arrivée de Murielle et d’Elzira. Joies, larmes, bannière, maris, famille, tout le kit du bonheur était réuni pour les accompagner sous une ovation particulièrement émouvante. Ainsi, sous cette bonne aura nous rejoignirent la France par le Sundgau où nous n’échappions pas à la dégustation de la carpe frite. Mais le comble suprême d’une sortie des Vosgirunners, l’extase au plus haut point : procéder à l’extrême onction de nos plans d’entrainements par l’absorption de ce tant attendu PICON de la victoire !
Thomas
3 commentaires
Commentaire de CROCS-MAN posté le 29-06-2010 à 13:51:00
BRAVO pour ta course.
Commentaire de tophenbave posté le 29-06-2010 à 20:39:00
bra
Commentaire de tophenbave posté le 29-06-2010 à 20:41:00
bravo,superbe course et tres bon chrono.et un reve realisè,un!
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